EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 21 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial, et Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale, sur la mission « Travail et emploi » (et articles 68 et 69.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi ». - Si mon binôme a changé cette année, Ghislaine Senée et moi-même nous rejoignons sur l'essentiel, à deux exceptions près.
Les crédits de la mission « Travail et emploi » demandés pour 2024 s'élèvent à 22,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 22,6 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une augmentation de 12,7 % en AE et 8,1 % en CP par rapport à 2023.
L'augmentation des crédits à hauteur de 22,4 % en AE et 13,3 % en CP est principalement soutenue par le programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi ». Elle est due, d'une part, à la hausse de la dotation versée par l'État à France Compétences. Celle-ci, qui passe de 1,7 à 2,5 milliards d'euros, vise à rétablir l'équilibre financier de l'opérateur, dont les dépenses excèdent largement les ressources propres. Toutefois, cette hausse du soutien de l'État ne permettra pas, à elle seule, de rétablir la situation de France Compétences : des actions en dépenses me semblent également nécessaires.
Plusieurs chantiers ont d'ores et déjà été engagés, sans avoir tous abouti : la régulation des dépenses du compte personnel de formation (CPF), décidée dans la loi de finances pour 2023, n'est pas encore appliquée. La révision des niveaux de prise en charge des centres de formation d'apprentis a débuté, et a déjà permis de réaliser 540 millions d'euros d'économies en 2023. Enfin, la participation de France Compétences au financement du plan d'investissement dans les compétences (PIC) a été divisée par deux dès 2023.
Par ailleurs, l'augmentation des crédits du programme 103 est due au financement de l'apprentissage, qui constitue la politique « phare » portée par la mission « Travail et emploi ». Si l'on prend en compte l'ensemble des dépenses en faveur de la formation en alternance - c'est-à-dire les aides aux employeurs d'apprentis, les exonérations de cotisations en faveur de l'apprentissage, et la dotation de l'État à France Compétences -, les crédits dédiés à cette politique sur le budget de l'État s'élèvent à 8,8 milliards d'euros en AE et 8,3 milliards d'euros en CP. Ces montants significatifs représentent plus du tiers des crédits de la mission.
La progression des dépenses liées à l'apprentissage est le signe du succès de ce dispositif, qui contribue à la réduction du nombre de personnes sans emploi dans notre pays. Ce succès s'explique, entre autres facteurs, par la vigueur du soutien public, notamment via les aides aux employeurs d'apprentis.
D'une part, il s'agit de l'aide unique aux employeurs d'apprentis, créée dans la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, pour favoriser l'embauche d'apprentis jusqu'au baccalauréat par les petites et moyennes entreprises (PME), c'est-à-dire des entreprises de moins de 250 salariés. Cette aide était donc initialement ciblée sur les petites entreprises et sur les jeunes sortants prématurément du système éducatif.
D'autre part, une aide exceptionnelle beaucoup plus large a été créée à l'occasion de la crise sanitaire : elle peut être versée aux entreprises de plus de 250 salariés et pour l'embauche d'apprentis jusqu'au niveau master. À la fin de l'année 2022, le montant de ces deux aides a été fixé à 6 000 euros, actant une sorte de « fusion » des deux dispositifs.
S'il explique une bonne partie du succès de l'apprentissage, un ciblage aussi large présente également des risques d'effet d'aubaine. C'est pourquoi Ghislaine Senée et moi-même vous soumettons un amendement procédant à un meilleur ciblage des aides aux employeurs d'apprentis. Nous proposons, à l'avenir, que les contrats signés entre une entreprise de plus de 250 salariés et un jeune préparant un diplôme supérieur à bac + 2 ne donnent plus droit au versement de l'aide exceptionnelle.
Il s'agirait d'un recentrage modéré : cet amendement est sans effet sur les PME, qui, par définition, ont moins de 250 salariés. Il ne change rien non plus à la situation des entreprises de plus de 250 salariés qui emploient des apprentis de niveau inférieur à bac + 3, comme, par exemple, des jeunes en brevet de technicien supérieur (BTS) ou en diplôme universitaire de technologie (DUT). Il vise simplement à orienter prioritairement ces crédits vers les entreprises et les jeunes qui en ont le plus besoin pour assurer une meilleure efficience des dépenses en faveur de l'apprentissage.
D'ailleurs, un amendement similaire du rapporteur spécial à l'Assemblée nationale a été adopté par la commission des finances, même s'il n'a pas été retenu dans le cadre du 49.3. Il me semble que cette question peut faire l'objet d'un débat constructif, d'autant que la situation des finances publiques nous invite à nous interroger sur l'efficience de nos politiques. Selon notre chiffrage, un tel recentrage des aides aux employeurs d'apprentis pourrait permettre une économie de 725 millions d'euros en année pleine, et 600 millions d'euros à compter du 1er mars 2024, comme le propose notre amendement, ce qui n'est pas négligeable et ne devrait pas casser la dynamique de l'apprentissage à laquelle nous sommes tous attachés.
Sous réserve de l'adoption de cet amendement, ainsi que de l'amendement que Ghislaine Senée va vous présenter, je vous propose donc d'adopter les crédits de la mission ainsi modifiés.
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale de la mission « Travail et emploi ». - J'abonde dans le sens des propos de mon collègue Emmanuel Capus. À nos yeux, la politique de soutien à l'apprentissage a effectivement porté ses fruits. Toutefois, au travers de cet amendement et comme le défendait mon prédécesseur, M. Daniel Breuiller, nous souhaitons que les petites entreprises et les jeunes moins qualifiés bénéficient prioritairement de ces dispositifs, plutôt que, par exemple, les étudiants en écoles de commerce qui feraient leur apprentissage dans de grandes entreprises. Dans ces cas, il nous semble que le versement d'une telle aide présente un risque élevé d'effet d'aubaine.
Permettez-moi d'évoquer les crédits du programme 102 « Accès et retour à l'emploi ». Ceux-ci restent globalement stables par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, avec une baisse de 0,1 % en CP, mais ils connaissent en réalité une augmentation de plus de 11,1 % par rapport à l'exécution attendue cette année. À l'exception des crédits alloués aux contrats aidés et aux emplois francs, la quasi-totalité des dispositifs financés sur ce programme fait l'objet d'un financement stable ou en augmentation. La principale nouveauté concerne l'augmentation des effectifs de Pôle emploi, principal opérateur rattaché à la mission, dont le plafond d'emplois est rehaussé de 300 équivalents temps plein (ETP) pour absorber les responsabilités nouvelles qui lui seront confiées avec la création de France Travail.
Pour conclure, j'aborderai un autre dispositif porté par le programme 102 : l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Comme vous le savez, cette expérimentation vise à favoriser le recrutement de chômeurs de longue durée par des « entreprises à but d'emploi », partiellement financées par l'État et les départements. À l'origine, en 2016, l'expérimentation concernait dix territoires. Depuis sa prolongation jusqu'en 2026, décidée en 2020, elle concerne jusqu'à soixante territoires volontaires, voire davantage si le nombre de candidatures le permet.
En cohérence avec la montée en charge de l'expérimentation validée par l'État, les moyens alloués progressent de 53,3 % entre 2023 et 2024, pour s'établir à 69 millions d'euros. Toutefois, nous avons été alertés sur le fait que cette hausse pourrait ne pas être suffisante : les besoins de la poursuite de l'expérimentation sont estimés à 89 millions d'euros. À l'Assemblée nationale, plusieurs amendements ont été adoptés afin d'augmenter les crédits dédiés de 11 millions d'euros, portant le financement de l'expérimentation à 80 millions d'euros.
Nous vous proposons de prolonger cet effort, en y allouant 9 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement uniquement.
Je vous propose en conséquence d'adopter les crédits de la mission « Travail et emploi », modifiés par ces deux amendements que nous vous soumettons.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - La commission des affaires sociales accuse un léger retard pour l'examen de la mission puisque nous venons seulement, pour notre part, de terminer nos auditions.
En 2023, trois objectifs avaient été fixés par la commission des affaires sociales : maîtriser la dépense publique, assurer le financement lisible et pérenne de l'apprentissage et évaluer la pertinence des moyens alloués aux services publics de l'emploi - des objectifs que nous poursuivrons en 2024.
À ce titre, deux chiffres me paraissent intéressants.
France Compétences affiche depuis sa création 7,7 milliards d'euros de dette en déficits cumulés. Or sa contribution annuelle au PIC à hauteur de 7,3 milliards d'euros explique sans doute ce déficit.
Aussi, je proposerai un amendement en commission des affaires sociales visant à diminuer la contribution de France Compétences au PIC afin de recentrer ses financements en direction de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
Je note également que, sur la période 2019 à 2021, le nombre d'ETP attribué à Pôle emploi est en hausse de 9,07%, une hausse colossale comparée à celles de la fonction publique d'État et de la fonction publique territoriale qui s'élèvent respectivement à seulement 0,82 % et 1,71 %. Que justifie une telle disparité entre les services ? Sans compter que Pôle emploi a déjà bénéficié de 700 ETP supplémentaires dans le cadre de la crise sanitaire.
Nous avons donc un double défi concernant le service public de l'emploi : vérifier que tous les ETP soient affectés à la bonne cause, mais aussi trouver le financement de ces 300 ETP supplémentaires dédiés à Pôle emploi, en plus de ceux liés au covid. Ils devaient être financés notamment par la contribution de l'Unédic à Pôle emploi, fixée à 11 % et non à 13 % comme le ministre l'espérait.
Quant à l'amendement visant les aides attribuées aux entreprises concernant l'apprentissage, je comprends la position de la commission - si tant est qu'elle vote cet amendement -, mais je considère qu'il revient aux partenaires sociaux d'en décider. À mon sens, cet amendement est prématuré, même si je reconnais que l'économie de 750 millions d'euros proposée n'est pas négligeable au regard du budget qui nous est soumis.
M. Marc Laménie. - Merci à nos deux rapporteurs spéciaux pour leur présentation particulièrement pédagogique, et à notre collègue Mme Puissat, qui connaît bien ces sujets.
L'augmentation de 8 % des crédits de paiement est significative, avec 22 milliards d'euros atteints pour 2024.
Je rejoins l'interrogation de Mme Frédérique Puissat sur l'augmentation importante de 300 nouveaux ETP dédiés à Pôle emploi. Peut-on avoir des précisions sur leur répartition territoriale ?
À quoi correspondent également les 11,2 milliards de recettes de France Compétences - hors dotation de l'État - évoqués dans votre rapport ? Le déficit avancé est par ailleurs significatif. A-t-on, là encore, une idée de sa répartition sur le territoire ?
Enfin quel est l'enjeu financier s'agissant du soutien aux missions locales sur l'emploi des jeunes, un combat qui concerne nos territoires ?
M. Michel Canévet. - Merci aux rapporteurs spéciaux et en particulier à la rapporteure pour avis d'avoir évoqué les conditions dans lesquelles fonctionne France Compétences. Sa dette de 7,7 milliards d'euros est inquiétante. Alors que son déficit s'élève à 3,7 milliards d'euros, comment cet organisme compte-t-il rééquilibrer ses comptes si l'on veut que cette réforme aboutisse ? À ce propos, l'objectif de 1 million d'alternants d'ici à 2024 est-il atteignable ?
Enfin, ne devrait-on pas essayer de rationaliser les moyens importants alloués à ce nouvel opérateur public de l'emploi, avant de créer 300 emplois supplémentaires destinés à Pôle emploi ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je me joins aux remerciements adressés aux rapporteurs, dont le rapport est très clair. J'ai toutefois un doute sérieux concernant leur amendement. À l'évidence, il faut recalibrer les financements destinés à la formation professionnelle, notamment la contribution au PIC, mais aussi le CPF, qui fonctionne par pure logique de guichet. Ces dispositifs ont été manifestement construits sur un coin de table et relèvent très souvent d'idées préconçues. C'est tout à l'honneur de notre commission de tenter de réduire leurs crédits. Mais je ne suis pas convaincue de l'efficacité d'une toise sur les critères d'attribution. Décréter qu'au-dessus de 250 salariés les entreprises n'auraient pas besoin d'apprentis, ou que l'aide à l'apprentissage n'est pas nécessaire aux écoles de niveau bac+3, comme les écoles de commerce ou d'ingénieur, est certes de nature à apporter un rendement de 700 millions d'euros, mais manque de subtilité.
La séparation des financements de France Compétences, prônée par Frédérique Puissat, me paraît, plus judicieuse - cette structure n'est pas là pour financer le PIC. Je suis également favorable à une concertation préalable avec les partenaires sociaux, mais aussi avec l'État, sur un recalibrage efficace des aides à l'apprentissage.
Au-delà de l'économie qui en résulterait, je ne pense pas que cette mesure fasse progresser le débat. À moins qu'il ne s'agisse ici que d'un amendement d'appel, incitant à tout remettre à plat.
M. Éric Jeansannetas. - Je remercie nos trois rapporteurs pour leurs éclairages précis.
Je suis étonné par l'optimisme du Gouvernement sur un retour au plein emploi. La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) note elle-même une inversion de la courbe, avec une augmentation de 68 000 demandeurs d'emploi de la catégorie A, mais également de la catégorie B et C, ce qui révèle une tendance à la précarisation de l'emploi.
Concernant France Travail, l'ensemble des opérateurs des services publics peinent visiblement à trouver leurs marques. Avez-vous obtenu des précisions lors des auditions sur la mise en place de ce mécanisme dans les territoires ?
Comme mon collègue Marc Laménie, je suis très attentif à la situation des missions locales en direction des jeunes de moins de 25 ans. Leur situation est particulièrement difficile, avec un taux de chômage considérable à hauteur de 17 %. France Travail a-t-elle une trajectoire budgétaire concernant ces missions ? Ce dispositif est très opaque.
M. Jean-Marie Mizzon. - Merci à nos trois rapporteurs. Ma question porte sur l'apprentissage dans le secteur public, plus précisément auprès des collectivités territoriales.
L'État s'est engagé à rompre tout financement dans ce domaine d'ici à 2025, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) se retrouvera donc seul à financer ces formations, alors que ses moyens ne sont pas illimités... Savez-vous si le Gouvernement est prêt à revoir sa position et à accompagner les communes ?
Mme Christine Lavarde. - À l'occasion de la dernière loi de finances rectificative, je m'étais penchée sur les raisons du déficit structurel de France compétences, à hauteur de 2 milliards d'euros chaque année. J'avais notamment découvert des accréditations de formations très disparates en termes de durée, de labélisation et de personnes potentiellement concernées ; avec des formations pour l'apprentissage par le rire à l'hôpital validées pour cinq ans, ou d'autres concernant l'entretien des remontées mécaniques en zone de haute montagne validées pour six ans, quand des formations d'anglais n'étaient validées que pour un an et parfois même non reconnues.
Aussi, afin d'être certaine que la formation choisie réponde à un réel besoin, notamment en cas de changement de carrière, j'avais proposé un amendement visant à responsabiliser le demandeur d'une formation par le paiement d'une sorte de ticket modérateur. Vous vous y étiez opposés à l'époque, mais peut-être avez-vous eu de nouveaux éléments d'information à ce sujet dans le cadre de vos travaux sur la professionnalisation de France Compétences ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Quel est le périmètre de France Travail à propos des missions conduites par les chambres de commerce en zones rurales ou dans les plus petites communes ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour vos éclaircissements sur ce dispositif nouveau, composé du CPF et de France Compétences, mis en place lors du premier quinquennat du Président de la République.
La crise sanitaire, survenue en mars 2020, a conduit à accorder des aides supplémentaires exceptionnelles, en l'occurrence la prime de 6 000 euros pour l'apprentissage, qui était censée s'éteindre une fois la crise terminée. Nous sommes tous attentifs à l'état de nos finances publiques et souhaitons améliorer notre solde budgétaire.
Or, cette prime révèle aujourd'hui un développement dissymétrique des aides à l'apprentissage avec, selon le précédent rapport d'Emmanuel Capus, une augmentation depuis 2020 de l'ordre de 30 % concernant les niveaux brevet, CAP et baccalauréat professionnel, et de plus de 120 % au-dessus du baccalauréat. Ne plus accorder la prime de 6 000 euros à partir de bac+3 pour les plus grandes entreprises ne me paraît pas relever de l'injustice ; il est légitime de tenir compte des niveaux de formation ainsi que de l'employabilité des bénéficiaires du dispositif..
On observe un même dévoiement de l'argent public concernant le PIC. Aussi, réordonner les comptes me paraît salutaire.
Le Parlement décide et donne une feuille de route aux partenaires sociaux ; nous avons toujours procédé ainsi depuis la mise en place de ce nouveau dispositif. Rien ne nous empêche de les écouter et de corriger par la suite ce qui peut l'être.
Je souhaite que le débat ait lieu, qu'il soit éclairé et serein. À ce stade, personne ne peut présager du résultat final. Mais il en va aussi de la responsabilité du Parlement.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Je remercie le rapporteur général de son invitation à une réflexion « salutaire » sur la réduction de nos dépenses. Il aurait certes été plus facile de suivre le Gouvernement et de ne rien proposer, mais il nous semble possible d'avancer, en responsabilité, dans cette réflexion.
Je suis d'accord avec la rapporteure pour avis sur la proposition d'arrêter de financer le PIC s'il peut s'agir d'une source d'économies. En 2023 déjà, nous avons diminué de moitié la contribution de France Compétences au PIC, puisqu'elle est passée à 800 millions d'euros.
De nombreuses interventions ont concerné les ressources humaines de Pôle emploi. Avec les élections sénatoriales, Ghislaine Senée et moi avons bénéficié d'un laps de temps beaucoup plus réduit que les années précédentes pour conduire nos travaux, raison pour laquelle je n'ai pas forcément toutes les réponses à ce stade. Je ne peux pas, par exemple, vous dire quelle utilisation précise a été faite des 700 postes ouverts pour faire face à la crise du covid-19.
La question que nous avons posée tient à la justification de 300 postes supplémentaires. L'instauration de France Travail s'accompagne de l'obligation de l'inscription de l'intégralité des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) à Pôle emploi, alors qu'ils n'y sont actuellement inscrits qu'à proportion de 40 % d'entre eux environ ; la création de 300 ETP répondra à la demande nouvelle de suivi de ces personnes.
Monsieur Laménie, les recettes de France Compétences correspondent principalement, d'une part, aux contributions des employeurs, et d'autre part à la dotation de l'État.
Je suis personnellement très attentif à la protection des ressources des missions locales. Je note ici la stabilité de leurs crédits, mais j'ai une visibilité assez limitée sur leur évolution dans un an.
Comment revenir à l'équilibre budgétaire de France compétences, me demande M.Canévet ? Nous mentionnons différentes pistes dans notre rapport, notamment la stabilisation des dépenses du CPF. Ce que nous avions voté au titre du PLF pour 2023 ne s'applique pas encore, car le décret n'a notamment pas mis en place de ticket modérateur. Nous avions demandé que les dépenses des centres de formation d'apprentis (CFA) soient regardées de plus près. La révision des niveaux de prise en charge des CFA a généré quelque 540 millions d'euros d'économies en 2022 et permettent d'obtenir davantage de recettes. Pour l'Alsace et la Moselle, un taux de taxe d'apprentissage de 0,44 % de la masse salariale brute s'applique, au lieu de 0,68 % dans les autres départements. Certains taux spécifiques et certaines exonérations, s'ils sont certainement justifiés par l'histoire, mériteraient peut-être d'intégrer la réflexion d'ensemble souhaitée par le rapporteur général.
Il reste difficile de se prononcer sur l'objectif de 1 million d'alternants en 2024. L'Insee remarque un ralentissement de l'apprentissage, en même temps que l'emploi. J'espère que la dynamique ne se casse pas, mais l'effectif actuel de 840 000 alternants semble de toute façon proche d'un plafond de verre.
Madame Marie-Claire Carrère-Gée, on ne peut pas dire chaque année qu'il faut réduire les dépenses et, ensuite, balayer d'un revers de la main les propositions d'économies, même si elles ne nous font pas plaisir. Le premier, j'aimerais que tous les employeurs continuent, comme depuis 2020, de bénéficier de l'aide à l'embauche des apprentis, quels que soient le niveau d'études et le type d'entreprise.
Notre proposition vise une économie de 750 millions d'euros, ce qui n'est pas neutre. Pour autant, elle ne nous fait pas même revenir au niveau de 2018 !
Jusqu'en 2018, l'aide unique aux employeurs d'apprentis n'était versée que pour la signature d'un contrat d'apprentissage entre un jeune préparant un diplôme dont le niveau n'excédait pas celui du baccalauréat et une entreprise de moins de 250 salariés. Ce que nous vous proposons aujourd'hui demeure plus favorable, puisque les entreprises de moins de 250 salariés pourront continuer à bénéficier de l'aide à l'embauche jusqu'au master ; quant aux entreprises de plus de 250 salariés, elles ne pourraient plus bénéficier de l'aide pour la signature d'un contrat d'apprentissage avec un jeune au-delà d'un niveau bac + 2, mais elle pourrons toujours obtenir l'aide de l'État si elles embauchent des apprentis en-deçà de ce niveau. Ce n'est donc pas la révolution ! Nous vous proposons une réduction modérée qui s'efforce de ne pas briser la dynamique à l'oeuvre. Nous croyons fermement aux vertus des contrats d'apprentissage et de l'exemplarité. Le mécanisme a véritablement permis de relancer une filière qui n'était pas nécessairement une filière noble jusqu'alors. Mais nous voulons aussi éviter les effets d'aubaine qui existent çà et là.
Madame Lavarde, sur l'accréditation des formations, les deux tiers de celles qui s'avéraient peu utiles à la certification ont déjà été retirés du catalogue. Une nette amélioration de la qualité de l'offre a donc eu lieu.
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale. - Les 300 ETP supplémentaires seront indispensables à l'accueil et au bon accompagnement des bénéficiaires du RSA dès lors que France Travail les prendra tous en charge.
Les réponses aux questions que nous avons posées sur l'organisation future de France Travail sont restées très laconiques, au point de se demander si sa mise en place n'interviendrait pas au-delà de 2024... Nous aurions apprécié plus de précisions. Le directeur de Pôle emploi ne nous en a pas moins fait part de son vif optimisme. Il croit beaucoup à la création de la nouvelle entité et évoque une dynamique autour d'elle dans les agences de Pôle emploi et auprès des autres opérateurs des territoires. Nous verrons si les premières phases de la réforme, attendues en 2024, donneront raison à cet optimisme.
La stabilité budgétaire qui concerne les missions locales peut s'apparenter à une légère baisse en raison du niveau plutôt important de l'inflation. Les moyens qui leur sont alloués pour 2024 sont censés tenir compte du travail effectué par l'Union nationale des missions locales (UNML), mais, là encore, il nous a été difficile d'obtenir des réponses précises.
L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) alerte effectivement sur un ralentissement à venir de l'emploi. Au contraire, les cabinets d'études privés font toujours montre de confiance dans leurs prévisions.
Notre amendement commun n'aura pas d'effet sur l'apprentissage dans le secteur public. Il défend la possibilité d'allouer des moyens à l'apprentissage à des niveaux de formation inférieurs à bac + 3, tout en cherchant des sources d'économies et à éviter de financer France compétences via l'Unédic.
M. Claude Raynal, président. - L'amendement n° II-9 (FINC.1) des rapporteurs spéciaux concerne une réduction d'AE et de CP à hauteur de 600 millions d'euros.
L'amendement n° II-9 (FINC.1) est adopté.
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale. - Nous portons également avec Emmanuel Capus l'amendement n° II-10 (FINC.2) visant à majorer de 9 millions d'euros les AE allouées à l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD), afin de rassurer les acteurs qui, dans les territoires, se tiennent prêts à y prendre part.
M. Claude Raynal, président. - Un amendement n'a-t-il pas été présenté à l'Assemblée nationale sur ce dispositif et retenu lors de la mise en oeuvre de l'article 49.3 de la Constitution ?
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale. - Il prévoit en effet 11 millions d'euros en AE et CP. L'association TZCLD souhaitait initialement un budget total de 89 millions d'euros, contre 80 millions d'euros initialement prévus dans le texte. Nous avons négocié avec ses représentants, qui ont accepté une majoration en AE limitée à 9 millions d'euros.
L'amendement n° II-10 (FINC.2) est adopté.
EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - L'article 68 vise à prolonger l'expérimentation des entreprises d'insertion par le travail indépendant (EITI).
Créées par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, les EITI constituent la plus récente structure d'insertion par l'activité économique. Elles réalisent un service de mise en relation avec des clients et d'accompagnement des personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, en vue de l'exercice d'une activité professionnelle, non salariée, mais indépendante.
L'expérimentation était prévue pour une durée de trois ans, jusqu'en 2021. Le contexte l'a rendue difficile à mener, ce qui a justifié une première prolongation jusqu'à fin décembre 2023.
En 2024, les EITI compteraient 1 899 bénéficiaires et représenteraient un coût budgétaire d'un peu moins de 13 millions d'euros, des montants en augmentation par rapport à 2023. Le Gouvernement indique qu'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) lui a été remis en 2023, suggérant la prolongation de l'expérimentation.
Pour ces raisons, je vous propose de recommander l'adoption de cet article sans modification.
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale. - Je m'inscris en faux contre cette proposition. La création des EITI n'a pas fait l'objet d'une concertation avec les acteurs de l'insertion. Or ce dispositif est dérogatoire, car l'insertion par l'activité économique doit en principe permettre de bénéficier d'un contrat de travail salarié : le salariat est protecteur, il apporte une garantie de revenus, il protège le salarié au titre du chômage ou de la maladie, toutes choses que ne permet pas nécessairement le travail indépendant.
Parce qu'il est bien souvent source de précarité, le travail indépendant ne paraît pas adapté aux publics visés par les dispositifs d'insertion. Il fragilise en outre le reste du secteur de l'insertion par l'activité économique. Je propose donc le rejet de l'article 68.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je partage l'avis exprimé par le rapporteur spécial Emmanuel Capus.
La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 68.
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale. - L'article 69 prévoit de prolonger l'expérimentation, lancée en 2020, des contrats dits « passerelles ».
Un tel contrat permet à un salarié engagé dans un atelier et chantier d'insertion (ACI) ou dans une entreprise d'insertion (EI) depuis plus de quatre mois d'être mis à disposition d'une entreprise de droit commun pour une durée de trois mois non renouvelable. Si le salarié est embauché dans l'entreprise utilisatrice à l'issue de sa période de mise à disposition, dans un emploi correspondant aux activités qui lui avaient été confiées, il est dispensé de période d'essai.
La mesure permet une transition entre le milieu de l'insertion par l'activité économique et les entreprises ordinaires. Or cette expérimentation n'a pas eu le temps de se déployer pleinement - en partie du fait de sa mise en oeuvre tardive par les services de l'État. En 2023, seuls 23 dossiers ont été déposés et seulement 13 ont été acceptés.
C'est pourquoi Emmanuel Capus et moi-même recommandons à la commission de proposer l'adoption de cet article sans modification.
La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 69.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Travail et emploi », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
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Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission tels que modifiés par ses deux amendements, ainsi que par un amendement du rapporteur général tendant à réduire les crédits alloués au plan d'investissement dans les compétences (PIC) de 300 millions d'euros en AE et de 150 millions d'euros en CP.