B. EXAMEN DU RAPPORT (MERCREDI 28 JUIN 2023)
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport de Mme la rapporteure générale sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Mes chers collègues, nous nous livrons à un exercice nouveau, inspiré d'une proposition de loi organique déposée par mon prédécesseur Jean-Marie Vanlerenberghe, qui nous amène à débattre, au printemps, dans le cadre d'un projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) - celui-ci correspond à ce qu'était la première partie des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) -, de l'année n, avant de débattre, à l'automne, de l'année n+2.
Désormais, le rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) ne sera plus publié à l'automne, mais au moment du dépôt du Placss.
Ce projet de loi comporte un certain nombre d'annexes - en cette première année, celles-ci sont incomplètes -, qui contiennent de nombreuses informations sur l'efficacité et l'efficience des mesures prises dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).
La Cour des comptes a refusé de certifier les comptes 2022 de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de la branche famille. En effet, une augmentation de la proportion de paiements erronés a été constatée. Au bout de 24 mois, les erreurs à la hausse ou à la baisse représentent 7,6 % du montant total des prestations, soit 5,8 milliards d'euros, contre une proportion de 5,5 % pour les prestations versées en 2019.
Par ailleurs, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de l'activité de recouvrement pour l'exercice 2021, qui fait l'objet de la première partie de la LFSS pour 2023. En effet, un produit de 5 milliards d'euros, résultant des cotisations dues par les travailleurs indépendants, aurait dû être imputé sur les comptes, non pas de 2021, mais de 2020, comme le Sénat l'avait souhaité.
Comme le Sénat, le Conseil constitutionnel a du reste considéré que le « vrai » déficit est le déficit corrigé. Le tableau patrimonial qu'il est prévu d'annexer à la loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss) et qui correspond à l'ancienne annexe A des PLFSS comprend, pour comparaison, une colonne relative à l'exercice 2021, avec les déficits non corrigés.
Les quelques explications que la direction de la sécurité sociale nous a fournies n'ont pas suffi à nous convaincre du bien-fondé de cette démarche.
La Cour des comptes considère comme nous qu'il serait opportun d'avancer (selon elle, de quinze jours) la date de production des comptes et de réunir la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) la première quinzaine de mai - cette année, cette réunion a eu lieu fin mai.
La Cour des comptes doit en effet disposer de suffisamment de temps pour certifier les comptes et élaborer les avis relatifs aux tableaux d'équilibre et patrimonial du Placss qui figurent dans le Ralfss.
La direction de la sécurité sociale (DSS) estime qu'une anticipation du calendrier pourrait l'amener à inscrire dans les comptes des montants évaluatifs, ce qui poserait d'autres difficultés. Il faudrait donc que la Cour des comptes et la DSS fixent une date qui convienne à tous.
Cette année, le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie a publié son avis sur le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), non pas le 1er juin, mais le 7 juin, soit le lendemain de l'examen du Placss à l'Assemblée nationale.
Pour cette première mouture du Placss, il est donc clair qu'il manque de l'huile dans les rouages et qu'il y a des marges de progression.
Par ailleurs, les annexes ne sont parfois pas conformes à la loi organique. Les indicateurs des rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) s'arrêtent le plus souvent, non pas en 2022 comme cela devrait être le cas, mais en 2020 ou en 2021.
De plus, l'annexe relative aux niches sociales ne comprend pas l'« évaluation de l'efficacité » prévue par la loi organique d'un tiers des niches, de sorte que chacune fasse l'objet d'une évaluation tous les trois ans.
La première recommandation du Ralfss est de « rétablir la production des éléments d'information, à joindre en annexe au Placss, détaillant, expliquant et comparant selon les exercices les tableaux d'équilibre et le tableau de situation patrimoniale ».
Ces informations, qui constituaient la première partie de l'annexe 4 aux PLFSS antérieurs à la réforme organique, figurent en 2023 dans le rapport de la CCSS, mais rien ne garantit que ce sera toujours le cas. Par ailleurs, la CCSS peut se réunir après le dépôt du Placss, comme cela a été le cas en 2023. En tout état de cause, il serait paradoxal que l'instauration du Placss se traduise par une perte d'information du Parlement.
Si les administrations de sécurité sociale (Asso), qui incluent la sécurité sociale, mais aussi l'assurance chômage et les hôpitaux, présentent un excédent de 9,6 milliards d'euros, soit 0,4 point de PIB, les régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) sont très déficitaires, puisque leur déficit consolidé s'établit à 19,6 milliards d'euros, contre 1,7 milliard d'euros en 2019.
L'excédent de 9,6 milliards d'euros s'explique par les bons résultats de l'Unédic (+ 4,3 milliards d'euros), de l'Agirc-Arrco (+ 5,2 milliards d'euros) et de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (+ 19 milliards d'euros).
Il nous faut retrouver la maîtrise des dépenses de santé. Le constat n'est pas nouveau, mais la quasi-totalité de l'augmentation du déficit de la sécurité sociale provient de l'assurance maladie.
De 2011 à 2019, l'Ondam a été respecté, mais il ne l'a plus été depuis 2020 du fait de la crise sanitaire et des mesures prises pour compenser l'inflation. Il convient donc, dans le cas du seuil d'alerte, de supprimer la distinction entre dépenses covid et hors covid, pour que le Parlement puisse débattre.
Les mesures prises en conséquence de l'inflation, notamment le point d'indice et la couverture des charges non salariales liées à l'inflation, mais aussi la « mission Braun » sur les urgences, représentent un coût total de 3 milliards d'euros en 2022. Ce ne sont pas de simples dépassements de dépenses prévisionnelles, mais des mesures nouvelles, qu'il aurait été de bonne pratique d'inscrire dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).
J'en viens à la clause de sauvegarde des médicaments, mécanisme de régulation de dernier ressort instauré par la LFSS de 1999 qui visait à inciter les entreprises pharmaceutiques à ne pas dépasser un certain seuil compatible avec l'Ondam.
Depuis 2015, le dispositif a toujours été déclenché, sauf en 2020, et son rendement est en forte hausse. Il s'agit d'un impôt de plus en plus lourd, imprévisible et qui frappe de manière indiscriminée. Il convient que le Gouvernement fiabilise les prévisions dès le prochain PLFSS, car, entre celles-ci et la réalité, le décalage est effarant.
La mission interministérielle sur la régulation des dépenses de produits de santé devra s'interroger sur la pertinence de ce dispositif, car depuis son instauration en 1999, les choses ont évolué.
Par ailleurs, s'il était nécessaire d'instaurer une garantie de financement des hôpitaux durant la crise sanitaire du fait des nombreuses déprogrammations, il convient désormais de préciser les modalités de sortie de ce dispositif.
Je rappelle que celui-ci a été mis en place par ordonnance en 2020, avant d'être reconduit, en 2022, par une loi, puis par un arrêté ministériel, sans base légale.
En 2022, alors que l'activité hospitalière était inférieure de 4 % au niveau de 2019, notamment du fait de difficultés de recrutement, le coût de la garantie de financement des hôpitaux s'est établi à 2,7 milliards d'euros, contre 1,9 milliard d'euros en 2021 et 2,5 milliards d'euros en 2020. La garantie ne prend pas en compte les changements de périmètres d'activités intervenus depuis 2019, ce qui peut avoir un effet désincitatif pour les projets d'établissement.
Fin avril 2023, dans le cadre de la généralisation de l'intermédiation des pensions alimentaires, rendue systématique par l'article 100 de la LFSS pour 2022, plus de 133 869 pensions avaient été avancées ou intermédiées par l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa). Il convient d'être vigilant sur la mise en oeuvre de la réforme, d'assurer la bonne information des parents et de veiller au respect par les avocats de leur obligation de transmission des dossiers à l'Aripa. Il faut aussi que l'Aripa parvienne, malgré la gestion d'un fort afflux de dossiers, à améliorer le taux de recouvrement des impayés.
J'en viens à la cinquième branche. L'article 44 de la LFSS pour 2022 prévoit, dans les deux ans suivant la publication du décret fixant le cahier des charges, le regroupement des services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad), des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et des services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) au sein des services autonomie à domicile (SAD), dans une logique de simplification et de « guichet unique » pour l'usager. Or le cahier des charges n'a toujours pas été publié.
Par ailleurs, l'instauration d'un tarif plancher aura un effet à la hausse sur le reste à charge des usagers. Il convient donc de s'assurer que la réforme ne restreigne pas l'accès aux prestations.
En matière de lutte contre la fraude sociale, je rappelle qu'en 2020 la Cour des comptes n'avait pas réussi à évaluer le montant de la fraude aux prestations.
En s'appuyant sur des extrapolations, la Cour des comptes estime dans son rapport que la fraude aux prestations s'établirait entre 6 et 8 milliards d'euros, dont environ 4 milliards d'euros pour l'assurance maladie, les fraudes commises par les professionnels de santé emportant des montants beaucoup plus importants que celles commises par les usagers, et 3 milliards d'euros pour les allocations familiales - principalement au titre du revenu de solidarité active (RSA), de la prime d'activité et des aides au logement.
La fraude aux cotisations s'élèverait à 8 milliards d'euros, principalement imputables au travail dissimulé.
Comme Jean-Marie Vanlerenberghe l'avait démontré dès 2019, la fraude aux faux numéros de sécurité sociale est un enjeu relativement mineur. Entre 2019 et 2022, le nombre de cartes Vitale « surnuméraires », qui étaient majoritairement des cartes perdues non désactivées, serait passé de 600 000 à environ 3 000.
Le plan de lutte contre la fraude sociale annoncé par le Gouvernement le 30 mai dernier comporte plusieurs mesures qui ont d'ores et déjà été votées, telles que l'obligation de verser sur un compte domicilié en zone Sepa les prestations sociales soumises à condition de résidence en France, qui sera effective au 1er juillet 2023, ou l'allongement de 6 à 9 mois de la durée de résidence en France pour percevoir l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), qui sera effectif au 1er septembre prochain.
Par ailleurs, le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) a exprimé de très fortes réserves concernant l'hypothèse évoquée par le Gouvernement d'une fusion de la carte nationale d'identité (CNI) et de la carte Vitale. Il faudra veiller à ne pas se détourner des principaux enjeux.
En matière de lutte contre la fraude, j'estime qu'il convient déjà de s'assurer que les dispositions législatives existantes sont effectivement appliquées, et je rappelle que l'augmentation du nombre de contrôles suppose le renforcement des moyens humains et l'amélioration des systèmes d'information.
Si ce Placss est une photographie, comme le ministre Gabriel Attal l'a indiqué devant notre commission, j'estime que celle-ci reste floue. Je vous proposerai d'ailleurs tout à l'heure d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable.
M. Bernard Jomier. - Je remercie la rapporteure générale.
Entre 2014 et 2018, le recul du passif net de la sécurité sociale a été constant. Le résultat excédentaire des administrations de sécurité sociale est de ce point de vue un trompe-l'oeil. En dépit des déclarations du Gouvernement, la sécurité sociale est délibérément maintenue en déficit constant, et ce sans que les résultats soient à la hauteur, en particulier pour la branche maladie à laquelle est imputable une grande partie du déficit. C'est donc la marque d'un double échec.
En dépit de l'affirmation de M. Attal selon laquelle ce texte ne serait que la photographie d'un compte administratif à l'instant t, le fait que la Cour des comptes n'ait pas certifié les comptes de la branche famille suffirait à nous conduire à voter contre ce Placss.
Mais allons plus loin. Le Gouvernement, qui prévoit d'augmenter l'Ondam de 2,9 % par an, se félicite qu'une telle modération n'ait été observée depuis plusieurs années.
La Cour des comptes a raison toutefois de douter du résultat en la matière. Elle rappelle notamment que de nouvelles aides financières sont prévues pour les soignants. Elle juge en outre les hypothèses d'évolution économique avancées par le Gouvernement optimistes et peu réalistes.
Dans l'ensemble, le Placss qui nous est présenté témoigne d'une gestion de la sécurité sociale assez désespérante de continuité. Le Gouvernement la maintient en déficit, en refusant de se pencher sur la question des recettes. La question des exonérations ne fait pas l'objet d'une véritable évaluation. Il en résulte un système de santé à l'efficacité dégradée, qui ne rend plus les services qu'il rendait auparavant, sans un réel retour à l'équilibre des comptes en perspective.
Ces différents éléments nous conduiront à rejeter ce texte.
Par ailleurs, la rapporteure générale semble considérer que l'arrêté ministériel ayant pour objet de prolonger la garantie de financement, qui a pris fin le 31 décembre dernier, ne dispose pas de base légale. Or je n'ai pas la même lecture de ce dispositif.
Enfin, pourquoi choisir de présenter une motion tendant à opposer la question préalable ? Pourquoi refuser de débattre du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, donc de la gestion de la sécurité sociale par le Gouvernement ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Il y aura une discussion générale néanmoins.
Mme Laurence Cohen. - Comme l'ensemble des membres de mon groupe, je ne suis pas gênée par les motions tendant à opposer la question préalable. Lorsque le texte qui nous est présenté est aux antipodes de nos propres propositions, il est difficile de continuer à essayer de le modifier.
La logique gouvernementale semble effectivement consister à perpétuer la situation actuelle, quoi que l'on puisse observer par ailleurs. Les exonérations de cotisations se poursuivent, sous prétexte qu'elles seraient compensées presque en totalité, sans qu'aucune analyse approfondie ne soit menée sur le sujet. Or, les compensations étant effectuées par l'État, cet argent manquera pour améliorer les services publics.
Le Placss que nous examinons, présenté comme innovant par le Gouvernement, n'est en réalité qu'une compilation des PLFSS précédents, dont il reprend la logique.
Gabriel Attal a mentionné dans une intervention récente la grande reconnaissance qu'il avait à l'égard des personnels de la sécurité sociale. Or nous avons appris le lendemain dans la presse que le Gouvernement avait l'intention de supprimer 1 720 postes au sein de l'assurance maladie d'ici à 2027. Cherchez l'erreur !
La Cour des comptes a par ailleurs refusé de certifier la branche famille en raison de l'augmentation importante des paiements erronés. Or plusieurs syndicats estiment que cette augmentation est liée à la suppression de 809 contrats à durée indéterminée (CDI) entre 2018 et 2022. Si cette dernière n'explique pas tout, il est certain que l'on ne peut pas constamment demander aux services de l'État de faire davantage, et mieux, tout en leur supprimant des postes.
Je rappelle ensuite que le fait de voter l'Ondam a des conséquences concrètes. Cela revient en effet à réduire les moyens de l'hôpital. Ainsi, en 2022, 80 services d'urgences ont été contraints de fermer la nuit, 131 établissements ont été concernés par des fermetures de lits, 30 % des patients atteints d'une maladie chronique ont été contraints de reporter leurs soins et des milliers de soignants ont démissionné de l'hôpital. Or cette tendance va se poursuivre, puisque vous continuerez à voter des textes qui auront de telles conséquences. La motion tendant à opposer la question préalable présentée par Mme la rapporteure générale pourra nous faire éviter ce scénario, mais elle ne s'appuie pas sur les mêmes arguments que ceux que je développe.
Il est par ailleurs à noter que l'augmentation des salaires survenue dans la fonction publique a entraîné une hausse des cotisations engrangées par la sécurité sociale, à hauteur de 1,1 milliard d'euros. Les augmentations de salaire que les membres de mon groupe et moi-même demandons régulièrement sont donc bonnes non seulement pour les salariés, mais aussi pour les comptes de la sécurité sociale.
Enfin, nous avons la chance d'avoir créé au Sénat une commission d'enquête sur la question importante de la pénurie de médicaments, dont le rapport sera intéressant à consulter. Le recours à la clause de sauvegarde a effectivement augmenté de manière exponentielle, mais cela tient aussi à la forte hausse du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique. Il faut toutefois faire une différence à cet égard entre les petites et moyennes entreprises (PME) et les « Big Pharma ».
Mme Raymonde Poncet Monge. - Le déficit prévisionnel de la sécurité sociale me paraît désormais construit. Nous savons, dès le départ, qu'il surviendra. Or un gouvernement qui laisse ainsi un déficit se produire afin d'alimenter ensuite un discours visant à soutenir des réformes plus ou moins brutales n'est pas sincère dans sa démarche.
Entre 2001 et 2019, l'Ondam des soins de ville a été respecté au détriment de l'Ondam des établissements de santé. De manière générale, il faudrait toujours distinguer entre les différents Ondam, pour identifier les principales dépenses au sein de l'enveloppe globale.
À quoi cela sert-il cependant de rétablir le seuil d'alerte quand le taux d'évolution de l'Ondam est prévu à 2,9 % de 2023 à 2026, pour une inflation attendue à 2,8 %, et sachant que compte tenu de la politique de santé, qui n'amorce toujours pas son virage vers la prévention, la dépense évolue à 4 % en volume - en raison du vieillissement de la population, de l'innovation médicale, et de la part croissante occupée par les maladies chroniques ?
Les comptes de la sécurité sociale seront donc en déficit. Il faudrait à cet égard maintenir un seuil d'alerte permanent. Par ailleurs, les lois de financement rectificatives ne sont pas faites uniquement pour faire passer des réformes structurelles impopulaires.
À quoi les excédents construits de l'Unédic, chiffrés à 6 milliards d'euros, serviront-ils ?
S'agissant du paiement à bon droit de la branche famille, les données disponibles distinguent-elles les indus et les rappels, sachant que la distinction entre ces deux notions n'est pas claire pour tous, et que la mise en oeuvre de la solidarité à la source permettra de repérer des indus et rappels non identifiés actuellement ?
Enfin, si l'allongement de six à neuf mois de la durée de résidence en France requise pour pouvoir prétendre à l'Aspa vient durcir effectivement les conditions de la loi, il n'entre nullement dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale. C'est une mesure de stigmatisation.
M. René-Paul Savary. - Il s'agit bel et bien d'une mesure de lutte contre la fraude sociale. Plus on reste en France, moins cette prestation peut être détournée.
Je reviens sur le déficit organisé de la sécurité sociale, qui pèsera de plus en plus dans les comptes publics. Il faut amortir la dette sociale de dizaines de milliards d'euros, ce qui sera d'autant plus difficile que les taux d'intérêt ont fortement augmenté, jusqu'à atteindre 3 %. Or creuser ce déficit revient à consacrer moins de moyens aux soins apportés aux malades.
La clause de sauvegarde, qui visait initialement à éviter une hausse trop importante des dépenses de médicaments, est devenue un véritable impôt sur le médicament. Il ne faut pas s'étonner, dès lors, que des pénuries surviennent, puisqu'il devient plus rentable pour les laboratoires de vendre à l'étranger plutôt qu'en France. Ainsi détourné par Bercy, ce mécanisme, utile en soi, constitue en outre un vecteur contre l'innovation. Il faut faire preuve de vigilance dans ce domaine, pour ne pas aller à l'encontre de ce que l'on souhaite.
Une fiabilisation des données nominatives sera par ailleurs nécessaire pour garantir l'efficacité du dispositif de solidarité à la source et limiter le risque d'erreur.
Enfin, en réponse à Laurence Cohen, une augmentation des salaires entraîne également, à long terme, une augmentation du nombre de prestations et une hausse du niveau des retraites, donc des dépenses supplémentaires dès le moyen terme. Il faut considérer la situation dans sa globalité.
M. Daniel Chasseing. - Il serait bon d'assister davantage les personnes responsables de l'autonomie à domicile, qui s'inquiètent dans certains départements de l'unification annoncée des Ssiad et Spasad au sein des SAD. Aucune aide ne leur est effet apportée pour la réalisation de cette fusion.
Une amélioration de la lutte contre la fraude sociale, évaluée entre 10 milliards et 16 milliards d'euros, serait de nature à de renforcer l'équilibre des comptes de la sécurité sociale.
Entre 2014 et 2018, on a observé un sous-financement dans les hôpitaux. Les salaires des soignants n'ont pas été augmentés, hormis un rattrapage de 300 euros par mois accordé aux aides-soignants. Il serait bon d'y remédier, pour valoriser leur travail.
Comme l'a souligné René-Paul Savary, l'équilibre des comptes de la sécurité sociale est lié à l'équilibre des retraites. L'allongement de la durée de cotisation jusqu'à 43 ans inscrit dans la réforme Touraine de 2014 pourra jouer un rôle dans ce domaine. Toutefois, l'équilibre de la sécurité sociale tient aussi à une augmentation du nombre de cotisants. Pour y parvenir, il faut des entreprises compétitives à l'échelon européen. Or, depuis 2020, la part des entreprises dans le PIB est passée de 18 % à 12 %, alors qu'elle s'élève à 25 % en Allemagne.
Entre 2012 et 2018, le taux d'évolution de l'Ondam était inférieur à 2 %. Il s'élève actuellement à 2,9 %, ce qui demeure insuffisant, mais n'en constitue pas moins un progrès.
Rappelons enfin que la crise du covid-19 a entraîné de lourds déficits dans les comptes de la sécurité sociale, et qu'une telle pandémie était impossible à prévoir.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - L'information est primordiale lorsqu'il est question des comptes de la sécurité sociale. Or nous avons l'impression que le Gouvernement communique à ce sujet avec parcimonie et réticence, alors même que le Parlement doit avoir la possibilité d'entrer dans les détails de ces comptes pour pouvoir remplir sa mission.
À l'avenir, il pourrait être intéressant, à partir des différents manques qui ont été relevés dans le cadre du rapport, de se focaliser au sein de la commission des affaires sociales sur des sujets précis au cours de l'année.
J'en viens à la fraude sociale. Comme l'a souligné la Cour des comptes, la Cnam a évalué la fraude pour seulement 29 % de ses dépenses. Il faut mettre la Cnam au défi de nous fournir enfin, pour la fin de l'année, une estimation dans ce domaine et une projection des moyens qui seront mis en oeuvre pour effectuer ce contrôle et récupérer l'argent ainsi indûment versé.
Je voudrais également qu'un compte précis des variations d'effectifs de la sécurité sociale nous soit fourni. Il est question en effet de diminuer les effectifs de l'assurance maladie, tout en augmentant le nombre et la fréquence des contrôles. Cette donnée est donc essentielle, d'autant que l'on demande à ces personnels de s'investir pour pouvoir mieux financer par la suite les différentes branches de la sécurité sociale. Au total, la fraude sociale est estimée à environ 15 milliards d'euros, soit un montant substantiel qui permettrait, s'il était recouvré, de financer une partie de la cinquième branche.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - La garantie de financement pour les hôpitaux a été reconduite, pour le premier semestre 2022, par la loi, puis, pour le second semestre 2022, par un arrêté ministériel sans base légale.
Par la suite, considérant que la base légale était trop fragile pour une dérogation importante et prolongée aux règles de financement, le Sénat, à l'initiative de notre commission, a sécurisé juridiquement le dispositif pour l'année 2022 en prévoyant une prolongation expresse, par un amendement de Mme Corinne Imbert, rapporteure pour l'assurance maladie, au PLFSS pour 2023. Malgré un avis défavorable à cette initiative, le Gouvernement l'a prolongée avec un nouveau dispositif de sécurisation des ressources modulé à l'activité pour l'année 2023.
La prolongation de la garantie de financement s'est donc faite au jour le jour, sans réelle anticipation. Le Sénat avait proposé de revenir à des bases juridiquement plus solides, mais la tournure des événements a fait que le Gouvernement a procédé autrement.
J'en viens à la question de Bernard Jomier relative aux raisons du dépôt de la motion tendant à opposer la question préalable. Il ne me semble pas que nous disposions d'éléments suffisamment exhaustifs. Quand le Gouvernement nous présentera des annexes et un projet de loi solide, nous pourrons discuter. Il n'en va pas ainsi à ce stade, c'est la raison du dépôt de la motion.
Madame Cohen, il est difficile de comprendre l'évolution des ressources humaines de la sécurité sociale dans le temps. On nous annonce en effet le recrutement de 1 000 personnes supplémentaires, mais il faut que nous sachions précisément à quelles caisses ces personnels supplémentaires seront attribués.
Concernant l'Ondam, il est vrai que nos votes ont des conséquences sur le terrain. Nous devons nous donner les moyens de produire un rapport détaillé sur le sujet, par exemple par le biais de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss). Les dispositions mises en oeuvre ont parfois été peu ou mal corrigées, il conviendrait de s'assurer qu'elles correspondent bien aux besoins des territoires.
Nous serons attentifs par ailleurs aux conclusions de la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, dont le rapport sera examiné le 4 juillet. Il faut différencier à cet égard les petites et les grandes entreprises, mais également celles qui font de l'innovation et celles qui n'en font pas, ou encore celles qui ont des initiatives vertueuses sur un plan environnemental et celles qui n'en ont pas.
Madame Poncet Monge, la protection sociale en France doit être maintenue, voire améliorée. C'est notre bien le plus précieux. Or, pour y parvenir, il faut éviter les déficits, d'autant que les taux d'intérêt augmentent.
Il est effectivement souhaitable par ailleurs de respecter la distinction entre l'Ondam des soins de ville et l'Ondam des établissements de santé.
Concernant le seuil d'alerte, il faudrait le rendre à nouveau effectif, pour que le Parlement et, par son intermédiaire, les citoyens, disposent d'une information précise.
Nous verrons si des ambitions particulières sont formulées pour l'utilisation des excédents de l'Unédic.
La page 113 du rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) relatif à la branche famille, faisant partie (comme les autres Repss) de l'annexe 1 au Placss, comporte un tableau montrant la différence entre les taux d'indus et les taux de rappels, les premiers étant les plus importants.
L'allongement de six à neuf mois de la durée de résidence requise pour pouvoir prétendre à l'Aspa a l'avantage d'éviter d'encourager les personnes bénéficiant de ce dispositif à partir vivre à l'étranger.
Concernant la clause de sauvegarde et la solidarité à la source, nous attendons les conclusions de la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments pour voir quelles améliorations pourraient être mises en oeuvre. La fiabilisation des données est effectivement essentielle pour garantir l'efficacité du dispositif de la solidarité à la source.
Pour bien discerner les enjeux relatifs à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, il est important d'avoir une vue d'ensemble des recettes et dépenses.
En réponse à Daniel Chasseing, les professionnels de l'aide à domicile sont effectivement inquiets du regroupement annoncé entre les services existants. Ce guichet unique permettra néanmoins aux usagers de mieux s'y retrouver. Il faudrait toutefois signaler à Jean-Christophe Combe qu'un accompagnement des personnels du secteur serait bienvenu.
La branche retraite a une incidence sur l'équilibre des comptes de la sécurité sociale. Cependant, ce sont d'abord les mesures sociales de la réforme des retraites qui s'appliqueront. Les mesures d'âge n'entraîneront pas de recettes supplémentaires dans l'immédiat.
Favoriser l'économie pour augmenter le nombre de cotisants est par ailleurs effectivement souhaitable. C'est la direction prise par le Gouvernement. Il faudrait profiter néanmoins de la relance économique pour dire aux entreprises qu'elles ont un rôle à jouer dans tous les défis que nous avons à relever : défi environnemental, défi de la protection sociale, bien-être au travail, etc.
Je remercie enfin Jean-Marie Vanlerenberghe, car c'est en partie à lui que nous devons ce « printemps de l'évaluation » des comptes de la sécurité sociale. Il a toujours su nous indiquer la bonne voie à suivre.
Le Gouvernement ne parvient pas, dans cet exercice nouveau, à nous fournir tous les éléments nécessaires pour mesurer l'efficacité des politiques publiques en matière de solidarité. J'espère que nous disposerons d'une carte plus détaillée l'année prochaine.
EXAMEN DES ARTICLES
Motion
La motion n° 1 est adoptée.
La commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.
En conséquence, l'ensemble des amendements devient sans objet.
Le projet de loi n'est pas adopté.
Mme Catherine Deroche, présidente. - La motion tendant à opposer la question préalable sera présentée au nom de la commission des affaires sociales en séance publique le lundi 3 juillet prochain. Elle sera précédée d'une discussion générale. Son adoption par le Sénat équivaudrait à un rejet conforme, donc définitif, du projet de loi par le Parlement.