PREMIÈRE PARTIE
UNE HAUSSE SUBSTANTIELLE DES CRÉDITS DE LA MISSION « AGRICULTURE, ALIMENTATION, FORÊT
ET AFFAIRES RURALES » (AAFAR) POUR ÉVITER LE SOUS-DIMENSIONNEMENT DES EXERCICES PRÉCÉDENTS ET « VERDIR » LE BUDGET

Comme beaucoup d'autres missions budgétaires des projets de loi de finances successifs, la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR) fait l'objet d'un intitulé qui n'est que partiellement représentatif de l'effort budgétaire consenti à destination des politiques publiques afférentes.

En effet, en examinant cette mission, les rapporteurs spéciaux de la commission des finances ne sont formellement saisis que d'un cinquième environ des dépenses destinées au secteur agricole entendu au sens large. Le total des dépenses publiques en direction de l'agriculture, qui s'élèvera en 2024 à environ 25,5 milliards d'euros, contre environ 24 milliards d'euros en 2023 selon les montants communiqués par le Ministère de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire (MASA), comprend en effet, en sus des 5,3 milliards d'euros figurant, à proprement parler, dans la mission, 9,4 milliards d'euros provenant de financements européens et 8,5 milliards d'euros couvrant des dépenses fiscales et des dispositifs sociaux.

La part de la mission dans le total des concours publics à l'agriculture augmente toutefois substantiellement en 2024 en raison de la forte revalorisation des crédits qui lui sont alloués (5,34 milliards d'euros en autorisations d'engagement contre 3,88 milliards votés en LFI 2023) du fait notamment de la création d'une nouvelle action consacrée à la planification écologique dans deux des programmes (cf. infra).

Cette hausse, importante si l'on se contente de comparer le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 et la loi de finances initiale (LFI) pour 2023, doit être considérablement nuancée, non seulement parce que le contexte inflationniste annihile une part de l'effort consenti, mais aussi parce que le Gouvernement, après plusieurs exercices de surexécution budgétaire sur la mission, aligne pour partie les crédits sollicités en LFI sur les montants exécutés antérieurement. La répartition de ces différents concours publics est récapitulée dans le tableau ci-après.

Concours publics à l'agriculture, l'alimentation et la forêt - total de 25,5 milliards d'euros

(Montants exprimés en milliard(s) d'euros)

Co-financements européens 9,4

Dispositifs sociaux et fiscaux nationaux 8,5

Dispositifs budgétaires nationaux 7,4

Mission AAFAR 5,3

Pilier I PAC

Aides directes couplées ou découplées 6,7

Aides découplées 5,7 :

- aides de base 3,7

- éco-régime 1,7

- aide redistributive complémentaire 0,68

- aide à l'installation des jeunes agriculteurs 0,12

Aides couplées 1 :

- filières animales (bovin, etc.)

- filières végétales (légumineuses, etc.)

Dépenses fiscales et sociales spécifiques à l'agriculture, inférieures à 100 millions d'euros

6,4

Programme 149

Compétitivité et durabilité agriculture, agroalimentaire, pêche, aquaculture 3,2

Programme 206

Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation alimentation

1

Programme 215

Conduite et pilotage des politiques agricoles

0,7

Programme 
381

Travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TO-DE)

0,42

Programme 382

Soutien aux associations de protection animale et aux refuges 0, 001

Pilier II PAC

Développement rural

2,4

- Indemnités compensatoires de handicaps naturels 0,72

- Via régions 0,7

- Mesures agro-environnementales et climatiques surfaciques 0,21

- Aide à la conversion à l'agriculture 0,2

Biologique

- Co-financement assurance récolte 0,19

Interventions hors plan stratégique national

0,3

Tarif réduit de gazole non routier travaux agricoles ou forestiers

1,6

Exonération coopératives agricoles 0,17

Programmes hors mission AAFAR

Crédit d'impôt « conversion à l'agriculture biologique »

0,16

Programme 143

Enseignement technique agricole 1,7

Programme 142

Enseignement supérieur et recherche agricole 0,4

Crédit d'impôt « sortie du glyphosate » 0,14

Source : Commission des finances du Sénat à partir de données du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE LA MISSION POUR 2024

Outre une volonté de « verdissement », objectif assigné au projet de loi de finances dans son ensemble, et qui fait l'objet de développements spécifiques (cf. infra III.), le budget 2024 de la mission « AAFAR » présente deux caractéristiques majeures.

En premier lieu, le projet de budget opère un rattrapage des moyens nécessaires à l'agriculture française, après plusieurs exercices caractérisés par un sous-dimensionnement des crédits.

En second lieu, il témoigne enfin des efforts qu'il convient de consentir pour garantir une meilleure attractivité au secteur agricole.

A. UN DÉBUT DE RÉPONSE AU SOUS-DIMENSIONNEMENT JUSQU'ALORS CONSTATÉ DES CRÉDITS DÉDIÉS À L'AGRICULTURE

Après une évolution substantielle de l'architecture de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR) entre 2022 et 2023 (crédits de la pêche transférés au Secrétariat d'État à la mer, programme supplémentaire destiné au soutien aux associations consacrée à la lutte contre les violences animales, réorganisation des compétences entre l'État et les collectivités s'agissant des aides surfaciques/non surfaciques, plein exercice de la police alimentaire, etc.), ses contours se stabilisent cette année, exception faite des actions consacrées à la planification écologique dans les programmes 149 et 206.

En revanche, les moyens alloués connaissent une hausse sans précédent, en valeur absolue, en loi de finances initiale (+ 1,5 milliard d'euros, soit + 37,62 %), principalement pour traduire le verdissement budgétaire d'une mission particulièrement concernée par l'enjeu écologique.

Deux des principaux programmes en termes de montants, à savoir les programmes 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt » et 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » voient leurs crédits augmenter de plus de 50 % ainsi que l'illustre le tableau ci-après.

Toutefois, les éléments sur lesquels le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire dispose d'une marge de manoeuvre effective, en particulier le programme 215, demeurent contenus, ce qui permet au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de prendre sa part dans l'objectif de réduction de la dépense publique.

Évolution des crédits en PLF 2024 par rapport à la LFI pour 2023

(en millions d'euros)

 

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Programmes

LFI
pour 2023

PLF
pour 2024

Évolution

LFI
pour 2023

PLF
pour 2024

Évolution

149 - Compétitivité
et durabilité de l'agriculture,
de l'agroalimentaire, de la forêt (de la pêche et de l'aquaculture)

2 108,40

3 167,36

+ 50,2 %

2 100,71

2 762,59

+ 28,8 %

206 - Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation

657,54

1 035,12

+ 57,4 %

654,62

904,70

+ 38,2 %

215 - Conduite et pilotage
des politiques de l'agriculture

689,05

717,21

+ 4,1 %

675,00

697,41

+ 3,3 %

381 - Allègements du coût
du travail en agriculture

427,00

423,00

- 0,9 %

427,00

423,00

- 0,9 %

382 - Soutien aux associations de protection animale et aux refuges

1,00

1,00

=

1,00

1,00

=

Total pour la mission AAFAR

3 882,99

5 343,69

+ 37,6 %

3 858,32

4 752,70

+ 23,2 %

775 - Développement
et transfert en agriculture

60,48

62,93

+ 4,1 %

60,48

62,93

+ 4,1 %

776 - Recherche appliquée
et innovation en agriculture

65,52

78,07

+ 19,2 %

65,52

78,07

+ 19,2 %

Total pour le CAS DAR

126,00

141,00

+ 11,9 %

126,00

141,00

+ 11,9 %

Total des crédits budgétaires consacrés à l'agriculture

4 008,99

5 484,69

+ 36,8 %

3 984,32

4 893,70

+ 22,8 %

Source : projet annuel de performances annexé au PLF pour 2024

Les rapporteurs spéciaux voient aussi dans ce revirement un rattrapage opéré par le Gouvernement, après plusieurs années durant lesquelles le Sénat a souligné l'insuffisance des moyens alloués au secteur agricole : le décalage entre les propositions formulées en LFI et l'exécution constatée commandait d'opérer cette mise à jour1(*).

En effet, en 2022, dernier exercice dont l'exécution est connue, l'exécution budgétaire avait, comme en 2021, largement excédé la prévision initiale. Comme l'illustre le tableau ci-après, la loi de finances initiale pour 2022 avait abouti à ouvrir des crédits inférieurs de 30 % à ce qui avait finalement été nécessaire.

Exécution des crédits de la mission « AAFAR » sur l'exercice 2022

(en millions d'euros)

Programmes

 

Exécution 2021

Crédits ouverts en LFI 20222(*)

Total des crédits ouverts en 2022

Exécution 2022

Variation exécution 2022/2021

Écart exécution 2022/LFI 2022

149 « Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires »

AE

2 365,7

1 774,9

3 555,9

3 264,9

899,2

1 490

CP

2 383,1

1 764,5

3 590,4

3 283

899,9

1 518,5

206 « Sécurité et qualité
sanitaires de l'alimentation »

AE

612

614,1

865,6

797,5

185,5

183,4

CP

608,3

611,3

845,5

791,7

183,4

180,4

215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture »

AE

604,8

641,1

658,4

602,5

- 2,3

- 38,6

CP

609

630,4

639

596,1

- 12,99

- 34,3

Total Mission

AE

3 582,5

3 030,1

5 079,8

5 075

1 492,5

2 044,9

CP

3 600,3

3 006,2

4 664,9

4 670,9

1 070,6

1 664,7

Source : commission des finances du Sénat d'après les données du RAP 2022

Si l'on fait abstraction des deux programmes créés entre temps (le programme 381 « Allègements du coût du travail en agriculture » et 382 » Soutien aux associations de protection animale et aux refuges ») et des nouvelles actions spécifiquement consacrées au verdissement, le montant des crédits alloués à la mission dans le PLF 2024 correspond donc, peu ou prou, à l'exécution constatée en 2022 et qui devrait être relativement proche pour 2023.

Les rapporteurs spéciaux constatent que cette démarche consistant à évaluer les crédits ouverts en LFI au plus près de la réalité des besoins, plutôt qu'à procéder par des ajustements successifs (par des mouvements de crédits ou des ouvertures de crédits en lois de finances rectificatives) répond davantage aux exigences liées au principe de sincérité budgétaire.

En particulier, ils considèrent qu'il n'est pas opportun de soutenir que des événements aléatoires n'auraient pas vocation à être budgétairement anticipés dans leur globalité : aussi regrettables soient ces aléas, et qu'elle que soit leur nature, ils sont malheureusement devenus le quotidien du secteur agricole. L'alignement des crédits du PLF 2024 sur les derniers exercices exécutés traduit donc bien le sous-dimensionnement de la mission lors des précédentes lois de finances initiale.


* 1 Le rapport rt° 771 (2022-2023), tome II, annexe 3, de MM. Vincent SEGOUIN et Patrice JOLY, déposé le 28 juin 2023 sur la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022 est consultable via ce lien.

* 2 Crédits ouverts en loi de finances initiale hors fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP).

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