N° 789

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'
approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2022,

Par Mme Élisabeth DOINEAU,
Rapporteure générale,
Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche, présidente ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, MM. Abdallah Hassani, Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

1268, 1302 et T.A. 126

Sénat :

705 et 788 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

I. LA PREMIÈRE LOI D'APPROBATION DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

La loi organique du 14 mars 2022, résultant d'une proposition de loi organique de Thomas Mesnier, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, et s'inspirant largement sur ce point d'une proposition de loi organique du 26 mars 2021 de Jean-Marie Vanlerenberghe, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat, a créé une nouvelle catégorie de lois de financement de la sécurité sociale : les lois d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss).

A. PERMETTRE UN « CHAÎNAGE VERTUEUX » ENTRE PLACSS ET PLFSS

Les Lacss correspondent, schématiquement, à l'ancienne première partie des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), examinée à l'automne. Le projet de Lacss (Placss) doit être déposé avant le 1er juin, afin de favoriser un « chaînage vertueux » avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) : il convient de tirer les enseignements de l'exécution d'une année n avant de discuter du PLFSS pour une année n+2. L'examen du Placss est donc l'occasion d'examiner l'ensemble des sujets relatifs à la sécurité sociale. Afin de favoriser ce « chaînage vertueux » entre Placss et PLFSS, le rapport annuel de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss), jusqu'alors publié à l'automne, est désormais conjoint au dépôt du Placss.

B. DES ANNEXES POUR INFORMER LE PARLEMENT ET LES CITOYENS

Comme dans le cas des PLFSS, diverses annexes aux Placss doivent permettre la bonne information du Parlement et des citoyens sur les politiques de sécurité sociale.

II. DES COMPTES 2021 ET 2022 MANIFESTEMENT INEXACTS

A. LE REFUS DE LA COUR DES COMPTES DE CERTIFIER LES COMPTES 2022 DE LA CNAF ET DE LA BRANCHE FAMILLE

La Cour des comptes a refusé de certifier les comptes 2022 de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de la branche famille, en raison de l'augmentation de la proportion de paiements erronés. Par exemple, dans le cas de l'indicateur à 24 mois, les erreurs à la hausse ou à la baisse pour les prestations versées en 2021 étaient de 7,6 % du montant total des prestations (soit 5,8 Md€), contre 5,5 % dans le cas des prestations versées en 2019.

B. LE MAINTIEN PERSISTANT DANS LE PROJET DE LOI DE CHIFFRES ERRONÉS POUR 2021

Dans le cas de l'exercice 2021 (faisant l'objet de la première partie de la LFSS 2023), la Cour des comptes a refusé l'année dernière de certifier les comptes de l'activité de recouvrement, parce qu'un produit de 5 Md€, résultant de la régularisation de cotisations dues par les travailleurs indépendants, aurait dû être imputé sur 2020, et non sur 2021.

En conséquence, le Parlement, à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, a modifié les tableaux d'équilibre 2021 de la sécurité sociale dans la LFSS 2023 afin de corriger cette erreur. Le Sénat, considérant qu'il appartenait au Gouvernement d'effectuer les coordinations dans le cadre de la navette, n'a pas effectué les coordinations nécessaires (notamment dans l'annexe A du PLFSS 2023). Le Gouvernement, opposé à la correction demandée par la Cour des comptes, n'a pas réalisé ces coordinations.

Comme le Conseil constitutionnel l'a confirmé dans sa décision n° 2022-845 DC, le « vrai » déficit est celui figurant à l'article 1er (corrigé par le Parlement) de la LFSS 2023.

Le tableau patrimonial que le Gouvernement propose d'annexer à la Lacss (correspondant à l'ancienne annexe A des PLFSS) comprend, pour comparaison, une colonne relative à l'exercice 2021. Cette colonne ne prend pas en compte la correction effectuée par le Parlement.

La commission ne peut approuver un projet de loi reprenant des comptes 2021 et 2022 manifestement erronés, correspondant à des montants que la Cour des comptes a refusé de certifier.

III. AMÉLIORER LES DÉLAIS DE PRODUCTION ET LE CONTENU DE CERTAINS DOCUMENTS

A. DES DÉLAIS À RESPECTER OU À ANTICIPER

La commission soutient la demande de la Cour des comptes, faite dans le Ralfss 2023, d'avancer la date de production des comptes et de réunir la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) la première quinzaine de mai (contre le 25 juin en 2023 et la première quinzaine de juin habituellement).

En effet, la Cour indique ne pas avoir suffisamment de temps pour vérifier les principales données du Placss (les deux tableaux relatifs au solde et au bilan des différentes branches). La DSS estime qu'il n'est pas techniquement possible d'anticiper de 15 jours la production des comptes, comme le demande la Cour des comptes, sans en dégrader significativement la qualité. Il convient que la Cour des comptes et la DSS poursuivent leurs discussions afin de trouver le bon équilibre.

Alors que le comité d'alerte sur l'assurance maladie est censé rendre au plus tard le 1er juin un avis sur le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour l'exercice en cours, en 2023, l'avis, appelant à « une grande vigilance (...) pour respecter l'Ondam », a été publié le 7 juin, le lendemain de l'examen du Placss en séance publique par l'Assemblée nationale.

Afin de favoriser le « chaînage vertueux » entre Placss et PLFSS, il importe que le Parlement dispose lors de l'examen du Placss d'une information à jour, y compris sur l'exécution de l'année en cours.

B. DES ANNEXES NON CONFORMES À LA LOI ORGANIQUE

1. Dans le cas du PLFSS 2023

La commission regrette, comme la Cour des comptes dans le Ralfss 2023, que dans le cas du PLFSS 2023 (examiné à l'automne dernier), la nouvelle annexe sur la situation financière des hôpitaux (annexe 6 du PLFSS 2023), instaurée par la loi organique du 14 mars 2022, ne comprenne pas les informations demandées par la loi organique (en particulier en ce qui concerne la répartition des dotations par région et par établissement et l'évolution prévisionnelle de la dette).

2. Dans le cas du Placss

Les rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) ont désormais pour objet d'alimenter, chaque printemps, un débat relatif à l'efficacité et à l'efficience des dépenses de sécurité sociale. Il importe donc qu'ils indiquent les résultats atteints lors des trois dernières années, comme le prévoit la loi organique. Or, tel est loin d'être le cas. Si l'on excepte ceux relatifs à l'exécution financière, les indicateurs s'arrêtent habituellement en 2020 ou en 2021.

L'absence de mise à jour des indicateurs : deux exemples
dans le cas de la branche famille

L'indicateur relatif aux créations de places en crèche s'arrête en 2020, alors que le Gouvernement avait fixé pour objectif à la Cnaf la création de 30 000 places d'accueil supplémentaires nettes de 2018 à 2022. On sait que cet objectif n'a pas été atteint. Il serait d'autant plus intéressant de disposer de chiffres à jour que la Première ministre a annoncé le 1er juin 2023 la création nette de 100 000 places d'accueil, collectif ou individuel, d'ici 2027, et 200 000 d'ici 2030.

Les données relatives aux erreurs de paiement de la Cnaf aux assurés (que ce soit en leur faveur ou en leur défaveur) ne portent que sur les exercices 2020 et 2021. Or l'exercice 2022 présente de ce point de vue un intérêt particulier, la Cour des comptes ayant refusé de certifier les comptes 2022 de la branche famille et de la Cnaf du fait de l'absence d'amélioration en ce domaine.

Surtout, il est désormais prévu que l'annexe relative aux niches sociales comprenne une « évaluation de l'efficacité » (pour un tiers des niches, chacune devant faire l'objet d'une évaluation une fois tous les trois ans). Or cette annexe ne comprend toujours pas d'évaluation des mesures concernées.

La commission regrette la non-conformité de certaines annexes à la loi organique, en particulier en ce qui concerne l'absence d'évaluation des niches sociales, et juge nécessaire que le Gouvernement respecte les obligations de la loi organique dès le prochain Placss.

C. RÉTABLIR DANS LES ANNEXES AU PLACSS LES PRÉSENTATIONS DES TABLEAUX D'ÉQUILIBRE ET DU TABLEAU PATRIMONIAL JUSQU'ALORS ANNEXÉES AUX PLFSS

La recommandation 1 du Ralfss 2023 de la Cour des comptes est de « rétablir la production des éléments d'information, à joindre en annexe au Placss, détaillant, expliquant et comparant selon les exercices les tableaux d'équilibre et le tableau de situation patrimoniale ».

En effet, jusqu'au présent Placss, la première partie de l'annexe au PLFSS sur les recettes, les dépenses et le solde des régimes détaillait en une vingtaine de pages les éléments de présentation de ces tableaux.

Ces informations figurent en 2023 dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, mais rien ne garantit que cela sera toujours le cas, et cette commission peut se réunir après le dépôt du Placss (comme en 2023).

Il serait paradoxal que l'instauration des Placss se traduise par une perte d'information du Parlement sur leurs deux dispositions essentielles.

La commission estime donc nécessaire que, comme le recommande la Cour des comptes, les présentations constituant la première partie de l'annexe 4 aux PLFSS antérieurs à la réforme organique soient rétablies dans les annexes aux prochains Placss.

IV. LA SÉCURITÉ SOCIALE EN 2022

A. L'EXÉCUTION 2022

1. Un excédent des administrations de sécurité sociale en trompe-l'oeil

Avec un excédent de 0,4 point de produit intérieur brut (PIB), les administrations de sécurité sociale (notion de la comptabilité nationale, qui comprend notamment, outre la sécurité sociale stricto sensu, l'assurance chômage et les hôpitaux) retrouvent un solde comparable à celui d'avant la crise sanitaire.

Capacité de financement des administrations de sécurité sociale

Source : Insee

Toutefois ce retour apparent à la situation d'avant la crise sanitaire est en trompe-l'oeil, la sécurité sociale stricto sensu étant désormais très déficitaire (- 19,6 Md€, contre - 1,7 Md€ en 2019). Si le solde des administrations de sécurité sociale retrouve néanmoins un niveau comparable à celui d'avant-crise, c'est parce que celui des autres administrations de sécurité sociale s'améliore (par rapport à 2019, + 6,2 Md€ pour l'Unédic, + 4,2 Md€ pour l'Agirc-Arrco, + 2,7 Md€ pour la Caisse d'amortissement de la dette sociale).

2. Retrouver la maîtrise des dépenses de santé

S'agissant de la sécurité sociale, la quasi-totalité de l'augmentation du déficit depuis la crise sanitaire provient de l'assurance maladie. En effet, les dépenses d'assurance maladie, après avoir augmenté lors de la crise sanitaire, n'ont pas diminué depuis. Par ailleurs, alors que de 2011 à 2019, l'Ondam avait systématiquement été respecté, il ne l'a plus été depuis, du fait de la crise sanitaire et des mesures prises pour compenser l'inflation.

Comme le souligne la Cour des comptes dans son récent Ralfss, « le respect de l'Ondam 2023 et des années suivantes implique la mise en place de mesures plus ambitieuses de maîtrise médicalisée par les caisses d'assurance maladie ».

Il convient, comme le préconise la Cour des comptes, de rétablir le seuil d'alerte en cas de risque de dépassement de l'Ondam de 0,5 %, sans distinction entre dépenses covid et hors covid.

Les mesures prises en conséquence de l'inflation (augmentation du point d'indice de la fonction publique, couverture de l'augmentation des charges non salariales liées à l'inflation) et la « mission Braun » sur les urgences représentent un coût total de 3 Md€ en 2022. Des mesures équivalentes auraient été inscrites dans un collectif budgétaire si elles s'étaient trouvées dans le champ de l'État. Dès lors que ces dépenses supplémentaires ne consistaient pas en de simples dépassements de crédits évaluatifs, mais bien en des mesures nouvelles, il aurait été de bonne pratique de les inscrire dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).

La commission déplore la décision du Gouvernement de ne pas inscrire les mesures coûteuses prises en cours d'exécution dans un PLFRSS.

B. LA MISE EN oeUVRE DES DISPOSITIONS DE LA LFSS 2022

1. La clause de sauvegarde des médicaments : une mesure dévoyée

Introduite par la LFSS 1999, la clause de sauvegarde des médicaments constitue historiquement un mécanisme de régulation de dernier ressort, destiné à inciter les entreprises pharmaceutiques à maintenir le volume de leur chiffre d'affaires en-deçà d'un seuil permettant le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Quand le chiffre d'affaires global du secteur dépasse un certain seuil, ces entreprises doivent payer une taxe, répartie en fonction de leur chiffre d'affaires.

À l'exception de l'année 2020, le dispositif a toutefois systématiquement été déclenché de 2015 à 2022, avec un rendement en forte hausse. Il s'agit donc en pratique d'un impôt de plus en plus lourd, imprévisible et indiscriminé, qui frappe les médicaments indépendamment de leur criticité thérapeutique ou industrielle.

Produit de la clause de sauvegarde des médicaments

(en millions d'euros)

Sources : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les rapports annuels du CEPS et les réponses de la DSS au questionnaire de la rapporteure générale

La commission appelle le Gouvernement à fiabiliser et étayer davantage les prévisions de la clause de sauvegarde dès le prochain PLFSS, et souhaite que la mission interministérielle récemment constituée par la Première ministre sur la régulation des dépenses de produits de santé soit l'occasion de s'interroger sur la pertinence et l'ampleur du dispositif.

2. La garantie de financement des hôpitaux : une mesure nécessaire, des modalités de sortie à préciser

Dans le contexte de l'épidémie de covid-19 et pour prévenir une perturbation majeure des ressources des établissements de santé, le Gouvernement a mis en place en 2020 par ordonnance une « garantie de financement ». La mesure a été reconduite en 2022 par une loi puis par un arrêté ministériel sans base légale.

En 2022, alors que l'activité hospitalière restait inférieure de 4 % au niveau de 2019 (notamment du fait de difficultés de recrutement), le coût de la garantie de financement pour 2022 a atteint près de 2,7 Md€ (1,9 Md€ en 2021 et 2,5 Md€ en 2020).

Si la garantie de financement a permis de sécuriser les ressources des établissements dans un contexte d'activité hospitalière très en-deçà du niveau de l'année 2019, ses modalités portent des effets désincitatifs à court terme pour les projets des établissements. En effet, la garantie ne prend pas en compte les changements de périmètres d'activités intervenus depuis 2019 : de nouvelles activités assurées par des établissements ne sont ainsi valorisées ni à leur activité réelle ni dans un périmètre élargi de garantie.

Les modalités de sortie de la garantie de financement doivent être précisées.

3. La généralisation de l'intermédiation des pensions alimentaires : être vigilant sur la mise en oeuvre

L'article 100 de la LFSS 2022 a rendu systématique l'intermédiation financière des pensions alimentaires par l'organisme débiteur des prestations familiales (ODPF) - concrètement les caisses d'allocations familiales et les caisses de mutualité sociale agricole - dès l'émission d'un titre exécutoire fixant une créance alimentaire. Ce dispositif est entré en vigueur dès le 1er mars 2022 pour les décisions judiciaires de divorce fixant une pension alimentaire et est devenu applicable à l'ensemble des situations à compter du 1er janvier 2023.

Fin avril 2023, 133 869 pensions alimentaires ont été avancées ou intermédiées par l'Agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires (Aripa).

Il convient de rester vigilant sur la mise en oeuvre de la réforme, dont le succès implique la bonne information des parents, le respect par les avocats de leur obligation de transmission de dossiers à l'Aripa, et, de la part de l'Aripa, la gestion d'un fort afflux de dossiers, qui ne devra pas empêcher l'augmentation du taux de recouvrement des impayés.

4. Mettre effectivement en oeuvre la réforme des services autonomie à domicile

Dans une logique de simplification et de « guichet unique » pour l'usager, l'article 44 de la LFSS 2022 a prévu une réforme de l'organisation des services d'aide et de soins à domicile. Celle-ci doit conduire, dans les deux années suivant la publication du décret fixant le cahier des charges de ces services (au plus tard le 30 juin 2023), à l'unification des différents types de services existants - services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad), services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) - dans une même catégorie de « services autonomie à domicile » (SAD), intégrant les activités de soins, d'aide et d'accompagnement.

Lors de l'examen du Placss par la commission, le 28 juin 2023, le cahier des charges n'a toujours pas été publié, alors que la date limite était fixée par la LFSS 2022 au 30 juin 2023. Il convient de le publier rapidement.

Dès le 1er janvier 2022, une réforme de la tarification des services à domicile a été engagée afin de consolider leur financement. Un tarif plancher national a ainsi été instauré et fixé à 22 euros pour 2022.

Comme l'avait relevé la commission lors de l'examen du PLFSS 2022, l'instauration d'un tarif plancher a un effet à la hausse sur le reste à charge des usagers, même si celui-ci est partiellement pris en charge par l'État par le biais du crédit d'impôt.

Il faudra non seulement mettre rapidement en oeuvre la réforme, mais aussi s'assurer qu'elle ne restreint pas l'accès aux prestations.

V. RENFORCER LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE SOCIALE

A. UNE ESTIMATION DÉSORMAIS RAISONNABLEMENT PRÉCISE DES SOMMES EN JEU

Dans son rapport fait pour la commission des affaires sociales du Sénat en 2020, la Cour des comptes estimait ne pas pouvoir réaliser de chiffrage global de la fraude aux prestations sociales.

La situation a depuis progressé : selon la Cour des comptes (Ralfss 2023), s'appuyant notamment sur des extrapolations dans le cas de l'assurance maladie, le coût de la fraude aux prestations serait compris entre 6 et 8 Md€.

La fraude sociale

 
 

Fraude aux prestations (Cour des comptes,
Ralfss 2023)

Fraude aux cotisations (Haut conseil
au financement de
la protection sociale, 2023)

Selon la Cour des comptes, dans le cas de l'assurance maladie, la fraude (environ 4 Md€) serait majoritairement le fait de professionnels de santé ; dans le cas de la branche famille, la fraude (environ 3 Md€) serait principalement concentrée sur le revenu de solidarité active (RSA), la prime d'activité et les aides au logement. Dans le cas des cotisations, la fraude (plus de 8 Md€) correspondrait majoritairement au travail dissimulé.

La fraude aux faux numéros de sécurité sociale correspond à un enjeu relativement mineur, comme le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat, l'avait démontré dès 2019, en s'appuyant notamment sur l'examen d'un échantillon représentatif de 2 000 dossiers, réalisé à sa demande par les administrations concernées.

En ce qui concerne le parc de cartes Vitale « surnuméraires », la direction de la sécurité sociale indique qu'entre 2019 et 2022, leur nombre est passé de 600 000 à environ 3 000, et qu'il s'agissait essentiellement de cartes perdues, remplacées sans que les anciennes n'aient été désactivées.

B. LE PLAN DU GOUVERNEMENT

Le 30 mai 2023, le ministre délégué chargé des Comptes publics a annoncé un plan de lutte contre la fraude sociale.

Plusieurs des mesures annoncées par le Gouvernement ont d'ores et déjà été votées.

C'est le cas, notamment, de l'entrée en vigueur dès le 1er juillet 2023 de l'obligation de verser sur un compte domicilié en France ou dans la zone Sepa les prestations sociales soumises à condition de résidence en France, prévue en LFSS 2023 à l'initiative de la sénatrice Nathalie Goulet, et de l'allongement de six à neuf mois par année civile de la durée de résidence en France à laquelle est conditionnée l'ouverture des droits à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), inscrit à l'initiative du président Bruno Retailleau en LFRSS 2023 et qui sera applicable à compter du 1er septembre 2023.

Ce plan prévoit de fusionner la carte nationale d'identité et la carte Vitale. Un rapport de l'Igas et de l'IGF d'avril 2023, rendu public, indique que le directeur général de la Cnam a fait part de ses « très fortes réserves » à ce sujet.

Il ne faudrait pas que la focalisation sur le sujet médiatique des cartes Vitale surnuméraires amène à se détourner des principaux enjeux de lutte contre la fraude.

Les années récentes montrent de nombreux exemples de mesures de lutte contre la fraude annoncées, et même votées, et non suivies d'effet (comme le souligne la Cour des comptes dans le chapitre du Ralfss 2023 consacré à la lutte contre la fraude aux prestations). Par ailleurs, les annonces d'augmentation du nombre de contrôles et de renforcement des moyens humains doivent encore se concrétiser.

La commission vérifiera que les dispositions législatives sont effectivement appliquées et que l'augmentation des moyens n'est pas un simple effet d'annonce.

La commission ne peut approuver un projet de loi reprenant des comptes 2021 et 2022 manifestement erronés, correspondant à des montants que la Cour des comptes a refusé de certifier, et dont les annexes ne respectent pas des obligations essentielles de la loi organique, en particulier en matière de mise à jour des Repss et d'évaluation des niches sociales.

Aussi, la commission des affaires sociales a adopté une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.

LE PREMIER « TRIMESTRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE »

I. LA PREMIÈRE LOI D'APPROBATION DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

A. UN DEUXIÈME TRIMESTRE CONSACRÉ, DANS LE CAS DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, À L'APPROBATION DES COMPTES ET À L'ÉVALUATION

La loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, résultant d'une proposition de loi organique de Thomas Mesnier, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, et s'inspirant largement sur ce point de la proposition de loi organique n° 492 (2020-2021) du 26 mars 2021 de Jean-Marie Vanlerenberghe, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat, a créé une nouvelle catégorie de lois de financement de la sécurité sociale : les lois d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss)1(*).

L'instauration d'une « loi de résultats pour la sécurité sociale » était également préconisée en 2021 par le rapport2(*) de la commission pour l'avenir de nos finances publiques, présidée par l'ancien sénateur Jean Arthuis.

1. L'obligation de dépôt du Placss avant le 1er juin

En application de l'article L.O. 111-6 du code de la sécurité, le projet de Lacss est déposé « avant le 1er juin ».

Il s'agit d'une évolution majeure du calendrier des LFSS. En effet, jusqu'à l'exercice 2021, les comptes d'une année n étaient approuvés par le Parlement en même temps que le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour l'année n+2, examiné à l'automne, dont ils constituaient la première partie.

2. Instaurer un « chaînage vertueux » entre Placss et PLFSS

L'instauration des Lacss doit permettre un « chaînage vertueux » entre le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) sur l'année n-1, examiné au printemps, et le PLFSS pour l'année n+2, examiné à l'automne3(*). Il s'agit en effet d'examiner non seulement les comptes, mais aussi l'efficacité et l'efficience des politiques, dans la perspective de l'examen du prochain PLFSS.

a) Un examen du Placss juridiquement nécessaire à la mise en discussion du PLFSS suivant

C'est pour favoriser ce « chaînage vertueux » que, selon l'article L.O. 111-7-1 du code de la sécurité sociale, « le projet de loi de financement de l'année ne peut être mis en discussion devant une assemblée avant l'adoption de la loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale afférente à l'année qui précède celle de la discussion dudit projet de loi de financement ».

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2022-836 DC du 10 mars 2022 sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, a précisé qu'il suffisait, pour que cette disposition soit satisfaite, que le Placss ait été examiné par l'assemblée concernée4(*).

b) Une anticipation de la publication du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de la Cour des comptes

Toujours pour permettre un « chaînage vertueux » entre Placss et PLFSS, le code des juridictions financières, dans sa rédaction issue de la loi organique du 14 mars 2022, prévoit que le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) de la Cour des comptes, jusqu'alors publié à l'automne, quand les commissions des affaires sociales étaient fortement sollicitées par l'examen du PLFSS, est désormais « conjoint au dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale »5(*).

Le Parlement pourra ainsi interroger les ministres et les autres responsables publics sur les analyses et recommandations de la Cour, en amont de l'examen du PLFSS.

3. Des travaux d'évaluation du Parlement qui pourraient évoluer

Pour ce premier « trimestre de la sécurité sociale », les deux commissions des affaires sociales ont choisi des organisations assez proches, avec un rapport législatif de leur rapporteure générale sur le Placss6(*) et la poursuite de leurs travaux habituels d'évaluation, à l'Assemblée dans le cadre du « printemps social de l'évaluation »7(*).

Le présent rapport s'appuie, notamment, sur les auditions de la commission8(*) et sur celles de sa mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss)9(*). Les comptes rendus de ces auditions figurent en annexe au présent rapport. La rapporteure générale a en outre entendu des représentants de la direction de la sécurité sociale.

La commission des affaires sociales du Sénat n'a bien entendu pas attendu l'instauration du Placss pour évaluer la sécurité sociale, et plus généralement les politiques sociales. Comme chaque session parlementaire, la session 2022-2023 sera marquée par la publication de nombreux rapports d'information. Les rapports déjà publiés portent sur Santé publique France10(*), l'accès aux soins en Suède11(*), le vieillissement de la population en Martinique12(*), les troubles du neuro-développement13(*), la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE)14(*), la fin de vie15(*). D'autres sont prévus pour juillet 2023, sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance16(*), sur les données de santé17(*) et, dans le cas de sa mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), sur la mise en oeuvre de la solidarité à la source18(*) et sur les organismes et les fonds financés par les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale19(*).

Des réflexions sont en cours sur une possible évolution de l'organisation du « semestre de la sécurité sociale » au Sénat.

4. La sécurité sociale dans le processus d'approbation des comptes publics et d'évaluation des politiques publiques

Le deuxième trimestre correspond désormais, non seulement pour l'État, mais aussi pour la sécurité sociale, à ce que l'on pourrait appeler un « trimestre de l'exécution et de l'évaluation ».

La séquence commence par l'avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) relatif au solde structurel des administrations publiques (Apu) présenté dans le projet de loi de règlement du budget de l'État (PLR). Selon l'article 62 de la LOLF20(*), si ce solde structurel est supérieur de plus de 0,5 point de PIB potentiel21(*) à celui prévu par la loi de programmation des finances publiques (LPFP), le Gouvernement en « tient compte » au plus tard dans le prochain PLF ou PLFSS. Ces dispositions ne s'appliquent pas en cas de « circonstances exceptionnelles ». Dans le cas de l'exercice 2022, la LPFP qui s'applique est celle du 22 janvier 2018, antérieure à la crise sanitaire. Bien que le déficit structurel ait été supérieur en 2022 de 2,6 points à la prévision de la LPFP, le HCFP a considéré que, du fait des circonstances exceptionnelles que représentait la crise sanitaire, il n'y avait pas lieu de déclencher le mécanisme de correction.

La séquence se poursuit, avec le dépôt et l'examen du PLR, et désormais du Placss. L'enjeu est de profiter de l'exercice, en lui-même habituellement formel, d'approbation des comptes, pour examiner l'efficacité et l'efficience des politiques, et d'en tirer des conséquences pour le prochain PLFSS.

Le tableau ci-après permet de situer le Placss et les modifications liées (anticipation de la publication du Ralfss...) dans le processus d'approbation des comptes publics et d'évaluation des politiques publiques au deuxième trimestre.

Le processus d'approbation des comptes et d'évaluation au deuxième trimestre
(État et sécurité sociale)

Date limite

2023

Ensemble des administrations publiques

Budget de l'État

Sécurité sociale

Échéances

Modification par rapport aux années précédentes

22 février (arrêté du 24 décembre 2014)

     

Comptes provisoires

Non

Fin mars

28 mars 2023

Publication par l'Insee du solde des catégories d'Apu et des dépenses et recettes pour l'ensemble des Apu

   

Non
Données déjà publiées fin mars)

Avis joint au PLR
(art. 62 LOLF)

11 avril 2023

Avis du HCFP relatif au solde structurel des Apu présenté dans le PLR

     

Avant le 1er mai
(art. 58 LOLF)

13 avril 2023

 

Dépôt du PLR

   

Resp. conjoint au dépôt du PLR et annexé au PLR
(art. 58 LOLF)

13 avril 2023

 

Publication par la Cour des comptes du rapport sur le budget de l'État et de l'acte de certification des comptes de l'État

   

15 avril (arrêté du 24 décembre 2014)

     

États financiers définitifs

Non

Avril (règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil)

26 avril 2023

Envoi du programme de stabilité à la Commission européenne

     

Au plus tard le 30 juin (art. L.O. 132-2-1 CJF)

16 mai 2023

   

Publication par la Cour des comptes du rapport de certification des comptes

Non

Avant le 1er juin
(art. L.O. 111-6 CSS)

24 mai 2023

   

Dépôt du Placss

Oui

Pub. Ralfss :
conjoint au Placss
(art. L. O. 132-3 CJF)

24 mai 2023

 

CF AN : examen du PLR

Publication par la Cour des comptes du Ralfss

Oui (Ralfss jusqu'alors publié début octobre)

Entre le 15 avril et le 15 juin et entre le 15 septembre et le 15 octobre
(art. D. 114-3 CSS)

25 mai 2023

   

Réunion de la CCSS

Oui (réunion habituellement en juin), mais la Cour des comptes recommande une réunion la 1re quinzaine de mai (Ralfss 2023, reco. n° 3)

 

30 et 31 mai 2023

   

CAS AN : examen du Placss

Oui

Fin mai

31 mai 2023

Publication par l'Insee des recettes et dépenses de chaque catégorie d'Apu

   

Non (données déjà publiées fin mai)

 

5 juin 2023

 

AN : examen du PLR en séance

   
 

6 juin 2023

   

AN : examen du Placss en séance

Oui

1er juin (art. L. 114-4-1 du code de la sécurité sociale)

7 juin 2023

   

Avis du comité d'alerte sur l'exécution de l'Ondam de l'année en cours

Non (si on excepte le retard)

 

28 juin 2023

 

CF Sénat : examen du PLR

CAS Sénat : examen du Placss

Oui

 

3 juillet 2023

 

Sénat : approbation du PLR en séance

Sénat : examen du Placss en séance

Oui

AN : Assemblée nationale. CAS : commission des affaires sociales. CCSS : commission des comptes de la sécurité sociale. CF : commission des finances. CJF : code des juridictions financières. CSS : code de la sécurité sociale. HCFP : Haut Conseil des finances publiques. LOLF : loi organique relative aux lois de finances. Placss : projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale. PLR : projet de loi de règlement. Ralfss : rapport (de la Cour des comptes) sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Le Placss et ses conséquences sont en grisé. Les échéances relatives aux années en cours et suivantes sont en italiques.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

5. Un contexte particulier pour le présent Placss

Le présent « trimestre de la sécurité sociale » se place dans un contexte particulier.

Tout d'abord, le projet de LPFP pour les années 2023 à 2027 a été rejeté par l'Assemblée nationale en première lecture (par sa commission des finances puis en séance publique). Le Sénat l'a adopté en première lecture avec des modifications22(*), la commission mixte paritaire (CMP) n'est pas parvenue à un accord, et le texte n'a pas été réexaminé par l'Assemblée nationale23(*). Bien que la LPFP pour les années 2023 à 2027 ne s'applique pas à l'année 2022, cela traduit une absence de consensus sur la politique de finances publiques.

Ensuite, le PLR 2021 a été rejeté par le Sénat le 19 juillet 2022 et le 2 août 2022 (notamment du fait d'un dépôt le 4 juillet, soit avec plus d'un mois de retard sur la date limite du 31 mai prévue par la LOLF), et finalement par l'Assemblée nationale (après échec de la CMP) le 3 août 2022. De même, les PLR 2021 et 2022 ont été rejetés par l'Assemblée nationale le 5 juin 2023.

Enfin, s'agissant du présent Placss, le 6 juin 2023, l'Assemblée nationale, après avoir adopté l'article liminaire, adopté l'article premier24(*), rejeté l'article 2 (non adopté) et supprimé par amendements25(*) l'article 3, a rejeté l'ensemble du texte.

B. LES LOIS D'APPROBATION DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

1. Un contenu correspondant pour l'essentiel à ce qui constituait jusqu'alors la première partie des LFSS

L'article L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale fixe le contenu des Lacss.

Celles-ci correspondent pour l'essentiel à ce qui constituait jusqu'alors la première partie des LFSS, adoptées à l'automne, comme le montre le tableau ci-après.

L'approbation des comptes : comparaison du contenu de la première partie des PLFSS antérieurs à la réforme de 2022 et du présent Placss
(pratique de répartition entre articles)

 

Dispositif antérieur à la LO du 14 mars 2022

Dispositif mis en place par la LO du
14 mars 2022

Exemple : première partie de la LFSS 2023 (dispositions sur l'exercice 2021)

Placss 2022

Recettes, dépenses et solde des Asso

-

Article liminaire

Approbation du tableau d'équilibre, par branche, de l'ensemble des Robss

Article 1er

Article 1er

Approbation du tableau d'équilibre, par branche, du régime général

 

Approbation du tableau d'équilibre du FSV

Article 1er

Dépenses constatées relevant de l'Ondam

Article 2

Recettes affectées au FRR

Recettes mises en réserve par le FSV

Montant de la dette amortie par la Cades

Approbation de la situation patrimoniale des Robss, du FRR et de la Cades et décrivant les mesures prévues pour l'affectation des excédents ou la couverture des déficits

Article 2 (et annexe A)

Article 3 (et annexe)

Asso : administrations de sécurité sociale (concept de la comptabilité nationale, utilisée par l'Insee et servant notamment à l'application du pacte de stabilité). Cades : Caisse d'amortissement de la dette sociale. FSV : Fonds de solidarité vieillesse. Ondam : objectif national de dépenses d'assurance maladie. FRR : Fonds de réserve des retraites. LO : loi organique. Placss : projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale. PLFSS : projet de loi de financement de la sécurité sociale. Robss : régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

La loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 a supprimé l'approbation par le Parlement des tableaux d'équilibre du régime général, seuls étant désormais approuvés ceux des régimes obligatoires de base (dont le régime général est l'élément prépondérant).

En sens inverse, la loi organique prévoit que la Lacss « comprend un article liminaire présentant un tableau de synthèse retraçant les recettes, les dépenses et le solde des administrations de sécurité sociale » (Asso)26(*). Cette disposition a été insérée par le Sénat en première lecture27(*).

La structuration du présent Placss est donc analogue à celle qui constituait la première partie des PLFSS, les différences étant l'insertion de l'article liminaire (prévu par la loi organique) et, pour améliorer la lisibilité, la scission de l'ancien article 1er en deux articles, le premier réunissant les tableaux d'équilibre28(*).

Article L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale
(inséré par la loi organique du 14 mars 2022)

« La loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale :

1° comprend un article liminaire présentant un tableau de synthèse retraçant les recettes, les dépenses et le solde des administrations de sécurité sociale relatifs à l'année à laquelle cette loi se rapporte ;

2° approuve les tableaux d'équilibre du dernier exercice clos des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, par branche, et des organismes concourant au financement de ces régimes ainsi que les dépenses relevant du champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie constatées lors de cet exercice ;

3° approuve, pour ce même exercice, les montants correspondant aux recettes affectées aux organismes chargés de la mise en réserve de recettes au profit des régimes obligatoires de base et aux organismes concourant au financement de ces régimes et les montants correspondant à l'amortissement de leur dette ;

4° approuve le rapport mentionné au 2° de l'article L.O. 111-4-4. »

Article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale

« Sont jointes au projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale des annexes :

[...]

2° comportant un rapport décrivant les mesures que le Gouvernement a prises ou compte prendre pour l'affectation des excédents ou la couverture des déficits constatés à l'occasion de l'approbation des tableaux d'équilibre relatifs au dernier exercice clos. Ce rapport présente également un tableau, établi au 31 décembre du dernier exercice clos, retraçant la situation patrimoniale des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement, à l'amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit ;

[...] ».

2. Des annexes enrichies

Les annexes aux PLFSS (à ne pas confondre avec les annexes à la loi elle-même29(*)) sont désormais réparties entre PLFSS de l'année (article L.O. 111-4-1 du code de la sécurité sociale) et Placss (article L.O. 111-4-4 du même code). Si la plupart ne sont plus annexées qu'à l'un des deux textes, certaines leur restent communes30(*).

Les rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss), jusqu'alors annexés aux PLFSS, le sont désormais aux Placss. Ainsi, aucun Repss n'était annexé au PLFSS 2023.

De nouvelles annexes au PLFSS31(*) ou au Placss ont en outre été instaurées. Dans ce dernier cas, a été instaurée une annexe relative aux recettes, dépenses et soldes du régime d'assurance chômage et des régimes de retraite complémentaire.

Comparaison des annexes des PLFSS et du présent Placss
(les chiffres indiquent la pratique de numérotation des annexes)

 

Dispositif antérieur à la LO
du 14 mars 2022

Dispositif mis en place
par la LO du 14 mars 2022

Jusqu'au PLFSS 2020 (comptes 2018)

PLFSS 2021 et 2022 (comptes 2019 et 2020)

PLFSS 2023 (comptes 2021)

Placss 2022

Art. L.O.111-4 CSS
(rédaction antérieure à
la LO du 14 mars 2022)

Art. L.O.
111-4-1 CSS

Art. L.O.
111-4-4 CSS

Programmes de qualité et d'efficience, devenus à partir du PLFSS 2021 rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss)

1

1

 

1

Présentation des Robss

 

(*)

1

 

Organismes de sécurité sociale : gestion, performance et simplification

2

2

 

6

Mise en oeuvre de la précédente LFSS

3

3 (LFSS 2020 et 2021)

 

5 (LFSS 2022)

Recettes, dépenses et solde des régimes par catégorie et par branche

4

4

3***

 

Présentation des mesures d'exonérations de cotisations et contributions et de leurs compensations

5

5

4

2 (avec évaluation de l'efficacité)

Relations financières entre la Sécurité sociale et les autres administrations publiques

6

6

3***

 

Ondam et dépenses de santé

7

7

5

3

Comptes du FSV, de la Cades, du FRR et des organismes ou fonds financés par des Robss

8

8

2

7

Fiches d'évaluation préalable des articles du projet de loi

9

9

9

 

Dépenses de la branche autonomie et effort de la Nation en faveur du soutien à l'autonomie

 

10**

7

 

Situation financière des établissements de santé et des établissements médico-sociaux financés par les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale

   

6

 

Perspectives financières du régime d'assurance chômage et des régimes de retraite complémentaire

   

8

 

Organismes de sécurité sociale : gestion, performance et simplification

   

10

 

Recettes, dépenses et soldes du régime d'assurance chômage et des régimes de retraite complémentaire

     

4

* L'article L.O. 111-4 CSS prévoyait que « tous les trois ans, le Gouvernement adresse au Parlement, en même temps que le projet de loi de financement de l'année, un document présentant la liste des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et précisant le nombre de leurs cotisants actifs et retraités titulaires de droits propres ». Ce document a été annexé au PLFSS 2021. ** L'art. 2 de la loi n° 2020-991 du 7 août 2020 a instauré l'annexe 10 sur l'autonomie. *** Annexe 3 : « Équilibre des finances sociales : recettes, dépenses, soldes et relations financières avec les autres administrations publiques des régimes de base de sécurité sociale ».

Cades : Caisse d'amortissement de la dette sociale. CSS : code de la sécurité sociale. FRR : Fonds de réserve des retraites. FSV : Fonds de solidarité vieillesse. LFSS : loi de financement de la sécurité sociale. LO : loi organique. Ondam : objectif national de dépenses d'assurance maladie. Placss : projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale. PLFSS : projet de loi de financement de la sécurité sociale. Robss : régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

En ce qui concerne le contenu d'annexes existantes, l'article L.O. 111-4-4 précité prévoit que :

- l'annexe relative aux mesures d'exonérations de cotisations et contributions et de leurs compensations comprend désormais, dans le cas du Placss (mais pas du PLFSS) une « évaluation de l'efficacité » des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale (pour un tiers des mesures, chacune devant faire l'objet d'une évaluation une fois tous les trois ans - comme on le verra ci-après, dans le cas du présent Placss cette disposition n'est pas respectée, l'annexe 2 ne comprenant aucune évaluation) ;

- dans le cas de la branche vieillesse, le Repss « analyse l'évolution de la soutenabilité financière de l'ensemble des régimes de retraite de base et complémentaires légalement obligatoires, en précisant les hypothèses de prévision et les déterminants de l'évolution à long terme des dépenses, des recettes et du solde de ces régimes »32(*).

II. AMÉLIORER LES DÉLAIS DE PRODUCTION ET LE CONTENU DE CERTAINS DOCUMENTS

A. DES DÉLAIS À RESPECTER OU À ANTICIPER

1. Respecter les délais actuellement fixés

Il convient que les échéances existantes soient respectées.

On peut relever à cet égard qu'alors que le comité d'alerte sur l'assurance maladie est censé rendre au plus tard le 1er juin33(*) un avis sur le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour l'exercice en cours, en 2023, l'avis, appelant à « une grande vigilance [...] pour respecter l'Ondam », a été publié avec près d'une semaine de retard34(*), le lendemain de l'examen du Placss en séance publique par l'Assemblée nationale.

Or l'examen du Placss a pour objet non seulement d'approuver les comptes de l'année antérieure, mais aussi de permettre une réflexion sur les perspectives de la sécurité sociale, ce qui implique de disposer d'une information à jour sur l'année en cours.

2. La nécessaire anticipation de certaines échéances
a) Anticiper la production des comptes et la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale

Afin notamment de faciliter la certification des comptes de la sécurité sociale et, dans le cas des Placss, l'élaboration de l'avis (publié dans le Ralfss) sur le tableau d'équilibre et sur le tableau patrimonial, la Cour des comptes recommande, dans le Ralfss 2023, d'avancer de 15 jours la date de production des comptes et de réunir la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) la première quinzaine de mai35(*).

Jusqu'à présent, la CCSS se réunissait en juin sur les comptes du régime général, puis à l'automne sur ceux de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss), les comptes arrêtés lors de cette seconde réunion servant de base à la première partie (sur l'exercice antérieur) du PLFSS adopté juste après par le conseil des ministres. Dans le cas du présent Placss, la CCSS a anticipé au 25 mai sa réunion, qui portait par ailleurs sur l'ensemble des Robss.

La direction de la sécurité sociale (DSS) estime qu'il n'est pas techniquement possible d'anticiper de 15 jours la production des comptes sans en dégrader significativement la qualité. Il convient que la Cour des comptes et la DSS poursuivent leurs discussions afin de trouver le bon équilibre.

La nécessité d'anticiper la production des comptes, selon la Cour des comptes

« Le délai de préparation par la Cour des avis qu'elle doit rendre sur les tableaux d'équilibre a été réduit de quatre mois par rapport à la situation qui prévalait jusqu'en 2021. Le temps laissé à l'examen des comptes et des rapports des commissaires aux comptes n'est donc plus que d'environ quinze jours. Cette réduction des délais pour les certificateurs ne s'est pas accompagnée d'une révision du calendrier d'établissement des comptes des organismes de sécurité sociale (du 22 février pour les comptes provisoires au 15 avril pour les états financiers définitifs*). Des échanges ont été engagés entre l'administration et la Cour sur une évolution de ce calendrier. Les perspectives d'évolution restent cependant à définir.

* Arrêté du 24 décembre 2014 fixant le calendrier d'établissement des comptes.

Source : Cour des comptes, rapport de certification des comptes de la sécurité sociale pour 2022

b) Anticiper la publication par l'Insee des données sur lesquelles repose l'article liminaire

Comme on le verra ci-après, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement à l'article liminaire, indiquant (en points de PIB) les recettes, les dépenses et le solde des administrations de sécurité sociale (Asso), afin de prendre en compte les données publiées par l'Insee le 31 mai.

En effet, depuis de nombreuses années, l'Insee publie fin mars de premières données36(*) relatives aux administrations publiques, qui sont ensuite précisées fin mai37(*), de même que le PIB de l'année précédente. Le Placss, devant être déposé avant le 1er juin (article L.O. 111-6 du code de la sécurité sociale), peut donc ne pas être à jour lors de son dépôt (cette année le 24 mai).

L'actualisation de l'article liminaire en cours d'examen ne pose pas de problème majeur, mais si l'Insee pouvait arrêter ses chiffres un peu plus tôt, pour permettre le dépôt d'un article liminaire « définitif », cela serait évidemment préférable.

B. DES ANNEXES À COMPLÉTER

1. Des annexes à mettre en conformité avec la loi organique
a) Dans le cas du PLFSS 2023, une annexe 6 sur les établissements de santé non conforme aux exigences de la loi organique

La loi organique du 14 mars 2022 a créé deux nouvelles annexes aux PLFSS, jointes pour la première fois au PLFSS 2023, portant respectivement sur :

- la situation financière des établissements de santé et des établissements médico-sociaux (annexe 6 du PLFSS 2023) ;

- la situation financière du régime d'assurance chômage et des régimes de retraite complémentaire obligatoires (annexe 8 du PLFSS 2023).

Si la seconde annexe n'appelle pas de commentaire particulier, la première n'est pas conforme aux exigences de la loi organique.

En effet, la loi organique prévoit que le contenu de l'annexe 6 est le suivant :

Article L.O. 111-4-1 du code de la sécurité sociale :
contenu de l'annexe 6

« Sont jointes au projet de loi de financement de l'année des annexes :

[...]

6° Présentant la situation financière des établissements de santé et des établissements médico-sociaux financés en tout ou partie par les régimes obligatoires de base de sécurité sociale et soumis à un objectif de dépenses, notamment :

a) les actions menées dans le champ du financement de ces établissements et leur bilan, y compris les dotations dont ils bénéficient et leur répartition par région et par établissement ;

b) l'évolution prévisionnelle de la dette de ces établissements ;

c) les éventuels engagements pris par l'État relatifs à l'évolution pluriannuelle des ressources de ces établissements ;

[...] ».

La Cour des comptes consacre tout un chapitre du Ralfss 2023 à l'information du Parlement sur la situation financière des hôpitaux38(*), dans lequel elle souligne les insuffisances de cette nouvelle annexe 6. Cette annexe se substitue à deux précédents rapports, en principe annuels, mais dont l'un39(*) n'a plus été transmis ni publié depuis 2021 et l'autre40(*) ne l'a jamais été. La Cour des comptes mentionne en outre le rapport prévu par le II de l'article 6 de la LFSS 2022, inséré par l'Assemblée nationale et qui n'a jamais été transmis, comme le souligne le sénateur Pascale Gruny dans son récent rapport d'information sur l'application des lois41(*).

La Cour déplore notamment que « sur un rapport porté de 34 à 61 pages, l'annexe 6 au PLFSS 2023 en consacre seulement six à la situation financière des hôpitaux, dont moins d'une pour les Espic et les cliniques à but lucratif » et que l'annexe porte seulement sur le budget principal des hôpitaux publics.

Contrairement à la loi organique, l'annexe ne fournit aucune information :

- sur le montant des diverses dotations versées par l'assurance maladie et sur les conditions de leur répartition entre les régions et les établissements ;

- sur l'évolution prévisionnelle de la dette des établissements.

La Cour indique que le détail par ARS des 32,9 Md€ de dotations allouées aux hôpitaux en 2021 et les montants alloués au titre de chaque mission d'intérêt général (Mig), absents de l'annexe publiée, figuraient dans le projet initialement préparé par la DGOS.

La commission des affaires sociales déplore, comme la Cour des comptes, les insuffisances de cette annexe, et invite le Gouvernement à y remédier dans le cas des prochains PLFSS.

Les recommandations de la Cour des comptes sur l'annexe 6 des PLFSS (Ralfss 2023)

« 8. Produire, dans l'annexe 6 aux PLFSS des années 2024 et suivantes, pour les hôpitaux publics, les établissements de santé privés d'intérêt collectif et les cliniques à but lucratif :

- une analyse de l'activité de l'année et de son incidence sur les recettes ;

- une description des financements de toute nature perçus par les établissements de santé, des conditions de leur mise en réserve et de leur restitution, et des conditions d'attribution complémentaire d'aides en trésorerie à certains établissements en difficulté ;

- une analyse rétrospective et prospective des trajectoires d'investissement et d'endettement, en particulier pour les établissements surendettés (ministère de la santé et de la prévention).

9. Fournir, en vue de la préparation de l'annexe aux PLFSS 2024 et suivants, un niveau d'analyse de la situation financière des établissements de santé privés d'intérêt collectif équivalent à celui relatif aux hôpitaux publics et aux cliniques à but lucratif, et calculer des indicateurs financiers identiques pour les trois catégories d'établissements (Atih et ministère de la santé et de la prévention).

10. Attribuer aux établissements de santé, avant le 31 décembre, la totalité des dotations dues au titre de l'année ; en cas de dépassement constaté de l'objectif de dépenses des établissements de santé, compenser le trop versé en ajustant, à due concurrence, le montant des dotations de l'année n+1 (ministère de la santé et de la prévention).

11. Avancer la date limite de l'arrêté définitif des comptes des hôpitaux publics pour la rapprocher de celle de l'assurance maladie (15 mars) et fixer la date limite d'approbation des comptes des hôpitaux par leurs conseils de surveillance avant celle du dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (avant le 1er juin) (ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ministère de la santé et de la prévention). »

b) Dans le cas du présent Placss
(1) Des Repss dont la plupart des indicateurs s'arrêtent en 2020 ou en 2021

L'article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale prévoit que les rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) « s'appuient sur un diagnostic de situation fondé notamment sur [...] l'exposé des résultats atteints lors des trois dernières années ».

Les Repss ont désormais pour objet d'alimenter, chaque printemps, un débat relatif à l'efficacité et à l'efficience des dépenses de sécurité sociale. Il importe donc qu'ils soient à jour.

Or, tel est loin d'être le cas. Si l'on excepte ceux relatifs à l'exécution financière, les indicateurs concernent habituellement les années 2020 ou 2021.

Par exemple, dans le cas du Repss « Famille », les indicateurs relatifs aux établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) s'arrêtent en 2019 ou en 2020. Cela est particulièrement regrettable dans le cas, notamment, de l'indicateur « Créations nettes de places en EAJE », qui s'arrête en 2020 (p. 88), alors que la convention d'objectif et de gestion (COG) 2018-2022 avait fixé pour objectif à la Cnaf la création de 30 000 places d'accueil supplémentaires nettes en EAJE. Le Repss suggère toutefois que ces données sont disponibles, puisqu'il indique (p. 10) qu'« environ la moitié de cet objectif est atteint à fin 2022 en termes de places créées ». Il serait d'autant plus intéressant de disposer de chiffres à jour que la Première ministre a annoncé le 1er juin 2023 la création nette de 100 000 places d'accueil, collectif ou individuel, d'ici 2027, et 200 000 d'ici 2030.

De même, toujours dans le cas du Repss « Famille », les données relatives au paiement à bon droit (c'est-à-dire le paiement par la branche famille de ce qu'elle doit aux assurés) ne portent que sur les exercices 2020 et 2021 (p. 113). Or l'exercice 2022 présente de ce point de vue un intérêt particulier, la Cour des comptes ayant refusé de certifier les comptes 2022 de la branche famille et de la Cnaf du fait de l'absence d'amélioration en matière de paiement à bon droit (cf. ci-après le commentaire de l'article 1er).

(2) Le non-respect de la disposition selon laquelle l'annexe relative aux mesures d'exonérations de cotisations et contributions doit comprendre une évaluation de leur efficacité

L'article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale prévoit que l'annexe au Placss relative aux mesures d'exonérations de cotisations et contributions comprend une « évaluation de l'efficacité » des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale (pour un tiers des mesures, chacune devant faire l'objet d'une évaluation une fois tous les trois ans).

Dans le cas du présent Placss, si cette annexe (l'annexe 2) a été enrichie, notamment de bibliographies des travaux d'évaluation existants, elle ne comprend toujours pas d'évaluation des mesures concernées.

Les inspections générales des finances et des affaires sociales ont été missionnées par le Gouvernement pour préparer ces travaux. Elles ont rédigé un rapport méthodologique rendu public et accessible sur internet42(*), dont les principales propositions consistent schématiquement :

- à arrêter une liste de niches devant faire l'objet d'une évaluation approfondie (les autres faisant l'objet d'une évaluation plus sommaire) ;

- à faire réaliser autant que possible ces évaluations approfondies par des organismes indépendants, comme France Stratégie.

Le rapport méthodologique de l'IGF et de l'Igas (mars 2023)

Ce rapport d'une quarantaine de pages, auxquelles s'ajoutent près de 300 pages d'annexes, fait dix propositions pouvant être synthétisées de la façon suivante.

1. La détermination de la norme de référence

Le rapport propose que le Placss 2022 fixe la norme de référence, c'est-à-dire la situation par rapport à laquelle les niches sont chiffrées.

C'est bien ce que fait l'annexe 2 du Placss 2022, qui indique qu'« est considérée comme dérogatoire toute disposition législative ou réglementaire dont la mise en oeuvre entraîne pour la sécurité sociale une diminution ou l'absence de recettes par rapport à ce qui aurait résulté de l'application de la « norme » de référence, c'est-à-dire l'application des principes généraux du droit de la sécurité sociale, tels que résultant des règles communément observables pour les situations similaires ». Cette norme est ensuite précisée dans une série de tableaux.

Comme Philippe Marini, alors rapporteur général de la commission des finances du Sénat, le soulignait en 201143(*), la définition de la norme de référence est par nature en partie conventionnelle.

Du point de vue de la commission des affaires sociales, l'essentiel est que la norme de référence retenue ne conduise pas à faire disparaître du champ d'analyse des dispositions relevant manifestement de politiques publiques, comme les allégements généraux, en les faisant entrer dans la norme de référence. La lecture de l'annexe 2 du Placss 2022 suggère que ce risque est écarté.

2. La détermination d'une grille d'analyse transversale

Le rapport de l'Igas et de l'IGF propose en outre de construire une grille d'analyse transversale devant être renseignée pour chaque niche.

Cette grille, mise en ligne sous forme de fichier Excel sur le site de la sécurité sociale44(*) avec le Placss 2022 et ses annexes, comprend :

- quatorze caractéristiques descriptives, essentiellement juridiques45(*) ;

- huit caractéristiques quantitatives46(*) ;

- cinq caractéristiques préfigurant des critères d'évaluation47(*).

Dans son rapport sur le présent Placss, la rapporteure générale de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale souligne que cela correspond à seulement quatre caractéristiques nouvelles par rapport à celles actuellement recensées48(*).

Le rapport fixe comme objectif de renseigner exhaustivement cette grille dans deux ans, soit pour le Placss 2024.

3. L'identification des niches devant faire l'objet d'une évaluation approfondie et la détermination du programme d'évaluation des trois prochaines années

Le rapport propose de « déterminer, dans le cadre de la préparation du Placss 2022, une liste des mesures de réduction des recettes de la sécurité sociale devant faire l'objet d'une évaluation approfondie à réaliser au cours des trois prochaines années », les autres niches faisant l'objet d'une évaluation allégée. Les évaluations approfondies pourraient s'appuyer sur « un comité partenarial impliquant les « parties prenantes » placé auprès de France Stratégie, sur le modèle de ce qui a été fait pour le CICE ».

Le rapport préconise en outre d'établir un programme d'évaluation pour les trois prochaines années.

4. La publicité des données

Le rapport recommande enfin de rendre publiques les données (anonymisées), méthodes et évaluations, afin notamment de permettre leur utilisation par des chercheurs.

Source : D'après IGF, Igas, « Évaluation de l'efficacité des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale prévue par la loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale », mars 2023

L'annexe 2 au présent Placss ne comprend pas de liste des niches devant faire l'objet d'une évaluation approfondie et n'indique pas de programme d'évaluation. Elle indique toutefois que « le Gouvernement entend [...] installer rapidement une gouvernance permettant de mettre en oeuvre les préconisations de la mission, et associant des parlementaires à l'ordonnancement et à la répartition de ces travaux ».

Dans son rapport49(*) sur le présent Placss, la rapporteure générale de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale préconise que « les commissions des affaires sociales des deux assemblées puissent être associées à la définition du programme triennal d'évaluation, afin que celui-ci reflète les attentes du Parlement ».

La commission des affaires sociales du Sénat considère également que les deux commissions des affaires sociales devront participer à la gouvernance.

En tout état de cause, le premier tiers de mesures devra être évalué dans le prochain Placss.

2. Améliorer l'information des annexes aux Placss
a) Rétablir les éléments d'information sur les tableaux d'équilibre et le tableau de situation patrimoniale figurant avant la réforme organique dans l'annexe 4 du PLFSS

Dans son récent Ralfss, la Cour des comptes préconise, dans sa recommandation 1, de « rétablir la production des éléments d'information, à joindre en annexe au Placss, détaillant, expliquant et comparant selon les exercices les tableaux d'équilibre et le tableau de situation patrimoniale ».

En effet, jusqu'au présent Placss, la première partie de l'annexe au PLFSS sur les recettes, les dépenses et le solde des régimes (annexe 4 jusqu'au PLFSS 2022 ; annexe 3 au PLFSS 2023) détaillait en une vingtaine de pages les éléments de présentation de ces tableaux.

La DSS considère que si cette présentation était exigée par le droit alors applicable, ce n'est plus le cas depuis la révision organique de 2022, ces informations devant selon elle désormais être publiées dans le rapport de la CCSS50(*).

De fait, si l'article L.O. 111-4-1 du code de la sécurité sociale prévoit que dans le cas des PLFSS il existe toujours une annexe sur les recettes, les dépenses et le solde des régimes, l'article L.O. 111-4-4 ne prévoit rien de tel dans le cas des Placss.

Par ailleurs, le rapport de la CCSS de mai 2023 comprend bien des passages relatifs au compte de résultat des Robss et du FSV51(*) et à leur situation patrimoniale52(*).

Toutefois, placer ces éléments dans le rapport de la CCSS risquerait de conduire au résultat paradoxal que certaines années le Parlement ne disposerait plus, lors du dépôt du Placss, des éléments d'appréciation jusqu'alors disponibles.

En effet, si, selon la loi organique, le Placss doit être déposé avant le 1er juin53(*), la commission des comptes de la sécurité sociale peut actuellement se réunir jusqu'au 15 juin54(*). Certes, la recommandation 3 du Ralfss 2023 consiste notamment à prévoir « une réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale la première quinzaine de mai, avant le dépôt du projet de loi ». Cependant, on ne peut exclure que certaines années la CCSS se réunisse après le dépôt du Placss (comme en 2023, où le Placss a été déposé le 24 mai, avant la réunion de la CCSS le 25 mai), ou que le rapport de la CCSS soit publié bien après la réunion.

Par ailleurs, il semble institutionnellement préférable que le Parlement et le Gouvernement conviennent de préciser les annexes d'un projet de loi plutôt qu'un rapport dont les dispositions législatives du code de la sécurité sociale pourraient donner l'impression qu'il est établi par un secrétariat indépendant55(*) et adopté par un organe collégial56(*) comprenant notamment des parlementaires57(*) (même s'il résulte des dispositions réglementaires du code de la sécurité sociale, correspondant à la pratique, que le rapport est essentiellement élaboré par l'administration58(*) et que la commission ne l'adopte pas59(*)).

Enfin, le Gouvernement considérait explicitement, dans l'introduction de l'annexe 3 du PLFSS 2023, que les présentations devaient désormais être annexées aux Placss60(*).

La commission estime donc nécessaire que, comme le recommande la Cour des comptes, les présentations constituant la première partie de l'annexe 4 aux PLFSS antérieurs à la réforme organique soient rétablies dans les annexes aux prochains Placss. On pourrait par exemple les inclure dans l'annexe 5 au Placss, relative à la mise en oeuvre de la LFSS de l'exercice concerné61(*), ou dans une nouvelle annexe au Placss correspondant à l'actuelle annexe à la future loi, qui selon la loi organique devrait bien constituer une annexe au Placss62(*).

Cette annexe ne devrait d'ailleurs pas se limiter aux Robss considérés dans leur globalité. Comme le soulignait le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe dans son rapport précité63(*) sur la proposition de loi organique, « afin de préserver le niveau d'information des parlementaires, le Gouvernement devra veiller à préserver les informations relatives au régime général et à enrichir celles qui sont relatives aux autres Robss ».

b) Dans le cas de l'annexe 3 sur l'Ondam, expliquer précisément les causes de l'écart éventuel entre prévision et exécution

La commission regrette que, bien que le produit de la clause de sauvegarde pour 2022 se révèle, en exécution, près de neuf fois plus élevé que la prévision mentionnée dans l'étude d'impact, l'annexe 3 sur l'Ondam ne consacre aucun développement à la justification de cet écart (cf. infra).

Plus généralement, l'annexe 3 doit expliquer précisément les causes de l'écart entre la prévision de l'Ondam et son exécution.

III. LA SÉCURITÉ SOCIALE EN 2022

A. LES GRANDES LIGNES DE L'EXÉCUTION 2022

L'exécution 2022 est présentée en détail dans les commentaires des articles liminaire (administrations de sécurité sociale, ou Asso) et 1er (tableaux d'équilibre).

1. Un retour du solde des administrations de sécurité sociale à son niveau d'avant la crise sanitaire

Avec un excédent de 0,4 point de PIB, les administrations de sécurité sociale, ou Asso (concept de comptabilité nationale, englobant notamment l'assurance chômage et les hôpitaux) retrouvent un solde comparable à celui d'avant la crise sanitaire.

Capacité de financement des administrations de sécurité sociale

Source : Insee

Comme avant la crise sanitaire, on constaterait un déficit sans le solde excédentaire de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), de + 19 milliards d'euros (Md€).

Cet excédent ne traduit pas d'anomalie manifeste par rapport aux programmations qui se sont succédé depuis 2018 (LPFP de janvier 2018 et programmes de stabilité), même si l'excédent prévu pour 2022 par les programmations antérieures à la crise sanitaire était plus important (le dernier programme de stabilité avant la crise, celui d'avril 2019, prévoyait un excédent de 1,2 point de PIB en 2022).

Selon les estimations de la commission des affaires sociales, la quasi-totalité de l'excédent serait structurel (0,3 point de PIB sur 0,4)64(*).

2. Une forte aggravation du déficit des Robss et du FSV par rapport à avant la crise sanitaire, provenant essentiellement de l'assurance maladie

Toutefois ce retour apparent à la situation d'avant la crise sanitaire est en trompe-l'oeil, l'ensemble constitué par les Robss et le FSV étant désormais très déficitaire (- 19,6 Md€, contre - 1,7 Md€ en 2019). Si le solde des administrations publiques (Apu) retrouve néanmoins un niveau comparable à celui d'avant-crise, c'est parce que celui des autres Asso s'améliore (par rapport à 2019, + 6,2 Md€ pour l'Unédic, + 4,2 Md€ pour l'Agirc-Arrco, + 2,7 Md€ pour la Cades).

S'agissant plus précisément des Robss et du FSV, la quasi-totalité de l'augmentation du déficit depuis la crise sanitaire provient de l'assurance maladie. En effet, les dépenses d'assurance maladie, après avoir augmenté lors de la crise sanitaire, n'ont pas diminué depuis. Cette stabilisation des dépenses de la branche maladie autour de leur niveau de 2020 constitue un dérapage par rapport aux LFSS pour les années 2021 à 2023, qui toutes prévoient un retour des dépenses à leur trajectoire antérieure à la crise sanitaire. Ainsi, les dépenses de 2022 ont été supérieures de respectivement 9,9 Md€, 7,7 Md€, 21,1 Md€ et 12,0 Md€ aux prévisions des LFSS pour 2019, 2020, 2021 et 2022.

3. Le dépassement de l'Ondam
a) Un dépassement de 10,4 Md€

La loi de financement pour 2022 a fixé l'Ondam 2022 à 236,8 Md€. Le projet de loi d'approbation des comptes constate un atterrissage évalué à 247,2 Md€, soit un écart de 10,4 Md€.

Alors que de 2011 à 2019, les Ondam avaient systématiquement été respectés, ils ne l'ont plus été depuis, du fait de la crise sanitaire et des mesures prises pour compenser l'inflation.

Comme le souligne la Cour des comptes dans son récent Ralfss, « le respect de l'Ondam 2023 et des années suivantes implique la mise en place de mesures plus ambitieuses de maîtrise médicalisée par les caisses d'assurance maladie ».

b) Ne pas reconduire la disposition selon laquelle la procédure d'alerte ne se déclenche que si le dépassement provient des dépenses hors crise sanitaire

Le code de la sécurité sociale65(*) prévoit qu'un comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie produit trois fois par an des avis sur la trajectoire de l'Ondam. En cas de « risque sérieux » de dépassement de cette dernière, il en notifie le Parlement, le Gouvernement et les caisses, lesquelles doivent alors proposer des mesures de redressement. Le « seuil d'alerte » est fixé depuis 2014 à 0,5 %66(*).

Depuis l'année 2020, le mécanisme d'alerte est partiellement « suspendu », les LFSS prévoyant67(*) que, dans le cas où le risque sérieux est imputable à l'évolution des dépenses liées à la crise sanitaire, la procédure de notification n'est pas appliquée.

La recommandation 5 du Ralfss 2023 est de « rétablir le seuil d'alerte en cas de risque de dépassement de l'Ondam de 0,5 % sans distinction entre dépenses covid et hors covid ».

La commission ne peut qu'approuver cette recommandation, alors que la covid-19 fait désormais partie du paysage épidémiologique.

Par ailleurs, la dérogation actuelle incite de fait le Gouvernement à majorer ses estimations de l'impact de la crise sanitaire afin de s'affranchir de la règle.

c) L'absence de PLFRSS, malgré des mesures coûtant 3 Md€ en 2022

Les mesures prises en conséquence de l'inflation (augmentation du point d'indice de la fonction publique, couverture de l'augmentation des charges non salariales liées à l'inflation) et la « mission Braun » sur les urgences représentent un coût total de 3 Md€ en 202268(*).

Certes, le déficit de la sécurité sociale ayant finalement été inférieur de 1,8 Md€ aux prévisions de la LFSS 2022, l'équilibre financier de la sécurité sociale n'était pas remis en cause, de sorte que le Gouvernement n'avait pas l'obligation de remettre un rapport69(*).

Toutefois des mesures équivalentes auraient été inscrites dans un collectif budgétaire si elles s'étaient trouvées dans le champ de l'État. Dès lors que ces dépenses supplémentaires ne consistaient pas en de simples dépassements de crédits évaluatifs, mais bien en des mesures nouvelles, il aurait été de bonne pratique de les inscrire dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).

B. LA MISE EN oeUVRE DES DISPOSITIONS DE LA LFSS 2022

Comme le souligne le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe dans son rapport70(*) sur la future la loi organique du 14 mars 2022, « la Lacss a vocation à devenir le vecteur législatif privilégié du contrôle parlementaire sur l'exécution de la LFSS, sur le modèle des « lois de règlement » du budget de l'État. [...] Il reviendra aux deux assemblées, et singulièrement à leurs commissions des affaires sociales, de mener les auditions, questionnaires et enquêtes qui leur permettront de former un jugement sur la gestion de l'exercice écoulé, toutes actions qui ne peuvent être conduites à l'automne lorsque l'attention du Parlement se porte avant tout sur les mesures nouvelles proposées pour l'année à venir ».

Les développements ci-après font le point sur l'application de diverses dispositions de la LFSS 2022.

1. La clause de sauvegarde des médicaments : une mesure dévoyée
a) Un dispositif conçu comme un mécanisme de régulation en dernier ressort

Introduite par la LFSS 199971(*), la clause de sauvegarde des médicaments constitue historiquement un mécanisme de régulation de dernier ressort, destiné à inciter les entreprises du secteur à maintenir le volume de leur chiffre d'affaires (CA) en-deçà d'un seuil permettant le respect de l'Ondam voté.

Fréquemment modifiée ces dernières années, elle repose depuis la LFSS 201972(*) sur la définition d'un seuil de dépenses de médicaments, appelé « montant M », visant les ventes en ville comme à l'hôpital de l'ensemble des entreprises du secteur. Lorsque le CA des entreprises, minoré des remises qu'elles ont consenties à l'Assurance maladie, excède le montant M fixé en LFSS chaque année, un barème progressif est appliqué à la part en excès : 50 % entre M et 1,005 fois le montant M, 60 % entre 1,005 et 1,01 fois le montant M, 70 % au-delà73(*).

Jusqu'en 202274(*), la contribution était ensuite répartie entre les entreprises redevables au prorata de leur seul CA, sans pouvoir excéder toutefois 10 % du CA de chacune d'entre elles au titre du médicament75(*) en France.

b) Un dispositif qui s'est de fait transformé en une taxation imprévisible et de plus en plus lourde
(1) Un véritable dispositif fiscal

Le dépassement récurrent des seuils de dépenses fixés en LFSS a toutefois, depuis 2015, progressivement fait de la clause de sauvegarde un véritable dispositif fiscal, contribuant chaque année à la régulation des dépenses de médicaments de l'Assurance maladie. À l'exception de l'année 2020, le dispositif a, en effet, systématiquement été déclenché ces huit dernières années.

Depuis 2022, le Gouvernement tient d'ailleurs compte de cette évolution en anticipant, désormais, un déclenchement de la clause de sauvegarde et en estimant, en conséquence, un rendement attendu dans les annexes jointes aux PLFSS déposés76(*).

(2) Une forte augmentation

Surtout, soutenu par un fort dynamisme des dépenses de médicaments, le produit de la clause de sauvegarde a très fortement crû ces dernières années. Alors qu'il demeurait, depuis 2015, inférieur à 250 millions d'euros (M€), il s'établit à 680 M€ pour 2021 et s'établirait à 1,09 Md€ pour 202277(*).

Produit de la clause de sauvegarde des médicaments

(en millions d'euros)

Sources : Rapports annuels du CEPS, réponses de la DSS au questionnaire de la rapporteure générale

La place prise par la clause de sauvegarde dans la régulation des dépenses de médicaments renforce les interrogations suscitées de longue date par le dispositif.

D'une part, les industriels mettent en avant la déconnexion croissante entre le montant M, défini chaque année en PLFSS, et l'évolution tendancielle des dépenses de médicaments. À cet égard, alors qu'une grappe d'innovations récentes, le vieillissement de la population et l'augmentation des maladies chroniques constituent autant de facteurs inflationnistes, il est utile de noter que la part de l'Ondam consacrée aux dépenses de médicaments a eu tendance à décroître ces dernières années.

D'autre part, la clause de sauvegarde constitue un mécanisme de régulation des dépenses relativement imprévisible et indiscriminé. Le montant dû à ce titre n'est définitivement connu des entreprises qu'à la fin de l'année suivante78(*). Par ailleurs, la clause de sauvegarde frappe les médicaments indépendamment de leur criticité thérapeutique ou industrielle.

(3) Une information du Parlement insuffisante

Enfin, l'information du Parlement apparaît largement insuffisante.

· D'une part, le rendement du dispositif ces dernières années se révèle très éloigné des prévisions qui figuraient dans les études d'impact établies par le Gouvernement. Il apparaît ainsi :

- que pour 2021, le produit de la clause de sauvegarde s'établit à 680 M€, alors que le Gouvernement n'anticipait pas en étude d'impact le déclenchement du dispositif79(*) ;

- que pour 2022, le produit s'établirait à 1,09 Md€, contre 125 M€ prévus par le Gouvernement en étude d'impact80(*).

Ces écarts significatifs conduisent à s'interroger sur la capacité du Gouvernement à anticiper les effets du dispositif et en informer le Parlement lorsqu'il lui propose de fixer, pour l'année suivante, le niveau du montant M.

· D'autre part, les informations fournies au Parlement dans la période budgétaire apparaissent lacunaires.

Alors que le Sénat avait adopté, l'année dernière, un amendement au PLFSS 2023 visant à avancer la date de publication du rapport d'activité du Comité économique des produits de santé (CEPS) au 15 septembre81(*), soutenu par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale82(*), le Gouvernement a choisi de ne pas le retenir dans le texte sur lequel il a in fine engagé sa responsabilité83(*).

La commission observe, à cet égard, que le niveau d'information du Parlement a même eu tendance à régresser ces dernières années. Alors que l'annexe au PLFSS relative à l'Ondam et aux dépenses de santé distinguait habituellement les objectifs de baisses de prix des médicaments et des dispositifs médicaux84(*), l'annexe au PLFSS 2023 cumule les deux montants et n'offre plus au Parlement le même niveau de précision85(*).

La DSS, interrogée sur l'exécution 2022 par la rapporteure générale dans le cadre de l'examen du présent Placss, indique : « Le montant de 125 M€ correspondait uniquement au rendement prévisionnel découlant de l'arbitrage rendu par le Gouvernement et consistant à réduire le quantum d'économies à atteindre cette année-là par l'intermédiaire du plan de baisse de prix négocié par le CEPS (825 M€ au lieu de 950 M€) au profit de l'intégration dès la construction de l'Ondam d'un déclenchement prévisionnel de la clause de sauvegarde ». Le surplus serait dû au dynamisme des dépenses de médicaments ces dernières années et à l'insuffisance des mesures de régulation micro-économiques pour le maîtriser.

La rapporteure générale estime toutefois que le Parlement devrait être en mesure de se prononcer sur le montant M en disposant d'hypothèses réalistes tant sur l'augmentation tendancielle des dépenses de médicaments que sur le rendement réellement attendu d'un dispositif dépassant désormais le milliard d'euros.

· En ce qui concerne l'exécution, la commission regrette que, bien que le produit de la clause de sauvegarde pour 2022 se révèle, en exécution, près de neuf fois plus élevé que la prévision mentionnée dans l'étude d'impact, les annexes au présent Placss ne consacrent aucun développement à la justification de cet écart.

· En conséquence, et compte tenu de l'importance croissante prise par la clause de sauvegarde, la commission des affaires sociales appelle le Gouvernement à fiabiliser et étayer davantage ses prévisions dès le prochain PLFSS.

Elle souhaite également que la mission interministérielle récemment constituée par la Première ministre sur la régulation des dépenses de produits de santé86(*) soit l'occasion de s'interroger sur la pertinence et l'ampleur du dispositif.

2. La garantie de financement des hôpitaux : une mesure nécessaire, des modalités de sortie à préciser
a) Un dispositif mis en place en urgence en mars 2020

Dans le contexte de l'épidémie de covid-19 et pour prévenir une perturbation majeure des ressources des établissements de santé, le Gouvernement avait prévu à partir de 2020 une « garantie de financement ».

Sur la base de l'habilitation donnée par le Parlement en mars 202087(*) l'autorisant à prendre « toute mesure dérogeant aux règles de financement de ces établissements », le Gouvernement a mis en oeuvre cette garantie de financement par une ordonnance complétée de mesures réglementaires prises par arrêté ministériel88(*). Pour 2020, cette garantie a porté sur la période allant du 1er mars au 31 décembre 2020.

Article 1er de l'ordonnance du 25 mars 202089(*)

« Pendant une période d'au moins trois mois et qui ne peut excéder un an, se terminant au plus tard en 2021, les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique bénéficient, par dérogation aux articles L. 162-22-1, L. 162-22-6 et L. 162-23-1 du code de la sécurité sociale, d'une garantie de financement pour faire face à l'épidémie de covid-19. Le niveau mensuel de cette garantie est déterminé en tenant compte du volume d'activité et des recettes perçues antérieurement par l'établissement, notamment au titre de ses activités.

Pendant la période concernée, lorsque les recettes issues de leur activité sont inférieures au montant du niveau de cette garantie pour une période d'un mois, les établissements bénéficient du versement d'un complément de recettes leur permettant d'atteindre ce niveau.

Les dispositions de droit commun relatives à la tarification des établissements de santé s'appliquent sous réserve, le cas échéant, de l'adaptation des modalités de leur versement et des dispositions du premier alinéa.

Les modalités de détermination du niveau de la garantie, des dates et de sa durée de mise en oeuvre ainsi que les modalités de son versement et de la répartition entre les régimes des sommes versées aux établissements de santé par les régimes obligatoires d'assurance maladie sont fixées par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. »

Cette garantie permettait d'assurer aux établissements un niveau de ressources correspondant à leur activité pré-crise et ne pas pénaliser les établissements qui, du fait de déprogrammations nombreuses en raison de la crise épidémique, n'auraient pu avoir de recettes viables assises sur leur activité.

La garantie de financement concernait initialement :

- l'activité MCO90(*) (y compris HAD91(*)) des établissements de santé (ex-DG92(*), HProx93(*) hors ACE94(*), ex-OQN95(*)) ;

- l'activité de psychiatrie facturée directement à l'assurance maladie par les établissements OQN ;

- l'activité de SSR96(*) facturée directement à l'assurance maladie par les établissements OQN ;

- la dotation modulée à l'activité pour les SSR.

L'ordonnance97(*) du 9 décembre 2020 a supprimé la durée limite d'un an prévue dans l'ordonnance du 25 mars 2020. Cependant, l'extinction de la garantie au plus tard en 2021 demeurait bien inscrite. Le Gouvernement a ainsi reconduit la garantie de financement pour 2021, sur la base de l'ordonnance modifiée. Deux arrêtés ont été pris sur ce fondement, en avril98(*) et août 202199(*).

b) Une reconduction fragile pour 2022 et de sérieuses interrogations pour l'année 2023

· Une première reconduction pour le premier semestre 2022 par une loi d'urgence

Alors que le projet de loi de financement pour 2022 ne prévoyait pas de reconduite de la garantie de financement, le Gouvernement, dans le contexte de la reprise épidémique très forte à la fin de l'année 2021 et au début de l'année 2022, du fait de la reprise de la vague liée au variant Delta et à l'arrivée du variant Omicron, a souhaité prolonger la garantie de financement.

Un mois après l'adoption de la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2022, à l'initiative du Gouvernement, la loi du 22 janvier 2022100(*), dont l'objet principal était la mise en place du « passe vaccinal » au regard de la pression épidémique, a ainsi prévu à son article 8 une reconduction de la garantie de financement, une limite étant fixée au 30 juin 2022. Un arrêté est venu en mai 2022 préciser cette disposition101(*).

· Une seconde reconduction pour le second semestre 2022 par arrêté ministériel sans base légale

Dans le contexte de la « crise des urgences » à l'été 2021, le nouveau ministre de la santé et de la prévention a pris par arrêté ministériel différentes mesures dérogeant aux dispositions de droit commun prévues au code de la santé publique ou au code de la sécurité sociale, sur le fondement fragile de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Il a en outre, par arrêté ministériel et sans base légale claire, prolongé la garantie de financement pour le second semestre 2022102(*).

· Une sécurisation apportée par le Sénat en LFSS 2023

Considérant une base légale trop fragile pour une dérogation importante et prolongée aux règles de financement, le Sénat a, à l'initiative de la commission, par un amendement de sa rapporteure pour l'assurance maladie, Corinne Imbert, sécurisé juridiquement le dispositif pour l'année 2022 en prévoyant une prolongation expresse103(*). Malgré un avis défavorable à cette initiative, le Gouvernement l'a prolongée avec un nouveau dispositif de sécurisation des ressources, modulé à l'activité, pour l'année 2023.

c) Une mobilisation du dispositif à une hauteur inédite en 2022

Pour appliquer la garantie en 2022, l'assiette définitive de 2021 a été majorée d'un effet prix ; les activités de psychiatrie ont été retirées du périmètre du fait de l'entrée en vigueur de la réforme de leur financement.

Comme le constate la Cour des comptes104(*), alors que l'activité hospitalière reste inférieure de 4 % au niveau de 2019, le coût de la garantie de financement pour 2022 est inédit, à près de 2,7 Md€. Il dépasserait largement celui de 2021, estimé à 1,9 Md€, et serait encore supérieur à l'année 2020, pour laquelle la garantie représentait 2,5 Md€.

Alors que l'activité a été nettement heurtée en 2020 et 2021 par la crise sanitaire, l'année 2022 montre un profil différent. En effet, si la vague épidémique du premier trimestre a eu un impact sensible, le recul de l'activité sur l'année est pour une part importante le reflet des difficultés que rencontrent les établissements en matière de ressources humaines. Ainsi, au choc d'activité lié aux déprogrammations « covid » a laissé la place à un choc lié à des déprogrammations de fait, avec des services à la capacité réduite voire fermés faute de personnels, notamment infirmiers.

Bilan provisoire de la garantie de financement pour 2022

Champ d'activité

Secteur

Nombre d'établissements

 

Nombre total

Nombre à la valorisation

Nombre bénéficiant de la garantie

Montant complémentaire versé au titre de la garantie

(en millions d'euros)

MCO

Ex-DG

530

141

389

2 115

Ex-OQN

585

272

313

338

Total

1115

413

702

2 453

HAD

Ex-DG

138

82

56

34

Ex-OQN

137

97

40

19

Total

275

179

96

54

SSR

OQN

511

189

322

179

Total

511

189

322

179

Total

1901

781

1120

2 686

DG : Dotation globale ; HAD : hospitalisation à domicile ; MCO : médecine, chirurgie, obstétrique ; OQN : objectif quantifié national ; SSR : soins de suite et de réadaptation.

Source : Atih pour le secteur Ex-DG et Cnam pour le secteur Ex-OQN

Note : Périmètre des données communiquées par la DSS : pour le secteur EX-DG : valorisation de l'activité hors Hôpitaux de proximité et hors FIDES ; pour le secteur ex-OQN et OQN : prestations facturées au 31 mai 2023.

· Une mobilisation sur le MCO au bénéfice principalement des établissements publics

Mode de financement sur le champ MCO en 2022, par catégories d'établissements

(en nombre d'établissements)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les chiffres DSS/Atih

En analysant plus précisément le seul champ des activités de MCO, on constate que près des deux tiers des établissements ont bénéficié de la garantie de financement en 2022. Comme le montre le graphique ci-avant, les établissements du service public hospitalier (« ex-DG ») ont davantage recouru à la garantie de financement que les établissements privés.

Au-delà du nombre de structures, la garantie de financement dans le champ MCO a essentiellement été versée aux établissements du service public hospitalier, qui ont été bénéficiaires de plus de 2,1 Md€. Ainsi, si ceux-ci représentent 55 % des établissements bénéficiaires, ils captent 86 % du montant.

· Des lacunes persistantes dans la mise en oeuvre de ce mode de financement

Si la garantie de financement a permis de sécuriser les ressources des établissements dans un contexte d'activité hospitalière très en-deçà du niveau de l'année 2019, ses modalités portent des effets désincitatifs à court terme pour les projets des établissements.

Ainsi, la garantie ne prend pas en compte les changements de périmètres d'activités intervenus depuis 2019 : de nouvelles activités assurées par des établissements ne sont ainsi valorisées ni à leur activité réelle ni dans un périmètre élargi de garantie.

3. L'intermédiation des pensions alimentaires : être vigilant sur la mise en oeuvre
a) Les dispositions législatives et les attentes suscitées

• L'article 100 de la LFSS 2022 a rendu systématique l'intermédiation financière des pensions alimentaires par l'organisme débiteur des prestations familiales (ODPF)105(*) dès l'émission d'un titre exécutoire fixant une créance alimentaire (voir encadré ci-après). Ce dispositif est entré en vigueur dès le 1er mars 2022 pour les décisions judiciaires de divorce fixant une pension alimentaire et est devenu applicable à l'ensemble des situations à compter du 1er janvier 2023. Dans certaines conditions, cette intermédiation n'est toutefois pas mise en place :

- en cas de refus conjoint des deux parents mentionné dans le titre exécutoire ;

- à titre exceptionnel, lorsque le juge estime, même d'office, que l'intermédiation est incompatible avec la situation de l'un des parents ou avec les modalités d'exécution de la pension alimentaire.

Cette intermédiation prend fin sur demande de l'un des parents sous réserve de l'accord de l'autre. Elle ne peut toutefois être levée si le parent débiteur fait l'objet d'une plainte ou d'une condamnation pour des faits de menaces ou de violences volontaires sur le parent créancier ou l'enfant.

La contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant

L'article 371-2 du code civil dispose que « chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant ». En cas de séparation des parents, une contribution à l'entretien et à l'éducation doit être versée par le parent n'ayant pas la garde de l'enfant au second parent.

L'article 373-2-2 du même code définit les titres exécutoires pouvant fixer les modalités de cette contribution, laquelle prend la forme d'une pension alimentaire. Ces titres exécutoires sont :

1° une décision judiciaire ;

2° une convention établie par les deux parents et homologuée par le juge ;

3° une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel contresignée par leurs avocats et déposées au rang des minutes d'un notaire ;

4° un acte reçu en la forme authentique par un notaire ;

5° une convention à laquelle l'organisme débiteur des prestations familiales a donné force exécutoire ;

6° une convention ou transaction contresignée par les avocats de chaque partie et revêtue de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente.

La LFSS 2022 est l'aboutissement d'un chantier de longue haleine débuté en 2014 (voir encadré ci-après) et visant à protéger les parents créanciers des impayés de pensions alimentaires. Le rapport des inspections de 2016106(*), préfigurant l'Agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires (Aripa), estimait que les impayés de pensions alimentaires concernaient 315 000 personnes, en grande majorité des mères. Le taux d'impayés des pensions alimentaires se situerait entre 20 % et 40 %.

Le service public de l'intermédiation financière des pensions alimentaires (Ifpa)

• La LFSS 2016 a renforcé la garantie des impayés des pensions alimentaires (Gipa), dont la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes avait permis l'expérimentation dans 18 départements, et l'a rendue applicable à l'ensemble du territoire. Pour ce faire, la loi a prévu le dispositif de l'allocation de soutien familial (ASF) différentielle et l'allongement de la période au titre de laquelle un ODPF peut récupérer les pensions alimentaires impayées pour le compte du parent créancier.

• La LFSS 2017 a renforcé le dispositif de la Gipa, laquelle a été confiée à l'agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires (Aripa), cellule interne de la Cnaf. Les ODPF peuvent désormais :

- aider au recouvrement des créances sans condition d'échec préalable des voies privées d'exécution ;

- conférer une force exécutoire à une convention établie entre les deux parents par laquelle ils fixent le montant de la pension alimentaire.

• La LFSS 2020 a mis en place le service public d'intermédiation financière des pensions alimentaires (Ifpa). Le parent débiteur est déchargé de l'obligation de versement de la pension au parent créancier tandis que l'ODPF reçoit mandat de recouvrer la pension pour le compte de ce parent. L'intermédiation était alors mise en oeuvre lorsqu'elle était positivement prévue par un acte exécutoire qu'il s'agisse soit d'une décision du juge à la demande d'au moins un parent ou même d'office lorsque que le parent créancier est victime de violences ou de menaces de la part du parent débiteur soit par accord des deux parents entériné par une convention ayant force exécutoire107(*).

• La LFSS 2022 a prévu la généralisation de l'intermédiation des pensions alimentaires. Le versement direct du parent débiteur au parent créancier est devenu la dérogation depuis le 1er janvier 2023. La LFSS a également durci les sanctions pénales à l'encontre du parent débiteur qui se soustrait à ses obligations.

• L'étude d'impact de la LFSS 2022 arguait que l'objectif de 230 000 familles bénéficiant de l'intermédiation en 2022, initialement prévu lors de la mise en place du service d'intermédiation, ne serait pas atteint et que, dès lors, il était nécessaire de généraliser le dispositif. Mi-juillet 2021, l'Aripa n'avait reçu que 37 168 demandes d'intermédiation dont seulement 473 transmises par des juridictions et aucune par des avocats ou des notaires, révélant que les professionnels du droit ne s'étaient pas attribué le dispositif108(*)

L'étude d'impact prévoyait une incidence budgétaire de seulement 2 M€ en 2022, qui devait s'accroître pour atteindre 59 M€ en 2025 à mesure de la montée en puissance du dispositif. Cette hausse des dépenses résulterait de la hausse des dépenses d'allocation de soutien familial (ASF) ainsi que l'encadré infra l'expose.

L'allocation de soutien familial (ASF)

Allocation en faveur des enfants privés du soutien d'un parent, l'ASF est versée au parent isolé, dans les conditions prévues à l'article L. 523-1 du code de la sécurité sociale :

- pour l'enfant orphelin d'au moins l'un de ses parents ;

- pour l'enfant dont la filiation n'est pas légalement établie à l'égard d'au moins l'un de ses parents ;

- pour l'enfant dont au moins un des parents se soustrait à son obligation de verser la pension alimentaire ou est reconnu comme étant hors d'état de verser cette créance.

Dans le cas où le parent se soustrait, même partiellement, à ses obligations, l'ASF est versée à titre d'avance au parent créancier, à charge pour l'ODPF de recouvrer la pension alimentaire auprès du parent débiteur (ASF recouvrable). En outre, la LFSS 2016 a ouvert le droit à une ASF différentielle en permettant le versement d'un montant qui complète la pension alimentaire lorsque celle-ci, bien qu'effectivement versée, s'élève à un montant inférieur à celui de l'ASF. Au 1er avril 2023, le montant de l'ASF est de 187,24 € par mois et par enfant. Ce montant a été revalorisé de 50 % au 1er novembre 2022109(*).

La systématisation de l'intermédiation des pensions alimentaires depuis le 1er janvier 2023 doit permettre aux ODPF d'avoir connaissance de chaque impayé ou de chaque pension familiale inférieure au montant de l'ASF de telle sorte que les dépenses liées l'ASF recouvrable et à l'ASF différentielle doivent être amenées à augmenter.

b) Les premiers résultats quantitatifs

La bonne mise en oeuvre de l'intermédiation des pensions alimentaires peut être analysée à l'aune de plusieurs indicateurs.

• En premier lieu, le nombre de dossiers traités par l'Aripa rend logiquement compte d'une forte augmentation induite par la généralisation du dispositif selon les chiffres communiqués à la rapporteure générale par la DSS. Au 30 juillet 2022, 83 607 pensions avaient fait l'objet d'une intermédiation ou d'un versement d'ASF, soit une hausse de 210 % en comparaison avec juillet 2021. Fin avril 2023, 133 869 pensions alimentaires ont été avancées ou intermédiées.

• En second lieu, la réforme avait comme objectif majeur d'augmenter le taux de recouvrement des pensions alimentaires impayées, l'Aripa étant investie de pouvoirs renforcés en la matière. Les données du Repss « Famille » font état d'une hausse du taux de recouvrement des impayés de 62,5 % en 2017 à 73 % en 2021, dernière année pour laquelle le Repss livre des données. Selon la DSS, le taux de recouvrement en février 2023 est de 68,5 % hors intermédiation et 71,5 % dans l'intermédiation. Le taux de recouvrement par l'Aripa paraît donc fléchir sans qu'il ne soit encore possible, à ce stade, de tirer toutes les conséquences de la généralisation de l'intermédiation sur le taux de recouvrement des impayés. Entendu par la commission, le 27 octobre 2021, Vincent Mazauric, alors directeur général de la Cnaf, mettait en exergue que l'Aripa ne s'attendait pas à « voir arriver près de 80 % de dossiers [d'intermédiation financière] déjà grevés d'impayés. Ceci n'a pas déclenché les processus les plus simples et les plus légers car, avant de mettre en place une intermédiation, il convient d'abord de purger les impayés ». Le directeur général se félicitait toutefois de l'heureux appui que constituait « le réseau solide de vingt-quatre Caf spécialisées dans le recouvrement des impayés ».

• Enfin, comme attendu, le nombre de bénéficiaires de l'ASF différentielle croît avec dynamisme depuis 2021, pour atteindre 104 765 en mars 2023. La revalorisation du montant de l'ASF, au 1er novembre 2022, a provoqué une hausse sensible des bénéficiaires de l'ASF différentielle entre octobre et novembre 2022 dès lors que des parents isolés, dont la pension n'ouvrait pas droit à l'allocation, en sont devenus éligibles.

Évolution du nombre de bénéficiaires de l'ASF différentielle

Source : Commission des affaires sociales, d'après les données de la DSS

c) Les points de vigilance pour la poursuite de la réforme

Globalement, les indicateurs quantitatifs laissent à penser que la réforme produit des résultats tels qu'ils étaient attendus. Plusieurs points toutefois seront déterminants pour que la réforme parvienne réellement à concrétiser ses ambitions.

• Selon une étude récente menée par la Cnaf et citée par la DSS à la rapporteure générale, seuls 28 % des parents séparés ont connaissance de l'intermédiation financière et 25 % des parents séparés ne sont pas intéressés par l'intermédiation des pensions alimentaires et lui préfèrent un arrangement avec leur ancien conjoint. La bonne information des parents éligibles, par les Caf ou par les professionnels de la justice, quant à l'intérêt du dispositif, s'avère donc cruciale.

• L'engagement des professionnels du droit dans l'intermédiation des pensions alimentaires reste une condition importante de la réussite de la réforme. Ces derniers, et en particulier les avocats, tenus dorénavant de transmettre systématiquement à l'Aripa les dossiers de divorce par consentement mutuel comportant une pension alimentaire, ont fait l'objet d'un effort de sensibilisation du Gouvernement. Selon la DSS, « la mobilisation des avocats reste un point de vigilance important pour garantir le succès de l'intermédiation ».

• La mise en oeuvre satisfaisante de la réforme est, enfin, conditionnée à la capacité du réseau de l'Aripa d'absorber l'afflux de dossiers que représente la systématisation de l'intermédiation. Lors de l'examen du PLFSS 2022, Olivier Henno, rapporteur de la branche famille, soulignait l'ambition élevée du Gouvernement en notant que, si le directeur général de la Cnaf considérait le calendrier prévu comme réaliste, « la réforme exiger[ait] toutefois de réels efforts de gestion de la part de l'Aripa ». En effet, entendue par la commission un an plus tard, le 12 octobre 2022, Isabelle Sancerni, présidente de la Cnaf, indiquait que « l'extension, au 1er janvier 2023, de l'intermédiation en matière de pensions alimentaires exige également de nouveaux effectifs, dont nous ne disposons pas ». La direction de la sécurité sociale fait valoir à la rapporteure générale que la Cnaf « s'est vu notifier au total 208 équivalent temps plein moyen annuel (ETPMA) avant même l'adoption de la COG (2023-2027) pour faire face à ses besoins. Le dimensionnement des effectifs de la nouvelle COG en cours de négociation tiendra bien évidemment compte de ces besoins ».

Outre les moyens humains accordés à l'Aripa, la réforme demande une adaptation des systèmes d'information que Vincent Mazauric présentait à la commission, le mercredi 27 octobre 2021, comme accomplie grâce à un nouvel instrument de gestion de ce dispositif qui permettait donc aux Caf d'être « prêtes à recevoir, à partir de 2022, un flux plus important de demandes ». Pourtant, la Cour des comptes, dans son rapport sur la certification des comptes 2022 de la sécurité sociale, pointe « les limites fonctionnelles du système d'information en vigueur (...) malgré la mise en place d'une application de gestion (Gaia), du portail s'adressant aux usagers et du portail s'adressant aux greffes et avocats »110(*) ce qui explique, en partie, que l'Aripa soit exposée à des risques significatifs d'erreurs internes.

La DSS note la grande complexité de certains dossiers d'intermédiation qui rend difficile leur automatisation dans les systèmes d'information, notamment en raison du travail d'analyse nécessaire. En outre, le système existant et vieillissant de recouvrement de la branche est peu adapté à l'aspect singulier de la récupération des impayés de pensions alimentaires en comparaison aux modalités traditionnelles de recouvrement menées par les Caf. La DSS indique cependant que « ces éléments sont pris en compte par la Cnaf qui continue les modifications sur ses systèmes d'information afin d'outiller efficacement les agents chargés du traitement Aripa et d'automatiser au maximum les traitements. Ainsi, l'ensemble de ces aspects sont intégrés dans les travaux de la nouvelle COG en cours de négociation ».

4. Mettre effectivement en oeuvre la réforme des services autonomie à domicile

Dans une logique de simplification et de « guichet unique » pour l'usager, l'article 44 de la LFSS 2022 a prévu une réforme de l'organisation des services d'aide et de soins à domicile. Celle-ci doit conduire, dans les deux années suivant la publication du décret fixant le cahier des charges de ces services (au plus tard le 30 juin 2023)111(*), à l'unification des différents types de services existants - services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad), services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) - dans une même catégorie de « services autonomie à domicile » (SAD), intégrant les activités de soins, d'aide et d'accompagnement112(*).

Dans cette perspective, une réforme de la tarification de ces services a été engagée afin de consolider leur financement.

Les nouvelles modalités de financement des services autonomie à domicile

Au titre des activités d'aide et d'accompagnement, les tarifs horaires arrêtés par le président du conseil départemental ne peuvent être inférieurs à un montant fixé annuellement par arrêté ministériel. Ce tarif plancher national, applicable depuis le 1er janvier 2022, a été fixé à 22 euros pour 2022113(*) puis à 23 euros pour 2023114(*). Opposable aux départements, il est applicable à tous les services d'aide à domicile, qu'ils soient ou non habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale.

À compter du 1er septembre 2022, a également été créée une dotation complémentaire destinée à financer des actions améliorant la qualité du service rendu à l'usager que des services autonomie, retenus à la suite d'un appel à candidatures, se sont engagés à mettre en oeuvre dans le cadre d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM).

Le coût supplémentaire induit par ces mesures est intégralement compensé aux départements par la branche autonomie avec la création de nouveaux concours financier de la CNSA. À noter que l'article 3 du décret du 28 avril 2022115(*) fixe les modalités de la compensation de l'instauration du tarif plancher national pour l'année 2022 uniquement ; les modalités de compensation pour les années suivantes devront faire l'objet d'un nouveau décret.

Au titre des activités de soins, il a été prévu le versement par l'ARS d'une dotation destinée au financement de la coordination du fonctionnement intégré de la structure. Cette dotation est versée depuis le 1er janvier 2022 aux Spasad. Elle est financée via l'objectif global de dépenses en faveur des établissements et services médico-sociaux (OGD).

Selon les informations fournies par la DSS, l'instauration du tarif plancher a permis de revaloriser 63 % des heures financées par l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) et 65 % des heures financées par la prestation de compensation du handicap (PCH) (contre une estimation initiale de 50 %). 98 collectivités sur 103 ont bénéficié d'une compensation de la CNSA pour la mise en place du tarif plancher en 2022, pour un montant total de 187 M€.

Cette refonte du financement des services d'aide à domicile est le principal facteur de la nette hausse, entre 2021 et 2022, des transferts de la CNSA aux départements (+ 21,6 %)116(*).

À la date de l'examen du présent rapport par la commission, le 28 juin 2023, le cahier des charges n'a toujours pas été publié, alors que la date limite est fixée par la LFSS 2022 au 30 juin 2023. Il convient de le publier rapidement.

Comme l'avait relevé la commission lors de l'examen du PLFSS 2022, l'instauration d'un tarif plancher a un effet à la hausse sur le reste à charge des usagers, même si celui-ci est partiellement pris en charge par l'État par le biais du crédit d'impôt. Il faudra s'assurer que la réforme ne restreint pas l'accès aux prestations.

La commission suivra avec attention la phase de transition vers le nouveau système.

IV. RENFORCER LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE SOCIALE

A. UNE ESTIMATION DÉSORMAIS RAISONNABLEMENT PRÉCISE DES SOMMES EN JEU

1. La fraude aux cotisations : un montant de plus de 8 Md€

Dans son rapport de 2019 au Premier ministre sur la fraude aux prélèvements obligatoires117(*), la Cour des comptes synthétise les principales estimations de la fraude aux prélèvements obligatoires :

- selon un chiffrage de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss)118(*) publié dans un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de 2007119(*), exploitant le résultat des contrôles réalisés par les Urssaf, « redressés » pour éliminer le biais de sélection, la fraude aurait été comprise en 2004 entre 8 Md€ et 14,2 Md€ ;

- selon le Ralfss 2014, s'appuyant sur un chiffrage analogue de l'Acoss, la fraude aurait été comprise en 2012 entre 20 Md€ et 25 Md€ ;

- selon une estimation publiée par l'Acoss en 2016, reposant sur des contrôles aléatoires mis en oeuvre à la seule fin d'estimer la fraude, celle-ci aurait été comprise entre 6 Md€ et 7,5 Md€ en 2012, représentant 2 à 2,5 % des prélèvements. Selon le rapport de 2019 précité de la Cour des comptes au Premier ministre, cela aurait correspondu à un montant compris entre 7 Md€ et 8,5 Md€ en 2018.

Dans son rapport précité au Premier ministre, la Cour des comptes estime que la fraude aux cotisations est nécessairement d'un « montant supérieur au chiffre de 8,5 Md€ de l'Acoss ».

Le Haut conseil au financement de la protection sociale (HCFiPS) évaluait quant à lui en février 2023 à 8 Md€ les prélèvements sociaux éludés au titre du travail informel. Lors d'une conférence de presse du 8 juin 2023, le directeur général de l'Urssaf Caisse nationale a confirmé cette estimation de 8 Md€ et a indiqué que l'Urssaf avait redressé 788 M€ en 2022, sur lesquels seulement 77 M€ avaient été effectivement recouvrés.

2. La fraude aux prestations : un montant compris entre 6 Md€ et 8 Md€ selon la Cour des comptes
a) La « fausse piste » de montants massifs provenant de numéros de sécurité sociale obtenus de manière frauduleuse et de cartes Vitale surnuméraires

En 2018, l'ancien magistrat Charles Prats, qui avait participé aux travaux de la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), a publié une tribune dans la presse selon laquelle 14 Md€ de prestations sociales auraient été versés chaque année de manière indue à des personnes nées à l'étranger et disposant d'un numéro de sécurité sociale obtenu de manière frauduleuse.

En juin 2019, le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat, a montré dans un rapport d'information120(*) que le montant de cette fraude, dite « documentaire », pour les personnes nées hors de France, était plus vraisemblablement compris « entre 200 et 800 millions d'euros », soulignant toutefois qu'il ne s'agissait pas de chiffres définitifs. Dans un communiqué de presse du 16 septembre 2019, s'appuyant sur l'examen d'un échantillon représentatif de 2 000 dossiers, réalisé à sa demande par les administrations concernées121(*), il a évalué cette fraude entre 117 M€ et 138,6 M€.

En ce qui concerne le parc de cartes Vitale « surnuméraires », la direction de la sécurité sociale indique qu'entre 2019 et 2022, leur nombre est passé de 600 000 à environ 3 000, et qu'il s'agissait essentiellement de cartes perdues, remplacées sans que les anciennes n'aient été désactivées.

b) Le retour à des considérations plus objectives

En octobre 2019, la sénatrice Nathalie Goulet et la députée Carole Grandjean ont remis au Premier ministre, en tant que parlementaires en mission, un rapport122(*) sur la fraude aux prestations sociales. Ce rapport jugeait le montant de la fraude « difficile à estimer ».

En septembre 2020, le rapport123(*) de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la fraude aux prestations soulignait le décalage entre la fraude totale et la fraude détectée, et la difficulté à chiffrer la première. Elle mentionnait notamment le chiffrage réalisé par la Cnaf pour la fraude aux prestations (entre 1,9 Md€ et 2,6 Md€ en 2019).

Le même jour, la commission des affaires sociales du Sénat publiait un rapport d'information124(*) du sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe, alors rapporteur général, sur la fraude aux prestations sociales, s'appuyant sur une enquête demandée à la Cour des comptes sur la base de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières. Dans son enquête, la Cour des comptes soulignait qu'à l'exception de la Cnaf, les caisses ne procédaient pas à une estimation globale de la fraude, détectée ou non, et recommandait la généralisation de telles estimations. Le rapporteur général approuvait cette recommandation, tout en regrettant que la Cour des comptes n'ait pas jugé possible d'effectuer elle-même un tel chiffrage, même approximatif.

c) Un montant de la fraude aux prestations désormais évalué entre 6 et 8 Md€

La situation a depuis progressé. Ainsi, la Cour des comptes a pu, dans le Ralfss 2023, publier un chapitre comprenant les estimations synthétisées par la commission dans le tableau ci-après.

Synthèse des estimations de la fraude aux prestations
réalisées par les caisses figurant dans le Ralfss 2023

 

Montant estimé des fraudes et des fautes*

Montant détecté des fraudes et des fautes*

En M€

En % du montant des dépenses concernées

En M€

% détecté du montant estimé

Estimation basse

Estimation haute

Estimation basse

Estimation haute

Estimation basse

Estimation haute

Estimation basse

Estimation haute

A

Caf (2020)

2 500

3 200

3,1

4,0

300

11,0

 

Assurance maladie

               
 

C2S(2018)

177

8,7

1,4

0,8

 

Médecins généralistes (2018-2019)

185

215

3,1

3,5

3,7 (2019)

4,0 (2018)

1,7

2,2

 

Infirmiers (2018)

286

393

5,0

6,9

17,8

4,5

6,2

 

Masseurs-kinésithérapeutes (2018-2019)

166

234

5,2

6,7

7,9 (2019)

11,3 (2018)

1,8

2,8

 

Pharmaciens (2018-2019)

91

105

0,5

0,6

4,3 (2019)

4,7 (2018)

8,8

10,8

 

Transport de patients (2018-2019)

145

177

3,9

4,9

6,9 (2019)

12,3 (2018)

4,8

6,9

B1

Total

1 050

1 301

   

42,0

51,5

   

B2

Extrapolation par la Cour des comptes

3 800

4 500

           

C

Retraite (2020)

100

400

0,1

0,3

19,7

4,9

19,7

 

A+B1+C

3 650

4 901

   

362

371

   
 

A+B2+C

6 400

8 100

           

NB : ce tableau est celui figurant p. 233 du Ralfss 2023, auquel on a ajouté l'extrapolation pour l'assurance maladie figurant p. 233 et les deux dernières lignes, indiquant les totaux.

* Dans le cas de la Cnaf, les estimations concernent les seules fraudes ; dans ceux de la Cnam et de la Cnav, elles concernent les fraudes et fautes.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après Cour des comptes, rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss), mai 2023

Le Premier président de la Cour des comptes a indiqué, dans sa présentation du rapport à la presse, le 24 mai 2023, que le coût de la fraude aux prestations était « probablement de l'ordre de 6 à 8 Md€ ». Ce montant a été confirmé par Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat, le 21 juin 2023.

De fait, si on fait le total, comme dans le tableau ci-avant, on parvient à une estimation des fraudes (au sens large, y compris les fautes125(*)) comprise entre 3,7 Md€ et 4,9 Md€ si on additionne les estimations réalisées par les branches famille, maladie (qui n'a pour l'instant réalisé d'estimation que pour six domaines126(*)) et retraite ; et entre 6,4 Md€ et 8,1 Md€ si, dans le cas de la branche maladie, on extrapole, comme la Cour des comptes le fait dans le texte du Ralfss127(*), les estimations à l'ensemble des dépenses.

Le montant des fraudes effectivement détectées est beaucoup plus faible, de l'ordre de quelques centaines de millions d'euros.

3. Des fraudes provenant essentiellement du travail dissimulé, des professionnels de santé et des bénéficiaires de prestations de la Cnaf

Il ressort des estimations mentionnées ci-avant que :

- dans le cas des cotisations, la fraude (plus de 8 Md€) correspond majoritairement au travail dissimulé ;

- dans le cas de l'assurance maladie, la fraude (environ 4 Md€) est majoritairement le fait de professionnels de santé128(*) ;

- dans le cas de la branche famille, la fraude (environ 3 Md€) est principalement concentrée sur le revenu de solidarité active (RSA), la prime d'activité et les aides au logement129(*).

Une politique efficace de lutte contre la fraude doit donc se concentrer sur ces trois points.

B. LES RÉCENTES ANNONCES DU MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ DES COMPTES PUBLICS VONT DANS LE BON SENS, MAIS IL FAUDRA ÊTRE ATTENTIF À LEUR MISE EN oeUVRE

1. Des annonces récentes qui vont dans le bon sens

Le 30 mai 2023, le ministre délégué chargé des comptes publics a annoncé un plan de lutte contre la fraude sociale.

Ce plan, qui fixe des objectifs quantitatifs en matière de redressement, semble convenablement ciblé :

- dans le cas des cotisations, l'objectif est fixé à 5 Md€ sur le quinquennat, soit un doublement des résultats entre 2022 et 2027 (1,5 Md€ en 2027, contre 0,8 Md€ en 2022), notamment par un doublement du nombre d'actions de contrôles conduites auprès des entreprises d'ici 2027 et des modifications législatives pour lutter contre les sociétés dites « éphémères » et réformer la collecte des cotisations sociales des micro-entrepreneurs affiliés à des plateformes internet de mise en relation ;

- dans le cas de l'assurance maladie, un objectif de 500 M€ de préjudice financier détecté et évité est fixé pour 2024, soit un doublement par rapport à la moyenne du précédent quinquennat, notamment par un renforcement des contrôles ciblés sur les professionnels de santé présentant des niveaux de prescription hors norme, et d'ici 2025, la possibilité pour chaque Français de recevoir sur son smartphone via l'application Ameli, par un SMS ou un e-mail, une notification des frais de santé facturés en son nom ;

- dans le cas des allocations sociales, l'objectif est fixé à 3 Md€ de préjudice détecté et évité par les Caf et les caisses de retraite sur le quinquennat, notamment par l'utilisation croissante des données du dispositif de ressources mensuelles (DRM) pour le calcul des droits aux prestations sociales130(*), la lutte contre la fraude à la résidence et la vérification d'ici la fin du quinquennat de l'ensemble des dossiers de retraités de plus de 85 ans résidant dans un pays étranger sans échange d'état-civil avec la France.

Le Gouvernement a indiqué son intention de mettre en place une mission de préfiguration pour examiner la fusion entre la carte nationale d'identité et la carte Vitale, afin de renforcer la sécurisation du numéro de sécurité sociale et éviter les fraudes liées aux cartes Vitale. Toutefois, un rapport de l'Igas et de l'IGF d'avril 2023, rendu public, indique que le directeur général de la Cnam a fait part de ses « très fortes réserves » à ce sujet131(*). Il ne faudrait pas qu'une trop grande focalisation sur ce sujet médiatique amène à se détourner des principaux enjeux de lutte contre la fraude.

Les caisses de sécurité sociale pourront accéder aux données de voyage du fichier Passenger Name Record (PNR) pour contrôler la condition de résidence en France et aux données du Fichier des comptes bancaires (Ficoba) pour vérifier automatiquement l'identité bancaire des allocataires de prestations.

Pour atteindre ces objectifs, les effectifs des caisses de sécurité sociale dédiés à la lutte contre la fraude seraient renforcés de 1 000 ETP (+ 20 %) recrutés d'ici 2027, et un plan de modernisation des systèmes d'information des caisses de sécurité sociale serait mis en oeuvre, avec des investissements de 1 Md€ sur le quinquennat, afin notamment de permettre aux Caf de recouvrer jusqu'à cinq années de versements indus en cas de fraude (contre deux actuellement)132(*).

Un Conseil de l'évaluation des fraudes fiscales et sociales, présidé par le ministre des Comptes publics, et comprenant notamment des parlementaires, doit être prochainement mis en place.

Diverses dispositions sont explicitement annoncées pour le PLFSS 2024 : réforme de la collecte des cotisations sociales des micro-entrepreneurs affiliés à une plateforme internet ; obligation pour les professionnels de santé de rembourser, en cas de fraude, les cotisations sociales prises en charge pour leur compte par l'assurance maladie, comme les employeurs remboursent les exonérations sociales dont ils ont bénéficié en cas de travail illégal ; harmonisation à neuf mois par an de condition de résidence en France pour bénéficier des prestations familiales, des aides au logement et des minima sociaux.

Il convient de noter que plusieurs des mesures annoncées par le Gouvernement ont d'ores et déjà été votées. C'est le cas, notamment, de l'entrée en vigueur dès le 1er juillet 2023 de l'obligation de verser sur un compte domicilié en France ou dans la zone Sepa les prestations sociales soumises à condition de résidence en France, prévue en LFSS 2023 sur proposition de la sénatrice Nathalie Goulet, et de l'allongement de six à neuf mois par année civile de la durée de résidence en France à laquelle est conditionnée l'ouverture des droits à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), inscrit à l'initiative du président Bruno Retailleau en LFRSS 2023 et qui sera applicable à compter du 1er septembre 2023.

2. Un plan qui reste à mettre en oeuvre

Les années récentes montrent de nombreux exemples de mesures de lutte contre la fraude annoncées, et même votées, et non suivies d'effet. Dans le chapitre du Ralfss 2023 consacré à la lutte contre la fraude aux prestations, la Cour des comptes souligne la nécessité d'appliquer certaines dispositions existantes :

- la plupart des prescriptions d'un médecin en ville, en établissement médico-social ou en établissement de santé, et exécutées par des professionnels de santé en ville, doivent être effectuées par la voie dématérialisée au plus tard fin 2024, en application d'une ordonnance du 18 novembre 2020. Les textes fixant le champ exact et le calendrier d'entrée en vigueur de cette obligation n'ont pas été pris ;

- actuellement les séjours en établissement de santé ne sont pas directement facturés à l'assurance maladie : des arrêtés des agences régionales de santé notifient à l'assurance maladie les sommes à payer. Pour permettre le contrôle automatisé de ces facturations par l'assurance maladie, il est prévu de mettre en place un dispositif dit de « facturation individuelle et directe des séjours » (Fides). Toutefois ce dispositif, qui devait entrer en vigueur en 2006, n'a cessé d'être reporté, la dernière fois à 2027 par la LFSS 2022, et le décret d'application devant permettre la phase pilote n'a pas été pris ;

- la disposition de la LFSS 2021 accordant aux caisses d'assurance maladie la possibilité de déroger au délai de droit commun pour le règlement des factures en tiers payant afin de pouvoir effectuer des contrôles dans le cas de professionnels ayant été sanctionnés ou condamnés pour fraude133(*) n'a toujours pas de décret d'application ;

- dans le cas de la disposition de la LFSS 2021 prévoyant que, pour les retraités dans des pays étrangers, la preuve de l'existence puisse être apportée par l'usage de données biométriques, le décret d'application est toujours en cours d'élaboration. La LFRSS 2023 a fixé au 1er septembre 2023 la délai limite accordé au Gouvernement pour sa publication.

Par ailleurs, comme le souligne la Cour des comptes dans le Ralfss 2023, il est essentiel d'accroître le nombre de contrôles, en particulier dans le cas du RSA : « les contrôles sur place, les plus approfondis, n'ont couvert en 2022 que 3 % des 3,1 millions de foyers bénéficiaires du RSA, prestation la plus fraudée. En accroître le nombre est indispensable afin de réduire l'étendue des fraudes au RSA, qui affectent un euro sur dix et un allocataire sur sept selon l'estimation de la Cnaf », ce qui impliquera d'accroître les moyens humains.

Le plan annoncé par le Gouvernement comprend des objectifs d'augmentation du nombre de contrôles et de renforcement des moyens humains. Toutefois en ce domaine le volontarisme ne suffit pas, et la commission suivra de près la mise en oeuvre de ces mesures.

Les sénateurs René-Paul Savary et Raymonde Poncet Monge travaillent, dans le cadre de la Mecss de la commission des affaires sociales du Sénat, sur les conditions dans lesquelles doit être mis en oeuvre le projet de « solidarité à la source », qui doit permettre, par le pré-remplissage des déclarations de ressources utilisées pour le calcul des droits au RSA et à la prime d'activité, de diminuer le nombre d'erreurs déclaratives et de cas de fraude. L'examen de leur rapport est prévu en juillet 2023.

EXAMEN DES ARTICLES

Article liminaire
Approbation des recettes, des dépenses et du solde
des administrations de sécurité sociale

Cet article présente, pour l'exercice auquel la loi d'approbation des comptes se rapporte, les dépenses, les recettes et le solde des administrations de sécurité sociale.

I - Le dispositif proposé

Cet article, qui ne figurait pas dans les premières parties des PLFSS, résulte des dispositions de la loi organique du 14 mars 2022.

Article L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale
(inséré par la loi organique du 14 mars 2022)

« La loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale :

1° comprend un article liminaire présentant un tableau de synthèse retraçant les recettes, les dépenses et le solde des administrations de sécurité sociale relatifs à l'année à laquelle cette loi se rapporte ;

[...] ».

Le 1° de l'article L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale résulte d'une modification apportée par le Sénat en première lecture à la future loi organique du 14 mars 2022.

En effet, si le Parlement, au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ne peut se prononcer, pour l'essentiel, que sur les mesures ayant un effet sur les régimes obligatoires de base (Robss), les organismes ou des organismes concourant à leur financement (FSV), à l'amortissement de leur dette (Cades) ou à la mise en réserve de recettes à leur profit (FRR), c'est bien le champ plus large des administrations de sécurité sociale (Asso) qui est considéré par l'Insee dans le calcul des comptes des administrations publiques (selon les concepts de la comptabilité nationale).

Au demeurant, l'État accorde sa garantie de droit ou de fait à plusieurs organismes et régimes situés en dehors du périmètre des Robss.

C'est pourquoi, à défaut d'élargir formellement le périmètre des LFSS, comme l'avait proposé le Sénat134(*), le législateur organique a au moins souhaité que le Parlement dispose d'une vision financière globale des administrations de sécurité sociale au moment de l'examen des lois de financement, tant par la création de nouvelles annexes relatives à l'assurance chômage, aux régimes complémentaires de retraite et aux établissements de santé que par la création de cet article liminaire.

A. Un excédent des administrations de sécurité sociale de 0,4 point de PIB en 2022

Les chiffres du présent article sont retracés dans le tableau ci-après.

Dans le cas des Lacss, cette information qui porte sur l'exercice précédent est moins utile que dans le cas des PLFSS, les données relatives à l'exercice précédent étant depuis longtemps publiées par l'Insee fin mars et précisées à la fin du mois de mai135(*).

Au moment du dépôt du présent projet de loi (le 24 mai 2023), si le solde des Asso avait été publié par l'Insee, tel n'était pas encore le cas de leurs recettes et de leurs dépenses. Celles-ci ont été publiées le 31 mai 2023 (en milliards d'euros), de même qu'une nouvelle estimation du PIB. Il résulte des données publiées par l'Insee le 31 mai 2023 un solde de 0,4 point de PIB (au lieu de 0,3 point de PIB selon la rédaction initiale du présent article) et des dépenses de 26,7 points de PIB (au lieu de 26,6 points de PIB). Le texte a été actualisé en conséquence, par un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale.

Recettes, dépenses et solde des administrations de sécurité sociale pour les années 2019 à 2022 au sens de la comptabilité nationale

 

Données historiques (Insee)

Version initiale du présent article

Insee, 31 mai 2023 (comptes nationaux)

Version du présent article adoptée par l'Assemblée nationale

Points de PIB

Md€

Points de PIB (calculs commission*)

Points de PIB

2019

2020

2021

2022

2022

2022

2022

Recettes

26,1

26,6

26,7

27,0

713,8

27,047181

27,0

Dépenses

25,5

28,6

27,3

26,6

704,2

26,683420

26,7

Solde

0,6

-2,0

-0,7

0,3

9,6

0,363761

0,4

* Sur la base du PIB en valeur, publié par l'Insee le 31 mai 2023 (2 639,092 Md€).

Source : Insee, projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022, calculs de la commission des affaires sociales

Les administrations de sécurité sociale (Asso)

Les administrations de sécurité sociale regroupent les régimes d'assurance sociale et les organismes dépendant des assurances sociales (principalement les hôpitaux à financement public) (Odass).

Les régimes d'assurance sociale comprennent principalement :

- le régime général ;

- divers fonds : Fonds de solidarité vieillesse (FSV), mais aussi Fonds commun pour les accidents du travail (FCAT), Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva), Service social d'allocation aux personnes âgées (Saspa), Fonds de compensation des organismes de sécurité sociale (FCOSS), etc. ;

- les autres régimes de base des salariés (régimes spéciaux d'entreprises et d'établissements publics, salariés agricoles, etc.) ;

- les régimes des non-salariés (dont la mutualité sociale agricole) ;

- l'Unédic ;

- les régimes complémentaires d'assurance vieillesse des salariés (Agirc-Arrco...) ;

- depuis un reclassement effectué en 2011 par l'Insee, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et le Fonds de réserve des retraites (FRR), jusqu'alors considérés comme des organismes divers d'administration centrale (Odac).

Les organismes dépendant des assurances de sécurité sociale (Odass), qui dépendent des administrations de sécurité sociale, comprennent :

- les hôpitaux de l'assistance publique, ainsi que les hôpitaux privés financés par la dotation globale hospitalière (attribuée par les caisses de sécurité sociale) ;

- les oeuvres sociales intégrées aux organismes de sécurité sociale (oeuvres sociales de la Cnaf, écoles d'infirmiers) ;

- Pôle emploi (hors indemnisation du chômage).

L'Insee ne distingue, parmi les administrations de sécurité sociale, que les « régimes d'assurance sociale » et les Odass. Le Gouvernement distingue toutefois, selon les concepts de la comptabilité nationale, en prévision pour l'année en cours et pour l'année concernée par le projet de loi de finances, dans les rapports économiques, sociaux et financiers (Resf) associés aux projets de loi de finances, non seulement les Odass, mais aussi l'ensemble régime général-FSV, l'Unédic, les régimes complémentaires, la Cades et le FRR.

B. Analyse de l'excédent des administrations de sécurité sociale en 2022

1. Un retour du solde des administrations de sécurité sociale à leur niveau antérieur à la crise sanitaire

Le solde positif (+ 0,4 point de PIB) en 2022 correspond, si l'on se situe au niveau de l'ensemble des Asso, à un retour à la situation antérieure à la crise sanitaire.

Capacité de financement des administrations de sécurité sociale

Source : Insee

2. Un excédent qui ne traduit pas d'anomalie manifeste par rapport aux programmations qui se sont succédé depuis 2018

Le tableau ci-après montre l'évolution des objectifs de solde effectif et structurel pour 2022 prévus par les programmations successives.

Les objectifs de solde effectif et structurel pour 2022
prévus par les programmations successives

 

Solde effectif 2022

(en points de PIB)

Solde structurel 2022

(en points de PIB potentiel)

Apu

Apuc

Apul

Asso

Apu

Apuc

Apul

Asso

Décomposition indicative réalisée par la commission des affaires sociales**

LPFP janvier 2018

- 0,3

- 1,8

0,7

0,8

- 0,8

- 2,0

0,6

0,6

PS avril 2018

0,3

- 1,2

0,7

0,8

- 0,6

- 1,5

0,5

0,4

PS avril 2019

- 1,2

- 3

0,6

1,2

-1,3

- 3,0

0,6

1,2

PS avril 2020

*

*

*

*

*

*

*

*

PS avril 2021

- 5,3

- 5,2

0

- 0,1

- 4,4

- 4,9

0,2

0,3

PS juillet 2022

- 5

- 5,5

- 0,1

0,6

- 4

- 5,2

0,1

1,1

PLPFP septembre 2022

- 5

- 5,4

0

0,5

- 4,2

- 5,1

0,2

0,9

PS avril 2023

- 4,7

- 5,1

0

0,3

- 4

- 4,9

0,1

0,6

Exécution

               

Présent article (texte initial)

-

-

-

0,3

-

-

-

-

Présent article (texte AN)

-

-

-

0,4

-

-

-

-

Insee (31 mai 2023)

- 4,7

- 5,1

0,0

0,4

-

-

-

-

AN : Assemblée nationale. Apu : administrations publiques. Apuc : administrations publiques centrales. Apul : administrations publiques locales. Asso : administrations de sécurité sociale. LPFP : loi de programmation des finances publiques. PLPFP : projet de loi de programmation des finances publiques (modifié par le Sénat) PS : programme de stabilité.

* Le programme de stabilité d'avril 2020 s'arrêtait en 2020, en conséquence de la crise sanitaire.

** Les programmations n'indiquent pas comment le déficit structurel se répartit entre catégories d'administrations publiques. La répartition indicative réalisée ici s'appuie sur le PIB potentiel tel qu'estimé par le Gouvernement pour la programmation concernée (cf. page suivante l'encadré définissant le solde structurel).

Source : D'après les textes mentionnés

Comme le montre ce tableau, si l'on considère l'ensemble des administrations publiques (Apu), la situation budgétaire est aujourd'hui beaucoup plus dégradée que prévu avant la crise sanitaire, que l'on raisonne en termes de solde effectif ou de solde structurel.

Toutefois les administrations de sécurité sociale (Asso) ne montrent pas de trop grand écart par rapport aux objectifs initiaux de solde effectif, même si l'excédent prévu pour 2022 par les programmations antérieures à la crise sanitaire était supérieur au 0,4 point de PIB observé (le dernier programme de stabilité avant la crise, celui d'avril 2019, prévoyait un excédent de 1,2 point de PIB).

L'exécution pour les Asso est globalement en ligne avec les objectifs initiaux de solde structurel, tels que reconstitués, à titre indicatif, par la commission des affaires sociales (cf. tableau).

Le solde public structurel

Le solde public structurel se définit comme ce que serait le solde des administrations publiques (Apu) si le PIB était égal à son niveau potentiel, en supposant que les recettes rapportées au PIB tendent spontanément à rester stables (on dit que leur « élasticité » au PIB est égale à 1).

En pratique, le PIB est habituellement au-dessus ou en dessous de son niveau potentiel. Cet écart, dit « écart de production » (ou output gap), a pour effet de modifier le ratio dépenses/PIB. Comme on suppose que les recettes rapportées au PIB tendent spontanément à rester stables, cet écart du ratio dépenses/PIB correspond au solde dit conjoncturel, dépendant des fluctuations de l'activité économique. La différence entre le solde total et le solde conjoncturel est le solde structurel.

Au niveau de l'ensemble des administrations publiques, comme les dépenses sont de près de 60 points de PIB, le solde conjoncturel est égal à l'écart de production multiplié par environ 0,6.

Dans le cas des administrations de sécurité sociale, qui correspondent à environ la moitié des dépenses publiques, le solde conjoncturel est égal à l'écart de production multiplié par environ 0,3.

L'estimation du solde structurel dépend donc fortement de l'estimation de l'écart de production. Par exemple, dans le cas de l'année 2022, selon le programme de stabilité d'avril 2023, le PIB était inférieur de 1,1 point à son niveau potentiel, alors que selon les prévisions économiques du 15 mai 2023 de la Commission européenne, il était supérieur de 0,2 point à son niveau potentiel. Il en résulte, pour 2022, un déficit structurel des administrations publiques estimé à 4 points de PIB par le programme de stabilité et 4,8 points de PIB par la Commission européenne (pour un déficit effectif de 4,7 points de PIB)136(*).

3. L'excédent est très majoritairement structurel

Le Gouvernement ne publiant pas de décomposition de l'évolution du solde des administrations de sécurité sociale en termes de soldes structurel et conjoncturel, la commission des affaires sociales s'est livrée à cet exercice. Les résultats, indicatifs, et dépendant de l'estimation du PIB potentiel (contrairement au tableau précédent, on retient par prudence l'estimation de la Commission européenne, correspondant à un PIB potentiel plus élevé137(*)), sont présentés dans le tableau ci-dessous.

Décomposition indicative des facteurs d'évolution du solde
des administrations de sécurité sociale de 2020 à 2022

(en points de produit intérieur brut
et de produit intérieur brut potentiel)

 

 2020

 2021

2022

Solde conjoncturel

-1,8

-0,3

0,1

Solde structurel

-0,2

-0,3

0,3

Total

-2,0

-0,7

0,4*

       

Écart par rapport à l'année précédente

-2,6

1,3

1,0

Solde conjoncturel

-2,3

1,4

0,4

Solde structurel

-0,2

-0,1

0,7

dont :

     

Effort structurel

-0,8

-0,3

0,2

Effort structurel sur les dépenses

-0,6

-0,3

0,2

Effort structurel sur les recettes

-0,2

0,0

0,0

Évolution spontanée des recettes

0,6

0,2

0,4

* Solde corrigé par l'amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale pour prendre en compte les données publiées par l'Insee le 31 mai 2023 (le solde des Asso était de 0,3 point de PIB selon la version initiale du présent article).

NB : le solde structurel pour 2022 (0,3 point de PIB potentiel) est différent de celui indiqué par le tableau précédent dans le cas du programme de stabilité d'avril 2023 (0,6 point de PIB potentiel) parce qu'on retient ici l'hypothèse d'écart de production de la Commission européenne (PIB supérieur de 0,2 point à son niveau potentiel) et non celui du programme de stabilité d'avril 2023 (PIB inférieur de 1,1 point à son niveau potentiel).

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après l'Insee (exécution), les prévisions économiques d'avril 2023 de la Commission européenne (écart de production) et les rapports économiques, sociaux et financiers (Resf) pour 2020, 2021, 2022 et 2023 (mesures nouvelles sur les recettes)

Il en ressort que, sur la base de l'estimation de PIB potentiel de la Commission européenne, l'excédent de 0,4 point de PIB constaté en 2022 est de nature presque totalement structurelle (en retenant l'estimation de l'écart de production du programme de stabilité d'avril 2023, on aurait même un excédent structurel de 0,7 point de PIB).

Si l'on raisonne en écart par rapport à 2021, l'amélioration du solde, de 1 point de PIB, proviendrait :

- pour 0,4 point de PIB, du solde conjoncturel (la croissance économique en valeur ayant été supérieure en 2022 à son potentiel, du fait du rattrapage consécutif à la crise sanitaire et de l'inflation) ;

- pour 0,7 point de PIB, de l'amélioration du solde structurel. Cette évolution du solde structurel se décomposerait elle-même entre :

o une tendance spontanée des recettes à augmenter de 0,4 point de PIB, en raison d'une élasticité au PIB supérieure à l'unité ;

o un effort structurel (correspondant à l'évolution du solde structurel dépendant de l'action du Gouvernement)138(*) de 0,3 point de PIB, du fait d'une croissance en valeur des dépenses (3,1 %) inférieure à la croissance en valeur du PIB potentiel (4,2 %).

4. Un retour en trompe-l'oeil à la situation d'avant la crise sanitaire

a. Un excédent qui, comme avant la crise sanitaire, provient du solde excédentaire de la Cades

Il serait intéressant de disposer, en exécution, d'une décomposition des recettes, des dépenses et du solde des administrations de sécurité sociale (par définition au sens de la comptabilité nationale et publiés par l'Insee) entre leurs différents constituants : le régime général et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), l'Unédic, les régimes complémentaires, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), le Fonds de réserve des retraites (FRR), les organismes dépendant des administrations de sécurité sociale (Odass).

Le Sénat avait proposé, dans le cadre de l'examen de la loi organique, que telle soit la forme de l'article liminaire. Toutefois cette proposition n'a pas été retenue139(*).

On se trouve donc dans la situation paradoxale où la seule décomposition « fine » au sens de la comptabilité nationale du solde des administrations de sécurité sociale en 2022 se trouve dans un document purement prévisionnel, le rapport économique, social et financier (Resf) annexé au projet de loi de finances pour 2023.

Il est toutefois éclairant de mettre en relation les chiffres de la comptabilité nationale avec les données disponibles pour les principaux organismes (définies selon d'autres concepts, et donc non strictement comparables).

Les déterminants de l'évolution du solde des administrations
de sécurité sociale de 2016 à 2022

(en milliards d'euros)

* Résultat net (2016-2018) puis solde de trésorerie indiqué par l'annexe 4 au présent Placss (2019-2022).

Les soldes (capacité de financement) des assurances sociales et des administrations de sécurité sociale (Asso) sont exprimés selon les concepts de la comptabilité nationale ; le solde de l'Unédic est le résultat net (2016-2018) puis le solde de trésorerie indiqué par l'annexe 4 au présent Placss (2019-2022) ; les autres soldes (résultats comptables) sont exprimés selon les concepts de la comptabilité publique ou de la comptabilité générale.

Agirc : Association générale des institutions de retraites des cadres ; Arrco : Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés ; Unédic : Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce ; Cades : Caisse d'amortissement de la dette sociale ; Robss : régimes obligatoires de base de sécurité sociale ; FSV : Fonds de solidarité vieillesse ; LFSS : loi de financement de la sécurité sociale ; Asso : administrations de sécurité sociale.

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les sources indiquées

Il ressort du graphique que le solde des administrations de sécurité sociale (+ 9,6 Md€, contre - 17,2 Md€ en 2021) aurait été négatif sans la Cades (résultat net de + 19,0 Md€). Le fort excédent de la Cades, structurel, vient du fait que les remboursements de dette ne sont considérés comme des dépenses ni par la comptabilité générale ni par la comptabilité nationale.

b. Une différence majeure par rapport à avant la crise sanitaire : un déficit des Robss et du FSV qui, alors presque nul, approche désormais les 20 Md€

Toutefois le retour du solde de l'ensemble des Asso à la situation d'avant la crise sanitaire ne doit pas dissimuler que la répartition des déficits et des excédents a considérablement changé.

En effet, le déficit des Robss et du FSV, de 1,7 Md€ en 2019, a été de 19,6 Md€ en 2022.

Cette forte dégradation de la situation des Robss et du FSV est compensée par l'amélioration de celle des autres Asso :

- l'assurance chômage a renoué avec les excédents (solde positif de + 4,3 Md€ pour l'Unédic), après des années 2020, et dans une moindre mesure 2021, particulièrement difficiles, du fait de la crise sanitaire (d'où une amélioration du solde de l'Unédic de 13,6 Md€ en 2022) ;

- l'Agirc-Arrco a été nettement excédentaire en 2022 (5,2 Md€, après 2,6 Md€ en 2021).

L'amélioration de la situation de l'Unédic s'explique par la hausse des recettes (provenant de la reprise économique et de l'inflation) et la baisse des dépenses (provenant notamment de celle du chômage à 7,1 % au quatrième trimestre 2022 - niveau inférieur à celui atteint avant la crise financière de 2008140(*)).

Les concepts utilisés pour les comptes des administrations
de sécurité sociale (Asso) et de leurs entités constitutives

Les comptes du régime général sont exprimés au sens de la comptabilité publique, similaire à une comptabilité générale d'entreprise. Ceux des autres organismes le sont habituellement au sens de la comptabilité générale.

L'Insee exprime quant à lui les comptes des administrations de sécurité sociale (Asso) selon les concepts de la comptabilité nationale (utilisée pour la mesure de l'ensemble de l'activité économique et utilisée notamment pour l'application du pacte de stabilité et de croissance). Bien qu'également en droits constatés, celle-ci implique de réaliser diverses corrections (absence de dotations aux amortissements, traitement en dépense ou en recette de certaines opérations apparaissant au bilan, correction des éventuelles incohérences relatives aux transferts entre administrations publiques, modalités différentes de prise en compte des impôts et des droits constatés...).

II - La modification adoptée par l'Assemblée nationale

Comme indiqué supra, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement actualisant les montants des dépenses et du solde afin de prendre en compte les chiffres publiés par l'Insee le 31 mai 2023.

Recettes, dépenses et solde des administrations de sécurité sociale
selon les versions initiale et actualisée du présent article

(en points de produit intérieur brut)

 

Version initiale

Version adoptée par l'Assemblée nationale

Recettes

27,0

27,0

Dépenses

26,6

26,7

Solde

0,3

0,4

Source : Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022

Puis elle a rejeté l'ensemble du projet de loi.

Article 1er
Approbation des tableaux d'équilibre des Robss et du FSV

Cet article a pour objet d'approuver les tableaux définitifs des Robss et du FSV de l'année 2022, dernier exercice clos.

I - Le dispositif proposé

Conformément aux dispositions du 2° de l'article L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale, inséré par la loi organique du 14 mars 2022, cet article tend à approuver les tableaux d'équilibre des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Il s'agit de dispositions figurant précédemment dans la première partie des LFSS (relative au dernier exercice clos), dont elles constituaient une partie de l'article premier141(*), et qui sont désormais du seul domaine des Lacss.

L'article L.O. 111-3-13 précité reprend presque intégralement les dispositions de l'article L.O. 111-3 du même code, dans sa rédaction antérieure au 1er septembre 2022. La seule différence est que désormais, il n'est plus prévu de tableaux spécifiques pour le régime général (cf. encadré).

Article L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale
(inséré par la loi organique du 14 mars 2022)

(extrait)

« La loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale :

[...]

2° approuve les tableaux d'équilibre du dernier exercice clos des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, par branche, et des organismes concourant au financement de ces régimes ainsi que les dépenses relevant du champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie constatées lors de cet exercice ;

[...] ».

Pour mémoire : Article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale
dans sa version antérieure au 1er septembre 2022 (extrait du A du I)

« A - Dans sa partie comprenant les dispositions relatives au dernier exercice clos, la loi de financement de la sécurité sociale :

1º approuve les tableaux d'équilibre par branche du dernier exercice clos des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, du régime général et des organismes concourant au financement de ces régimes, ainsi que les dépenses relevant du champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie constatées lors de cet exercice ;

[...] ».

En application de ces dispositions, le présent article prévoit l'approbation de deux tableaux d'équilibre distincts relatifs au dernier exercice clos :

- le tableau d'équilibre, par branche, de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) ;

- le tableau d'équilibre des organismes concourant au financement des régimes de sécurité sociale, cette catégorie ne comportant que le Fonds de solidarité vieillesse (FSV).

A. L'approbation des tableaux d'équilibre, par branche, de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale

Le 1° du présent article présente le tableau d'équilibre, par branche, de l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

Celui-ci est reproduit ci-après, ainsi que le prévisions des LFSS 2022 et LFSS 2023.

Tableau d'équilibre 2022 de l'ensemble des régimes obligatoires
de base et du fonds de solidarité vieillesse : prévision et exécution

(en milliards d'euros)

 

 

Montants

Écarts du Placss 2022 par rapport à la LFSS concernée

Recettes

Dépenses

Solde

Recettes

Dépenses

Solde

Placss 2022 (présent article)

     

Maladie

221,1

242,1

- 21

 

 

 

Accidents du travail et maladies professionnelles

16,2

14,5

1,7

 

 

 

Vieillesse

259

262,8

- 3,8

 

 

 

Famille

53,3

51,4

1,9

 

 

 

Autonomie

35,4

35,2

0,2

 

 

 

Toutes branches (hors transferts entre branches)

570,3

591,3

- 21

 

 

 

Toutes branches (hors transferts entre branches) y compris Fonds de solidarité vieillesse

572

591,6

- 19,6

 

 

 

LFSS 2022 (prévisions pour 2022)

Maladie

211

230,1

- 19,1

10,1

12

- 1,9

Accidents du travail et maladies professionnelles

15,6

14,1

1,5

0,6

0,4

0,2

Vieillesse

253,6

256,6

- 3

5,4

6,2

- 0,8

Famille

51,6

49,7

1,9

1,7

1,7

0

Autonomie

33,4

34,4

- 1,1

2

0,8

1,3

Toutes branches (hors transferts entre branches)

550,5

570,2

-19,7

19,8

21,1

- 1,3

Toutes branches (hors transferts entre branches) y compris Fonds de solidarité vieillesse

549,2

570,6

- 21,4

22,8

21

1,8

LFSS 2023 (prévisions pour 2022)

Maladie

221

242,9

- 21,9

0,1

- 0,8

0,9

Accidents du travail et maladies professionnelles

16,2

14,2

2

0

0,3

- 0,3

Vieillesse

258,9

261,9

- 3

0,1

0,9

- 0,8

Famille

53,5

50,9

2,6

- 0,2

0,5

- 0,7

Autonomie

35

35,4

-0,4

0,4

- 0,2

0,6

Toutes branches (hors transferts entre branches)

569,6

590,3

- 20,7

0,7

1

- 0,3

Toutes branches (hors transferts entre branches) y compris Fonds de solidarité vieillesse

571,8

590,7

- 18,9

0,2

0,9

- 0,7

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les Placss 2022, LFSS 2022, LFSS 2023

Bien que correspondant à un solde proche de celui prévu par la LFSS 2022 (- 19,6 Md€, contre - 21,4 Md€ prévus par la LFSS 2022), les recettes et les dépenses étant supérieures de plus de 20 Md€ à la prévision de la LFSS 2022 (respectivement 572,0 Md€, contre 549,2 Md€ prévus, et 591,6 Md€, contre 570,6 Md€ prévus).

L'exécution 2022 est en revanche proche des prévisions pour 2022 de la LFSS 2023.

Recettes et charges de la sécurité sociale (Robss + FSV) en 2022,
selon la prévision de la LFSS 2022 et l'exécution

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Si les dépenses et les recettes ont été supérieures de plus de 20 Md€ aux prévisions, c'est :

- en ce qui concerne les recettes, en raison de la masse salariale, qui a crû fortement du fait de la croissance et de l'inflation ;

- en ce qui concerne les dépenses, essentiellement du fait de la revalorisation anticipée des prestations sociales au 1er juillet, de la hausse du point d'indice de la fonction publique et du dérapage des dépenses de santé, supérieures de 12 Md€ aux prévisions de la LFSS 2022 (malgré la diminution des dépenses sous Ondam imputables à la gestion de la crise sanitaire, passées selon le Gouvernement de 18,3 Md€ en 2021 à 11,7 Md€ en 2022).

Dans une perspective de plus long terme, les Robss et le FSV n'ont toujours pas retrouvé leur équilibre antérieur à la crise sanitaire (avec un déficit de seulement 1,4 Md€ en 2018 et 1,7 Md€ en 2019), ce qui contraste avec la situation des administrations de sécurité sociale considérées dans leur ensemble (cf. commentaire de l'article liminaire).

Recettes des Robss et du FSV : prévision et exécution

(en milliards d'euros)

Dépenses des Robss et du FSV : prévision et exécution

(en milliards d'euros)

Solde des Robss et du FSV : prévision et exécution

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les LFSS 2018 à 2023 et le Placss 2022

La quasi-totalité de l'augmentation du déficit depuis la crise sanitaire provient de l'assurance maladie, comme le montre le graphique ci-après.

Solde des différentes branches des régimes obligatoires de base

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les LFSS 2018 à 2023 et le Placss 2022

En effet, les dépenses de santé, après avoir augmenté lors de la crise sanitaire, n'ont pas diminué depuis142(*).

Recettes et dépenses de la branche maladie (régimes obligatoires de base)

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les LFSS 2018 à 2023 et le Placss 2022

Cette stabilisation des dépenses de la branche maladie autour de leur niveau de 2020 constitue un dérapage par rapport aux LFSS pour les années 2021 à 2023, qui toutes prévoient un retour des dépenses à leur trajectoire antérieure à la crise sanitaire. Ainsi, les dépenses de 2022 ont été supérieures de respectivement 9,9 Md€, 7,7 Md€, 21,1 Md€ et 12,0 Md€ aux prévisions des LFSS pour 2019, 2020, 2021 et 2022.

Les dépenses de la branche maladie (régimes obligatoires de base) :
prévision et exécution

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après LFSS 2018 à 2023 et le Placss 2022

Comme le souligne la Cour des comptes dans son récent Ralfss, « le respect de l'Ondam 2023 et des années suivantes implique la mise en place de mesures plus ambitieuses de maîtrise médicalisée par les caisses d'assurance maladie ».

B. Un refus de la Cour des comptes de certifier les comptes 2021 de l'activité recouvrement et les comptes 2022 de la branche famille et de la Cnaf

Cet article n'appelle, d'ordinaire, qu'un vote de validation de pure forme.

Toutefois, alors que les refus ou impossibilités de la Cour des comptes de certifier les comptes143(*) de la sécurité sociale, fréquents les premières années de la procédure de certification (mise en place en 2006), pouvaient sembler appartenir au passé, on assiste depuis l'exercice 2020 à de nouveaux refus ou impossibilités de certifier les comptes, comme le montre le tableau ci-après.

Le refus se distingue d'une « simple » incapacité à certifier les comptes. Il correspond en effet à l'affirmation par le certificateur de l'inexactitude desdits comptes.

Impossibilités et refus de la Cour des comptes de certifier
les différents comptes de la sécurité sociale

 

Comptes des branches

Comptes des organismes

Maladie

AT-MP

Famille

Vieillesse

Recouvrement

Cnam

Cnaf

Cnav

Acoss

2006

   

Impossibilité

     

Impossibilité

   

2007

   

Impossibilité

 

Refus

 

Impossibilité

 

Refus

2008

   

Refus

Refus

   

Refus

Refus

 

2009

     

Refus

     

Refus

 

2010

 

Refus

             

2011

 

Refus

Refus

     

Refus

   

2012

 

Impossibilité

             

2013

                 

2014

                 

2015

                 

2016

                 

2017

                 

2018

                 

2019

                 

2020

       

Impossibilité

       

2021

       

Refus

       

2022

   

Refus

     

Refus

   

AT-MP : accidents du travail-maladies professionnelles. Cnam : caisse nationale de l'assurance maladie. Cnaf : caisse nationale des allocations familiales. Cnav : caisse nationale d'assurance vieillesse. Acoss : agence centrale des organismes de sécurité sociale (devenue Urssaf Caisse nationale).

Source : D'après la Cour des comptes

1. Dans le cas de l'exercice 2021 (et de la LFSS 2023), une entreprise inachevée de correction des comptes de l'activité de recouvrement

a. Le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de l'activité de recouvrement

Dans le cas de l'exercice 2021 (faisant l'objet de la première partie de la LFSS 2023), la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de l'activité de recouvrement.

Elle a en effet considéré que, du fait des règles alors applicables en matière de droits constatés, environ 5 Md€ de produits de la branche, résultant de la régularisation des cotisations dues par les travailleurs indépendants au regard des revenus 2020 qu'ils avaient déclarés en 2021, auraient dû être imputées sur 2020, et non sur 2021.

La justification par la Cour des comptes de son refus de certifier
les comptes 2021 de l'activité de recouvrement

En 2020, du fait de la crise sanitaire, pour alléger la trésorerie des travailleurs indépendants, le réseau des Urssaf a décidé d'appeler des montants calculés sur la base de 50 % du montant du dernier revenu professionnel connu.

Selon le principe des droits constatés de la comptabilité générale (qui n'est pas une comptabilité de caisse), il convient d'imputer les produits et les charges sur l'exercice correspondant au fait générateur, soit en l'espèce, selon la Cour, le revenu perçu par le travailleur144(*).

La Cour des comptes indique, dans son rapport de certification des comptes 2021 de la sécurité sociale :

« Dans les comptes de l'exercice 2021, les produits de prélèvements sociaux des travailleurs indépendants s'élèvent à 27,6 Md€, contre 18,2 Md€ en 2020. L'évolution de leur montant intègre, à hauteur de 6,7 Md€, le contrecoup de l'abattement de 50 % du revenu pris en compte pour appeler les prélèvements sociaux en 2020. Ce montant de 6,7 Md€ intègre des effets estimés par la Cour respectivement à 5 Md€ pour les branches concernées du régime général de sécurité sociale (maladie, vieillesse, famille et autonomie) et à 1,7 Md€ pour les attributaires extérieurs à ce dernier (CPSTI, Unédic et Cades).

[...]

Afin de remédier aux incidences de cet effet de périmètre sur la physionomie des comptes des exercices 2020 et 2021, la Cour a demandé à l'Acoss d'effectuer une correction à son bilan d'ouverture au 1er janvier 2021, à hauteur du montant précité de 6,7 Md€ et d'établir des comptes pro forma pour l'exercice 2020 permettant de neutraliser l'effet sur les produits comptabilisés au titre de l'exercice 2021 de la minoration des montants appelés et comptabilisés au cours de l'exercice 2020. [...] La demande formulée par la Cour n'a pas été suivie ».

Il en résulte, selon la Cour, une « atteinte portée à la comparabilité des exercices 2020 et 2021 », et des comptes qui « ne fournissent pas une image fidèle des produits de cotisations et de contributions sociales des travailleurs indépendants ».

b. Une modification des montants de recettes des différentes branches inscrits dans la LFSS à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat

En conséquence de ce refus de la Cour des comptes de certifier les comptes 2021 de l'activité de recouvrement, le Parlement, à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, la modifié les tableaux d'équilibre 2021 des Robss et du régime général145(*) dans la LFSS 2023. Les produits des branches du régime général et de l'ensemble des régimes obligatoires de base ont été réduits de 5 Md€, et le déficit a été porté de 22,7 Md€ à 27,7 Md€.

Modification de l'article 1er du PLFSS 2023, relatif à l'exercice 2021
(à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat)

(en milliards d'euros)

 

Robss

Régime général

Recettes

Dépenses

Solde

Recettes

Dépenses

Solde

Texte initial

           

Maladie

209,4

235,4

-26,1

207,9

234

-26,1

Accidents du travail et maladies professionnelles 

15,1

13,9

1,3

13,6

12,4

1,2

Vieillesse

249,4

250,5

-1,1

142,8

143,9

-1,1

Famille

51,8

48,9

2,9

51,8

48,9

2,9

Autonomie

32,8

32,6

0,3

32,8

32,6

0,3

Toutes branches (hors transferts entre branches) 

544,2

567

-22,7

435,1

457,9

-22,7

Toutes branches (hors transferts entre branches) y compris Fonds de solidarité vieillesse 

543

567,3

-24,3

435,1

459,5

-24,4

Amendement Sénat (loi promulguée)

           

Maladie

206,8

235,4

-28,7

205,3

235

-28,7

Accidents du travail et maladies professionnelles 

15,1

13,9

1,3

13,6

12,4

1,2

Vieillesse

247,8

250,5

-2,7

141,2

143,9

-2,7

Famille

51,1

48,9

2,2

51,1

48,9

2,2

Autonomie

32,7

32,6

0,2

32,7

32,6

0,2

Toutes branches (hors transferts entre branches) 

539,2

567

-27,7

430,1

457,9

-27,7

Toutes branches (hors transferts entre branches) y compris Fonds de solidarité vieillesse 

538

567,3

-29,3

430,1

459,5

-29,4

Écart

           

Maladie

-2,6

0

-2,6

-2,6

1

-2,6

Accidents du travail et maladies professionnelles

0

0

0

0

0

0

Vieillesse

-1,6

0

-1,6

-1,6

0

-1,6

Famille

-0,7

0

-0,7

-0,7

0

-0,7

Autonomie

-0,1

0

-0,1

-0,1

0

-0,1

Toutes branches (hors transferts entre branches)

-5

0

-5

-5

0

-5

Toutes branches (hors transferts entre branches) y compris Fonds de solidarité vieillesse

-5

0

-5

-5

0

-5

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

c. Une correction incomplète

L'absence de certaines coordinations législatives

Le Sénat, considérant qu'il appartenait au Gouvernement d'effectuer les coordinations dans le cadre de la navette146(*), n'a pas effectué les coordinations nécessaires, consistant à majorer les recettes, produits, soldes et résultats de 5 Md€ en 2020 et à les minorer de 5 Md€ en 2021. Le Gouvernement, opposé à la correction demandée par la Cour des comptes, n'a pas réalisé ces coordinations. Par ailleurs, la LFRSS 2023 reprend les soldes non corrigés.

Les coordinations qui n'ont pu être réalisées lors de la discussion du PLFSS 2023
et du PLFRSS 2023

1. Dans la LFSS 2023 :

L'annexe A, comprenant les tableaux patrimoniaux, pour l'exercice 2021, mais aussi (afin de permettre la comparaison) l'exercice 2020.

L'annexe B, décrivant les prévisions de recettes et objectifs de dépenses, et dont les tableaux comprenaient, pour comparaison, les exécutions des exercices 2019 à 2021.

2. Dans la LFRSS 2023 :

L'annexe à la LFRSS 2023, décrivant les prévisions de recettes et objectifs de dépenses, et dont les tableaux comprenaient, pour comparaison, les exécutions des exercices 2019 à 2021 (et reprenant les soldes non corrigés de - 37,3 M€ en 2020 et
- 22,7 Md€ en 2021).

3. Rétrospectivement, dans la LFSS 2022 (le cas échéant) :

Les tableaux d'équilibre relatifs à l'exercice 2020 (figurant à l'article 1er).

L'annexe A, comprenant les tableaux patrimoniaux pour l'exercice 2020 (et, afin de permettre la comparaison, l'exercice 2019).

L'annexe B, décrivant les prévisions de recettes et objectifs de dépenses, et dont les tableaux comprenaient, pour comparaison, les exécutions des exercices 2018 à 2020.

L'affirmation par le Conseil constitutionnel que le « vrai » déficit est bien celui résultant de la modification par le Parlement

Comme le Conseil constitutionnel l'a confirmé dans sa décision n° 2022-845 DC, le « vrai » déficit est celui figurant à l'article 1er (corrigé par le Parlement) de la LFSS 2023, et non celui figurant à l'annexe A de cette même LFSS.

La décision du Conseil constitutionnel sur le PLFSS 2023 (n° 2022-845 DC)

Les députés et sénateurs ayant saisi le Conseil constitutionnel sur la LFSS 2023 ont considéré qu'il résultait de l'incohérence, s'agissant des déficits, entre son article 1er, relatif aux tableaux d'équilibre, et son annexe A (approuvée par son article 2), relative au bilan (qui reprend les déficits comme « résultats de l'exercice »), que les comptes étaient inexacts.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022 sur la LFSS 2023, a souligné que « la sincérité s'entend comme imposant l'exactitude des comptes ».

Il a toutefois considéré que « s'il [...] résulte une discordance entre les montants de déficits au titre de l'exercice 2021 mentionnés à l'article 1er et à l'article 2, il ressort des termes mêmes de ce dernier article147(*) que les déficits des régimes obligatoires mentionnés dans le rapport approuvé par cet article sont ceux « constatés dans les tableaux d'équilibre relatifs à l'exercice 2021 figurant à l'article 1er », conformément à l'article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale. Par conséquent, le montant du déficit pour 2021 mentionné à l'article 2 ne peut s'entendre que comme correspondant à celui approuvé à l'article 1er ».

Le Conseil constitutionnel confirme donc que les « vrais » déficits sont ceux figurant à l'article 1er, c'est-à-dire ceux prenant en compte la correction apportée par le Parlement.

La difficulté actuelle à reconstituer des séries prenant en compte la correction apportée par le Parlement

Les résultats de l'exercice 2020 n'ont été modifiés dans aucun document législatif ou comptable, ce qui complique la reconstitution de séries prenant en compte la modification apportée par le Parlement dans le cas de l'exercice 2021.

Ainsi, dans son rapport sur le présent Placss, la rapporteure générale de l'Assemblée nationale « a choisi, pour comparer l'exécution budgétaire, de se fonder, pour l'année 2021, sur les chiffres présentés dans l'annexe B de la LFSS 2023 ».

De même, le Repss « Financement » comprend (p. 67) un tableau indiquant, pour 2021, le solde de - 22,7 Md€ (et non le solde corrigé de
- 27,7 Md€).

Un statu quo qui semble malheureusement inévitable

La rapporteure générale aurait souhaité achever, dans le présent Placss, la correction des tableaux d'équilibre 2020 et 2021 initiée lors de l'examen du PLFSS 2023.

Certes, les caisses demeurent opposées à la correction demandée par la Cour des comptes et votée par le Parlement. Ainsi, comme la Cour des comptes le déplore dans son rapport de certification des comptes 2022, les organismes nationaux du régime général et leurs tutelles n'ont pas accédé à sa demande d'établir, dans le cadre des comptes 2022, des comptes pro forma de l'exercice 2021 prenant en compte cette correction148(*).

La DSS, auditionnée par la rapporteure générale, estime qu'il convient juridiquement de distinguer les comptes des branches, arrêtés selon une procédure fixée par le code de la sécurité sociale, des tableaux d'équilibre, approuvés par le Parlement. Elle a en outre déclaré ne pas avoir contre-expertisé le montant de 5 Md€ avancé par la Cour des comptes, considérant que le « vrai montant », même si on souhaitait l'imputer sur 2021, pourrait être différent. Par ailleurs, elle indique que la solution retenue, consistant à faire état de la correction apportée par le Parlement en annexe aux comptes 2022, correspond aux préconisations du conseil de normalisation des comptes publics (CNoCP).

Toutefois il serait logiquement incohérent de disposer, d'une part, des tableaux d'équilibre approuvés par le Parlement, et, d'autre part, des comptes des caisses, qui ne seraient pas compatibles avec ceux-ci. Par ailleurs, il existe une hiérarchie des normes. On a bien compris que les caisses et leurs tutelles sont en désaccord avec la Cour des comptes sur l'exercice d'imputation de la régularisation des cotisations dues par les travailleurs indépendants. Il est normal, et inévitable, qu'un organisme ait parfois des désaccords avec son certificateur. Il n'en demeure pas moins que les chiffres arrêtés par le Parlement, sur la base du rapport de certification de la Cour des comptes, et validés par le Conseil constitutionnel, dont les décisions s'imposent aux pouvoirs publics aux termes de l'article 62 de la Constitution, doivent être considérés comme les « vrais » chiffres, et figurer dans l'ensemble des documents. Si, lors du travail de correction des comptes au niveau des caisses, il apparaissait que le « vrai » montant était légèrement différent de 5 Md€, l'ajustement pourrait être réalisé rétroactivement par le législateur, dans le cadre d'un PLFSS ultérieur (dans les données historiques de l'annexe).

Cependant, bien que l'Assemblée nationale ait voté le PLFSS 2023 avec son article 1er tel que modifié par le Sénat, la rapporteure générale de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, dans son rapport sur le présent Placss, évoque des « divergences d'interprétation avec l'Assemblée nationale, qui n'avait pas fait cette modification en première lecture ».

Votre rapporteure générale prend acte de cette position. Elle persiste toutefois à considérer que l'analyse de la Cour des comptes est fondée. Au-delà du cas d'espèce, elle estime qu'il serait de bonne pratique que le Parlement considère que la Cour des comptes dispose de l'expertise en matière de certification comptable, et effectue les corrections nécessaires lors de l'approbation des comptes.

2. Dans le cas de l'année 2022, le refus de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf

Dans le cas de l'exercice 2022, qui fait l'objet du présent Placss, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf.

Elle justifie ce refus par les insuffisances en matière de maîtrise des risques, c'est-à-dire en particulier de paiement aux assurés des montants qui leur sont effectivement dus (ce qu'on appelle le « paiement à bon droit »).

En effet, les comptes sont établis sur la base non des encaissements et des décaissements, mais des dettes et des créances. Cela explique que la Cour des comptes s'intéresse dans le cadre de la certification des comptes à ce qui pourrait a priori sembler relever de considérations de bonne gestion ou d'efficacité.

Les raisons du refus de la Cour des comptes de certifier les comptes 2022
de la branche famille et de la Cnaf

La Cour des comptes souligne en particulier la dégradation de l'indicateur dit de « risque financier résiduel ». Prévu par l'article D. 114-4-7 du code de la sécurité sociale, cet indicateur évalue, sur la base d'un échantillon, les erreurs, à la hausse ou à la baisse, qui ne seront jamais détectées. Cet indicateur est estimé :

- à 9 mois, à 10,4 % pour les prestations versées en 2022 (contre 10,3 % pour celles versées en 2021 et 9,4 % pour celles versées en 2020), soit 7,7 Md€ (ces erreurs correspondent même à un quart des montants versés en 2022 dans le cas de la prime d'activité, à près d'un sixième dans celui du revenu de solidarité active (RSA) et à un huitième dans le cas des aides au logement) ;

- à 24 mois, à 7,6 % pour les prestations versées en 2021 (contre 7,1 % pour celles versées en 2020 et 5,5 % pour celles versées en 2019), soit 5,8 Md€ d'indus et de rappels qui ne seront jamais détectés, ce montant ayant doublé en quatre ans.

La Cour des comptes souligne également l'absence d'inflexion notable des performances en matière de maîtrise des risques et des insuffisances persistantes en matière de lutte contre la fraude.

Contrairement à ce qui a été le cas pour l'exercice 2021, il ne paraît pas possible de modifier le tableau d'équilibre. En particulier :

- dans le cas de l'exercice 2021, il s'agissait seulement de déterminer si la régularisation des cotisations dues par les travailleurs indépendants, dont le montant en milliards d'euros n'était contesté par personne, devait être imputée sur l'exercice 2020 ou l'exercice 2021. Dans le cas présent, la situation est différente puisque le montant des erreurs est purement estimatif ;

- bien que le « paiement à bon droit » soit un élément essentiel de l'exactitude des comptes, il s'agit également d'un sujet de gestion et de politique de lutte contre la fraude, qui ne peut être abordé sous le seul angle comptable ;

- la Cour des comptes n'indique pas comment les sommes en jeu (7,7 Md€ à 9 mois, 5,8 Md€ à 24 mois) se répartissent entre les différentes branches, de même qu'entre les indus (c'est-à-dire les sommes payées à tort) et les rappels (c'est-à-dire les sommes que les branches auraient dû verser), même s'il ressort des données disponibles que la branche famille et la Cnaf ont tendance à « trop payer » plutôt qu'à ne « pas assez payer »149(*).

C. Rétablir la publication dans les annexes aux prochains Placss des explications des tableaux d'équilibre

La recommandation 1 du récent rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) est de « rétablir la production des éléments d'information, à joindre en annexe au Placss, détaillant, expliquant et comparant selon les exercices les tableaux d'équilibre et le tableau de situation patrimoniale ».

En effet, jusqu'au présent Placss, la première partie de l'annexe au PLFSS sur les recettes, les dépenses et le solde des régimes (annexe 4 jusqu'au PLFSS 2022 ; annexe 3 au PLFSS 2023) détaillait en une vingtaine de pages les éléments de présentation de ces tableaux.

La direction de la sécurité sociale (DSS) considère que si cette présentation était exigée par le droit alors applicable, ce n'est plus le cas depuis la révision organique de 2022, ces informations devant selon elle désormais être publiées dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS)150(*).

Toutefois on ne peut exclure que certaines années le rapport de la CCSS soit publié après le dépôt du PLFSS. Placer ces éléments dans le rapport de la CCSS risquerait de conduire au résultat paradoxal que certaines années, le Parlement ne disposerait plus, lors du dépôt du Placss, d'informations essentielles sur les principaux tableaux devant figurer dans la Lacss.

La commission estime donc nécessaire que, comme le recommande la Cour des comptes, les présentations constituant la première partie de l'annexe 4 aux PLFSS antérieurs à la réforme organique (dont celle des tableaux d'équilibre) soient rétablies dans les annexes aux prochains Placss (cf. supra première partie, II. B. 2).

D. L'avis de la Cour des comptes sur les tableaux d'équilibre

En application de l'article L.O. 111-4-6 du code de la sécurité sociale, la Cour des comptes a émis un avis (comme d'habitude publié dans le Ralfss) sur les tableaux d'équilibre figurant au présent article.

Cet avis comprend quatre observations (cf. encadré) :

- l'observation 1, relative aux délais de production des comptes, a été explicitée supra (cf. première partie du présent rapport, II. A. 2. a) ;

- l'observation 2, relative à la réduction de l'information du Parlement, a été explicitée au II. B. 2 de la première partie du présent rapport ;

- l'observation 3, relative à la fiabilité des comptes, concerne notamment le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la Cnaf et de la branche famille (cf. I. B. 2 du présent commentaire d'article) ;

- l'observation 4, relative aux contractions de produits et de charges, est reconduite chaque année par la Cour.

Au total, la Cour des comptes indique que si les tableaux d'équilibre fournissent une représentation cohérente des recettes, des dépenses et du solde, c'est « avec un niveau d'assurance inférieur à celui des années précédentes ».

Par ailleurs, la recommandation 2 du Ralfss 2023 (figurant déjà les Ralfss antérieurs) est de « Renforcer la traçabilité et revoir les modalités d'établissement, de validation, de formalisation et d'explication des retraitements opérés pour la production des tableaux d'équilibre, afin de permettre à la Cour de communiquer au Parlement ses avis sur leur cohérence au moment du dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale »151(*).

Avis de la Cour des comptes sur les tableaux d'équilibre
au 31 décembre 2022

« En application de l'article LO. 111-4-6 du code de la sécurité sociale, auquel renvoie l'article LO. 132-3 du code des juridictions financières, la Cour a procédé à des vérifications sur les tableaux d'équilibre de l'exercice 2022 établis par la DSS, qui seront soumis à l'approbation du Parlement dans le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale 2023.

À l'issue de ces vérifications et sur le fondement des éléments d'information qui lui ont été communiqués par la DSS, la Cour estime que, du fait de leurs conditions de réalisation et d'audit, les tableaux d'équilibre précités fournissent une représentation cohérente des recettes, des dépenses et du solde qui en découle au regard des comptes arrêtés par les entités relevant de leurs périmètres respectifs, avec un niveau d'assurance inférieur à celui des années précédentes. Elle formule à cet égard les observations suivantes :

- 1. les conséquences du nouveau calendrier d'approbation des tableaux d'équilibre déterminé par la loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, notamment par le dépôt du Placss avant le 1er juin, n'ont pas été tirées en matière de production des comptes [...] ;

- 2. selon les indications données à la Cour, les commentaires et explications fournis, jusqu'en 2021, à l'appui des tableaux d'équilibre, en annexe au PLFSS, ne seront plus joints au projet de loi d'approbation des comptes, ce qui réduit en conséquence l'information communiquée au Parlement [...] ;

- 3. des faiblesses persistantes des dispositifs de contrôle interne et des difficultés comptables continuent à affecter la fiabilité des comptes retracés dans les tableaux d'équilibre pour l'exercice 2022, comme le soulignent le rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale pour l'exercice 2022 et les rapports d'opinion des commissaires aux comptes de la Mutualité agricole, du FSV et de l'Énim pour ce même exercice [...] ;

- 4. les tableaux d'équilibre sont établis en procédant à des contractions de produits et de charges non conformes au cadre normatif fixé par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale pour l'établissement des comptes annuels [...] ».

Source : Cour des comptes, Ralfss 2023

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

Puis elle a rejeté l'ensemble du projet de loi.

Article 2
Approbation des dépenses constatées relevant de l'Ondam,
des recettes affectées au FRR, des recettes mises en réserve par le FSV
et du montant de la dette amortie par la Cades

Cet article propose d'approuver les dépenses constatées relevant de l'Ondam, les recettes affectées au FRR, les recettes mises en réserve par le FSV et le montant de la dette amortie par la Cades.

I - Le dispositif proposé

Conformément aux dispositions des 2° et 3° de l'article L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale, inséré par la loi organique du 14 mars 2022, cet article tend à approuver les dépenses constatées relevant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), les recettes affectées au Fonds de réserve des retraites (FRR), les recettes mises en réserve par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et le montant de la dette amortie par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

Ces dispositions figuraient jusqu'alors dans les premières parties des PLFSS, dont elles constituaient une partie de l'article premier152(*).

Article L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale

(inséré par la loi organique du 14 mars 2022)

(extrait)

« La loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale :

[...]

2° approuve les tableaux d'équilibre du dernier exercice clos des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, par branche, et des organismes concourant au financement de ces régimes ainsi que les dépenses relevant du champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie constatées lors de cet exercice ;

3° approuve, pour ce même exercice, les montants correspondant aux recettes affectées aux organismes chargés de la mise en réserve de recettes au profit des régimes obligatoires de base [le Fonds de réserve des retraites (FRR)] et aux organismes concourant au financement de ces régimes [le Fonds de réserve des retraites] et les montants correspondant à l'amortissement de leur dette [la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades)] ;

[...] ».

A. Les dépenses relevant du champ de l'Ondam

Le 1° du présent article indique le montant en 2022 des dépenses entrant dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), soit 247,2 Md€.

1. En 2022, un nouveau dépassement de l'Ondam de plus de 10 Md€

a. Un dépassement de 10,4 Md€ par rapport à la LFSS 2022

La loi de financement pour 2022153(*) a fixé l'Ondam 2022 à 236,8 Md€. Le projet de loi d'approbation des comptes constate un atterrissage évalué à 247,2 Md€, soit un écart de 10,4 Md€.

La trajectoire initialement présentée par le Gouvernement au dépôt du PLFSS 2022, avec un Ondam projeté alors à 236,3 Md€, constituait une baisse anticipée par rapport à l'Ondam 2021 révisé, de 0,3 %154(*), en intégrant l'ensemble des dépenses liées tant à la crise sanitaire qu'au Ségur de la santé. Hors crise et hors Ségur, la trajectoire de progression était de 2,6 % sur l'année.

L'exécution s'écarte finalement très largement des différentes trajectoires présentées en annexe au PLFSS 2022155(*) puisque, toutes dépenses confondues, l'Ondam est finalement en progression de 2,9 %, et de 5,0 % en retenant le champ des dépenses hors crise et hors Ségur.

Taux d'évolution de l'Ondam en 2020, 2021 et 2022

Source : Annexe 3 au Placss 2022

· L'exercice 2022 marque ainsi la troisième année consécutive de dépassement de l'Ondam, tant initial que révisé en LFSS de l'année suivante, après un dépassement de 13,8 Md€ (6,7 %) en 2020 et 14,6 Md€ (6,5 %) en 2021. De 2011 à 2019, les Ondam avaient été systématiquement respectés.

Les dépassements successifs cumulés à des trajectoires initiales déjà dynamiques ont produit un effet d'emballement de l'Ondam sur les dernières années. Ainsi, selon les données annexées au Placss 2022, l'Ondam a suivi depuis 2019 une évolution annuelle moyenne de 6,9 %, toutes dépenses confondues, et 3,3 % en retranchant les dépenses covid et liées au Ségur.

La rapporteure générale émet de sérieux doutes sur la capacité de l'Ondam à retrouver la seule trajectoire « avec Ségur, mais sans covid » en 2023, alors même que les dépenses liées à la crise sanitaire devraient, du fait de la situation épidémique, être fortement atténuées. Elle constate en outre qu'au niveau aujourd'hui atteint par l'Ondam, une augmentation « modérée » de 2,3 % annuels correspond désormais à plus de 5 Md€ de dépenses supplémentaires.

b. Un dépassement encore plus important sur la base des programmations à moyen terme des LFSS précédentes

En 2022, les dépenses relevant de l'Ondam ont été supérieures de respectivement 32,8 Md€, 32,0 Md€, 19,8 Md€ et 10,4 Md€ aux prévisions des LFSS pour 2019, 2020, 2021 et 2022.

Ondam : prévision et exécution

(en milliards d'euros)

Source : LFSS 2018 à 2023, Placss

2. Un dépassement non uniquement lié à la crise sanitaire

Le dépassement de l'Ondam 2022 de 10,4 Md€ se constate sur les deux plus gros sous-objectifs, relatifs aux soins de ville et aux établissements de santé, ainsi que, pour un montant moindre mais une proportion bien supérieure, sur le sous-objectif portant les dotations aux opérateurs.

Ondam 2022 initial, révisé et constaté, par sous-objectifs

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après l'annexe 3 au Placss

L'écart entre l'Ondam 2022 voté et l'Ondam 2022 exécuté avait pour partie été anticipé dès la LFSS 2023 à l'automne 2022, au regard de la forte dynamique des dépenses de la première partie de l'année.

Pour rappel, l'Ondam 2022 avait été révisé en LFSS 2023 à la hausse de 10,2 Md€, dont 7,1 Md€ au titre des dépenses de crise et 2,3 Md€ au titre du contexte inflationniste et des revalorisations.

c. Un impact sensible de la crise sanitaire

· Pour les deux tiers (6,8 Md€), le dépassement de l'Ondam demeure le fait de la crise sanitaire.

Les surcoûts156(*) liés à la crise sont évalués par le Gouvernement à 11,7 Md€, dont 6,6 Md€ sur les soins de ville, avec principalement :

4,3 Md€ liés à la réalisation de tests diagnostiques (PCR ou antigéniques) en ville ;

1,8 Md€ versés au titre d'indemnités journalières pour personnes malades, cas contacts ou garde d'enfants ;

une dotation supplémentaire à Santé publique France de 3,8 Md€ au titre des achats de vaccins et de traitements contre la covid-19 mais aussi de l'organisation de la campagne vaccinale ;

- une dotation aux établissements de santé pour la couverture des surcoûts covid, à hauteur de 0,6 Md€.

Pour rappel, le Gouvernement avait inscrit au titre des dépenses covid une « provision » de 4,9 Md€, dont 3,3 Md€ en vue de la vaccination et 1,6 Md€ pour les dépistages.

Force est de constater que cette provision, très loin des surcoûts covid constatés en 2020 et 2021 mais pourtant déjà substantielle, a été très largement en-deçà. Les vagues liées aux variants Delta puis Omicron à la fin de l'année 2021 et au début de l'année 2022 ont notamment particulièrement majoré le recours aux tests, qui représentent à eux seuls plus d'un tiers des surcoûts.

d. Des mesures nouvelles en cours d'année

Si les dépenses liées à la crise sanitaire représentent la majeure partie de l'écart à la trajectoire, le poids de dépenses non liées à la crise est particulièrement important dans le dépassement constaté pour 2022.

· Une partie du dépassement de l'Ondam est ainsi liée aux mesures prises par le Gouvernement dans le contexte de forte inflation constatée à partir du début de l'année 2022. Ces mesures représenteraient un coût supplémentaire sur l'Ondam à hauteur de 2,3 Md€.

La seule prise en charge de la revalorisation du point d'indice et de mesures équivalentes dans le privé compte pour 1,5 Md€. Une enveloppe budgétaire de 0,8 Md€ a également été décidée par le Gouvernement à destination des établissements publics et privés sanitaires et médico-sociaux, pour la couverture de l'augmentation des charges non salariales liées à l'inflation, et ce alors que les principaux postes de dépenses des établissements, que sont l'énergie, la restauration ou les produits médicaux, ont été particulièrement sensibles à l'inflation.

· En outre, le dépassement de l'Ondam est aussi le fait de la mise en oeuvre des mesures issues de la mission flash sur les urgences, ou « mission Braun », menée à l'été 2022. Les mesures relatives aux urgences et aux soins non programmés, portant notamment sur la revalorisation du travail de nuit et du temps de travail additionnel, ont pesé pour 0,7 Md€.

e. Un dépassement de fin d'exercice non lié à la crise

Enfin, le dépassement de 0,2 Md€ par rapport à la prévision actualisée en LFSS 2023 appelle plusieurs observations.

Sur sa ventilation, tout d'abord, le Gouvernement constate que ce dépassement porterait principalement sur les soins de ville et les établissements de santé, respectivement pour 0,4 Md€ et 0,2 Md€, quand l'Ondam médico-social serait sous-consommé de 0,2 Md€.

Sur ses causes, ensuite, car ce dépassement de fin d'exercice n'est pas le fait de la crise sanitaire, bien au contraire, l'année 2022 se démarquant sur ce point des exercices précédents. Les dépenses non liées à la crise seraient ainsi finalement supérieures de 0,5 Md€, quand les dépenses liées à la crise covid seraient 0,3 Md€ en dessous de la prévision.

Le dépassement est ainsi marqué, selon le Gouvernement, pour l'Ondam « soins de ville », sur les indemnités journalières, du fait d'un « effet prix », ou encore les prises en charges de cotisations des professionnels ou auxiliaires médicaux et, dans une moindre mesure, avec un dépassement des honoraires médicaux et dentaires. Pour les établissements de santé, un dépassement de 0,2 Md€ est constaté du fait des dépenses liées à la « liste en sus »157(*).

B. Un comité d'alerte en sommeil prolongé et l'absence de PLFRSS, malgré des mesures de 3 Md€ en 2022

L'Ondam occupe une place particulière au sein des objectifs de dépenses des branches de la sécurité sociale. Conçu comme une norme de dépenses et un outil de pilotage, il fait l'objet de différents mécanismes de maîtrise de la dépense infra-annuels, au moyen notamment de gels de crédits ou minorations prudentielles des tarifs.

1. Un comité d'alerte en sommeil prolongé

Dans cette même veine, le code de la sécurité sociale158(*) prévoit qu'un comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie produit trois fois par an des avis sur la trajectoire de l'Ondam. En cas de « risque sérieux » de dépassement de cette dernière, il en notifie le Parlement, le Gouvernement et les caisses, lesquelles doivent alors proposer des mesures de redressement. Le « seuil d'alerte » est fixé depuis 2014 à 0,5 %159(*).

Depuis l'année 2020, le mécanisme d'alerte est partiellement « suspendu », les LFSS prévoyant160(*) que, dans le cas où le risque sérieux est imputable à l'évolution des dépenses liées à la crise sanitaire, la procédure de notification n'est pas appliquée.

a. En 2022, la confirmation tardive de mesures coûteuses permettant d'éviter le déclenchement de la procédure d'alerte

Pour 2022, selon l'annexe 3 au présent Placss, le dépassement non imputable à la covid-19 serait de 2,8 Md€161(*), soit 1,2 % du montant de l'Ondam.

On pourrait a priori s'étonner que le comité d'alerte n'ait pas identifié de « risque sérieux », alors que le dépassement de l'Ondam hors covid finalement constaté a correspondu à plus de deux fois le seuil d'alerte (de 0,5 %, soit 1,184 Md€ en 2022).

En effet, le comité n'a pas émis d'alerte particulière dans son avis du 30 mai 2022, considérant que le « risque sérieux » « rel[evait] pour l'essentiel des surcoûts induits par l'épidémie de covid-19 », n'évoquant un « risque sérieux » qu'au conditionnel, en cas de « revalorisation du point d'indice de la fonction publique (...) d'une certaine ampleur »162(*).

Toutefois, le taux de revalorisation du point d'indice (3,5 %) et sa date d'entrée en vigueur (1er juillet) n'ont été annoncés que le 28 juin 2022 ; et le 0,8 Md€ pour la couverture de l'augmentation des charges non salariales liées à l'inflation et le 0,7 Md€ de la « mission Braun » sur les urgences163(*) ont été annoncés postérieurement à l'avis du comité d'alerte.

Bien que le comité d'alerte ait chiffré à 0,3 Md€ l'impact sur l'Ondam d'une augmentation de 1 % du point d'indice de la fonction publique164(*), on conçoit qu'il lui aurait été difficile de déclencher la procédure d'alerte sur la base de mesures encore inconnues.

Ce qui est plus critiquable, c'est que le Gouvernement ait attendu la publication de l'avis du comité d'alerte pour préciser ou annoncer les différentes mesures.

Dans son avis rendu à l'automne 2022, le comité d'alerte s'est borné à constater la nouvelle trajectoire présentée par le Gouvernement, révisant l'Ondam de 10,2 Md€.

b. Supprimer la disposition selon laquelle la procédure d'alerte ne se déclenche que si le dépassement provient des dépenses hors crise sanitaire

La recommandation 5 du Ralfss 2023 est de « rétablir le seuil d'alerte en cas de risque de dépassement de l'Ondam de 0,5 % sans distinction entre dépenses covid et hors covid ».

La commission ne peut qu'approuver cette recommandation, alors que la covid-19 fait désormais partie du paysage épidémiologique.

Par ailleurs, la dérogation actuelle incite de fait le Gouvernement à majorer ses estimations de l'impact de la crise sanitaire afin de s'affranchir de la règle.

2. L'absence de PLFRSS, malgré des mesures de 3 Md€ en 2022

Sans que ne soit contesté le caractère justifié des dépenses nouvelles réalisées en cours d'exercice, la commission constate que de tels écarts n'ont, encore une fois et ici sans être liés à la crise sanitaire, pas été sanctionnés par une loi de financement rectificative. Pourtant, l'impact financier identifiable avant l'été, était largement supérieur à l'impact sur l'année en cours du PLFRSS 2023.

Comme elle le fait depuis 2020, la commission estime indispensable le dépôt de textes rectificatifs en cours d'exercice lorsque les conditions de l'équilibre général sont appelées à être remises en cause.

Les mesures prises en conséquence de l'inflation (augmentation du point d'indice de la fonction publique, couverture de l'augmentation des charges non salariales liées à l'inflation) et la « mission Braun » sur les urgences représentent un coût total de 3 Md€ en 2022165(*).

Certes, le déficit de la sécurité sociale ayant finalement été inférieur de 1,8 Md€ aux prévisions de la LFSS 2022, l'équilibre financier de la sécurité sociale n'était pas remis en cause, de sorte que le Gouvernement n'avait pas l'obligation de remettre le rapport prévu par l'article L.O. 111-9-2-1 du code de la sécurité sociale (cf. encadré).

À l'initiative du Sénat, plusieurs « clauses de retour devant le Parlement » avaient été inscrites à la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale lors de sa révision de 2022166(*).

En particulier167(*), l'article L.O. 111-9-2-1 du code de la sécurité sociale prévoit depuis 2022 :

« Lorsque, en cours d'exercice, les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale déterminées en loi de financement de la sécurité sociale sont remises en cause, le Gouvernement adresse sans délai aux commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale un rapport présentant :

1° les raisons de la dégradation de la situation financière de la sécurité sociale ;

2° les modifications projetées des tableaux d'équilibre établis dans la précédente loi de financement ainsi que la révision projetée, le cas échéant, des objectifs de dépenses par branche et de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie ;

3° les mesures envisagées de redressement des comptes de la sécurité sociale pour l'année en cours.

En l'absence de dépôt d'un projet de loi de financement de l'année ou rectificative, un rapport actualisé est transmis chaque trimestre.

La commission saisie au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale de chaque assemblée fait connaître son avis au Premier ministre sur les modifications et mesures mentionnées aux 2° et 3°. »

Toutefois des mesures équivalentes auraient été inscrites dans un collectif budgétaire si elles s'étaient trouvées dans le champ de l'État. Dès lors que ces dépenses supplémentaires ne consistaient pas en de simples dépassements de crédits évaluatifs, mais bien en des mesures nouvelles, il aurait été de bonne pratique de les inscrire dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).

C. Les autres montants indiqués par le présent article

1. Les recettes (nulles) affectées au Fonds de réserve pour les retraites (FRR)

Le 2° du présent article indique le montant (nul) des recettes affectées au Fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour 2022.

Le FRR a été créé par la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999.

L'objectif initial, affirmé par l'article L. 135-6 du code de la sécurité sociale, était de « contribuer à la pérennité des régimes de retraite » (régime général et FSV). Ses ressources affectées (prévues par l'article L. 135-7 du même code) et divers abondements ont permis aux réserves d'atteindre le montant de 31,38 Md€ en 2010.

La crise des dettes souveraines a toutefois conduit la LFSS 2011 à réaffecter ces ressources à la Cades et au FSV et à modifier l'article L. 135-6 précité, pour prévoir que de 2011 à 2024, « le fonds verse chaque année, au plus tard le 31 octobre, 2,1 milliards d'euros à la Caisse d'amortissement de la dette sociale afin de participer au financement des déficits, au titre des exercices 2011 à 2018, [de la Cnav et du FSV] ».

En conséquence de la crise sanitaire, la loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie a à nouveau modifié l'article L. 135-6 du code de la sécurité sociale, qui prévoit désormais que de 2025 à 2033, le FRR versera chaque année à la Cades, dans la limite de ses réserves et de la durée nécessaire à l'apurement de la dette afférente aux déficits de la branche vieillesse du régime général, 1,45 Md€ au titre du financement de l'amortissement de cette dette résultant des exercices postérieurs à 2018.

Le présent article confirme que, comme chaque année depuis 2011, les recettes affectées au FRR ont été nulles.

2. Les recettes (nulles) mises en réserve par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV)

Le 3° du présent article indique le montant (nul) des recettes mises en réserve par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Comme indiqué par l'annexe 7 du présent Placss, l'exercice 2022 a vu le retour à une situation d'excédent du FSV (ce qui ne s'était pas produit depuis 2009), avec un résultat net de 1,3 Md€ (contre - 1,5 Md€ en 2021,
- 2,5 Md€ en 2020 et - 1,6 Md€ en 2019).

Ce résultat s'explique par la baisse du nombre de chômeurs (les prises en charge de cotisations au titre des périodes assimilées de chômage constituant près des deux tiers des charges de l'établissement168(*)) et la dynamique des recettes.

3. Le montant de la dette amortie par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades)

Le 4° du présent article propose l'approbation du montant de la dette amortie par la Cades en 2022, soit 19 Md€.

L'amortissement est égal à la différence entre le produit net des ressources affectées (soit le produit de la CRDS, de 0,6 point de CSG et du versement annuel effectué par le FRR à la Cades) et le montant de ses frais financiers nets.

Il correspond au résultat de la Cades. En effet, les achats de dette ne constituent pas des dépenses au sens de la comptabilité générale (ni de la comptabilité nationale).

Montant de la dette amortie par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades)

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les LFSS et le présent projet de Lacss

Les produits et les charges de la caisse se sont élevés à respectivement 21,2 Md€ et 2,2 Md€, d'où un bénéfice de 19,0 M€.

Dans le contexte de la crise sanitaire, la loi n° 2020-992 du 7 août 2020 a prévu la reprise par la Cades de 123 Md€ de déficits sociaux portés par l'Acoss, se répartissant entre 31 Md€ pour des déficits antérieurs à 2020 et 92 Md€ au titre des déficits 2020 à 2023. En conséquence, l'existence de la Cades a été prolongée de 2024 à 2033.

Fin 2022, les dettes reprises cumulées étaient de 360,5 Md€, dont 224,3 Md€ avaient été amortis (dont on l'a vu 19,0 M€ au cours de la seule année 2022), d'où une situation nette (correspondant à des dettes restant à amortir) de 136,2 Md€.

Bien que la nouvelle date limite d'amortissement des sommes transférées à la Cades soit le 31 décembre 2033, l'absence de perspective de retour à un équilibre financier de la sécurité sociale rend le respect de cette échéance particulièrement incertain.

Comme la Cour des comptes le souligne dans le Ralfss 2023, « en 2023, [la Cades] reprendra 24 Md€ au profit de la branche maladie pour couvrir le déficit de 2022 (21 Md€) et les reliquats de 2021 (0,2 Md€), 3 Md€ au profit de la branche vieillesse et 3 Md€ pour la dernière tranche du dispositif à destination des établissements de santé participant au service public. Il ne restera donc plus que 8,8 Md€ disponibles à la Cades en application de la loi du 7 août 2020 pour reprendre les déficits des années 2023 et suivantes du régime général. Cette somme devrait seulement permettre de reprendre l'essentiel des déficits de 2023 des branches maladie et vieillesse du régime général. En revanche, il faudra élaborer de nouvelles solutions pour la reprise des déficits de la CNRACL constatés depuis 2020 et pour ceux des branches maladie et vieillesse du régime général constatés à partir de 2024, pour éviter qu'ils ne pèsent sur les soldes de l'Acoss ».

Les perspectives d'amortissement de la dette de la Cades

Le conseil d'administration de la Cades a décidé fin 2020 de lancer un audit du modèle de gestion existant, permettant de calculer la durée de vie résiduelle de la Cades, mais également de servir d'outil d'aide à la décision pour effectuer des choix stratégiques. La version du nouveau modèle a été livrée par le prestataire choisi par appel d'offres et a fait l'objet d'une recette. Le modèle doit être opérationnel lors de l'élaboration du PLFSS 2024 en septembre 2023.

La Cades a indiqué à la rapporteure générale que, sur la base du modèle actuel, la Cades aura amorti l'intégralité de la dette qui lui aura été transférée au cours de l'année 2032 selon un scénario médian. Selon un scénario optimiste, dit « à 95 % de risque », la Cades pourrait amortir l'intégralité de la dette en 2031, contre 2033 selon un scénario plus pessimiste dit « à 5 % de risque ».

La Cades souligne que, compte tenu de l'incertitude liée à la situation économique (hausse des taux, inflation) et des résultats issus de la mise en oeuvre du nouveau modèle lors de l'élaboration du PLFSS 2024, le maintien de l'échéance de 2033 en cas de nouveau transfert de dettes ne serait pas acquis.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a rejeté cet article.

Puis elle a rejeté l'ensemble du projet de loi.

Article 3
Approbation du rapport annexé sur les excédents ou déficits
de l'exercice 2022 et le tableau patrimonial (annexe)

Cet article propose d'approuver le rapport annexé à la future Lacss sur la situation patrimoniale et les mesures prévues pour l'affectation des excédents ou la couverture des déficits.

I - Le dispositif proposé

A. Un rapport qui, selon la lettre de la loi organique, devrait constituer une annexe au Placss (et non à la future Lacss)

Conformément aux dispositions du 4° de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, cet article approuve le rapport sur la situation patrimoniale (c'est-à-dire le bilan) des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss), du Fonds de réserve des retraites (FRR) et de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), et sur les mesures prévues pour l'affectation des excédents ou la couverture des déficits.

Ces dispositions figuraient jusqu'alors dans la première partie des PLFSS, dont elles constituaient l'article 2 et l'annexe A (correspondant au rapport).

Il faut toutefois souligner que, d'un point de vue formel, selon la lettre des articles L.O. 111-4-4 et L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale (cf. encadré), le rapport devrait être annexé non à la future loi (comme le prévoit le présent article), mais au projet de loi lui-même (comme les sept annexes actuelles au projet de loi).

Article L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale

(inséré par la loi organique du 14 mars 2022)

(extrait)

« La loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale :

[...]

4° approuve le rapport mentionné au 2° de l'article L.O. 111-4-4. »

Article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale

« Sont jointes au projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale des annexes :

[...]

2° comportant un rapport décrivant les mesures que le Gouvernement a prises ou compte prendre pour l'affectation des excédents ou la couverture des déficits constatés à l'occasion de l'approbation des tableaux d'équilibre relatifs au dernier exercice clos. Ce rapport présente également un tableau, établi au 31 décembre du dernier exercice clos, retraçant la situation patrimoniale des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement, à l'amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit ;

[...]. »

B. La situation patrimoniale de la sécurité sociale au 31 décembre 2022

1. Vue d'ensemble

Le tableau patrimonial consolide l'ensemble des bilans des régimes et organismes compris dans son périmètre, qui comprend le régime général et quinze autres régimes, les organismes concourant à leur financement (FSV), à l'amortissement de leur dette (Cades) ou à la mise en réserve de recettes à leur profit (FRR).

Le tableau ci-dessous synthétise les principales lignes du bilan.

Principales lignes du bilan des Robss, du FSV, de la Cades et du FRR

(en milliards d'euros)

Actif

2022

2021

2020

Passif

2022

2021

2020

Immobilisations

7,3

7,3

7,3

Fonds propres

-99,2

-93,5

-86,7

Actif financier

57,1

63,9

68,1

Passif financier

179,8

179,2

178,8

Actif circulant

106,9

108

101,6

Passif circulant

73,7

72

64,1

Total de l'actif

171,3

179,2

177

Total du passif

171,3

179,2

177

NB : Les comptes 2020 et 2021 ne tirent pas les conséquences de la correction apportée par le Parlement aux comptes 2021 dans le cadre de l'examen du PLFSS 2023 (cf. commentaire de l'article 2).

Source : D'après le présent article

Ainsi, le bilan de la sécurité sociale en 2022 est de 171 Md€ (à comparer à 1 284 Md€ pour l'État).

Du côté de l'actif, l'actif financier consiste essentiellement en des valeurs mobilières (majoritairement détenues par le FRR) et en des encours bancaires ; l'actif circulant correspond essentiellement à des produits à recevoir de cotisations et contributions sociales.

Du côté du passif, le passif financier correspond très majoritairement à la dette de la Cades (144 Md€) ; et le passif circulant, aux dettes et charges à payer à l'égard des bénéficiaires des prestations.

Le passif net (ou « dette ») de la sécurité sociale, mesuré par ses fonds propres négatifs, et qui recouvre pour l'essentiel le cumul des déficits passés restant à financer, était de 99,2 Md€ au 31 décembre 2022, en nette détérioration par rapport à 2021.

2. L'avis de la Cour des comptes sur la cohérence du tableau patrimonial

En application du 2° de l'article LO. 111-4-6 du code de la sécurité sociale, la Cour des comptes a émis un avis sur « la cohérence du tableau patrimonial du dernier exercice clos » dans son rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Cet avis comprend trois observations (cf. encadré) :

- l'observation 1, relative aux délais de production des comptes, a été explicitée supra (cf. première partie du présent rapport, II. A. 2. a) ;

- l'observation 2, relative à la réduction de l'information du Parlement, a été explicitée au II. B. 2 de la première partie du présent rapport ;

- l'observation 3, relative à la fiabilité des comptes, concerne notamment le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la Cnaf et de la branche famille (cf. I. B. 2 du commentaire de l'article 1er).

Au total, la Cour des comptes indique que si les tableaux d'équilibre fournissent une représentation cohérente des recettes, des dépenses et du solde, c'est « avec un niveau d'assurance inférieur à celui des années précédentes ».

Avis de la Cour des comptes sur la cohérence
du tableau patrimonial au 31 décembre 2022

« En application du 2° de l'article LO. 111-4-6 du code de la sécurité sociale, auquel renvoie l'article LO. 132-3 du code des juridictions financières, la Cour a procédé à des vérifications sur le projet de tableau de situation patrimoniale au 31 décembre 2022 établi par la DSS, qui figurera dans le rapport soumis à l'approbation du Parlement dans le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022, ainsi que sur les éléments d'information qui lui ont été transmis.

À l'issue de ses vérifications, la Cour estime que, du fait de ses conditions de réalisation et d'audit, le tableau de situation patrimoniale précité fournit une représentation cohérente de la situation patrimoniale de la sécurité sociale au 31 décembre 2022 qui en découle au regard des comptes arrêtés par les entités relevant de leurs périmètres respectifs avec un niveau d'assurance inférieur à celui des années précédentes. Elle formule à cet égard les observations suivantes :

- 1. les conséquences du nouveau calendrier d'approbation des tableaux d'équilibre déterminé par la loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, notamment par le dépôt du Placss avant le 1er juin, n'ont pas été tirées en matière de production des comptes [...] ;

- 2. les annexes qui commentaient et expliquaient les tableaux d'équilibre et le tableau de situation patrimoniale dans le PLFSS ne seront plus jointes au Placss, ce qui réduit en conséquence l'information communiquée au Parlement [...] ;

- 3. la fiabilité des données comptables intégrées au tableau de situation patrimoniale au 31 décembre 2022 a un caractère variable et présente dans certains cas des insuffisances, comme le soulignent les opinions exprimées par la Cour sur les comptes de l'activité de recouvrement et des branches du régime général de sécurité sociale et celles des commissaires aux comptes de la Mutualité sociale agricole, du FSV et de l'Énim [...] ».

Source : Cour des comptes, Ralfss 2023

C. La couverture des déficits constatés sur l'exercice 2022

L'annexe au texte du Placss169(*) décrit « les mesures que le Gouvernement a prises ou compte prendre pour l'affectation des excédents ou la couverture des déficits constatés à l'occasion de l'approbation des tableaux d'équilibre relatifs au dernier exercice clos ».

Comme le souligne cette annexe, certains régimes présentent par construction des résultats annuels équilibrés ou très proches de l'équilibre et n'appellent par construction aucune mesure de ce type170(*).

S'agissant des déficits, l'annexe indique que le décret n° 2023-12 du 11 janvier 2023 organise des versements en 2023 de la Cades au bénéfice des branches maladie et vieillesse du régime général, à hauteur respectivement de 22,5 Md€ et de 1,7 Md€.

D. Rétablir la publication dans les annexes au Placss des explications du tableau patrimonial

La recommandation 1 du récent rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) est de « rétablir la production des éléments d'information, à joindre en annexe au Placss, détaillant, expliquant et comparant selon les exercices les tableaux d'équilibre et le tableau de situation patrimoniale ».

En effet, jusqu'au présent Placss, la première partie de l'annexe au PLFSS sur les recettes, les dépenses et le solde des régimes (annexe 4 jusqu'au PLFSS 2022 ; annexe 3 au PLFSS 2023) détaillait en une vingtaine de pages les éléments de présentation de ces tableaux.

La DSS considère que si cette présentation était exigée par le droit alors applicable, ce n'est plus le cas depuis la révision organique de 2022, ces informations devant selon elle désormais être publiées dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS)171(*).

Toutefois on ne peut exclure que certaines années le rapport de la CCSS soit publié après le dépôt du PLFSS. Placer ces éléments dans le rapport de la CCSS risquerait de conduire au résultat paradoxal que certaines années, le Parlement ne disposerait plus, lors du dépôt du Placss, d'informations essentielles sur les principaux tableaux devant figurer dans la Lacss.

La commission estime donc nécessaire que, comme le recommande la Cour des comptes, les présentations constituant la première partie de l'annexe 4 aux PLFSS antérieurs à la réforme organique (dont celle du tableau patrimonial) soient rétablies dans les annexes aux prochains Placss (cf. supra première partie, II. B. 2).

II - La suppression de cet article par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a supprimé cet article.

Puis elle a rejeté l'ensemble du projet de loi.

LEXIQUE DES PRINCIPAUX SIGLES ET ACRONYMES

ACE

Actes et consultations externes

Acoss

Agence centrale des organismes de sécurité sociale (devenue Urssaf Caisse nationale)

Agirc

Association générale des institutions de retraite des cadres

Ameli

Assurance maladie en ligne

Apu

Administrations publiques

Apuc

Administrations publiques centrales

Apul

Administrations publiques locales

Aripa

Agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires

Arrco

Association des régimes de retraite complémentaire

Aspa

Allocation de solidarité aux personnes âgées

Asso

Administrations de sécurité sociale

Atih

Agence technique de l'information sur l'hospitalisation

C2S

Complémentaire santé solidaire

CAS

Commission des affaires sociales

CCSS

Commission des comptes de la sécurité sociale

CEPS

Comité économique des produits de santé

CJF

Code des juridictions financières

Cnaf

Caisse nationale des allocations familiales

Cnam

Caisse nationale d'assurance maladie

Cnav

Caisse nationale d'assurance vieillesse

CNoCP

Conseil de normalisation des comptes publics

CPSTI

Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants

CSS

Code de la sécurité sociale

DG

Dotation globale

DRM

Dispositif de ressources mensuelles

DSS

Direction de la sécurité sociale

EAJE

Établissement d'accueil du jeune enfant

Énim

Établissement national des invalides de la marine

ETP

Équivalent temps plein

Ficoba

Fichier des comptes bancaires

FRR

Fonds de réserve des retraites

FSV

Fonds de solidarité vieillesse

HAD

Hospitalisation à domicile

HCFP

Haut Conseil des finances publiques

HProx

Hôpitaux de proximité

Ifpa

Intermédiation financière des pensions alimentaires

Insee

Institut national de la statistique et des études économiques

Lacss

Loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale

LFRSS

Loi de financement rectificative de la sécurité sociale

LFSS

Loi de financement de la sécurité sociale

LO

Loi organique

LOLF

Loi organique relative aux lois de finances

LPFP

Loi de programmation des finances publiques

LR

Loi de règlement

M€

Million d'euros

MCO

Médecine, chirurgie, obstétrique

Md€

Milliard d'euros

Mecss

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale
(au sein de chacune des deux commissions des affaires sociales)

Odac

Organismes divers d'administration centrale

Odass

Organismes dépendant des assurances de sécurité sociale

Ondam

Objectif national de dépense d'assurance maladie

OQN

Objectif quantifié national

PIB

Produit intérieur brut

Placss

Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale

PLF

Projet de loi de finances

PLFRSS

Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale

PLFSS

Projet de loi de financement de la sécurité sociale

PLPFP

Projet de loi de programmation des finances publiques

PNR

Passenger Name Record

Ralfss

Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (rapport annuel de la Cour des comptes)

Repss

Rapport d'évaluation de politiques de sécurité sociale (annexés au Placss)

Resf

Rapport économique, social et financier (annexé au PLF)

Robss

Régimes obligatoires de base de sécurité sociale

RSA

Revenu de solidarité active

Sandia

Service administratif national d'identification des assurés

Sepa

Single Euro Payments Area (espace unique de paiement en euros)

SSR

Soins de suite et de réadaptation

Ucanss

Union des caisses nationales de sécurité sociale

Unédic

Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce

Urssaf

Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. TRAVAUX DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

A. AUDITIONS

1. Audition de M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics (mercredi 14 juin 2023)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Monsieur le ministre, le Sénat est saisi du premier projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss), portant sur l'exercice 2022.

Comme vous le savez, cette catégorie de loi a été créée par la loi organique du 14 mars 2022, qui reprenait sur ce point une disposition figurant dans la proposition de loi organique déposée par Jean-Marie Vanlerenberghe et cosignée par plusieurs de ses collègues, dont moi-même.

Comme pour les lois de règlement du budget de l'État, les Placss ont pour objet de distinguer le temps de la reddition des comptes et du contrôle de l'exécution et de la performance et le temps de la prospective et de la réforme, incarnée par les PLFSS de fin d'année.

Elles donnent donc au Parlement un espace - dont il devra s'emparer au fil des ans - afin de se pencher sur le passé, de voir si ce qu'il a voté a été correctement exécuté et d'en tirer les conséquences politiques.

Je relève, à cet égard, que l'Assemblée nationale a rejeté en première lecture ce projet de loi.

Outre les travaux de la rapporteure générale, la commission des affaires sociales et la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) organiseront des auditions plénières dans ce cadre.

Monsieur le ministre, je vais vous laisser la parole pour un propos introductif. La rapporteure générale, Élisabeth Doineau, et les autres commissaires, notamment les rapporteurs de branche qui le souhaiteront, vous interrogeront par la suite.

Monsieur le Ministre, vous avez la parole.

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics. - Merci Madame la présidente.

Madame la rapporteure générale, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je tiens à souligner le caractère inédit de cette audition organisée dans le cadre de la nouvelle loi financière voulue par la révision organique de 2022.

Je forme avec vous le voeu que ces débats permettent d'enrichir le temps consacré à l'évaluation des comptes de l'exercice clos, tant sur le champ de l'État que de la sécurité sociale. Je répète ce que j'ai dit à l'Assemblée nationale sur ce texte comme sur le projet de loi de règlement de l'État. Il me semble que c'est un texte et un support très utiles pour une évaluation partagée, pour que nous puissions rendre des comptes sur l'exécution des budgets, mais il ne s'agit que d'une photographie des comptes exécutés l'année passée, comme un compte administratif.

Je fais partie des quelques membres du gouvernement qui sont également élus locaux. Je suis conseiller municipal d'opposition dans ma commune depuis dix ans mais cela finira peut-être par changer. J'assistais vendredi soir au conseil municipal au cours duquel le compte administratif de la commune nous a été présenté. Alors même que je n'avais pas voté le budget présenté par la majorité municipale, j'ai voté le compte administratif et je n'ai pas de souvenir d'une année où j'aie voté contre un compte administratif, puisqu'il ne s'agit que d'une photographie. Il en va de même pour ce texte. J'ai malheureusement constaté à l'Assemblée nationale que l'ensemble des oppositions ont voulu faire échec à ce texte, comme au projet de loi de règlement, au motif qu'elles sont en désaccord avec la politique gouvernementale. C'est évidemment très sain qu'il y ait des désaccords avec la politique gouvernementale, c'est la raison pour laquelle il y a des votes sur les textes budgétaires ou sur des motions de censure, mais il ne s'agit que d'une photographie de l'année précédente. On ne peut pas changer le passé, on peut s'en inspirer pour essayer de changer l'avenir, mais voter contre ce texte par principe ne me semble pas utile pour le pays.

Ce projet de loi donne une image sincère des comptes de la sécurité sociale. Trois branches sur cinq sont excédentaires : la branche autonomie affiche, pour sa deuxième année d'existence, un excédent de 200 millions d'euros ; la branche famille un excédent de 1,9 milliard d'euros ; la branche accidents du travail et maladies professionnelles un excédent 1,7 milliard d'euros. Cependant, les comptes de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse restent globalement déficitaires de 19,6 milliards d'euros car les deux principales branches sont en déficit, la maladie pour 21 milliards d'euros et les retraites pour 3,8 milliards d'euros.

Le déficit de la branche maladie tend à se résorber, même s'il reste élevé, notamment en raison des dépenses liées à la crise sanitaire qui ont atteint 11,7 milliards d'euros en 2022 et qui ont permis de financer la poursuite, en début d'année, des tests de dépistage et des campagnes de vaccination.

La situation de la branche vieillesse s'est dégradée par rapport à 2021 mais améliorée par rapport à 2020. C'est parce que la trajectoire de la branche n'était pas soutenable que nous avons porté une réforme des retraites qui permettra au système de revenir progressivement à l'équilibre.

Par rapport à 2021, le déficit de la sécurité sociale s'est réduit de 4,6 milliards d'euros. Outre les moindres dépenses de crise, cette amélioration est largement le fruit de nos politiques économiques, qui ont permis la création de 1,7 million d'emplois depuis 2017, dont 337 000 en 2022. Ces 337 000 emplois représentent 5 milliards d'euros de cotisations en plus par an pour la sécurité sociale, 5 milliards en plus pour nos hôpitaux, pour nos crèches, pour nos établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Combinées aux hausses de salaire, ces créations d'emplois ont permis une croissance de la masse salariale de 8,9 % en 2022. Au total, les recettes de la sécurité sociale, y compris la fiscalité affectée, ont progressé de 5,4 %.

Toutes les créations d'emplois depuis 2017 représentent 25 milliards d'euros de cotisations supplémentaires pour la sécurité sociale. Si nous n'avions pas favorisé la création de ce 1,7 million d'emplois, la sécurité sociale enregistrerait un déficit supplémentaire de 25 milliards d'euros.

J'ajoute que, pour la troisième année consécutive, l'État n'est plus débiteur mais créancier de la sécurité sociale, à hauteur de 100 millions d'euros, alors qu'il avait accumulé au cours de la décennie passée des dettes s'élevant jusqu'au milliard d'euros. C'est aussi un progrès pour la transparence de nos comptes dans les relations financières entre l'État et la sécurité sociale.

En 2022, la sécurité sociale a également continué à rembourser ses dettes à travers la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), qui a amorti 19 milliards d'euros et va continuer à les rembourser jusqu'en 2033, date de son extinction prévue par la loi organique du 7 août 2020.

Nous prenons par ailleurs acte du refus de la Cour des comptes de certifier les comptes 2022 de la branche famille. Ce n'est pas le premier refus de certification, il y en a eu huit depuis 2006, dont deux sur la branche famille, mais nous prenons les observations de la Cour très au sérieux et nous nous mobilisons sans attendre pour y répondre.

La majorité des erreurs de calcul soulignées par la Cour concernent le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d'activité. Nous avons pour priorité d'en fiabiliser la liquidation avec l'usage du dispositif ressources mensuelles (DRM), qui sera généralisé d'ici début 2025. Les caisses d'allocations familiales (Caf) disposeront d'informations fiabilisées, ce qui réduira drastiquement les cas d'erreur de calcul. Je souligne également que, sans attendre 2025, dès juillet prochain, le montant net social que doivent déclarer les allocataires sera inscrit sur les bulletins de paie, ce qui permettra de réduire les erreurs de bonne foi.

Enfin, je ne pourrais conclure sans confirmer l'intention du Gouvernement de mener une lutte inlassable et implacable contre toutes les fraudes aux finances publiques. En matière de fraude sociale, je viens d'annoncer un plan complet, avec un arsenal de mesures pour lutter contre le travail non déclaré, la fraude aux prestations de santé et la fraude aux prestations sociales.

En 2022, nous avons obtenu des résultats historiques dans la lutte contre la fraude, avec 50 % de redressement en plus en cinq ans dans les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) au titre du travail dissimulé, 30 % de préjudice détecté et évité par l'assurance maladie en plus, comme pour les caisses Caf et les caisses de retraite.

En matière fiscale, les mises en recouvrement par la direction générale des finances publiques ont atteint 14,6 milliards d'euros, un montant historique, mais nous pouvons et nous allons faire mieux, parce que notre modèle social est aussi porteur d'une exigence de justice, afin que le prélèvement dû soit bien acquitté et que les prestations dues soient versées aux bonnes personnes.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, financer notre modèle social par le travail, c'est le choix que nous assumons depuis 2017. C'est la condition essentielle pour assurer sa pérennité. Je vous remercie.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci Monsieur le ministre pour ce propos liminaire, je ne doute pas que nous éclaircirons plus avant ces éléments.

Vous avez comparé ce nouvel exercice à une photographie, comme le compte administratif est la photographie d'un budget exécuté. En filant la métaphore, je dirais que tout dépend de la façon dont nous réglons l'appareil.

La photographie peut être appréciée de différentes façons. Vous avez quelques éléments de satisfaction, que nous pouvons partager. Certains considéreront que la photographie est un peu floue et qu'il est peut-être nécessaire de poursuivre les réglages. Nous inaugurons un nouvel exercice, plein de promesses, et nous attendons qu'elles soient à la hauteur de nos attentes.

La Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la branche famille, en pointant une augmentation substantielle de la proportion de paiements erronés. Quelle a été votre réaction quand vous avez eu connaissance de ce refus ? Votre plan de lutte contre la fraude vous permettra-t-il d'éviter un tel refus au cours des prochaines années ? Prévoyez-vous des actions spécifiques pour réduire les erreurs ?

Dans son dernier rapport, la Cour des comptes recommande d'avancer de quinze jours la production des comptes sociaux. Je suis favorable à cette proposition qui nous laisserait plus de temps pour apprécier les informations qui nous sont communiquées. Cette anticipation vous semble-t-elle possible ?

Par ailleurs, je trouve que la photographie est un peu floue et j'ai besoin de confirmations. La Cour des comptes estime que l'annexe 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2023 relative aux établissements de santé n'est pas conforme aux exigences de la loi organique. En effet, elle n'indique pas les dotations dont ils bénéficient, leur répartition par région et l'évolution prévisionnelle de leur dette. Pouvez-vous me confirmer que dans le prochain PLFSS cette annexe sera mise en conformité avec les exigences de la loi organique ? Dans le cadre des rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss), la plupart des indicateurs s'arrêtent en 2020 ou en 2021, ce qui est paradoxal dans une loi d'approbation des comptes 2022. Je comprends que cette actualisation a pu être difficile mais pouvez-vous confirmer que ces rapports seront à jour dans les prochaines lois d'approbation ?

Enfin, la loi organique prévoit que l'annexe  2 du Placss relative aux niches sociales propose une évaluation de l'efficacité de ces niches, un tiers devant faire l'objet d'une évaluation tous les trois ans. Or, cette annexe ne comporte aucune évaluation. La loi organique n'est donc pas respectée. Comme nous sommes dans le cadre d'un premier exercice, il s'agit sans doute d'un incident isolé. Pouvez-vous confirmer que cette disposition organique sera respectée pour les prochains Placss et qu'un tiers des niches sera évalué ?

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Votre comparaison avec les comptes administratifs des collectivités territoriales est très juste. C'est une photographie d'une bonne exécution. Pour autant, quand nous discutons de ces comptes financiers, il nous arrive régulièrement d'aborder le présent et le futur.

La non-certification des comptes de la branche famille n'est pas anodine. Envisagez-vous de prendre des mesures concrètes, notamment en matière de ressources humaines, pour que cette situation ne se reproduise plus ? Quelles actions envisagez-vous en termes d'organisation des Caf pour éviter les erreurs de distribution des prestations ?

La Première ministre a évoqué en séance la création de 200 000 places de crèche. Même si les comptes de la branche famille sont aujourd'hui excédentaires, comment envisagez-vous le financement du plan du service public de la petite enfance dans les années à venir ?

Enfin, nous sommes au milieu de l'année 2023. Si l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) devait être révisé, proposeriez-vous le même taux que celui que nous avons voté dans le PLFSS ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour la branche autonomie. - Vous avez évoqué un excédent de 200 millions d'euros de la branche autonomie alors que les prévisions annonçaient un déficit de 500 millions. Ce résultat s'explique par des recettes supplémentaires mais aussi par une progression des dépenses moins forte qu'attendu, de l'ordre de 200 millions d'euros, dans un contexte d'insatisfaction du personnel du secteur médico-social en raison du manque de moyens alloués à cette branche. Si nous nous réjouissons des recettes supplémentaires, nous nous inquiétons de la non-consommation des moyens inscrits au budget, alors que les besoins sur le terrain sont criants. Quelle est votre position par rapport à cette situation ?

Par ailleurs, nous ne disposons pas de chiffres précis sur la revalorisation salariale dans le secteur médico-social. Enfin, le nouveau service à domicile a été mis en place, avec une compensation de l'État aux départements, avec l'instauration du tarif plancher national. Ce volet a-t-il généré des économies ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - La branche maladie a enregistré, vous l'avez rappelé, un déficit de 21 milliards d'euros, soit le montant du déficit total de la sécurité sociale.

L'Ondam 2022 affiche un dépassement de 10,4 milliards d'euros par rapport à la prévision initiale. Ce dépassement ne s'explique pas uniquement par la crise sanitaire.

Même si cette audition porte sur les comptes 2022, je souhaite parler de 2023 et de l'avenir.

Pour 2023, dans son avis du 7 juin, le comité d'alerte appelle à une « grande vigilance », sans pour autant tirer la sonnette d'alarme. Comment anticipez-vous la trajectoire 2023 ? Préparez-vous des mesures d'économie pour tenir cette trajectoire ?

L'Ondam s'élève à environ 250 milliards d'euros et ne semble plus pilotable, même si le directeur de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), que nous avons auditionné ce matin, considère qu'il l'est encore. Cependant, il n'est pas à même de rendre compte au législateur des actes effectifs de dépenses et des choix politiques du gouvernement, encore moins de les arbitrer. Quand disposerons-nous d'un Ondam utile, avec un découpage plus fin des dépenses ? Les missions du budget général sont votées une par une, alors que leur montant est bien souvent inférieur aux montants des sous-objectifs en dépenses de l'Ondam. Je pense qu'il n'est plus tenable de voter 250 milliards d'euros de dépenses en seule fois.

Le dynamisme des dépenses de médicaments est mis en avant dans une annexe du Placss. Sans régulation, ces dépenses ont augmenté de plus de 9,6 % en 2022 et de 4,1 % avec régulation. Le montant de la clause de sauvegarde augmente très fortement et dépasse 1 milliard d'euros, pour une prévision de 125 millions d'euros. Comment expliquez-vous cet écart entre l'étude d'impact et l'exécution ? Quelle doit être la place de cette clause de sauvegarde dans la régulation des dépenses de médicaments, clause que les laboratoires qualifient de fiscalité ? Elle tend à rattraper voire dépasser les mécanismes conventionnels puisque le PLFSS demande un effort de 1 milliard d'euros aux laboratoires avec des baisses de prix. Les industriels dénoncent cette évolution. Comment la jugez-vous ?

Par ailleurs, plusieurs facteurs tendent à faire croître structurellement les dépenses de produits de santé, comme des innovations, avec des prix très élevés exigés par certains laboratoires, le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques. De quelle manière le gouvernement envisage-t-il de maîtriser dans les prochaines années la croissance des dépenses de produits de santé ? Sur quels produits faut-il prioritairement faire porter l'effort ?

Enfin, on parle beaucoup des pénuries de médicaments et du prix très bas des médicaments anciens. Pour autant, le comité économique des produits de santé (CEPS), lors de son audition par la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments, nous a dit qu'il allait continuer à proposer une baisse de prix, dans le cadre de l'élaboration du PLFSS, sur les médicaments anciens. Je crains que cette baisse de prix nourrisse les pénuries.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Je vous remercie pour vos nombreuses questions, qui montrent l'utilité de cet exercice à ce moment de l'année.

Sur le refus de certification des comptes de la branche famille, je rappelle que la Cour des comptes ne remet pas en cause leur sincérité, la branche a bien dégagé un excédent de 1,9 milliard d'euros. Par ailleurs, ce n'est pas le premier refus de certification, les derniers quinquennats ont en connu. Enfin, ce n'est évidemment pas satisfaisant. Je n'ai pas été très content quand j'ai appris la nouvelle. Ce refus de certification est lié à plusieurs milliards d'euros d'erreurs. Des personnes reçoivent des prestations auxquelles elles n'ont pas le droit et d'autres, qui auraient droit à des prestations, ne les reçoivent pas. Comme nous sommes tous attachés à notre modèle social, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une telle situation.

Nous y répondons avec des mesures du plan fraude et facilitant l'accès aux droits. Le pré-remplissage des déclarations de ressources pour le RSA et la prime d'activité, avec le DRM (dispositif ressources mensuelles), constituera un vrai progrès. C'est la première brique du versement à la source voulu par le président de la République et annoncé dans la campagne présidentielle. Notre objectif est de verser directement aux Français les aides auxquelles ils ont droit. Dès lors que nous connaissons leurs ressources pour prélever les impôts, nous devons être capables de déterminer les aides auxquelles ils ont droit. Je souhaite que le DRM soit généralisé le 1er janvier 2025 et nous le testerons dès cette année dans plusieurs départements.

Nous créerons également dans les caisses de sécurité sociale 1 000 emplois dans les cinq prochaines années, notamment pour lutter contre la fraude, et nous investirons un milliard d'euros dans les systèmes d'information, certains étant vraiment très vétustes. Par exemple, les Caf ne peuvent pas recouvrer les indus frauduleux au-delà de deux ans. Je souhaite qu'elles puissent remonter cinq ans en arrière.

Vous m'avez interrogé sur le calendrier et notre capacité à l'avancer de 15 jours. Un groupe de travail coordonné par la direction de la sécurité sociale (DSS), associant la Cour des comptes et les organismes, s'est réuni fin 2022 pour étudier l'avancement du 15 avril au 31 mars de la production des comptes. Il a conclu qu'un tel mouvement faisait peser un risque sur la fiabilisation des données. Pour poursuivre sur l'image de la photographie, une photo retirée trop tôt du produit dans lequel elle baigne pour révéler l'image n'est pas claire. En revanche, je pense que nous pouvons améliorer la transmission des documents à la commission des comptes de la sécurité sociale, qui arrivent la veille de la réunion. Le délai est aussi lié à la date à laquelle ces comptes sont présentés en Conseil des ministres et il serait préférable de fixer une date de réunion de la commission éloignée de celle du Conseil des ministres.

Sur l'annexe 2 du Placss, comme nous nous y sommes engagés sur l'évaluation des niches sociales, nous publions le rapport de l'inspection générale des services (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF), qui formule des recommandations pour la méthodologie et la gouvernance de l'évaluation de ces niches. Nous allons par exemple associer France Stratégie au pilotage d'un comité d'évaluation sur les principales niches sociales, qui associera des experts indépendants et qui remettra des rapports publics, qui enrichiront les débats parlementaires. Ces évaluations suivront le rythme prévu par la loi organique, c'est-à-dire une évaluation des niches tous les trois ans.

Sur les indicateurs des Repss qui s'arrêtent en 2020 ou en 2021, les chiffres sont issus des comptes clos et beaucoup de sources statistiques ne sont disponibles qu'après le mois de mai, notamment les comptes de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les comptes de la santé de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) ne sont disponibles qu'en septembre et le « Panorama des établissements de santé » et le document « Retraites et retraités » en fin d'année. C'est la raison pour laquelle il existe un décalage. Nous verrons dans quelle mesure nous serons capables, dans le cadre des Placss, de disposer de données de manière anticipée. J'ai dû présenter à l'Assemblée nationale un amendement au Placss en première lecture pour actualiser le taux de croissance constaté en 2022. Je pense que l'édition de mai 2024 présentera des améliorations.

Le projet de loi sur la programmation des finances publiques (LPFP) prévoit une provision de 900 millions d'euros à l'horizon 2027 pour financer le service public de la petite enfance. Ce financement a vocation à permettre la création d'un nombre très important de places de crèche supplémentaires et éviter la suppression de certaines places. En effet, nous n'atteignons pas nos objectifs en termes de nombre de places car elles sont insuffisamment financées et les professionnels sont insuffisamment rémunérés. Ces crédits doivent nous permettre de financer des revalorisations travaillées dans le cadre du comité de filière.

Sur le taux d'Ondam, je suis ministre des Comptes publics. Par définition j'aurais choisi un taux moins élevé que celui qui a été retenu par le gouvernement et par le Parlement. J'ai reçu le Comité d'alerte, qui constate des dépassements mais qui n'a pas signalé de « risque sérieux » au-delà de 0,5 %, seuil qui est fixé par le décret du 20 juin 2014. En revanche, une grande vigilance est nécessaire pour respecter l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) en concrétisant les mesures d'économies prévues, en mobilisant toutes les marges d'exécution et en prenant, en tant que de besoin, certaines mesures de régulation.

La branche autonomie dégage effectivement un excédent, les dépenses progressant, comme les recettes, de 2,6 milliards d'euros. C'est pourquoi l'excédent reste stable à 200 millions d'euros, pour des dépenses de 35 milliards d'euros, en hausse de 10 milliards par rapport au précédent quinquennat.

Pour répondre à Madame Imbert sur les dépassements, je précise que l'essentiel de ces dépassements est lié aux indemnités journalières et à l'explosion des arrêts maladie de 7,9 %. J'avais introduit dans le PLFSS une disposition, malheureusement censurée par le Conseil constitutionnel, sur la prescription d'arrêts maladie par téléconsultation. Il suffit aujourd'hui d'ouvrir un réseau social ou un article de presse pour constater combien il est facile de se procurer un arrêt maladie. Un article récent du Parisien expliquait comment l'obtenir en 10 minutes pour 10 euros sur Snapchat. Certains groupes privés développent des offres par abonnement à 11 euros par mois, avec des téléconsultations illimitées permettant d'obtenir un arrêt maladie. Ces pratiques explosent et nous devons y être très attentifs car les indemnités journalières représentent 15 milliards d'euros par an. Si la tendance actuelle se poursuit, elles atteindront 23 milliards d'euros en 2027. J'espère que nous trouverons une solution sur les téléconsultations, sans attendre la nouvelle campagne de contrôle que j'ai annoncée dans le plan fraude sur la prescription des arrêts maladie. Nous regarderons les professionnels qui prescrivent le plus d'arrêts, nous serons attentifs aux faux arrêts du lundi ou du vendredi et nous examinerons les arrêts sans prescription de soins ou de médicaments.

La clause de sauvegarde est un mécanisme ancien, qui date de 1999. Je pense que plus nous mettrons en place des mesures d'économies intelligentes (baisse des prix des médicaments anciens pour financer l'innovation, réduction des surdosages, favoriser les biosimilaires et les génériques, responsabilisation des prescripteurs et des assurés), moins nous aurons besoin de ce dispositif. Certaines franchises n'ont par exemple pas évolué depuis 2004. Nous débattrons prochainement de toutes ces questions.

En 2022, nous avons procédé à environ 1 milliard d'euros de régulation sur les médicaments et les dispositifs médicaux. À l'échelle des dépenses, cette régulation correspond à la maîtrise du tendanciel et non à une amputation massive de nos dépenses. Si nous n'avions pas réalisé ces économies, nous aurions dû prélever davantage au titre de la clause de sauvegarde. Je rappelle que cette clause est plafonnée entre 50 et 70 % des dépassements. Par ailleurs, les entreprises qui contractent une convention avec le CEPS sur des remises sont exonérées de clause de sauvegarde et il n'est pas question de modifier ce dispositif.

Enfin, les questions sur le pilotage de l'Ondam et sur un vote par sous-objectifs peuvent se poser. Néanmoins, les débats sont nourris au moment de l'examen du PLFSS et le Placss nous permet également de creuser certains sujets.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci Monsieur le ministre. Je donne la parole à nos collègues pour une deuxième série de questions.

M. Bernard Jomier. - C'est la première fois que nous débattons de la Lacss. Votre exposé liminaire était très politique. La loi organique a modifié le processus d'adoption des comptes sociaux pour permettre à la représentation nationale de mieux les apprécier. Si vous considérez que le Placss se limite à un compte administratif, nous pouvons mettre en avant la non-certification des comptes de la branche famille pour refuser de l'approuver. C'est pour moi un temps d'échange sur l'évolution des comptes sociaux. Je considère que la réforme n'a pas répondu à la question fondamentale du pilotage. Par exemple, nous ne fixons pas d'objectifs de santé en amont des débats sur l'Ondam. 25 % des Français sont fumeurs. Nous pourrions par exemple fixer un objectif de réduction du nombre de fumeurs à cinq ou dix ans. Retenons-nous l'objectif de la Suède dont le taux de fumeurs est de 10 % ? Quels programmes mettons-nous en place et finançons-nous pour atteindre notre objectif ? Je peux aussi prendre l'exemple du surpoids, en augmentation constante et qui entraîne de nombreuses conséquences de santé. Quels programmes retenons-nous pour lutter contre ce surpoids ?

L'Ondam me semble déconnecté des objectifs de notre politique sociale, chaque secteur faisant pression pour préserver ses intérêts. Je n'ai pas une vision pessimiste mais l'absence de pilotage et la tendance structurelle à l'augmentation de la dépense du fait de l'évolution de la population et de ses caractéristiques donnent le sentiment que nous sommes encore dans des processus très balbutiants de production, de validation et d'évaluation de nos comptes sociaux.

M. Daniel Chasseing. - Nous sommes tous attachés à la sécurité sociale, qui est la colonne vertébrale de notre République. L'objectif de la réforme des retraites est de parvenir à un équilibre du régime en 2030.

Sur la branche maladie, il reste, malgré la prévention, beaucoup à faire. Vous avez dépensé depuis 2017 57 milliards d'euros pour le covid-19 et les salaires mais il reste le financement de l'hôpital, les investissements, l'augmentation du personnel à traiter. J'espère que le plan grand âge promis par le président de la République arrivera car les Ehpad ont besoin de plus d'infirmières et d'aides-soignantes. Je pense que l'Ondam devra augmenter de 3 %

Pour équilibrer la sécurité sociale et le budget de l'État, je pense que vous disposez que de la croissance et de la création d'emplois et de la lutte accrue contre la fraude.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vous l'avez dit monsieur le ministre, ce projet de loi est la photographie des comptes 2022 de la sécurité sociale. Nous constatons une logique d'austérité et de réduction des dépenses imposée par Bruxelles. Je rappelle que la Commission européenne ne vise que la réduction de la dépense publique de la France.

Nous sommes évidemment contre toutes les fraudes. Vous avez décidé de faire de la fraude sociale votre principal cheval de bataille. Vous avez annoncé la création d'emplois supplémentaires alors que vous en aviez supprimé quelques milliers auparavant.

La fraude sociale est estimée à 6 ou 7 milliards d'euros et je rappelle que 70 % de cette fraude correspond à la fraude aux cotisations et non à celle des plus pauvres. Une partie de la population rencontre de grandes difficultés pour accéder aux services publics. Nous rencontrons chaque jour des citoyens qui ne savent pas se servir d'internet et qui vivent la fracture numérique. Remplir une déclaration pour la Caf nécessite d'avoir un bac+20 ! Il y a aussi des citoyens de bonne foi. Je ne veux pas que vous pensiez que les plus pauvres fraudent délibérément. De nombreuses personnes sont confrontées à des difficultés parce qu'elles n'ont plus d'agents face à elles pour les aider dans leurs démarches.

Vous mettez beaucoup de coeur à lutter contre la fraude sociale. J'aimerais que vous mettiez autant d'énergie à vous battre contre la fraude fiscale, qui représente 80 milliards d'euros.

Enfin, vous avez fait des choix contre-productifs avec la réforme des retraites imposée, qui va conduire la population à travailler jusqu'à 64 ans, dans des conditions très pénibles et qui va multiplier les arrêts maladie et les accidents de travail, coûteux pour la sécurité sociale.

Vous avez abordé la téléconsultation. Elle est indispensable aux patients qui vivent dans des déserts médicaux et qui sont contraints de recourir à ce dispositif pour obtenir un arrêt de travail. Je vous assure que ces patients préféreraient consulter un médecin en face-à-face.

Votre réforme des retraites va engendrer un surcoût jusqu'en 2024 et elle ne dégagera qu'un milliard d'euros d'économies en 2025 et 1 ou 2 milliards en 2026.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je me réjouis de la mise en oeuvre de la loi organique, pour laquelle nous avons beaucoup oeuvré au Sénat, et des échanges anticipant les débats que nous aurons dans le cadre de l'examen du PLFSS 2024.

Nous sommes dans un exercice d'approbation des comptes et nous souhaitons disposer d'une finesse de ces comptes. Le gouvernement n'a pas répondu à notre demande, indiquant qu'elle était difficile à mettre en oeuvre. Cependant, si nous disposions de comptes plus détaillés, nous pourrions les rapprocher des objectifs de santé publique fixés par le gouvernement.

Sur la fraude sociale, nous sommes réjouis que votre prédécesseur, Olivier Dussopt, ait envoyé une feuille de route à tous les organismes de sécurité sociale. Certains y ont répondu rapidement, la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ou la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), d'autres moins rapidement, comme l'Assurance maladie. Je pense qu'il y a beaucoup à gagner dans la mise en oeuvre de méthodes de ciblage sur les différents opérateurs de l'Assurance maladie. Je me souviens qu'un rapport de la Cour des comptes dénonçait 6 à 8 milliards d'euros de fraude aux cotisations sociales et que son dernier rapport fait état de 5 à 6 milliards de fraudes aux prestations. Pouvez-vous confirmer ces chiffres, qui sont très éloignés de ceux mentionnés au cours de l'élection présidentielle de 2022 ?

Enfin, vous avez, conformément à vos engagements, je vous en félicite, lancé un plan de lutte contre la fraude sociale, après celui contre la fraude fiscale. Vous suggérez de fusionner la carte nationale d'identité et la carte Vitale. Cependant, dans un rapport publié en avril 2023, l'Igas et l'IGF indiquent que le directeur général de la Cnam a fait part de très fortes réserves à ce sujet. Ce matin, il nous a dit que des investigations supplémentaires étaient nécessaires pour évaluer l'intérêt d'une telle fusion et éviter la fraude à l'identité.

J'ajoute que notre rapport sur la fraude à l'inscription des étrangers évalue son montant à 140 millions d'euros et non à 14 milliards comme certains le laissaient entendre.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je ne partage pas, Monsieur le ministre, votre appréciation selon laquelle nous n'avons d'autre choix que d'approuver ce compte administratif. Nous ne sommes pas commissaires aux comptes. L'évaluation est l'une des trois grandes fonctions des parlementaires. Si vous acceptez que la Cour des comptes ait refusé de certifier les comptes de la branche famille, vous devrez peut-être accepter que le Sénat n'approuve pas votre projet de loi.

Vous avez filé la métaphore de la photographie. Je regarde plutôt ce qui n'est pas sur la photo !

Comme l'a déjà dit la rapporteure générale, le projet de loi ne comporte pas l'évaluation d'un tiers des niches sociales.

Vous avez beaucoup insisté sur le caractère technique de ce Placss mais votre discours était très politique. Nous aurons nous aussi une approche politique au moment de discuter ce projet de loi. Vous avez affirmé que vous aviez créé de nombreux emplois. Je note que le projet de loi sur le pouvoir d'achat a désocialisé de nombreuses primes et les heures supplémentaires et que, contrairement à ce qu'impose la loi Veil, vous ne le compensez pas. Vous avez répondu qu'il n'était pas pertinent de socialiser des cadeaux. Or, les analyses de l'Insee montrent que ces mesures se sont substituées à des hausses générales de salaire. Si nous neutralisons les effets de loi sur le pouvoir d'achat, les recettes tirées des cotisations sociales n'ont pas augmenté autant que vous l'affirmez.

Vous vous êtes félicité des excédents dégagés par les branches autonomie, famille et AT/MP. Cependant, que faites-vous pour les enfants pauvres ? Quant à l'AT/MP, doit-on vous rappeler le nombre de morts au travail et l'explosion des maladies professionnelles ?

Il serait pertinent, comme l'a dit Bernard Jomier, de réfléchir à des objectifs de santé publique et à des plans de prévention. Il n'y aura pas de maîtrise des dépenses sans politique partant des besoins et sans prévention.

Par ailleurs, je ne suis pas étonnée par le dépassement de l'Ondam, qui est sous-dimensionné, en deçà de l'inflation et de la croissance mécanique liée à transition démographique, à l'innovation médicale ou aux maladies chroniques. L'Ondam n'est donc pas fixé de manière sincère.

Enfin, vous attendez beaucoup de la solidarité à la source et je me réjouis que vous envisagiez également le versement à la source.

Mme Laurence Cohen. - Nous sommes membres de la commission des affaires sociales. Vous nous demandez d'examiner les comptes de la sécurité sociale, ce qui est normal, mais nous sommes chaque jour confrontés à des hôpitaux à bout de souffle, qui manquent de moyens. Les besoins sont pourtant connus. Nos hôpitaux subissent trois chocs. Le premier est lié à l'inflation. L'Observatoire français des conjonctures économiques anticipe une inflation de plus de 6 % mais l'Ondam n'est pas aligné sur ce niveau. Le deuxième est dû à des fermetures de lits, faute de personnel, ce qui se traduit par une baisse des recettes. Enfin, les hôpitaux sont confrontés à l'explosion du prix de l'énergie.

Pourtant, vous prévoyez une évolution des dépenses beaucoup plus lente que celle des besoins. Soit vous continuez à restreindre au maximum les dépenses de santé, sans prendre en compte la réalité du terrain, soit vous changer de politique. Ce n'est malheureusement pas ce que j'ai entendu dans vos propos.

Néanmoins, je suis ravie que vous vous rendiez compte que la création d'emplois permet de faire rentrer des cotisations sociales. En effet, ma famille politique se bat depuis des années pour résorber le chômage ! Si vous arrivez sur nos propositions, c'est une bonne chose.

Je vous invite également à cesser d'exonérer de cotisations sociales les entreprises. Ces exonérations représentent 75 milliards d'euros. Vous allez répondre que vous compensez ces exonérations mais vous ne les compensez que partiellement et cet argent sort toujours des caisses de l'État. Ce n'est donc pas une bonne opération.

M. Gabriel Attal, ministre délégué - Je vous confirme que la croissance est le coeur de notre stratégie pour le financement de notre modèle social. C'est bien le travail qui crée de la richesse et pas les impôts supplémentaires. Il est même parfois nécessaire de les baisser pour qu'il y ait davantage de travail et d'activité économique dans notre pays.

Les allégements de cotisations sont quasiment intégralement compensés. Par ailleurs, sans ces allégements, les entreprises n'auraient pas créé 1,7 million d'emplois depuis 2017 et la sécurité sociale n'aurait pas perçu 25 milliards d'euros de cotisations supplémentaires. Si nous avions un taux d'emploi identique à celui de l'Allemagne, je n'aurais aucune difficulté à équilibrer les comptes publics. Or, notre taux d'emploi est inférieur de 10 points à celui de notre voisin.

Pour l'améliorer, nous disposons de deux leviers, les jeunes et les seniors. Pour les jeunes, nous travaillons sur l'apprentissage, sur la réforme de la voie professionnelle. Pour les seniors, nous avons mené la réforme des retraites, qui a surtout pour objectif, indépendamment de l'économie budgétaire, d'améliorer leur taux d'emploi. En 2010, après la réforme Fillon, nous avons constaté une amélioration de 15 points de ce taux d'emploi.

Les « primes Macron » ont représenté 4,4 milliards d'euros, qui ont été distribués à 5,5 millions de salariés. Je ne pense pas qu'on puisse les balayer d'un revers de la main. Vous avez aussi noté que l'accord national interprofessionnel signé par les partenaires sociaux il y a quelques semaines prévoit la pérennisation de la « prime Macron » désocialisée dans les entreprises de moins de 50 salariés. Ce que vous critiquez est soutenu par la CFDT, la CFE-CGC et Force Ouvrière. Nous sommes évidemment à leurs côtés.

Je tiens également à vous rappeler que je lutte contre toutes les fraudes, fiscales, sociales ou douanières. Il y a, dans le plan de lutte contre les fraudes que j'ai présenté, des mesures assez fortes sur la fraude fiscale, dont certaines sont inspirées des propositions de votre camarade Éric Bocquet, qui a participé au groupe de travail contre la fraude que j'ai piloté.

L'évaluation de la fraude sociale est compliquée. Une des mesures de mon plan est la mise en place d'un vrai Conseil d'évaluation de la fraude. C'est un enjeu démocratique car nous avons vu, à l'occasion de l'élection présidentielle, une candidate, Mme Le Pen, qui gageait l'intégralité de son programme sur la lutte contre la fraude, en annonçant des dépenses absolument somptuaires. Plus nous parviendrons à évaluer ce que recouvre la fraude dans notre pays plus les débats démocratiques à venir seront sincères et plus nous empêcherons des candidats de raconter n'importe quoi à propos de la fraude.

La fraude fiscale serait de 30 milliards d'euros selon certaines estimations, 100 milliards d'euros selon d'autres. Je souhaite que tous ceux qui travaillent sur ce sujet puissent se retrouver au sein d'une même instance pour piloter des évaluations. 30 milliards, c'est déjà beaucoup et nous en recouvrons aujourd'hui la moitié.

Sur la fraude sociale, je confirme l'ordre de grandeur évoqué sur les cotisations. La Cnaf évalue la fraude aux allocations à 2,8 milliards d'euros par an.

Sur l'assurance maladie, nous ne disposons pas encore d'évaluation fiable, mais nous y travaillons.

J'ajoute que les bénéficiaires peuvent aussi être victimes de la fraude aux prestations sociales quand leur relevé d'identité bancaire (Rib) est remplacé par un Rib frauduleux et qu'ils ne reçoivent plus leur minimum vieillesse. J'ai rendu visite à la Cnaf il y a quelques jours et on m'a présenté un nouveau dossier de fraude dans lequel 437 familles roumaines, qui ne résident pas en France, se sont inscrites à la Caf avec des fausses attestations de salariat et de fausses domiciliations, via une association. C'est un préjudice de 8 millions d'euros sur le seul département du Val de Marne !

Lutter contre la fraude ce n'est pas « faire la chasse aux pauvres ». C'est s'assurer que la solidarité nationale aille vers ceux qui en ont besoin ! C'est aussi un enjeu d'accès aux droits et je renvoie au versement à la source qui reste notre objectif.

Sur la fraude aux arrêts maladie, je précise que 80 % des arrêts prescrits en téléconsultation concernent des patients en milieu urbain. Ce ne sont donc pas ceux qui sont le plus éloignés de l'accès aux soins, même si je n'ignore pas qu'il y a des déserts médicaux en ville.

Je pense que la logique consistant à fixer des objectifs de santé publique et les décliner sur le plan budgétaire est la bonne. Je ne suis pas certains qu'il nous manque des données. Les annexes du Placss comportent mille pages, nous disposons également du Ralfss (rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale), du rapport de certification de la Cour des comptes, etc. Nous avons un enjeu de sélection des bons indicateurs pour prendre les bonnes décisions.

Toujours sur la fraude, vous m'avez interrogé sur la fusion entre la carte d'identité et la carte Vitale. Ce serait un moyen de lutter contre la fraude à l'identité sur les prestations de santé. Contrairement à ce qu'a affirmé Mme Le Pen, il n'y a pas plusieurs millions de cartes Vitale surnuméraires en circulation. Le rapport Igas / IGF confirme qu'elles ont été désactivées.

Certains affirment, en utilisant le répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l'assurance maladie (RNIAM), qu'il y aurait 73 millions d'assurés sociaux alors que nous ne sommes que 68 millions d'après le recensement. Comparer des fichiers qui n'ont rien à voir n'a pas de sens. Le recensement décompte les personnes résidant en France, alors que le fichier RNIAM comporte 1,2 million de retraités qui ont cotisé toute leur vie mais qui ne résident plus en France mais ont droit à l'assurance maladie. De même, certains expatriés n'ont plus droit à l'assurance maladie mais ils ne sont pas radiés des fichiers, pour que leurs droits soient rapidement réactivés à leur retour, comme le demandent d'ailleurs les sénateurs des Français de l'étranger.

Il y a néanmoins des personnes qui viennent sur le territoire national, se font prêter ou louent une carte Vitale, pour recevoir des soins auxquels elles n'ont pas droit. Pour résoudre ce sujet, plusieurs pistes ont été avancées, notamment au Sénat, dont celle de la carte Vitale biométrique. La mission Igas / IGF écarte cette piste. La commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) considère qu'elle ne respecterait pas les libertés individuelles, les syndicats médecins sont contre, ils militent pour la réduction des tâches administratives. Enfin, ce dispositif coûterait 250 millions d'euros par an et un certain nombre d'obstacles sont difficilement surmontables, comme l'achat de médicament pour un membre de votre famille.

La mission Igas / IGF recommande de privilégier la fusion de la carte Vitale avec la carte d'identité, en intégrant les observations de l'assurance maladie, qui doivent pouvoir être surmontées. Pour les étrangers en situation régulière, il suffira de mettre une puce sur les cartes de séjour. Pour garantir l'intégrité des données personnelles, la Cnil exige qu'il y ait deux compartiments dans la puce.

Je regrette qu'au moment où nous réfléchissons à cette évolution, de nombreuses personnes, y compris dans les administrations, expliquent que ce projet est trop ambitieux et donc impossible à mettre en oeuvre. Pourtant, plusieurs pays européens comme la Belgique, le Portugal ou la Suède fonctionnent de cette manière. Les Estoniens disposent quant à eux d'une seule carte qui intègre la carte d'identité, la carte Vitale, le permis de conduire, la carte bancaire et la carte d'électeur. Je ne m'arrêterai pas à ce type de remarques, je suis très motivé pour avancer sur ce dossier et je sais que je pourrai compter sur votre soutien.

Enfin, j'observe que la première fois dans l'histoire de notre pays, le budget de l'hôpital public dépasse 100 milliards d'euros. Ce sont des budgets dont nous aurions rêvé il y a quelques années, notamment quand je travaillais au ministère de la santé au cours d'un précédent quinquennat. Il y a bien sûr un enjeu de réforme du système, mais c'est le travail de mon collègue François Braun.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci Monsieur le ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

2. Audition de Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, MM. Nicolas Fourrier et Jean-Luc Fulachier, conseillers maîtres, et Thibault Perrin, conseiller référendaire à la Cour des comptes (mercredi 21 juin 2023)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre, MM. Nicolas Fourrier et Jean-Luc Fulachier, conseillers maîtres, et Thibault Perrin, conseiller référendaire à la Cour des comptes, afin qu'ils nous présentent le rapport de la Cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss).

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat, qui sera ensuite disponible en vidéo à la demande.

Nous entendons chaque année la Cour des comptes, afin qu'elle nous présente son rapport. L'audition de ce matin revêt toutefois un caractère particulier, puisque c'est la première fois que s'appliquent les nouvelles dispositions organiques aux termes desquelles « chaque année, la Cour des comptes établit un rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale conjoint au dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale ». Vous pourrez d'ailleurs nous préciser, le cas échéant, les conséquences que ce nouveau calendrier a pu avoir sur vos travaux.

C'est donc afin d'aider la commission à former son jugement sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale que nous vous entendons, jugement qui fera désormais l'objet d'un vote, la semaine prochaine en commission, et le 3 juillet en séance publique.

À cet égard, même si cela dépasse le simple cadre de votre rapport, nous ne pouvons qu'être interpellés par le refus de la Cour des comptes, cette année encore, de certifier les comptes de l'une des branches de la sécurité sociale.

Madame la présidente, je vous laisse sans plus attendre nous présenter le Ralfss. La rapporteure générale, les rapporteurs des différentes branches de la sécurité sociale et les commissaires qui le souhaiteront pourront ensuite vous interroger.

Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes. - Madame la présidente, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation, qui me donne l'occasion de vous présenter le rapport sur la certification des comptes de la sécurité sociale, ainsi que le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Je suis accompagnée ce matin de M. Jean-Luc Fulachier, président de la première section de la sixième chambre, de M. Nicolas Fourrier, notre rapporteur général, ainsi que de M. Thibault Perrin, rapporteur général adjoint.

Le rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission constitutionnelle de la Cour des comptes d'assistance au Parlement. Cela étant, il s'agit d'une grande première, car ce rapport accompagne désormais le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, équivalent de la loi de règlement pour l'État, qui a été présenté pour la première fois cette année, et qui sera discuté au Parlement dans le courant du mois de juin. Il n'accompagne donc plus le projet de loi de financement de la sécurité sociale au mois de septembre, comme c'était le cas précédemment.

Il s'agit d'une avancée importante en termes de gouvernance des finances sociales que la Cour a elle-même souhaitée. Nous nous réjouissons que le Parlement ait à connaître spécifiquement de l'exécution des recettes et des dépenses sociales, exercice indispensable à l'évaluation et au bilan des politiques publiques conduites par la sécurité sociale.

Ce rapport reste un exercice annuel traditionnel pour la Cour. Il intervient toutefois dans un contexte un peu particulier marqué, d'une part, par la déclaration de l'Organisation mondiale de la santé sur la fin de l'urgence sanitaire liée à la pandémie de la covid-19 et, d'autre part, par l'affaiblissement sensible de la croissance en raison du choc d'inflation et des conséquences de l'invasion russe de l'Ukraine et, plus généralement, par une très forte incertitude sur l'évolution des paramètres macroéconomiques.

La première partie du Ralfss présente une analyse des comptes de la sécurité sociale pour l'exercice 2022 et leurs perspectives d'évolution pour les années à venir.

Ceux-ci resteront durablement dégradés malgré une amélioration temporaire en 2023 : un effort de redressement durable des finances de la sécurité sociale nous semble donc nécessaire. À défaut, nous n'aurions aucune marge de manoeuvre pour investir dans l'avenir. Nous devrons également faire face aux coûts associés à l'augmentation rapide, ces prochaines années, du nombre de personnes âgées dépendantes, dont les conditions de vie doivent rester dignes. Il est enfin nécessaire de ne pas transférer aux générations futures le financement de nos dépenses courantes. Cette responsabilité collective, ce contrat entre générations nous oblige.

Nous devons donc être très attentifs à la qualité de la dépense sociale, comme d'ailleurs, à la qualité de toute dépense publique.

Le Ralfss que je vous présente aujourd'hui esquisse des pistes pour améliorer l'utilité, la valeur ajoutée, l'efficacité des dépenses de sécurité sociale, bref, le service rendu à nos concitoyens. Il fournit plusieurs illustrations de ce qui pourrait être perfectionné, en dressant un bilan des mesures ou des réformes prévues par les récentes lois de financement de la sécurité sociale que vous avez adoptées - c'est l'objet de la deuxième partie du rapport.

Nous nous intéressons également à des domaines ou des sujets qui n'ont pas, à notre sens, bénéficié d'une attention suffisante ces dernières années ; tels sont les sujets traités dans la troisième partie du rapport.

Ces deux préoccupations, financière et qualitative, sont encore cette année au coeur de notre rapport. Plutôt que d'en détailler successivement les différents chapitres, je voudrais en souligner les cinq principaux enjeux.

Le premier enjeu a trait aux conditions de certification des comptes des caisses et des branches du régime général par la Cour des comptes, le deuxième à la situation financière actuelle et future de la sécurité sociale, le troisième à la réforme de notre système de santé, le quatrième à l'amélioration des services rendus aux usagers ou aux assurés sociaux, le cinquième, enfin, à la lutte contre la fraude.

Concernant les comptes de la sécurité sociale et leur certification, nous souhaitons attirer l'attention sur quatre points.

Tout d'abord, la comparabilité des produits et du résultat entre les exercices 2022 et 2021 n'est pas assurée. En effet, certains produits de prélèvements sociaux auxquels sont assujettis les travailleurs indépendants, qui auraient dû être comptabilisés en 2020, l'ont été en 2021.

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, le Parlement, contre l'avis du Gouvernement, a pris en compte la correction demandée par la Cour et a en conséquence approuvé, pour 2021, des recettes s'élevant à 5 milliards d'euros, montant inférieur à celui qui ressortait des comptes approuvés par les branches du régime général. Les organismes nationaux du régime général et leur tutelle ont toutefois refusé d'établir les comptes pro forma de l'exercice 2021 que la Cour avait demandés.

Seule une information ponctuelle a été apportée dans l'annexe aux comptes. Il y a donc un écart de 5 milliards d'euros entre les comptes de l'exercice 2021 tels qu'ils ont été approuvés par les caisses nationales de sécurité sociale et les tableaux d'équilibre approuvés par le Parlement.

Ensuite, nous avons refusé de certifier les comptes de la branche famille pour 2022 en raison des insuffisances du contrôle interne de la branche. En effet, les erreurs qui affectent les prestations neuf mois après leur mise en paiement représentent près d'un quart des montants versés au titre de la prime d'activité, près d'un sixième des montants versés au titre du RSA, et près d'un huitième des montants versés au titre des aides au logement.

De surcroît, l'indicateur de risque financier résiduel à vingt-quatre mois montre que les rappels et les indus, qui ne seront jamais corrigés, représentent 5,8 milliards d'euros. Ce montant a doublé en quatre ans seulement. La Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) met en oeuvre des contrôles insuffisants et ne s'est pas dotée d'une stratégie de redressement à court terme.

L'ensemble de ces éléments nous a poussés à refuser de certifier les comptes de la branche - je précise que ce n'est pas la première fois que la Cour refuse de certifier les comptes d'une branche de la sécurité sociale.

Par ailleurs, la Cour réitère ses critiques sur l'absence de combinaison des comptes de la branche vieillesse avec ceux du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), ainsi que sur l'absence d'engagements hors bilan pour les retraites futures, comme le fait par exemple l'État pour ses comptes.

Enfin, la gestion de l'indemnité inflation exceptionnelle, qui a été versée à 38 millions de foyers pour un montant de 100 euros par bénéficiaire, par les organismes de sécurité sociale a provoqué 1,7 million de doublons. La récupération des indus est très incertaine, voire quasi impossible, comme nous l'ont confirmé à la fois le ministère des finances et l'ensemble des caisses de sécurité sociale et leur tutelle. La difficulté à récupérer ces indus est en effet presque consubstantielle à la manière dont a été créée et mise en place l'indemnité inflation.

L'ensemble des travaux de certification des comptes de la sécurité sociale ont contribué à alimenter la première partie du Ralfss.

Le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale s'établit à un niveau très élevé - 19,6 milliards d'euros - en 2022. Il devrait s'améliorer significativement en 2023 et atteindre 8,2 milliards d'euros, sous l'effet à la fois du reflux de la crise sanitaire et de la forte progression de la masse salariale qui constitue, comme vous le savez, l'assiette principale des recettes de la sécurité sociale.

Cette tendance favorable devrait toutefois s'interrompre dès 2024. Le déficit de la sécurité sociale devrait recommencer à augmenter. En effet, si la réforme des retraites promulguée en avril 2023 doit avoir des effets positifs sur le solde de la branche vieillesse, il est avéré qu'elle ne devrait pas permettre à elle seule de rétablir l'équilibre des comptes à l'horizon 2030.

Le régime général, et plus encore le régime géré par la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), resteraient structurellement déficitaires.

Dans ces conditions, la question du financement des déficits sociaux se posera dès l'exercice 2024. L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) ne sera pas en mesure de prendre en charge ces déficits, et la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ne pourrait le faire qu'au prix d'une nouvelle prolongation de son existence au-delà de 2033. Si une telle décision était prise, la contrepartie devrait en être, nous semble-t-il, la mise en place d'un programme de réformes.

Le respect de la trajectoire des dépenses prévue suppose en outre que l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, l'Ondam, soit respecté. Or les dépenses d'assurance maladie progressent à vive allure depuis 2021 en raison, non seulement des charges exceptionnelles liées à la crise sanitaire et des mesures salariales décidées dans le cadre du Ségur de la santé, mais aussi d'une croissance forte de la dépense, notamment pour ce qui concerne les indemnités journalières et les produits de santé.

L'Ondam pour 2023 et les prévisions pour les années ultérieures marquent la volonté des pouvoirs publics de donner un coup d'arrêt à cette progression. L'hypothèse d'évolution de l'Ondam est ainsi particulièrement volontariste, puisqu'elle est inférieure aux prévisions en termes d'inflation pour 2023 et 2024.

Toutefois, il ne suffit pas de fixer un objectif pour que ce dernier soit atteint. Nous recommandons par conséquent qu'un certain nombre de mesures correctrices soient prises en cas de dérapage, quelle qu'en soit la cause, et que plusieurs dispositifs de régulation soient mis en oeuvre pour l'ensemble des secteurs qui n'en disposent pas encore, notamment pour ce qui est des soins de ville et des indemnités journalières.

L'évolution des déficits et de la dette de l'hôpital public, qui n'entrent pas dans le champ de l'Ondam, constitue en outre une source de fragilité particulière.

La loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a créé une nouvelle annexe aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, qui doit permettre de s'assurer que les recettes des hôpitaux sont suffisantes pour qu'ils puissent investir dans leur modernisation, sans que leur dette augmente.

Pour permettre un réel suivi de la situation financière des établissements de santé, nous recommandons d'accélérer le versement des dotations de fin d'exercice aux hôpitaux publics - actuellement, elles sont versées à la mi-mars de l'année suivante - et de finaliser plus rapidement le calendrier d'établissement de leurs comptes - actuellement, il est bouclé en juillet de l'année suivante. Il faut aussi homogénéiser les informations financières entre chaque catégorie d'établissements, hôpitaux publics et cliniques privées à but lucratif ou non.

J'en viens maintenant au troisième enjeu central pour l'avenir de l'assurance maladie, celui de l'efficience de notre système de santé et, notamment, des soins de ville. Ce chantier doit être envisagé avec beaucoup de clarté, de détermination et, surtout, de constance.

Nous l'illustrons au travers de trois exemples portant sur les expérimentations engagées au titre de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, qui concernent la situation des services d'aide médicale urgente (Samu), celle des services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) et, enfin, les actions dites de « maîtrise médicalisée » des dépenses de santé.

Tout d'abord, nous avons examiné le cadre dans lequel les quelque 120 expérimentations ont été engagées depuis 2018 pour tester de nouveaux modes de tarification et d'organisation des soins.

La Cour est pleinement consciente que la réforme de notre système de santé n'est pas chose simple. L'expérimentation est utile pour mieux adapter la réforme aux besoins, mais aussi pour démontrer par l'exemple, en permettant aux professionnels de santé de s'approprier de nouveaux modes de travail plus collaboratifs et coordonnés.

Nous constatons cependant que, jusqu'ici, rien n'a été fait pour préparer la généralisation de ces expérimentations. La Cour rappelle par conséquent que, lorsque les doutes sont levés sur l'utilité de certaines évolutions, il est impératif de mettre en oeuvre les dispositifs dès que possible. La technique de l'expérimentation ne doit en effet pas devenir un moyen dilatoire pour repousser l'engagement de réformes utiles à nos concitoyens, qui contribuent à offrir des soins plus efficaces, de meilleure qualité et plus économes des ressources de l'assurance maladie.

Nous avons également souhaité examiner la situation de la régulation médicale autour des Samu, des Smur, et du nouveau concept de service d'accès aux soins (SAS), qui est censée apporter une solution aux demandes de soins restées sans réponse de la part de la médecine de ville.

Nous constatons que, depuis 2014, le nombre d'appels reçus par les Samu a augmenté de 22 %. Du fait d'un rattrapage que nous estimons nécessaire et en raison de la création des SAS, le coût total des dispositifs concourant au fonctionnement de la régulation médicale a augmenté de 46 % entre 2016 et 2022, hausse qui pourrait même atteindre 62 % en 2023.

S'il est normal que les Samu bénéficient d'un rattrapage de moyens, le succès des investissements dans les services d'accès aux soins dépendra de la capacité de la médecine libérale à se mobiliser et à s'organiser, afin que toute personne ayant besoin d'être examinée par un médecin généraliste en ville puisse bénéficier d'une consultation dans les quarante-huit heures. La Cour sera très attentive à ce que cet objectif soit mesuré et atteint.

Enfin, la Cour aura l'occasion, dans le cadre de l'exercice de revue des dépenses publiques, de revenir, fin juin ou début juillet, sur la question de l'efficience des soins de ville, qui représentent, comme vous le savez, le premier poste de dépenses de l'assurance maladie, soit environ 45 % de l'objectif national.

En attendant, nous avons porté un regard critique sur les économies figurant chaque année en annexe du projet de loi de financement de la sécurité sociale au titre de ce qui est appelé communément la « maîtrise médicalisée ».

Nous avons démontré le caractère artificiel des économies présentées. Notre démonstration n'est contestée ni par l'administration ni par l'assurance maladie.

En outre, force est de constater que les actions conduites jusqu'ici par l'assurance maladie pour rendre plus efficientes les dépenses de prescriptions des médecins de ville n'ont pas été efficaces, à en juger par la consommation de médicaments génériques. La France reste en effet dans une situation moins favorable que celle de ses voisins, notamment l'Allemagne, puisque la consommation de génériques est deux fois plus faible en France qu'en Allemagne.

J'en arrive maintenant au quatrième enjeu, celui de la qualité du service rendu aux usagers. Nous prenons quatre exemples, qui montrent à des degrés divers l'importance des efforts à consentir pour justifier de l'usage pertinent des sommes considérables que nous consacrons à notre système de sécurité sociale.

Tout d'abord, nous nous sommes intéressés à l'objectif de parité entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les pensions qui leur sont servies.

Prévu par le code de la sécurité sociale, cet objectif est loin d'être atteint : les femmes percevaient en 2020 une pension de retraite dont le montant est inférieur de 28 % en moyenne à celui des hommes. L'écart de pension, hors réversion, est plus important encore, puisqu'il s'élève à 40 %.

Sans les dispositifs de solidarité, la pension moyenne de droit direct des femmes serait inférieure de 50 % à celle des hommes. Ces écarts importants ne seront pas substantiellement modifiés par la réforme des retraites.

Environ 50 milliards d'euros sont dépensés chaque année dans le cadre de mécanismes complexes liés aux droits familiaux de retraite et aux dispositifs de réversion. Nous sommes convaincus que la remise à plat de ces mécanismes permettrait de les rendre plus efficaces, à moindre coût pour la collectivité.

Nous avons également examiné les règles et la gestion de l'indemnisation des congés maternité et paternité.

Nous constatons les limites des politiques d'alignement des règles applicables aux non-salariés sur celles qui sont applicables aux assurés salariés. En effet, même avec des droits désormais quasiment identiques, les indépendantes et les exploitantes agricoles prennent moins de jours de congé maternité que les salariées.

Par ailleurs, nous observons que la gestion des indemnités par les caisses de sécurité sociale est d'une qualité très insuffisante. Les délais de versement sont anormalement longs, ce qui pénalise les assurés concernés.

Le caractère perfectible de la gestion de la sécurité sociale apparaît aussi à travers les litiges qui opposent les assurés et les organismes gestionnaires de la sécurité sociale.

Chaque année, les assurés sociaux déposent près de 70 000 recours devant les tribunaux. Plus de 100 000 dossiers sont auparavant soumis aux instances précontentieuses des caisses de sécurité sociale. Il serait souhaitable de favoriser l'intervention des médiateurs pour éviter que les tribunaux soient saisis.

Un certain nombre de simplifications sont aussi à apporter pour que les assurés ne soient pas contraints, dans certains cas, de saisir deux juges différents pour les mêmes motifs - nous pensons en particulier à la carte mobilité inclusion, qui peut relever du tribunal administratif ou du tribunal judiciaire.

Nous avons enfin souhaité mettre un coup de projecteur sur le régime social des marins et les difficultés majeures qu'il rencontre depuis plusieurs années. Les conditions d'une gestion efficace de la sécurité sociale ne sont pas garanties. C'est pourquoi une évolution en profondeur de ce régime est indispensable.

Pour finir, j'en viens maintenant au cinquième et dernier enjeu, celui de la lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Ce sujet ne laisse personne indifférent et est au coeur du plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques dévoilé début mai par le Gouvernement.

Au-delà des dommages financiers considérables qu'elle entraîne, la fraude aux prestations sociales constitue une atteinte au principe de solidarité et, donc, au pacte républicain qui fonde la sécurité sociale depuis 1945. La lutte contre la fraude est donc un impératif, non seulement d'efficacité économique, mais aussi de justice sociale.

Nous avons une idée de plus en plus précise du coût de la fraude aux prestations sociales : nous l'évaluons entre 6 milliards et 8 milliards d'euros. C'est beaucoup trop. Encore cette fourchette ne tient-elle pas compte des erreurs fautives des assurés dont l'intention frauduleuse ne peut être prouvée.

Nous avons constaté que l'administration et les caisses de sécurité sociale avaient une véritable volonté d'agir. Si nous avons effectivement observé des progrès, trop peu de moyens sont cependant consacrés au contrôle. La coopération entre les administrations pour échanger les données ne progresse pas assez vite. Les fraudeurs ne sont pas sanctionnés de façon suffisamment ferme ni systématique. La lutte contre la fraude doit donc devenir une priorité de tout premier plan, qui oblige responsables et gestionnaires de la sécurité sociale, mais aussi l'ensemble des assurés sociaux.

Je vous remercie pour votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m'accompagnent, à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je souhaite tout d'abord vous exprimer toute ma gratitude, madame la présidente, ainsi qu'à l'ensemble des personnes qui vous entourent aujourd'hui et aux magistrats qui travaillent avec vous au quotidien.

J'invite ceux qui ne l'auraient pas encore fait à lire votre rapport en détail, car il représente une mine d'informations, en particulier pour tout ce qui concerne la fraude sociale, au sujet de laquelle il met un terme à quelques fausses idées tenaces. En effet, comme vous l'avez dit, il convient de sanctionner les fraudeurs, mais il faut aussi se rendre à l'évidence : de nombreuses légendes, qu'il faut absolument combattre, circulent.

La Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la Cnaf et de la branche famille pour 2022, en raison de l'augmentation de la proportion de paiements erronés. La mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) a entendu hier en audition le directeur de la Cnaf - il ne semblait d'ailleurs pas étonné de votre refus de certifier les comptes - et avons obtenu quelques explications de sa part.

Les assurances obtenues depuis lors, comme le plan de lutte contre la fraude sociale annoncé par le ministre délégué chargé des comptes publics le 30 mai 2023, sont-elles susceptibles, selon vous, d'empêcher un nouveau refus de certification des comptes en 2023 ?

Pour ce qui est des comptes de l'exercice 2021, la Cour des comptes a refusé de certifier ceux qui correspondent à l'activité de recouvrement : vous en avez parlé, environ 5 milliards d'euros ont été imputés sur l'exercice 2021 au lieu de l'exercice 2020, ce qui a amené le Parlement, sur l'initiative du Sénat, à corriger le tableau d'équilibre pour 2021 lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.

La Cour indique, dans son rapport de certification des comptes de l'année 2022, qu'elle a demandé aux caisses d'établir des comptes pro forma de l'exercice 2021 prenant en compte cette correction, ce que les caisses ont refusé de faire. On peut trouver surprenant que les caisses persistent à retenir des montants que la Cour et le Parlement ont considérés comme erronés. Comment l'expliquez-vous ?

La recommandation n° 2 du Ralfss pour 2023 consiste à « renforcer la traçabilité » et à « revoir les modalités d'établissement, de validation, de formalisation et d'explication des retraitements opérés pour la production des tableaux d'équilibre, afin de permettre à la Cour de communiquer au Parlement ses avis sur leur cohérence au moment du dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale ».

Pouvez-vous nous rappeler les principaux retraitements opérés pour passer des comptes des différentes branches soumis à la certification de la Cour aux tableaux d'équilibre figurant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et, désormais, le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale ? Pouvez-vous également nous indiquer, pour ce qui concerne les retraitements, les principales informations dont vous disposez et celles qui vous manquent ?

La recommandation n° 3 du Ralfss consiste, notamment pour permettre à la Cour de produire dans de bonnes conditions ses avis sur les tableaux d'équilibre et le tableau patrimonial du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, à avancer de quinze jours la date de production des comptes et à réunir la Commission des comptes de la sécurité sociale la première quinzaine de mai. Pourriez-vous nous dire où en sont vos échanges avec le Gouvernement à ce sujet ?

Enfin, si le chapitre du Ralfss sur la lutte contre la fraude aux prestations n'indique pas de chiffrage global, il est possible, en retenant son extrapolation pour l'assurance maladie, de parvenir à une évaluation comprise entre 6 milliards et 8 milliards d'euros. C'est la fourchette indiquée par le Premier président de la Cour des comptes lors de sa présentation du rapport à la presse en mai dernier, que vous venez de nous confirmer.

Cette estimation vous semble-t-elle pouvoir significativement évoluer, à la suite notamment de la finalisation des estimations de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) ou d'estimations plus fines réalisées sur les retraites ?

Mme Véronique Hamayon. - Madame la rapporteur générale, votre première question porte sur le refus de certification des comptes de la branche famille.

Je précise que nous avons déjà refusé de certifier les comptes de cette branche en 2011 : il ne s'agit donc pas d'une première, si j'ose dire. À l'époque, les résultats de ce refus s'étaient fait sentir, puisque nous avions assisté à une remise en ordre assez rapide de la gestion et des comptes de la branche famille, avec notamment une amélioration de la précision des indicateurs de risque résiduel.

La branche famille est même devenue, durant un certain nombre d'années, le bon élève de la classe au sein de la sécurité sociale, avant que ses comptes ne se dégradent à nouveau. Nous avions déjà alerté l'année dernière, au moment de la certification des comptes de la branche, sur le risque de dérapage financier et de dégradation des indicateurs de risque résiduel, mais nous n'avons pas été entendus.

Cette année, trois éléments nous ont conduits à ne pas certifier les comptes de la branche famille.

Tout d'abord, nous avons constaté une hausse des liquidations erronées, pour un montant extrêmement élevé de 5,8 milliards d'euros - il s'agit d'erreurs qui n'ont pas été corrigées au bout de vingt-quatre mois et qui ne seront jamais récupérées. Par ailleurs, la branche famille a maintenu ses contrôles à un niveau inférieur à ce qu'il était en 2019. Enfin, il n'y a aucune perspective d'amélioration de la qualité des liquidations à court terme : la branche ne nous a pas présenté de plan permettant de remédier à ces mauvais résultats, si bien que nous n'avons pas perçu de sa part une prise de conscience suffisante, qui laisserait supposer un retour à la normale.

Je rappelle simplement, pour lever toute ambiguïté, que les erreurs que nous constatons - les 5,8 milliards d'euros - portent à la fois sur des indus et des rappels, les indus constituant 80 % du total, quand les rappels, c'est-à-dire les prestations qui auraient dû être versées et qui ne l'ont pas été, en représentent environ 20 %.

S'agissant de l'écart entre les tableaux d'équilibre et les comptes, je me garderai bien de répondre à la place des caisses de sécurité sociale, tout simplement parce que je serais bien en peine de vous donner les raisons pour lesquelles elles ont refusé d'établir des comptes pro forma.

Je vous confirme que nous avons informé les caisses de l'existence de cet écart, qui rend les choses inexplicables, et sur le fait que ce dernier a été entériné par le Parlement, lequel a selon nous le dernier mot. Tel n'est cependant pas l'avis des caisses de sécurité sociale.

L'Acoss, tout comme la direction de la sécurité sociale (DSS), a tendance à considérer qu'il s'agit d'un problème de normes comptables. En réalité, le problème est plus grave. Je me permets donc solennellement d'attirer votre attention sur le fait que les choses ont changé, puisqu'il appartient dorénavant au Parlement, ce que vous savez au premier chef, d'approuver les comptes de la sécurité sociale.

Nous avons, pour notre part, alerté l'administration et les caisses de sécurité sociale sur cette évolution fondamentale, qui vaudra pour l'avenir.

Si une différence entre les tableaux d'équilibre et les comptes de la sécurité sociale devait à nouveau être constatée, la question, nous semble-t-il, ne pourrait plus être traitée par-dessus la jambe - pardonnez-moi d'être un peu triviale -, dès lors qu'il revient bien au Parlement d'approuver in fine ces comptes au travers d'une loi d'approbation. Il conviendra d'être extrêmement vigilant à l'avenir sur ces questions, qui ne sont pas uniquement d'ordre comptable.

S'agissant du retraitement des tableaux d'équilibre par rapport aux comptes, permettez-moi une remarque liminaire. La Cour certifie les comptes du régime général, tandis que les tableaux d'équilibre portent sur l'ensemble des régimes de base de la sécurité sociale : il est donc question de périmètres différents.

Pour la plupart des régimes de base, les niveaux des charges et produits sont retracés dans des tableaux centralisés de données comptables. Mais pour certains régimes, comme celui des fonctionnaires, ce plan comptable unique n'existe pas. Il n'y a pas de tableau centralisé des données comptables et, de ce fait, il est nécessaire d'agréger des données qui ne sont pas présentées de la même manière.

Tout ce travail est réalisé par la DSS, dont la mission consiste à agréger, dans un format comparable, des données qui proviennent de sources distinctes, et qui se présentent selon des formats disparates. La DSS effectue ensuite des contractions, notamment pour éliminer tout risque de double écriture et aboutir à une lecture consolidée des comptes. Tous ces processus sont nécessaires pour passer des comptes « bruts » aux tableaux d'équilibre.

Vous vous êtes interrogée sur le resserrement du calendrier causé par l'examen du nouveau projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale. La Cour des comptes est dans une situation inconfortable, puisqu'elle n'obtient les comptes de la sécurité sociale que le 15 avril et qu'elle dispose désormais de moins d'un mois pour les certifier. Je vous rassure cependant sur le fait que les travaux de certification pour les comptes de l'exercice 2023, qui seront présentés en 2024, ont en réalité déjà débuté. Nos équipes ont déjà commencé à travailler avec l'ensemble des caisses pour mettre au point les plans de contrôle.

Pour être totalement complète, je signale que les comptes sont arrêtés le 15 mars, mais la Cour n'obtient l'ensemble des pièces annexes, qui sont indispensables à la lecture et à la compréhension des comptes finaux, que le 15 avril : c'est ce délai d'un mois que nous aimerions réduire, de sorte à pouvoir travailler de manière plus sereine.

Nous avons fait part à la DSS de notre souhait de voir ce calendrier se desserrer, mais elle ne le veut pas. Si le calendrier est maintenu en l'état, nous ne sommes pas à l'abri, l'année prochaine ou dans les années à venir, de la survenue de graves difficultés.

Concernant la lutte contre la fraude, nous avons fondé notre évaluation sur une approche un peu sommaire, qui consiste à déduire, par une simple règle de trois, à partir des résultats produits par la Cnam sur un périmètre correspondant à peu près à 29 % de ses prestations, des résultats qui concerneraient l'ensemble des prestations de la Cnam.

Nous sommes parvenus à la conclusion que le montant des fraudes aux prestations sociales, c'est-à-dire le montant que je viens d'évoquer auquel il faut ajouter le montant des autres fraudes évalué par les équipes de certification sur le fondement des indicateurs de risque financier résiduel applicables aux autres branches, se situe dans une fourchette de 6 milliards à 8 milliards d'euros.

Une fois que la Cnam aura réalisé avec précision ce travail d'évaluation de la fraude sur l'ensemble du périmètre de ses prestations - la fraude aux prestations d'assurance maladie représente presque la moitié de ces 6 milliards à 8 milliards d'euros -, nous aurons une idée plus exacte de l'ampleur de la fraude. Il est très difficile aujourd'hui de savoir s'il s'agira d'une bonne ou d'une mauvaise surprise.

Nous restons persuadés que les moyens dévolus à la lutte contre la fraude sont insuffisants, non seulement les moyens humains, qui pourraient être redéployés pour renforcer les équipes de contrôle, mais également - et c'est très important - les moyens informatiques. Les systèmes d'information, notamment ceux de la Cnam, n'embarquent pas suffisamment de « systèmes autobloquants », qui permettraient pourtant de déceler, avant même que les prestations ne soient servies, un certain nombre d'incohérences. Nous attendons beaucoup du nouveau système d'information de la Cnam, METEORe, qui devrait prévoir un certain nombre de contrôles a priori.

Il est également difficile de savoir si le plan gouvernemental contre les fraudes sera suffisant. Ce que nous constatons, c'est qu'il va dans le bon sens, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Il existe une véritable prise de conscience de la part de l'ensemble des caisses d'assurance maladie et de l'administration, ainsi qu'une volonté manifeste des pouvoirs publics de renforcer les moyens de lutte contre la fraude.

Je ne vous apprends rien en disant que le problème en matière de fraude est que les fraudeurs ont toujours une longueur d'avance sur ceux qui les traquent, et qu'ils déjouent souvent les moyens mis en place pour les identifier, car ils s'adaptent en permanence. Cette lutte est difficile à mener, car elle demande beaucoup d'agilité et de réactivité de notre part.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche maladie. - Le déficit de la branche maladie s'élevait à 21 milliards d'euros en 2022, montant qui excède le déficit total de la sécurité sociale.

Ma première remarque concerne l'Ondam. Au sujet de cet objectif national, la Cour des comptes semble tenir un discours alarmiste que le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie peine lui-même à avoir ; espérons qu'il vous entende.

Il est actuellement prévu que la progression de l'Ondam sera inférieure à la dynamique de l'inflation. Si la hausse qui est anticipée est plus forte que l'inflation en 2025, l'écart est réduit par rapport à ce qui prévalait avant la crise.

La Cour appelle dans son rapport à « conforter l'Ondam comme outil de pilotage des dépenses » et à « infléchir les dépenses de manière volontariste ». De manière concrète, quelles mesures correctives préconisez-vous, et selon quel calendrier ?

Je m'interroge aussi sur les efforts que vous considérez comme urgents, alors que les hôpitaux sont en déficit, qu'ils n'ont pas retrouvé leur niveau d'activité de 2019, et que, pour la médecine de ville, l'échec de la convention médicale est notamment dû aux revendications d'honoraires, qui vont au-delà des capacités financières de l'assurance maladie.

Je souhaiterais aussi dire un mot de la garantie de financement des établissements de santé. La Cour constate dans son rapport le poids inédit de cette garantie, qui atteindrait 2,8 milliards d'euros en 2022, contre 1,9 milliard d'euros en 2021 et 2,5 milliards d'euros en 2020. Quel bilan qualitatif la Cour tire-t-elle de ce dispositif ? A-t-elle analysé son impact sur la situation financière des établissements ? Quelles conclusions tire-t-elle de cet exercice 2022 extrêmement fragile ?

De manière plus prospective, l'analyse de l'exercice 2022 laisse imaginer une situation extrêmement délicate en 2023, compte tenu notamment du remplacement partiel de la garantie de financement par la « sécurisation modulée à l'activité ». Disposez-vous déjà d'éléments d'analyse pour l'exercice 2023 et d'informations sur l'écart de ressources qui pourrait résulter de ce nouveau dispositif moins ambitieux ? La Cour a-t-elle mené des travaux concernant l'évolution du modèle de financement post-tarification à l'activité (T2A) ?

Permettez-moi d'aborder également la question des investissements hospitaliers. La Cour constate que les besoins d'investissement des établissements de santé sont réels. Le Ségur de la santé, qui était nécessaire, est d'ailleurs davantage un rattrapage qu'un effort suffisant de modernisation. Or cet effort est lui-même obéré par l'inflation. La Cour assure-t-elle un suivi du volet « investissements » du Ségur ? Quel regard porte-t-elle sur l'évolution des capacités d'autofinancement des établissements et leur capacité à accompagner les investissements indispensables à la modernisation de notre système de santé ?

Par ailleurs, vous évoquez dans votre rapport la nécessité de mieux piloter les dépenses de soins de ville. Vous proposez notamment de développer les rémunérations forfaitaires des professionnels de santé. Pourriez-vous rappeler les principales raisons pour lesquelles la part de ces rémunérations doit, selon vous, être renforcée ? Après l'échec des négociations lors de la dernière convention médicale, les professions de santé vous paraissent-elles prêtes à accepter cette évolution ?

Vous soulignez aussi dans votre rapport que les expérimentations prévues par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 sont trop nombreuses et insuffisamment évaluées. Quelles priorités faudrait-il fixer pour faciliter le tri des projets ? Quelles sont vos principales propositions pour rendre le dispositif plus efficace et accélérer la généralisation des expérimentations concluantes ?

Enfin, j'ajouterai un dernier mot sur la Cades, dont l'existence a été prolongée jusqu'en 2033. Il ne resterait à la Caisse que 8,8 milliards d'euros pour amortir le déficit de l'exercice 2023, déficit prévisionnel évalué à 8,2 milliards d'euros : les marges de manoeuvre sont donc très minces... Qu'en pensez-vous ?

Mme Véronique Hamayon. - En ce qui concerne le pilotage de l'Ondam, j'ai évoqué de manière allusive tout à l'heure le fait que le Premier président de la Cour des comptes rendra publiques, au mois de juillet prochain, des notes thématiques structurelles, qui contribueront à la réflexion de l'exécutif sur la revue des dépenses publiques.

L'une de ces notes thématiques, réalisée par la sixième chambre, sera consacrée aux dépenses de soins de ville. Sans déflorer totalement le sujet, je vous livre ici quelques réflexions.

Le défi à relever consiste évidemment à parvenir à une meilleure organisation des soins, au niveau local notamment, entre l'hôpital public, les cliniques privées et la médecine de ville. Les parcours de soins doivent désormais être effectifs. Pour ce faire, il faut que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) fonctionnent correctement, que le dispositif des maisons de santé ou des centres de santé ne tarde plus à se mettre en place, en tout cas dans un certain nombre de territoires.

J'ai abordé tout à l'heure la question de la réponse aux besoins urgents de soins, en parlant des Samu, des Smur, et des SAS. Là encore, une bonne articulation entre ces services, la médecine de ville et les services hospitaliers de réanimation est indispensable ; c'est toute la chaîne des soins d'urgence qu'il faut repenser. Cette problématique fait l'objet d'un effort continu des pouvoirs publics : la « boîte à outils » s'enrichit année après année. La difficulté essentielle tient encore une fois au manque d'articulation entre les différents outils.

Permettez-moi d'évoquer plus particulièrement les grands postes de dépenses de l'Ondam. Pour ce qui est des soins de ville, environ 40 % des dépenses résultent des rémunérations des personnels médicaux et paramédicaux ; environ 30 % correspondent à des dépenses liées aux produits de santé, médicaments et dispositifs médicaux ; enfin, les indemnités journalières constituent le troisième poste de dépenses par ordre d'importance.

À cet égard, nous constatons qu'il n'existe pas de mécanisme de régulation financière infra-annuelle et qu'à l'exception du médicament les modalités de régulation pluriannuelles, que sont les négociations conventionnelles, ne sont pas utilisées de manière aussi efficace qu'elles le devraient. Un certain nombre de ces conventions prévoient l'application de dispositifs en cas de nécessité, auxquels les pouvoirs publics n'ont jamais, ou très peu, eu recours ; je pense à la possibilité de décaler la mise en oeuvre de la convention médicale au cas où le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie tire la sonnette d'alarme. Il existe donc toute une série d'outils au sein des conventions qui sont potentiellement efficaces, mais qui n'ont jamais été utilisés.

Je note qu'il existe un mécanisme qui fonctionne bien, mais qui n'est malheureusement pas suivi suffisamment dans le temps, le mécanisme applicable aux actes de biologie médicale : il s'agit d'une régulation prix-volume qui a fait ses preuves, mais qui a été abandonnée pendant la crise de la covid-19, et qui n'est plus suffisamment exploitée aujourd'hui.

La régulation des produits de santé - des médicaments en tout cas -, grâce aux deux outils que sont les mesures de sauvegarde et les remises, qui sont comme des « cordes de rappel » en quelque sorte, est relativement efficace. Je dis « relativement », parce que le prix des médicaments a tout de même augmenté assez rapidement en 2022, en hausse de 4 % environ, alors que l'Ondam évaluait cette hausse à 2,7 %.

Du reste, le niveau des dépenses de médicaments risque de s'orienter à la hausse si la renationalisation de la production de médicaments en France, qui correspond à la volonté actuelle des pouvoirs publics, se concrétise.

Je souhaite ajouter un mot sur la régulation de l'Ondam. Un certain nombre de dispositifs, qui ne sont pas seulement des outils de pilotage de la dépense, car ils ont un impact sur les dépenses de santé, sont indispensables.

Je pense à la mise en oeuvre du numérique en santé avec la prescription électronique ou le dossier médical partagé (DMP), devenu l'espace numérique en santé.

Même si cela fait vingt ans que les pouvoirs publics y travaillent, ces dispositifs ne sont toujours pas efficaces aujourd'hui. Notre pays enregistre de ce fait un retard considérable en la matière, tout comme en matière de télésanté, par rapport aux autres grands pays européens. Or tous ces outils, qui doivent améliorer l'efficacité et la qualité des soins, sont des sources potentielles d'économies, même indirectes.

Il faut aussi parler de la révision des nomenclatures, obsolètes aujourd'hui et dont on pourrait attendre in fine des économies, ou encore du renforcement de la prévention.

Pour ce qui concerne le volet hospitalier, je vais laisser la parole à Nicolas Fourrier, qui est à la fois le rapporteur général du Ralfss et l'auteur d'un rapport, qui paraîtra en septembre, sur la situation financière des hôpitaux.

M. Nicolas Fourrier, conseiller maître de la Cour des comptes. - Vous avez soulevé trois problèmes concernant la garantie de financement, dont la Cour donne une image nuancée.

Nous pensons en effet qu'en 2020 elle a été utile, compte tenu de la très forte baisse de l'activité hospitalière, notamment due aux déprogrammations demandées par la direction générale de l'offre de soins (DGOS), afin de libérer des places pour les malades de la covid-19. À cette époque, il a fallu maintenir un niveau de ressources suffisant pour l'ensemble des établissements hospitaliers.

Elle l'a également été en 2021 en raison des perturbations importantes causées par la pandémie.

Nous constatons que le ministère de la santé éprouve une certaine difficulté à sortir du mécanisme de la garantie de financement. Ainsi, la sécurisation modulée à l'activité (SMA), mise en place pour 2023, est un dispositif de financement, qui garantit 70 % du financement des établissements, et qui s'inscrit donc dans la même logique.

Or tous les entretiens que nous avons menés dans les hôpitaux, avec les différentes fédérations, nous ont confortés dans l'idée que la T2A continuait de faire l'objet d'un attachement extrêmement fort, attachement que la Cour des comptes partage. La T2A a certes des défauts et peut être critiquée - elle est notamment beaucoup trop complexe et le lien entre coûts et tarifs pourrait être plus précis -, mais elle présente des avantages extrêmement importants, comme le fait de lier la rémunération des établissements à leur activité.

Les systèmes qui préexistaient à la T2A, comme la dotation globale, qui a fait en quelque sorte son grand retour au travers de la garantie de financement, ne permettent pas de prendre en compte la vie de l'hôpital. Dans la perspective de futures réformes, il est important de garder à l'esprit la dimension prépondérante que revêt la tarification à l'activité.

Pour autant, la Cour des comptes n'est pas partie prenante de cette réforme de par son statut et ne participe donc pas aux réflexions en cours au sein des administrations et du Gouvernement.

Concernant le Ségur de l'investissement, je vous confirme que nous assurons un suivi des mesures prises, lesquelles feront l'objet d'une part très importante du rapport que nous allons publier sur la situation financière des hôpitaux.

Il semble que de trop nombreux projets aient été validés au vu du montant global de l'enveloppe, qui s'élevait pourtant à 9 milliards d'euros. Avec l'inflation et la hausse des coûts de la construction, on constate que le taux d'aide moyen par projet est sans doute trop bas au regard des capacités financières des établissements.

Il faudra apporter des réponses rapidement à cette situation. À enveloppe constante, la solution pourrait consister à abandonner un certain nombre de projets, à redimensionner et à reprogrammer certains autres. Un travail important reste donc à réaliser.

Mme Véronique Hamayon. - J'ajoute que la Cour publiera en juillet un rapport sur la T2A. En septembre, la Cour mettra donc à la disposition du public trois rapports relatifs à l'hôpital : celui sur la T2A donc, celui sur la situation financière des hôpitaux et un troisième sur la concurrence et la complémentarité entre les établissements publics et privés de santé.

Madame la rapporteure, vous nous avez posé une question sur le mode de rémunération des médecins libéraux. Nous appelons effectivement à augmenter la part forfaitaire de la rémunération, en lien notamment avec des obligations de service public.

Aujourd'hui, le paiement à l'acte représente plus de 80 % de la rémunération des médecins libéraux, ce qui entraîne un certain nombre d'effets pervers : un effet inflationniste, qui a été largement démontré, l'insuffisance des actions de prévention, que rien dans le système actuel ne contribue à promouvoir, ainsi qu'une diminution de la durée des consultations.

Nous observons en outre que l'objectif d'accroître la part de la rémunération forfaitaire, qui a été fixé dans la convention médicale de 2016, n'a pas été atteint. Nous pensons que cette forfaitisation est souhaitable et qu'elle pourrait prendre plusieurs formes, par épisode de soins, par professionnel ou par patient. En tout état de cause, une forfaitisation accrue de la rémunération de la prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques nous semble une priorité.

Cette observation me conduit à évoquer les expérimentations prévues à l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Trois d'entre elles nous paraissent particulièrement structurantes : l'expérimentation du paiement à l'épisode de soins - pour trois types d'interventions chirurgicales - qui nous semble prometteuse ; celle du paiement en équipe d'un ensemble de professionnels de santé ; celle, enfin, de l'intéressement de groupements de professionnels à la performance de la qualité des soins, à la satisfaction des patients et à la maîtrise des dépenses.

Nous suivrons les résultats de ces trois expérimentations, qui s'achèveront dans un an environ, à la mi-2024, avec une attention toute particulière. Si les résultats sont au rendez-vous, nous demanderons à ce qu'elles soient généralisées dans les meilleurs délais.

Enfin, s'agissant de la Cades, vous avez très bien résumé la problématique des 8,2 milliards d'euros à amortir. La Cour considère qu'il est inévitable de prolonger la durée de vie de la Cades dans les meilleurs délais, de sorte qu'elle soit en capacité de reprendre les déficits.

Mme Catherine Deroche, présidente. - À ce rythme-là, nous risquons une Cades à perpétuité !

M. René-Paul Savary, rapporteur pour la branche vieillesse. - Madame la présidente, j'aurai moins des questions à vous poser que des remarques à formuler.

Tout d'abord, votre analyse sur la rémunération des médecins généralistes me laisse dubitatif, au vu du manque de médecins dans notre pays. S'il faut inciter les jeunes à embrasser cette vocation, je ne suis pas sûr que ce type de mesure y contribue.

Vous avez employé une expression qui m'a bien plu en évoquant les mesures de sauvegarde, celle de « corde de rappel ». En effet, en 2023, quand le montant de la clause de sauvegarde dépassera de 1 milliard d'euros les prévisions, il ne s'agira plus, selon moi, d'une corde de rappel, mais d'une taxation des médicaments. Il convient de rester vigilant à ce sujet et de maintenir le principe de la clause de sauvegarde, sans que le dispositif devienne prohibitif, sauf à décourager un certain nombre de laboratoires d'investir en France pour produire des médicaments.

Vous nous avez dit que la réforme des retraites ne comblerait pas le déficit de la branche. Vous avez raison. Cela s'explique, pour une large part, par les mesures d'accompagnement que le Parlement a adoptées - les mesures relatives aux carrières longues, la revalorisation des petites retraites à travers celle du minimum contributif (Mico) ou bien encore des dispositifs comme la revalorisation des pensions des femmes.

De ce fait, la réforme des retraites contribue à limiter la différence de traitement entre les femmes et les hommes, contrairement à ce que vous avez affirmé.

Il manque également dans votre analyse la prise en compte des retraites complémentaires. Compte tenu de l'allongement de la durée de cotisation et du décalage de l'âge de départ à la retraite, les régimes de retraite complémentaire seront davantage bénéficiaires, notamment l'Agirc-Arrco, association à laquelle sont affiliées une majorité de personnes retraitées. Je pense que la Cour devrait se montrer plus prudente dans son analyse et ses commentaires, et veiller à étudier le système dans sa globalité.

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Madame la présidente, je tiens tout d'abord à vous remercier pour la qualité de votre rapport, ainsi que pour vos propos qui éclairent la représentation nationale.

En guise d'observation liminaire, je vous ferai remarquer que la petite phrase de notre présidente sur la « Cades à perpétuité » est à la fois juste et inquiétante : le transfert de nos dépenses sociales aux générations futures n'est pas un gage de responsabilité.

Je constate avec dépit que le niveau de nos dépenses sociales est élevé, ce qui conduit à une dégradation de nos comptes, et que, malgré tout, on continue de se plaindre de l'insuffisance des moyens consacrés à notre sécurité sociale. Au lendemain du « quoi qu'il en coûte » et d'une grande loi Santé, l'heure de la remise à plat devrait donc bientôt sonner, car nous ne pouvons pas continuer ainsi.

Pour en revenir à la branche dont je suis le rapporteur, je trouve que le refus de certification sonne comme une évidence. Au vu des 5 milliards d'euros d'indus et de rappels comptabilisés pour 2022, la baisse du nombre de contrôles réalisés par les Caf et l'absence de plan de redressement prévu à court ou moyen terme me laissent sans voix. Il ne serait pas illégitime que les pouvoirs publics tapent du poing sur la table et que le Gouvernement donne davantage de directives à la Cnaf.

J'en viens à quelques points plus techniques.

Dans son rapport, la Cour des comptes traite des indemnités journalières versées après la naissance de l'enfant. Le Sénat s'était opposé à cette mesure, comme vous le savez. Or vous pointez la nature « conventionnelle » de la distinction entre congé prénatal et postnatal, et vous recommandez de clarifier le financement du congé maternité en le confiant intégralement à la branche famille.

Nous pouvons vous suivre sur le premier point, mais non sur la conclusion que vous en tirez. Vous reconnaissez vous-même qu'une meilleure connaissance des dépenses liées au congé maternité serait un instrument de prévention et de suivi de la santé périnatale, et vous préconisez d'améliorer les dispositifs de suivi de la santé des femmes.

Pourquoi estimez-vous que la Cnaf a davantage vocation à financer le congé maternité que la Cnam ?

Vous dressez également un bilan peu satisfaisant de la gestion des congés maternité et paternité. Le Sénat a supprimé, lors de l'examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, le versement obligatoire des indemnités journalières par les employeurs pour le compte des caisses primaires d'assurance maladie. Cette disposition n'avait pas d'incidence sur les comptes de la sécurité sociale, ce que le Conseil constitutionnel a d'ailleurs confirmé, et permettait de transférer une charge de trésorerie excessive aux employeurs. Vous confirmez que ces derniers doivent attendre plus de quarante-deux jours pour obtenir le remboursement.

Si vous qualifiez de « prometteuse » la subrogation obligatoire, vous n'en faites toutefois pas une recommandation. Est-ce parce que vous estimez, comme nous l'avons fait, que la gestion des congés maternité et paternité par les caisses primaires d'assurance maladie ne permet pas cette réforme ? La généralisation du transfert d'informations par les employeurs via la déclaration sociale nominative ne serait-elle pas suffisante pour éviter les ruptures de ressources ?

Mme Véronique Hamayon. - J'abonde dans le sens de René-Paul Savary : en effet, l'impact de la réforme des retraites est positif pour l'Agirc-Arrco - + 3,7 milliards d'euros -, ainsi que pour l'État - +1 milliard d'euros. Nous n'avons jamais dit le contraire ; nous nous sommes simplement concentrés sur le régime général, puisque telle est notre mission au titre de la certification des comptes de la sécurité sociale.

Pour ce qui est de la branche famille, nous n'avons pas attendu l'année 2023 pour formuler un certain nombre de recommandations sur la nécessaire mise en cohérence du financement des congés maternité et paternité. Déjà, en 2022, nous recommandions que ces deux congés soient gérés par la même branche, ce qui n'était pas le cas puisqu'en 2022 les dépenses liées au congé paternité étaient supportées par la branche famille, quand celles qui étaient liées au congé maternité étaient supportées dans leur intégralité par la branche maladie. Un effort de regroupement a donc déjà été fait, et nous souhaiterions que cet effort de cohérence se poursuive jusqu'à son terme.

Nous ne nous prononçons pas nécessairement sur le choix à opérer entre la branche famille et la branche maladie. Il serait certainement assez logique que la branche famille, qui traite déjà de la quasi-totalité de ces prestations, les gère dans leur ensemble. Seuls les congés pathologiques, liés à la maternité, resteraient de la compétence de la branche maladie.

Le message que nous envoyons est clair : il faut assurer de la cohérence dans les financements et en faciliter le pilotage.

Monsieur Henno, comme vous l'avez souligné, la charge de trésorerie relative à la subrogation des indemnités journalières maternité et paternité peut être importante, notamment pour les toutes petites entreprises. Cela étant, le retard de versement de ces indemnités pèse sur les foyers, notamment les foyers les plus modestes, qui sont privés de ce droit pendant quarante-deux jours en moyenne. C'est pour éviter de telles ruptures de ressources chez les ménages les plus fragiles, qui sont encore trop fréquentes, que la Cour considère que la subrogation obligatoire est prometteuse.

Nous rappelons que le caractère obligatoire de la subrogation permettrait de répondre à la pratique irrégulière, qui consiste, pour certains employeurs, à subordonner le versement des indemnités dues à leurs employés au fait qu'eux-mêmes aient perçu un remboursement de la sécurité sociale. C'est donc aussi pour répondre à cette pratique illégale que nous faisons cette suggestion. Il ne s'agit pas d'une recommandation à proprement parler, parce que, lors du délibéré sur ce rapport, une mesure analogue figurait dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale présenté par le Gouvernement.

Dernier point, nous attendons en effet beaucoup de la DSN, qui devrait a minima améliorer les temps de transmission et la qualité des informations financières nécessaires au calcul des indemnités journalières.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour la branche autonomie. - Le solde de la branche autonomie en 2022 est finalement beaucoup plus favorable qu'annoncé il y a six mois : alors que la LFSS pour 2023 prévoyait un déficit d'environ 0,5 milliard d'euros, la branche est finalement excédentaire de 0,2 milliard. Cette écart est dû à la fois à des recettes nettement plus élevées et à une progression plus modérée qu'attendu des dépenses. Comment expliquez-vous ce moindre niveau de dépenses par rapport aux prévisions retenues dans la LFSS pour 2023 ? En définitive, quel a été l'impact des revalorisations salariales dans le secteur médico-social sur les dépenses de la branche autonomie en 2022 ? Dans quelle mesure la dynamique des recettes est-elle liée à l'inflation ? Dans ce contexte, faut-il s'inquiéter que les dépenses n'aient pas été plus élevées, étant donné les besoins de la branche ?

Mme Véronique Hamayon. - En effet, la branche autonomie a des résultats meilleurs que ceux qui étaient attendus. L'augmentation des recettes concerne l'ensemble des branches de la sécurité sociale et est liée à l'inflation. L'inflation a un impact sur la masse salariale et 1 % d'augmentation de la masse salariale rapporte 2,2 milliards d'euros de recettes en plus pour la sécurité sociale. La branche autonomie n'échappe pas à cette règle, avec une dynamique de recettes plus importante que prévu.

Les dépenses ne sont que très légèrement inférieures aux prévisions et l'écart s'explique essentiellement par cette dynamique des recettes, liée à l'augmentation de l'assiette des cotisations.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le rapport de la Cour des comptes met en avant la situation de plus en plus préoccupante de la CNRACL, le régime spécial couvrant les risques retraites et invalidité des agents de la fonction publique territoriale et hospitalière. Le déficit de ce régime, qui tend à devenir structurel, est appelé à s'aggraver pour atteindre 6,6 milliards d'euros en 2030. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a autorisé un emprunt de 7,5 milliards d'euros pour assurer la pérennité des paiements et des prestations. Avec la hausse des taux d'intérêt, nous savons que cette solution sera coûteuse. Quelles solutions préconisez-vous pour garantir les comptes de cette caisse ?

Vous préconisez la réalisation d'économies via la maîtrise des dépenses de médicaments, mais vous n'avez rien dit sur l'utilisation des 6 milliards d'euros du crédit impôt recherche. Avez-vous proposé au Gouvernement d'augmenter le reste à charge des ménages en doublant la franchise sur les médicaments ?

Enfin, ma dernière question porte sur les retraites et plus précisément sur l'écart des montants des pensions entre les hommes et les femmes ; vous préconisez dans votre rapport de faire des économies sur les pensions de réversion, mais quelle vision de l'égalité ! Ne pensez-vous pas que l'égalité salariale pourrait être une source de revenu supplémentaire, qu'il faudrait favoriser ?

Mme Victoire Jasmin. - Ma première question porte sur l'augmentation de 22 % des appels au Samu. Avez-vous des éléments plus fins pour en comprendre les raisons ? Est-ce dû à un manque de médecins ?

Par ailleurs, les travailleurs indépendants, les agriculteurs et leurs conjoints sont pénalisés par le non-recours aux droits et aux soins. Avez-vous des éléments permettant d'en comprendre les raisons ?

M. Daniel Chasseing. - Concernant le Samu, vous avez parlé d'une hausse de 62 % des appels depuis 2014. Cela est dû, je crois, au médecin régulateur du SAS, qui intervient en plus du médecin régulateur du Samu. L'organisation des soins non programmés (SNP) avec les médecins libéraux et les maisons de santé des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ne vous semble-t-elle pas pertinente ?

Au sujet de l'Ondam, est-ce que vos estimations de déficit tiennent compte de ce que le Président de la République a dit concernant l'augmentation du nombre d'emplois pour les personnes dépendantes, très attendue dans les Ehpad ? Je souligne, d'ailleurs, que les projets qui touchent aux hôpitaux connaissent une hausse des coûts de l'ordre de 30 % en raison de l'inflation.

Enfin, concernant la vieillesse, René-Paul Savary a précisé que le Sénat avait ajouté des clauses pour les femmes, les carrières longues et les petites retraites. Quel sera selon vous le déficit dans les années 2030-2040 ?

Mme Annick Jacquemet. - Le Gouvernement entend lancer le grand chantier du dispositif de solidarité à la source, qui doit permettre de lutter contre le non-recours tout en limitant les risques de fraude. Avez-vous une estimation, soit des économies, soit des dépenses supplémentaires, qui peuvent en être attendues ?

Vous avez évoqué les retards dans la publication de certains décrets d'application : avez-vous des explications de la part des ministères concernés et quelles solutions préconisez-vous ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - La fraude aux prestations de la Cnam, bien que son estimation soit imparfaite - la Cnam n'a fourni que des données partielles, portant sur 29 % seulement du total des prestations -, pourrait représenter entre 4 milliards et 5 milliards d'euros. Confirmez-vous ces chiffres ? Les retards dans les contrôles de la Cnam s'expliquent certainement par un manque de méthode. Vous rappelez, à juste titre, que certaines caisses travaillent à des améliorations, notamment les CAF, mais on peut s'étonner que les redressements ne soient toujours pas à la hauteur : selon les estimations, les fraudes sont toujours de l'ordre de 3 milliards d'euros, sans amélioration visible. Il y a très certainement aussi un problème de méthode mais aussi de moyens. Vous dites en effet qu'il manque des contrôleurs, mais nous ne cessons de répéter que le recrutement de contrôleurs est une dépense d'investissement au vu des recettes qui peuvent en résulter.

Par ailleurs, vous ne parlez pas des fraudes aux cotisations, évaluées à environ 8 milliards d'euros. Confirmez-vous ce montant ? Si nous additionnons fraudes aux prestations (entre 6 et 8 milliards d'euros) et fraudes aux cotisations, nous arrivons à un montant compris entre 14 milliards et 16 milliards d'euros. C'est énorme ! Nous sommes certes loin des estimations fantaisistes de certains, qui arrivaient à des montants de 40 milliards ou 50 milliards d'euros, mais il y a certainement un peu plus de 10 milliards d'euros à récupérer.

Enfin, vous soulignez les progrès réalisés dans la sécurisation des inscriptions à la sécurité sociale des personnes nées à l'étranger ; nous avions fait sur ce sujet une évaluation des recommandations que vous aviez validées. Cela avance dans le bon sens même si nous sommes encore une fois loin des fantasmes de 14 milliards d'euros ; pour mémoire, notre rapport évaluait le montant de la fraude à 140 millions d'euros.

M. Alain Milon. - Si je comprends bien, la T2A n'intervient qu'à hauteur de 60 % dans les budgets des hôpitaux. Si beaucoup la critiquent, c'est bien la T2A qui a sauvé les hôpitaux, à l'évidence. La preuve, des systèmes qui ne sont pas encore financés par la T2A la réclament ; c'est le cas de la psychiatrie et du système privé. J'ai hâte de lire votre rapport sur le sujet.

Vous dites que la T2A est complexe. L'est-elle par nature ou bien est-ce l'utilisation qui en est faite qui l'a rendue complexe ? En effet, si l'on considère l'évolution des tarifs aux États-Unis en quarante ans de T2A, et l'évolution des tarifs en France en vingt ans de T2A, on s'aperçoit qu'il y a deux fois plus de tarifs en France qu'aux États-Unis. Cela nous amène à penser que c'est plutôt son utilisation qui a rendu la T2A complexe. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Concernant les investissements immobiliers, considérez-vous comme normal qu'un organisme qui n'est pas propriétaire rembourse les emprunts à place de ce dernier ? L'État est propriétaire des bâtiments, mais c'est l'assurance maladie qui rembourse les emprunts immobiliers...

Mme Véronique Hamayon. - Pour ce qui regarde la CNRACL, nous ne pouvons que confirmer, en effet, ce qui figure dans le rapport. Nous anticipons bien, si aucun des paramètres du régime n'a changé, un déficit de 6,6 milliards d'euros à l'horizon de 2030. L'augmentation du taux de cotisations patronales, récemment décidée, ne suffira pas à couvrir les déficits. Bien sûr, ce n'est pas à la Cour des comptes de se prononcer sur le choix des leviers, notamment entre le montant des pensions et l'augmentation des cotisations patronales ou salariales.

Je précise que la Cour des comptes n'a pas soufflé au Gouvernement l'idée d'une augmentation de la franchise sur les médicaments à la charge des assurés sociaux, si tel est le sens de la question posée.

Par ailleurs, je ne voudrais pas que l'on croie que la Cour des comptes, en particulier la présidente de sa sixième chambre, suggère de faire des économies sur les pensions de réversion. Au contraire, nous préconisons de combler les écarts que nous observons entre les hommes et les femmes, grâce à des mécanismes de solidarité ou de réversion. Vous avez raison de rappeler que c'est en s'attaquant au problème des inégalités de salaires entre les hommes et les femmes, autrement dit en amont, que nous pourrons résoudre cette question.

La hausse des appels au Samu est-elle liée au manque de médecins ? Je rappelle que, depuis cinq ou six ans, nous constatons une augmentation des effectifs du personnel de santé et des médecins, les médecins généralistes faisant seuls exception. Je dirais que la réponse est à chercher du côté du comportement des patients et des assurés sociaux que nous sommes tous ; je pense au fait d'appeler le Samu ou se rendre directement aux urgences, sans que l'état de santé relève du Samu ou d'un Smur. Sur l'ensemble des appels reçus, seuls 5 % se traduisent effectivement par un transport médicalisé d'urgence vers l'hôpital le plus proche. L'objectif du SAS est de traiter ces appels en amont pour les empêcher de se déverser sur le Samu et les rediriger vers la médecine de ville dans les quarante-huit heures, ce qui est plus ou moins facile selon les territoires. Laissons à ce dispositif le temps de se mettre en place et la Cour des comptes sera attentive aux résultats de ces services d'accès aux soins.

Nous constatons bien des inégalités dans les modes de prestations, par exemple entre les salariés et les non-salariés, mais il est vrai que nous n'avons pas creusé la question de la retraite des conjoints d'agriculteur.

Nous n'avons pas les chiffres des déficits en 2040 ; nous avons ceux de 2030, qui figurent dans le rapport. Bien entendu, ils reposent sur un modèle inchangé, c'est-à-dire toutes choses égales par ailleurs. Les hypothèses du Gouvernement ne nous semblent certes pas hors d'atteinte mais nous les jugeons optimistes par rapport au consensus de l'OCDE, de la Commission européenne et du Fonds monétaire international (FMI). Il faudra donc être vigilant, car le déficit de 2030 pourrait être supérieur.

Concernant la solidarité à la source, nous espérons qu'elle permettra de réaliser des économies. Elle conduira d'abord à une plus grande pertinence dans l'allocation des prestations. Elle évitera ensuite aux ménages de manquer un dispositif auquel ils ont droit. Ce surcroît de dépenses, qui correspond aux prestations versées aux personnes qui, jusqu'à présent, n'y faisaient pas appel, sera largement compensé, puisque nous gagnerons nettement en temps de gestion.

À propos des retards qui touchent certains textes d'application, nous n'avons pas d'explication. Nous avons transmis le message à l'Assemblée nationale et maintenant au Sénat, en espérant que cela aura quelques effets.

Nous confirmons les chiffres de la fraude aux prestations
- de 6 milliards à 8 milliards d'euros - et ceux de la fraude aux cotisations -environ 8 milliards d'euros - donc le chiffre que vous avancez d'un total compris entre 12 milliards et 16 milliards d'euros est valide, mais, à ce stade, nous n'avons pas réintroduit la question de la fraude aux cotisations ; nous y reviendrons. Il y a certainement un problème de méthode, même s'il faut souligner les progrès qui ont été faits : les caisses se dotent d'outils informatiques permettant d'identifier les profils a priori des fraudeurs, de façon à diriger leurs contrôles essentiellement sur ces profils, en s'appuyant sur le data mining, par exemple. Ces outils, qui renforcent les contrôles a priori, sont autant de moyens qui peuvent alors être redéployés vers les contrôles a posteriori, qui restent absolument indispensables : consultation des dossiers médicaux par des médecins assermentés, contrôles de terrain, etc.

Quant à la T2A, elle ne représente, en effet, que 60 % à 70 % des recettes des hôpitaux, mais c'est une part évidemment essentielle. La T2A est-elle consubstantiellement complexe ou bien est-ce son utilisation qui l'a rendue complexe ? Un peu des deux, sans doute. Il est vrai, néanmoins, que nous avons fait jouer à cet outil de tarification un rôle de codage et donc de connaissance de l'activité médicale hospitalière. Si la T2A venait à disparaître, nous perdrions ce système d'information hospitalier à nul autre pareil, qui nous permet d'avoir une vision panoramique de ce qui se passe en France de manière extrêmement détaillée, une vision de la santé publique et des politiques épidémiologique fondées sur cette information extrêmement riche.

Enfin, la question des investissements immobiliers étant une question politique, la Cour des comptes n'a pas à se prononcer.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie, madame, messieurs, de vos réponses et ces informations. Nous attendons avec impatience vos rapports, en particulier ceux qui complètent les travaux de la commission des affaires sociales et de la commission d'enquête sur l'hôpital et les préconisations qui en sont émanées.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

3. Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) (mercredi 14 juin 2023)

M. Philippe Mouiller, président. - J'excuse Catherine Deroche, qui va nous rejoindre dans les prochaines minutes. Nous recevons ce matin M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.

Monsieur le directeur général, nous avons souhaité vous entendre à la suite de l'échec des négociations entre l'Assurance maladie et les représentants des médecins libéraux afin d'établir une nouvelle convention médicale et de la publication d'un règlement arbitral en avril.

Nous souhaitons que vous nous indiquiez quels ont été les principaux points d'achoppement des négociations et comment la Cnam applique désormais le règlement arbitral. Nous souhaitons également que vous fassiez le point sur la perspective de reprise des négociations, dans un contexte semblant encore plus tendu par le début de l'examen de la proposition de loi du député Frédéric Valletoux.

Je vous invite à aborder ces différents points dans le cadre d'un propos liminaire.

Bien entendu, les échanges avec les membres de la commission, en premier lieu la rapporteure de la branche maladie, Corinne Imbert, et la rapporteure générale, Élisabeth Doineau, permettront sans doute d'élargir le champ de cette audition à d'autres actualités de la caisse - notamment l'examen de la première loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss) ou encore le plan de lutte contre la fraude sociale annoncé par le ministre des comptes publics.

Monsieur Fatôme, vous avez la parole.

M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). - Je vous remercie de me donner l'occasion d'intervenir sur ces différents sujets.

Le dynamisme des discussions conventionnelles ne se limite pas aux médecins. Il faut rappeler l'importance de ces discussions, qui servent à la fois à fixer les tarifs des différents professionnels de santé et à apporter des transformations au système de soins. Nous avons signé le 13 avril, avec les transporteurs sanitaires, un accord pluriannuel 2023-2025. Nous finalisons actuellement la négociation avec les sages-femmes sur un nouvel avenant accompagnant la profession, soutenant l'intervention des sages-femmes en matière de santé publique et dans l'accompagnement au sein des maternités. Nous avons ouvert quatre « négociations flash » avec des professions paramédicales, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes et orthoptistes, autour d'une réponse au contexte d'inflation. Nous espérons terminer d'ici l'été une négociation avec les dentistes, sur la nouvelle convention dentaire. Je voulais partager avec votre commission ce dynamisme de la vie conventionnelle.

Concernant les raisons de l'échec des négociations, elles ont essentiellement achoppé autour de la revalorisation de la consultation de médecine générale à 30 euros. Nous avions proposé cette bascule à 30 euros mais dans le cadre d'un engagement territorial qui mettait en face de ces revalorisations très significatives, près de 20 % de revalorisation des honoraires, des réponses à apporter, afin de mieux répondre aux besoins des territoires et des patients, dans les domaines des permanences des soins, des soins non programmés et de l'exercice coordonné. C'est autour de cette problématique que la négociation n'a pas abouti. Nous avions proposé une revalorisation socle à 26,50 euros et à 30 euros dans le cadre de l'engagement territorial. Beaucoup d'autres items étaient proposés : mesures de lutte contre les déserts médicaux, soutien à l'exercice en zones sous-denses, simplification de la rémunération sur objectifs de santé publique, évolution de l'option pratique tarifaire maîtrisée (Optam), dispositif permettant le dépassement d'honoraires... Ces dispositions n'ont pas trouvé d'accord avec les partenaires conventionnels, ce qui a abouti à la saisine d'un arbitre, Mme Annick Morel, qui a rédigé le règlement arbitral après audition des différentes parties prenantes. Elle a édicté un règlement qui vaut convention médicale pour cinq ans, obligation étant faite aux parties de se mettre autour de la table dans un délai de deux ans. Ce règlement porte essentiellement sur la revalorisation à 26,50 euros au 1er novembre, l'assouplissement des conditions de recours aux assistants médicaux et la mise en place d'une consultation à 60 euros pour les médecins qui accepteront de devenir médecins traitants d'un patient en affection de longue durée (ALD) qui n'en dispose pas. Le règlement arbitral pérennise également les mesures autour des soins non programmés avec la majoration des consultations régulées de 15 euros et le tarif de 100 euros/heure pour l'activité de régulation. Ce règlement arbitral se met en oeuvre.

De notre côté, nous avons engagé l'accompagnement des médecins libéraux autour de deux sujets. Le premier axe concerne le plan d'action autour des personnes en ALD et qui n'ont pas de médecin traitant. C'est un objectif fixé par le Président de la République et repris par le ministre de la santé, qui en a confié à la Cnam le déploiement opérationnel. Nous sommes mobilisés avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les élus locaux, les associations de patients et les maisons de santé pluridisciplinaires autour de solutions pour trouver un médecin traitant aux patients qui n'en n'ont pas et qui sont en ALD, soit un peu plus de 700 000 patients fin 2022. Nous avons écrit à l'ensemble des assurés concernés pour les avertir de notre mobilisation et leur permettre d'exercer leur droit d'opposition. Nous sommes en train d'écrire à l'ensemble des médecins libéraux qui voient régulièrement ces patients sans être leur médecin traitant. 20 % de ces 700 000 patients n'ont pas vu de médecin de l'année. Un quart d'entre eux voient régulièrement le même médecin. Les situations sont très variées. Une mobilisation locale se déploie aussi au niveau des CPTS pour notamment identifier les médecins libéraux, soit 50 000 généralistes, qui seraient volontaires pour prendre davantage de patients et partager l'effort. Nous pensons qu'il est possible d'infléchir la courbe, sinon nous aurons 800 000 patients concernés en fin d'année.

Notre deuxième axe de mobilisation porte sur les assistants médicaux. Dans nos propositions largement consensuelles avec les syndicats de médecins, nous allons engager une campagne de communication et d'information importante sur les nouvelles règles. Dorénavant, il n'y a plus de lien avec la zone d'exercice, ni avec un exercice coordonné. Chaque médecin libéral peut bénéficier d'un assistant médical, y compris à temps plein, avec une aide de l'Assurance maladie. Cette aide est pérenne dès lors que les objectifs de patientèle fixés dans le cadre du contrat sont tenus. C'est une aide significative à l'emploi, représentant 21 000 euros par an pour un équivalent temps plein. Avec le recul, depuis son lancement en 2019, le dispositif fonctionne. Les conditions de travail du médecin sont modifiées et améliorées, ils augmentent leur file active d'environ 10 %, sans travailler plus.

Ces deux éléments, plan d'action ALD et assistants médicaux, sont essentiels, même si on est sous l'égide d'un règlement arbitral qui n'a pas porté sur une transformation structurelle, mais qui s'est plutôt situé dans une logique de continuité. En 2023, nous sommes mobilisés pour mettre en oeuvre une feuille de route ambitieuse sur l'accès aux soins telle qu'elle a été définie par le ministre de la santé. Même si ce n'est pas un sujet strictement conventionnel, je citerai également le plan d'action autour de la simplification administrative. Nous avions missionné le docteur Jacques Franzoni et M. Pierre Albertini, ancien directeur général de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, pour nous faire des propositions en matière de simplification de la vie administrative des médecins. Un plan présenté par le ministre de la santé en février est en cours de mise en oeuvre, notamment concernant l'allègement des pièces justificatives et l'amélioration des réponses apportées par les caisses d'assurance maladie. Le ministère travaille également sur la diminution de la demande de certificats médicaux inutiles.

S'agissant de la reprise des discussions, nous sommes très attachés au dialogue conventionnel avec les différentes professions de santé et avec les médecins libéraux. Ce sont les seuls à même d'accompagner la transformation du système de santé, de répondre aux enjeux d'attractivité de la médecine libérale et de réponses aux besoins de soins de la population. Nous sommes en train de travailler aux conditions de la reprise des discussions en termes de méthode, de calendrier et d'objectifs. Si les parties prenantes repartent avec les mêmes positions et les mêmes propositions, nous aboutirons au même résultat. Il faut bien réfléchir aux conditions qui permettront de repartir dans un climat de sérénité, tout en partageant un calendrier particulièrement chargé. Nous espérons une reprise fructueuse.

M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons poursuivre le débat avec les questions.

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la branche maladie. - Je vous remercie pour ces propos introductifs. Les négociations conventionnelles se sont passées dans un climat crispé, avec dans l'actualité une proposition de loi sur l'accès aux soins qui n'a pas arrangé l'ambiance autour de la table. Ce projet de convention médicale proposé par la Cnam a été refusé par les syndicats. Quels enseignements tirez-vous de cet échec ? La Cnam abandonne-t-elle l'idée d'une augmentation tarifaire conditionnée ? Quels autres outils conventionnels envisagez-vous pour améliorer l'offre de soins sur le territoire ? Vous avez évoqué les patients en ALD et les assistants médicaux. Cela va dans le bon sens. Avez-vous d'autres outils ? Sur le règlement arbitral que les professionnels jugent insuffisant, ils souhaitent une réouverture urgente des négociations. Avec le calendrier chargé que vous avez évoqué, êtes-vous pour une réouverture des négociations avant l'été, ou à la rentrée, comme l'envisage plutôt le ministre ? De votre point de vue, quand les négociations pourraient-elles reprendre ? Quelles doivent être les priorités de cette négociation ? La Cnam envisage-t-elle de faire progresser les rémunérations forfaitaires des médecins libéraux ?

Concernant l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour 2022, l'exécution montre une nouvelle fois un dépassement par rapport aux dernières prévisions actualisées en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2023 pour 2022. Par rapport à la LFSS 2022, le dépassement est de 10,4 milliards d'euros. Vous conviendrez que cela n'est plus seulement le fait de la crise sanitaire. Cette dépense de près de 250 milliards d'euros apparaît comme absolument non pilotable. Pour 2023, le comité d'alerte appelle à une « grande vigilance », sans tirer encore la sonnette d'alarme. Comment anticipez-vous la trajectoire 2023 ? Vous préparez-vous à des mesures d'économies pour tenir la trajectoire initiale ?

M. Thomas Fatôme. - Repartir sur une négociation qui n'a pas fonctionné implique d'avoir des propositions nouvelles et différentes, de part et d'autre. L'un des éléments mal compris a été le lien entre la revalorisation de l'acte et un certain nombre de contreparties. Nous réfléchissons à la manière de réaborder le sujet. Les problèmes n'ont pas disparu. La difficulté des 700 000 patients en ALD à trouver un médecin traitant est réelle. Nous connaissons les perspectives démographiques, qui se résument par un effet de ciseaux bien connu, plus de patients et moins de médecins. En 2021, 2 500 médecins généralistes se sont installés sur le territoire, ce qui est deux fois plus qu'au début des années 2010. La dynamique démographique commence à s'infléchir, même si elle ne compense pas le flux des départs à la retraite, qui s'accélère. Nous savons que nous allons connaître ces prochaines années des tensions importantes. Comment y répondre ? Comment accompagner la profession médicale dans des transformations permettant de répondre à ce défi d'une demande d'accès aux soins plus importante ? Nous avons porté cette logique d'engagement territorial. Maintenant nous réfléchissons sur les moyens d'incitation. Aujourd'hui, les médecins libéraux sont principalement rémunérés à l'acte, même si la part forfaitaire a augmenté ces 15 dernières années. Le forfait médecin traitant est un outil bien appréhendé par les médecins. Faut-il davantage utiliser ce levier ? Cela fait partie de nos réflexions. Il faudra de nouvelles propositions et des solutions qui répondent aux besoins de santé des assurés sociaux. Je redis notre conviction que le maintien de l'attractivité de la médecine libérale est un enjeu essentiel. Les médecins généralistes libéraux voient un million de patients par jour, c'est le même chiffre pour les spécialistes. On parle souvent des 20 millions de passages par an aux urgences. C'est majeur pour l'Assurance maladie. Nous devons trouver le moyen de maintenir cette attractivité, voire de l'améliorer. Il faut permettre à ces professionnels de répondre à une demande de soins qui augmente. Les outils que nous mettons en place, notamment avec les assistants médicaux, permettront d'augmenter le temps médical disponible. Il n'est pas toujours nécessaire de réinventer des choses très compliquées.

Sur le calendrier, toute reprise de négociation passe par l'envoi de lignes directrices de la part du ministre de la santé. Le calendrier doit être synchronisé. On partage la nécessité de réenclencher les choses. Le règlement arbitral est un outil permettant d'assurer une forme de continuité et de laisser la main aux partenaires conventionnels. Cet outil se traduit tout de même par un investissement de l'Assurance maladie de 700 millions d'euros, plus 100 millions d'euros de la part des organismes complémentaires. Les 26,50 euros représentent, en effet, une augmentation de la lettre-clé de 6 %. Nous souhaitons effectivement réenclencher les discussions. Les négociations précédentes se sont faites dans un climat très difficile. Nous avons fait face à une campagne très violente sur les réseaux sociaux, qui a déformé les propositions de l'Assurance maladie. Nous n'avons jamais voulu obliger tous les médecins libéraux à travailler le samedi matin, ni à travailler plus. Ce n'était pas le sens de l'engagement territorial que nous avions proposé. Nous devons aussi travailler sur une méthode pour mieux nous faire comprendre et mieux intégrer la réalité des réseaux sociaux, qui sont désormais un élément de la négociation conventionnelle. Nous sommes tous sous la pression de ce mode d'expression.

Sur l'Ondam, je mesure très bien l'ampleur des chocs qu'il a connus en 2020, 2021 et 2022. Le premier semestre 2022 a connu la vague Omicron ; cela a représenté un niveau d'arrêts de travail et de tests jamais vu et une campagne de vaccination qui, bien qu'un peu moins intense qu'en 2020 et 2021, demeurait importante. Ces chocs exogènes et imprévisibles expliquent très largement la dynamique de la dépense. Nous sommes en train d'en sortir. L'Ondam reste et doit rester un outil pilotable. Nous devons nous fixer des règles et des objectifs sur ces dépenses de 250 milliards d'euros. Sinon, ce serait très problématique, à la fois en termes financiers et politiques. Heureusement, les mécanismes de supervision fonctionnent, le comité d'alerte s'est réuni et a appelé à une « grande vigilance ». Il n'a toutefois pas déclenché le mécanisme d'alerte. Nous participons à cette vigilance. Techniquement, il nous est encore difficile de bien mesurer l'explication des dynamiques de dépenses. Les chiffres du premier trimestre 2023 sont difficiles à lire car le premier trimestre 2022 a été très chahuté par le comportement des acteurs de soins. Est-ce le résultat d'une dynamique plus importante ? C'est ce que l'on regarde aujourd'hui. Compte tenu du fait que le mécanisme d'alerte n'a pas été déclenché, un plan d'économie n'est pas à l'ordre du jour. Mais nous restons très attentif aux différents éléments qui peuvent impacter l'Ondam 2023. De toute façon les négociations en cours n'auront pas d'impact sur 2023, car les négociations conventionnelles ne prennent effet qu'avec six mois d'écart par rapport à la date de signature.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous remercie pour vos propos et les explications qui ont suivi. Je souhaite remercier, à travers vous, l'ensemble des agents des caisses départementales d'assurance maladie, qui sont les interlocuteurs privilégiés de nos concitoyens. Je salue leur efficacité et leur exemplarité.

Je voudrais quelques précisions sur les outils à notre disposition pour faciliter l'accès aux soins. Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur les infirmières en pratique avancée (IPA) ? Concernant les patients en ALD, un certain nombre ont reçu un courrier leur disant qu'ils n'avaient pas de médecin traitant, alors qu'ils en avaient. Quel est votre système de vérification de ces données ? J'aimerais aussi connaître le chiffre des déconventionnements. Un certain nombre de médecins ne veulent plus être conventionnés. J'aimerais avoir confirmation de cette tendance par des chiffres. Je crains que les propositions qui sont faites actuellement sur les incitations à s'installer dans les « déserts médicaux » ne soient contreproductives.

Sur les questions budgétaires, la Cour des comptes a consacré tout un chapitre de son dernier rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) à la fraude aux prestations sociales. Dans le cas de la Cnam, elle présente des évaluations réalisées par celle-ci dans six domaines, correspondant au total à une fourchette entre 1,1 et 1,3 milliard d'euros. Sur la base d'une extrapolation de ces éléments, elle évalue la fraude, dans le cas de la Cnam, entre 3,8 et 4,5 milliards d'euros. Cette estimation vous semble-t-elle cohérente ? Pourrez-vous tenir votre objectif d'estimer en 2024 l'ensemble des fraudes aux prestations versées par les caisses ? Qu'est-ce que la Cnam prévoit de faire concrètement, et selon quel échéancier, pour améliorer sa connaissance de la fraude ?

Le paiement à bon droit correspond au paiement par la branche maladie de ce qu'elle doit aux assurés. Dans son rapport sur la certification des comptes de la sécurité sociale pour 2022, la Cour des comptes indique que, dans le seul cas du remboursement des frais de santé, les erreurs, souvent au bénéfice de l'assuré, sont passées de 1,9 milliard d'euros en 2020 à 2,5 milliards d'euros en 2021 et à 3,4 milliards d'euros en 2022. Comment inverser cette tendance ?

M. Thomas Fatôme. - Je vous remercie de vos propos, que je transmettrai au réseau. Concernant les chiffres sur les patients sans médecin traitant, je souhaite apporter des clarifications. Parmi les 720 000 patients sans médecin traitant fin 2022, il y a des situations extrêmement différentes. Une personne sur cinq n'a vu aucun médecin dans l'année. Un quart voit régulièrement le même médecin. Il y a clairement des gens qui ne sont pas administrativement enregistrés dans les bases de l'Assurance maladie comme ayant déclaré un médecin traitant mais qui voient régulièrement le même médecin. Nous écrivons à ces médecins pour leur demander s'ils seraient d'accord pour être le médecin traitant des patients qu'ils voient régulièrement. Certains ne le souhaitent pas. Cela doit rester un choix du médecin. Nous espérons qu'un certain nombre d'entre eux vont accepter cette charge. Il y a une très grande diversité de situations. Il faut différencier la consommation de soins de ces personnes. C'est certainement un problème de santé publique et donc nous allons continuer à nous mobiliser. Un nouveau comité de pilotage sera présidé par le ministre début juillet. Nous ferons le point et redonnerons les éléments chiffrés.

Concernant les chiffres de déconventionnement, depuis la fin des négociations, nous avons enregistré 22 demandes de déconventionnement pour les médecins généralistes et trois demandes pour les médecins spécialistes. Nous restons attentifs à ce sujet et lorsqu'on reçoit une demande, j'ai demandé aux caisses de rentrer en contact avec le médecin pour avoir des explications car c'est une décision lourde pour les patients. Cela les prive potentiellement d'une partie de leur remboursement. Je regrette ces appels au déconventionnement lancés par certains responsables.

S'agissant des sujets liés à la fraude, je laisserai Marc Scholler, directeur délégué de l'audit, des finances et de la lutte contre la fraude au sein de l'assurance maladie, apporter des éléments complémentaires. Nous poursuivons le travail d'évaluation des différentes fraudes aux arrêts de travail, à la complémentaire santé solidaire (C2S), à la tarification à l'activité (T2A), à l'identité, etc. Nous ne cherchons pas un chiffre mais plutôt une évaluation la plus scientifique possible. Ce sont des méthodes statistiques assez lourdes, donc c'est long. Cela justifie une mobilisation renforcée. Nous avons fixé, conjointement avec le ministre délégué chargé des comptes publics, un objectif ambitieux de 500 millions d'euros de rendement des opérations de lutte contre la fraude en 2024. Avant 2022, le montant maximum atteint était de 290 millions d'euros. Cela montre une très nette accélération des opérations et de leur rendement. Nous avons atteint un nouveau record de 315 millions d'euros en 2022. Je précise que ce montant n'intègre pas la T2A, les contrôles sur la T2A ayant été suspendus du fait de la crise sanitaire et de la garantie de financement. Enfin, il est important d'intégrer les spécificités des années 2021 et 2022. Les comptes de l'Assurance maladie ont à nouveau été certifiés en 2022, alors même que nous avons dû faire face à une typologie de dépenses et d'opérations dérogatoires, ce qui témoigne de l'investissement des équipes pour piloter et gérer rigoureusement les comptes.

M. Marc Scholler, directeur délégué de l'audit, des finances et de la lutte contre la fraude de la Cnam. - En complément des chiffres cités, je voudrais vous indiquer que l'on a produit une évaluation pour six catégories de droits ou de professionnels de santé. Nous avons une stratégie des dispositifs de contrôle au sens large et les dispositifs de lutte contre la fraude sont organisés autour de quatre axes.

Le premier axe concerne l'évaluation, qui permet de savoir comment et où cibler nos actions là où sont les plus importants préjudices financiers. C'est fondamental et cela nous permet de mieux connaître les erreurs de facturation et autres abus. Pour chaque catégorie d'évaluation, nous avons une estimation haute et basse. En 2022, pour les deux branches Maladie et Accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), ont été liquidés environ 257 milliards d'euros de prestations. Cela représente 1,6 milliard de factures unitaires reçues dans le système d'information. Ce sont des flux très importants. Une grande partie des contrôles sont réalisés par le système d'information, qui rejette environ 30 millions de factures, souvent pour des questions de droits ou de cohérence entre nos bases. S'y ajoutent 16 millions de contrôles à vocation plus ciblée. Cela nous a permis d'atteindre un montant total de préjudices stoppés et détectés en 2022 d'un montant de 667 millions d'euros. Dans le cadre de la certification, c'est important, d'autant plus que la Cour des comptes suit aussi les évolutions.

Le deuxième axe regroupe les dispositifs de prévention intégrés dans le système d'information ou d'accompagnement des professionnels de santé à l'installation. Les professionnels de santé attendent qu'on les rembourse vite et nous, nous attendons qu'ils nous facturent correctement. Nous accompagnons sur un plan pédagogique le professionnel de santé qui s'installe, afin qu'il nous facture correctement. Des contrôles informatisés doivent être mis en place.

Le troisième axe consiste dans le contrôle et la détection. Comment intègre-t-on un peu plus d'intelligence dans nos outils de contrôle pour avoir un meilleur ciblage ?

Puis le dernier axe concerne les sanctions, qui doivent être adaptées et rapides. Nous sommes engagés dans une orientation de moyen terme avec un certain nombre de priorités (bandes organisées, internet, réseaux sociaux...) et de nouvelles pratiques (comme dans le cas du 100 % santé et des centres de santé).

M. Thomas Fatôme. - Sur les IPA, l'Assurance maladie souhaite accompagner cette jeune profession. Nous avons signé avec les trois syndicats d'infirmiers libéraux en juillet 2022 un nouvel avenant qui améliore les financements de l'Assurance maladie, dans le démarrage de l'activité des IPA et dans les niveaux de forfait, qui ont augmenté de près de 20 %. C'est également une demande des médecins dans les maisons de santé. Il y a une vraie volonté de travail en commun de beaucoup de médecins avec les IPA. C'est une profession jeune, qui comprend 220 IPA installés en libéral, les flux de formation étant encore limités. On attend, par la suite, entre 700 à 800 IPA par an. Ils vont plutôt vers l'hôpital. Les ministres de la santé et de l'enseignement supérieur souhaitent augmenter encore les volumes de formation et nous, notre rôle est d'accompagner ces IPA durant leur parcours de formation et leurs premières années d'exercice.

M. Daniel Chasseing. - Je vais commencer par quelques réflexions. C'est par les maisons de santé réunies au sein de CPTS au niveau rural, qu'on arrivera à effectuer des soins non programmés. Sur les IPA, le Sénat a modifié la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, devenue la loi du 19 mai 2023 (dite « loi Rist 2 »), afin de réserver l'accès direct aux IPA exerçant au sein des structures d'exercice coordonné les plus intégrées, comme une maison de santé.

Ma question porte sur les infirmières libérales, qui n'ont pas bénéficié de revalorisation depuis longtemps. La revalorisation des actes médicaux infirmiers date de 2009, et celle des déplacements de 2011. Les actes aux soins sont remplacés par des bilans de soins infirmiers. Certains infirmiers, qui voient leur revenu baisser, se posent la question de savoir s'ils vont arrêter, alors qu'on a grand besoin de cette profession avec le vieillissement de la population et la prise en charge de la dépendance et des maladies chroniques. Avez-vous l'intention de leur donner satisfaction en relevant leur revenu ?

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

M. Bernard Jomier. - Vous faite face à un défi bien complexe. Dans votre analyse sur les raisons de l'échec des négociations, vous nous dites que cela a échoué sur les 30 euros. On sait tous que cela n'est que le marqueur d'un symptôme de quelque chose de plus profond. Je pense qu'il y a un vrai malentendu sur la notion de « travailler plus pour gagner plus ». Vous nous dites qu'on ne leur demande pas de travailler plus, je ne suis pas d'accord. On leur demande bien de prendre plus de patients. Il me semble qu'il y a un vrai changement à l'oeuvre dans cette profession, c'est qu'ils ne veulent pas travailler plus car ils travaillent déjà beaucoup. Cela est aggravé par la perte d'environ 10 000 médecins traitants sur une dizaine d'années. Dans la réalité, ils ont déjà une charge de travail importante. Ils travaillent en moyenne 52 heures hebdomadaires. Je n'ai pas de solutions. Mais je pense que vous faite face à une vraie difficulté et à une distorsion dans la négociation. L'Assurance maladie défend l'accès aux soins et la nécessité de mieux répondre à la demande, et en face nous avons un corps professionnel épuisé. Je ne porte aucun jugement, je constate juste que ce « ras le bol » de la profession grandit.

J'ai plusieurs questions. La première porte sur l'évolution des dépenses en lien avec les phénomènes existants. Vous tentez de piloter ces 250 milliards d'euros de dépenses. Nous voyons surgir une financiarisation, qui touche les établissements de santé privés depuis longtemps, et qui touche maintenant l'ambulatoire. L'imagerie est prise en main par des groupes. Et là, il faut faire beaucoup d'actes. On voit arriver ce phénomène dans l'offre de soins primaires. Se multiplient les centres de consultation rapide, ou « fast consultation ». On vient de franchir un nouveau palier avec l'offre d'abonnement d'un groupe. La médecine ne se pratique pas comme un commerce. Il est interdit de faire trois consultations pour le prix de deux. Par contre, on peut prendre un abonnement. Nous sommes dans une dérive financière et d'ubérisation de la santé. Comment maîtriser la dépense ? Nous connaissons le nombre de téléconsultations que font les médecins quand ils sont en ligne.

En matière de fraude sociale, je renouvelle une question que je vous ai posée il y a un an sur les fraudes alléguées de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection en termes de facturation, à laquelle je n'ai jamais reçu de réponse, malgré plusieurs relances de vos collaborateurs. Il s'agit de millions d'euros. Y a-t-il une action entreprise pour récupérer ces fonds ?

Ma dernière question dépasse la stricte actualité. L'année dernière il y a eu un débat sur la « grande Sécu ». La piste a été écartée mais n'épuise pas le sujet pour les prochaines années. La mutualité a mis sur la table une proposition sur la santé au travail et a proposé de participer à son financement. Poursuivez-vous la réflexion ? Souhaitez-vous rester dans votre périmètre actuel ? Réfléchissez-vous à une nouvelle articulation avec les organismes complémentaires pour une meilleure efficience ?

Mme Annie Le Houerou. - Vous avez déjà répondu sur le sujet des ALD. L'objectif fixé par le ministre de la santé était-il assez ambitieux ? Avez-vous une évaluation au fil de l'eau de son fonctionnement ? Avez-vous des chiffres ?

Je vois la prolifération du nombre de cabines de téléconsultation en supermarché et dans nos communes rurales. Cela peut apparaître comme une solution pour les déserts médicaux même si je n'en suis pas convaincue car il n'y a pas de vision globale de la situation du patient. Quel est votre regard sur le sujet ? Peut-on y mettre des limites ?

Le préalable à une utilisation et à une bonne exploitation des données de santé passe par le renseignement du site « Mon espace santé ». Où en est-on de son utilisation, à la fois par le patient et par les professionnels de santé ? Je reste perplexe sur l'ambition du Gouvernement sur le sujet.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je reviens sur le sujet de la fraude. Vous nous aviez annoncé plusieurs chiffres il y a un an. Vous aviez évoqué un plan car cela concerne beaucoup de professions. Pouvez-vous nous donner aujourd'hui de nouvelles évaluations pour les différentes professions concernées, infirmiers, médecins généralistes, médecins hospitaliers... ? Quel est le plan ? Dans quel délai aurons-nous ces chiffres ? J'attends de votre part des précisions que vous nous aviez annoncées dans l'année.

Concernant le plan de lutte contre la fraude sociale lancé par le ministre délégué chargé des comptes publics, le Gouvernement a lancé une mission de préfiguration pour examiner la fusion entre la carte nationale d'identité et la carte Vitale. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des finances (IGF) du mois d'avril 2023 indique que vous avez fait part de réserves à ce sujet. Pouvez-vous nous préciser votre point de vue ? Quelles sont les pistes à suivre ? Quelles appréciations portez-vous sur le plan du Gouvernement ?

M. René-Paul Savary. - Depuis des années nous posons les mêmes questions et nous avons les mêmes réponses. Vous ne commentez pas le nombre des déconventionnements, il est vrai qu'il y en a peu. Mais vous en aurez plus dans les mois qui viennent, au détriment des patients et de l'Assurance maladie, car tout cela est de plus en plus commercial et de moins en moins solidaire. Je partage l'inquiétude de Bernard Jomier.

Que pensez-vous des centres de soins non programmés ? Les médecins se prennent en main sans faire partie de groupes. Soyons attentif à soutenir ce type de démarche solidaire.

J'ai une question plus technique sur la convention d'objectif et de gestion (COG) pour 2023-2027, qui n'a pas encore été signée. Qu'en est-il de vos moyens ?

M. Thomas Fatôme. - Je rejoins le sénateur Chasseing sur l'intérêt de bien articuler l'intervention des IPA avec les exercices coordonnés, comme le permet la loi Rist 2. Sur les infirmières libérales, je partage aussi avec vous l'importance de soutenir les quelques 100 000 infirmières libérales, qui sont des acteurs primordiaux de la prise en charge des assurés, notamment à domicile. Au-delà de l'acte ou du déplacement, l'Assurance maladie a fortement soutenu la profession, ces dernières années, notamment au travers de l'instauration du bilan de soins infirmiers (BSI), qui permet de mieux rémunérer leur intervention. C'est 2 500 euros supplémentaires par infirmière libérale par an. C'est un nouveau mode de paiement plus forfaitaire et un investissement de l'Assurance maladie. Je vous rappelle, par ailleurs, que nous avons ouvert des « négociations flash » avec quatre catégories de professions paramédicales. Nous devrions déboucher très prochainement sur une augmentation des indemnités de déplacement pour les infirmières libérales. C'est la profession qui se déplace le plus auprès des patients.

Je partage l'analyse de l'état de la profession médicale présentée par M. Jomier. Il est nécessaire d'être à l'écoute de la génération la plus ancienne, qui a beaucoup travaillé et qui ne souhaite pas travailler davantage, et d'une nouvelle génération qui n'a pas envie d'adopter le même modèle. C'est la raison pour laquelle je redis que l'enjeu n'est pas de faire travailler plus mais de répondre à une réalité, qui est qu'il y a moins de médecins et plus de patients. Nous accompagnons ces professionnels avec plus d'exercices coordonnés, plus de délégations et de transferts de tâches et plus de soutien aux médecins traitants. C'est aussi plus de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP). L'objectif est de 4 000 maisons pluridisciplinaires. La dynamique est significative. Près de 15 % des médecins généralistes travaillent aujourd'hui dans une maison de santé. Les conditions de travail sont meilleures. La dynamique des CPTS est également réelle. Les médecins s'emparent de ces solutions.

La financiarisation est un sujet de préoccupation pour l'Assurance maladie. Les négociations ont fini par aboutir dans le secteur de la biologie médicale. Nous sommes très attentifs à ce qui peut se passer dans d'autres domaines, comme la radiologie ou les soins primaires. Nous allons essayer d'établir un diagnostic et de proposer des solutions dans le rapport « charges et produits » sur lequel nous travaillons. Si nous avons besoin d'acteurs publics et privés lucratifs et non lucratifs, la dérive de la financiarisation est problématique. J'ai déjà eu l'occasion de rappeler que l'offre du groupe Ramsay n'était pas financée par l'Assurance maladie, ni les abonnements, ni les téléconsultations ; seule la prescription est prise en charge. Pour nous, un tel dispositif ne répond pas à un système de santé solidaire. L'organisation du système de soins ne doit pas dépendre de la capacité des gens à payer un abonnement. Il y a une grande différence entre recourir aux soins et payer un abonnement téléphonique ou à Netflix. Je vous indique que des contrôles sur l'IHU Méditerranée Infection sont en cours pour vérifier la tarification. Je vous rappelle que cet établissement était en garantie de financement en 2020, 2021 et 2022, ce qui explique que les contrôles aient une portée mécaniquement limitée. Néanmoins, le contrôle porte sur la part complémentaire. Nous vous informerons des résultats du contrôle. Sur la « grande Sécu », pour ma part, je suis convaincu de l'intérêt d'un partenariat renforcé entre l'Assurance maladie obligatoire et complémentaire et les professionnels de santé. Des progrès ont été permis par le 100 % santé. Cela a permis de faire progresser l'accès aux soins dans de nombreux domaines. Nous avons engagé avec les complémentaires santé et les professionnels de santé des discussions sur les soins dentaires, afin de poursuivre cette dynamique. Je crois à ce travail coordonné pour améliorer l'accès aux soins et à la prévention. Un certain nombre de complémentaires santé ont une capacité d'intervention en entreprise que nous n'avons pas.

Concernant les questions de Mme Le Houerou, nous faisons face à une dynamique forte, où l'on a plus de malades chroniques, plus de patients en ALD et moins de médecins traitants. L'objectif de stopper cette évolution est ambitieux. Le plan est récent et est en train d'être mis en oeuvre. Nous souhaitons avoir un suivi trimestriel des résultats. Nous prévoyons un premier bilan dans les prochaines semaines. En complément de ma réponse à M. Jomier sur la téléconsultation, nous souhaitons qu'elle ait une place régulée dans le parcours de soins. Nous participons aux travaux pilotés par le ministère de la santé sur l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, qui prévoit un cahier des charges pour les plateformes de téléconsultations afin d'intégrer des exigences de qualité, de transparence et d'éthique. Je ne pense pas que leur place soit dans des supermarchés ou dans de lieux qui ne correspondent pas à l'exercice normal de soins. Les études menées par le ministère ont montré, à ce stade, que le recours à la téléconsultation n'était pas plus important dans les déserts médicaux qu'ailleurs. La dynamique de « Mon espace santé » se poursuit en termes d'activation des espaces santé, avec environ 9 millions de profils activés, plus de 200 000 par mois. Nous pensons que cette dynamique va s'accélérer, dès lors que l'équipement en logiciels des professionnels de santé, notamment les médecins de ville, les laboratoires de biologie et de radiologie et les hôpitaux, sera terminé. Nous avons aujourd'hui plus de 67 millions de documents alimentés dans les dossiers médicaux partagés (DMP).

M. Vanlerenberghe, je vous confirme que nous poursuivons nos travaux d'évaluation sur la fraude. Le rapport de la Cour des comptes en fait état sur la complémentaire santé solidaire (C2S), les médecins généralistes, les transporteurs sanitaires, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes et les pharmaciens. Nous espérons terminer nos travaux fin 2023 ou début 2024, en veillant au dialogue avec les professions concernées. Les chiffres sont dans le rapport. Pour la C2S, la fourchette est entre 25 et 176 millions d'euros, pour les médecins généralistes, la fourchette est entre 185 et 215 millions d'euros, pour les transporteurs sanitaires, entre 145 et 177 millions d'euros, pour les infirmiers, entre 286 et 393 millions d'euros, pour les masseurs-kinésithérapeutes, entre 91 et 105 millions d'euros, pour les pharmaciens, entre 166 et 234 millions d'euros. Ce sont des estimations de la fraude sur la base de l'extrapolation de nos résultats par rapport à une estimation du phénomène de la fraude. Nous allons poursuivre avec les autres professions.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Vous nous aviez exposé vos méthodes de redressement de cette fraude. On a parlé du nombre croissant des contrôleurs. Au vu des chiffres, il me paraît intéressant de multiplier les contrôles avec les outils algorithmiques que vous mettez au point.

M. Thomas Fatôme. - Je vous confirme que cela justifie un investissement renforcé et des augmentations d'effectifs dédiés à la lutte contre la fraude. Le ministre délégué chargé des comptes publics a évoqué, pour l'ensemble des branches de la sécurité sociale, le chiffre de 1 000 contrôleurs supplémentaires.

En réponse à M. Savary sur la COG, elle n'est pas encore totalement bouclée ; les discussions devraient se finaliser dans les prochaines semaines. La trajectoire qui se dessine devrait nous permettre de renforcer nos moyens de façon importante en matière de lutte contre la fraude, avec comme objectif 500 millions d'euros de préjudice financier détecté et évité à l'horizon 2024.

Concernant le rapprochement de la carte nationale d'identité et de la carte Vitale, le ministre a annoncé une mission interministérielle pour instruire un tel scénario. Dans ma réponse que vous évoquez à la mission Igas-IGF, je souligne l'importance que l'Assurance maladie attache à la lutte contre la fraude à l'identité et à la vérification à l'existence de droits. C'est pourquoi nous opérons plus de 70 millions de traitements statistiques par an et près de 1,5 million de contrôles individuels autour de la protection universelle maladie. J'évoquais également dans ma réponse la nécessité que les avantages et les inconvénients d'un tel scénario soient soigneusement analysés. Enfin, sur les centres de soins non programmés, je pense qu'ils devraient rester subsidiaires au médecin traitant et à l'équipe de soins. Je pense qu'il faut éviter d'en faire le premier mode de recours aux soins. C'est un recours ponctuel, qui marque rarement une continuité dans la prise en charge. Il y a toujours le risque que cela contribue à détruire du temps médical disponible. Pour soutenir les médecins traitants, il existe différents leviers, et il faut leur donner envie d'exercer leur fonction et éviter qu'ils intègrent les centres de soins, qui optimisent une forme de consommation de soins que nous ne souhaitons pas.

Mme Nadia Sollogoub. - Les médecins vont mal, les patients aussi. L'accès aux soins est devenu une difficulté majeure sur tout le territoire national. À côté de cela, il est difficile de mener les négociations, car les médecins vont mal aussi. Ce n'est pas qu'une question d'argent. Il y a une crispation générale et les derniers textes et ceux à venir ont peut-être compliqué la situation. Deux sujets reviennent régulièrement : la délégation de tâches et les contraintes à l'installation. J'ai quelques remarques. On a parlé des IPA. Sur mon territoire, ceux qui souhaitent faire cette formation souhaiteraient être accompagnés durant le temps de la formation, qui dure deux ans. Les infirmiers vont également mal. Je suis heureuse d'apprendre que les « négociations flash » avec les infirmiers pourraient aboutir. Malgré tout, je note la complexité de la tarification, qui rend difficile la bonne visibilité sur les augmentations. J'ai également une inquiétude sur le maillage des pharmacies en milieu rural. Sur les installations encadrées, on risque d'accentuer la crispation des médecins. Vous nous avez parlé des 700 000 patients en ALD sans médecin traitant, a-t-on une répartition géographique de ces patients pour savoir s'il est vraiment judicieux de tordre le bras aux médecins au moment de leur installation ?

M. Jean-Luc Fichet. - Vous nous avez déjà répondu sur la situation des infirmiers libéraux. Sur la question de la fraude, je suis assez surpris de voir comment on en parle sans y apporter de remèdes depuis si longtemps. C'est un vrai souci. C'est l'argent des assurés sociaux. Sans être particulièrement favorable aux algorithmes, je pense que l'intelligence artificielle et les algorithmes devraient nous permettre un meilleur contrôle. Aujourd'hui, tous les secteurs professionnels disposent d'algorithmes leur permettant de d'effectuer des contrôles de leurs dépenses, de leurs recettes ou de leurs salariés. La sécurité sociale devrait pouvoir s'équiper de moyens, non pas pour travailler sur l'évaluation de la fraude mais en vue d'éviter la fraude. J'aimerais avoir des réponses et des signes de souci d'efficacité pour empêcher la fraude. J'ai également une question sur le déconventionnement. 22 médecins généralistes se sont déconventionnés depuis la fin des négociations. Sont-ils sur un territoire précis ? Le déconventionnement suppose qu'un certain nombre de personnes n'ont plus accès à ces médecins car elles ne sont pas remboursées. Aujourd'hui, un certain nombre de médecins généralistes facturent leur consultation à 30 euros. Que se passe-t-il dans ce cas-là et quelle est votre position ?

Mme Florence Lassarade. - Je vous trouve, M. Fatôme, très optimiste sur les négociations. Les médecins se sentent humiliés et beaucoup vont arrondir le tarif de leur consultation à 30 euros. Il y a d'autres chiffres inquiétants. On annonce pour 2022 une surmortalité de 54 000 personnes. Il y a peut-être un effet après covid. Est-ce que cette hémorragie de décès ne va pas prendre le pas sur la négociation, qui semble ridicule ? Les gens ne se soignent plus. Avez-vous des chiffres sur la consommation des médicaments en automédication ? On entend parler d'opiacés surconsommés depuis deux ans, comme le Tramadol. Je voudrais savoir si les médecins auront les moyens de se doter d'assistants médicaux au vu de la faible augmentation de leurs tarifs. La CPAM interviendra-t-elle pour les salarier, ou cela reviendra-t-il au médecin ? Nous manquons également de dentistes. Certains proposent de délocaliser la formation des étudiants. Les hôpitaux où sont formés ces étudiants commencent à dire que ces étudiants ne sont pas rentables. A-t-on réellement le désir d'améliorer la situation et de donner des moyens pour développer les bonnes idées ou ne va-t-on pas vers un exercice salarié généralisé ? Je vois mal un jeune médecin s'installer dans ces conditions. La consultation à 26,50 euros n'est pas un bon signal.

M. Alain Duffourg. - Beaucoup de sujets ont déjà été évoqués. Les déserts médicaux demeurent la question récurrente dans nos territoires. Les assistants médicaux et les IPA sont des pistes pour améliorer la situation. Dans certains territoires, il y a encore peu de formations. J'ai une seule IPA formée à ce nouveau statut dans mon département. Le salariat se développe à travers les centres territoriaux de santé financés par le conseil départemental. En outre, des médecins étrangers viennent conforter l'offre dans ces territoires. Je trouve énorme la fraude dans ce domaine, entre 4 et 5 milliards d'euros, soit l'équivalent de 2 % du budget de l'Assurance maladie, et de 1 % du budget total de la sécurité sociale. Quels sont les remèdes et les outils pour remédier à cette fraude ? J'ai l'exemple d'une personne au chômage qui va se faire établir un certificat médical d'un mois pour repousser ses droits.

Mme Michelle Meunier. - La question du contrôle intéresse beaucoup la commission des affaires sociales. J'ai travaillé sur ces aspect l'année passée avec mon collègue Bernard Bonne dans le cadre du médico-social. Votre triptyque, contrôle, accompagnement pédagogique et sanction, nous convient. Nous pourrions juste ajouter l'interdépendance avec les autres corps d'inspection, travail, répression des fraudes... Qui contrôle, quels sont vos moyens ? Avez-vous des inspecteurs dédiés à ce contrôle ? Dans le domaine du médico-social, l'année dernière 7 500 établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont été inspectés. On a découvert que la sécurité sociale était amenée à payer des dépenses indues, comme par exemple des compléments alimentaires à la place d'un morceau de fromage. Qu'avez-vous observé en un an ? Quels enseignements en tirez-vous ? Et quelles sanctions ont-elles été données ?

M. Jean Sol. - Face au défi auquel nous sommes confrontés (plus de patients, moins de médecins), certains médecins retraités consacrent un peu de leur temps pour prendre en charge certains patients dans les territoires où la désertification est amplifiée. Or vous exigez que ce temps soit de deux jours et demi ou rien. Envisagez-vous un assouplissement de vos règles ?

M. Alain Milon. - Mon attention a été attirée par la question de mon collègue Jomier sur la financiarisation de la santé. J'ai remarqué que dans le Vaucluse, qui n'est pas spécialement un désert médical, une pharmacie gérée par un groupe propose une cabine de téléconsultation. Sur la chaîne de télévision France info, j'ai entendu également un grand nombre de publicités sur Parapharma, sur le groupe Ramsay, et sur d'autres groupes mutualistes qui prennent en charge la santé, etc. Or il me semble que pour les professionnels de santé, la publicité est interdite. Seriez-vous d'accord si le Sénat, tous groupes confondus, faisait une proposition de loi pour interdire la publicité en matière de santé ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - On fait aussi des lois sans demander l'accord de la Cnam.

Mme Victoire Jasmin. - J'ai plusieurs questions. Concernant les disparités en outre-mer, outre la situation des médecins et le manque de médecins traitants, se pose aussi la question de l'évacuation sanitaire, qui suscite des surcoûts importants. Il y a des archipels en Guadeloupe où il n'y a pas d'offre suffisante pour des soins qui devraient être maîtrisés. Le manque de spécialistes entraîne des déplacements parfois vers l'Hexagone, ce qui engendre aussi des surcoûts et des difficultés pour le déplacement des familles. Il y a aussi des difficultés concernant la psychiatrie et la pédopsychiatrie. Nous n'avons pas de chaire de pédopsychiatrie en Guadeloupe. Il y a de vrais problèmes de prévention. Là encore, il faut se déplacer. D'autre part, la question des jeunes médecins ultra-marins se pose : ils commencent sur place puis vont dans l'Hexagone. Quand ils veulent revenir, ils n'ont plus la priorité. La situation est amplifiée par la question des congés bonifiés. Nous avons de plus en plus de médecins étrangers. Les congés bonifiés sont un droit mais il y a de plus en plus de demandes de la part des médecins étrangers pour retourner dans leur pays d'origine. Nous devrons prendre en compte tous ces éléments. Sera-t-il permis à nos jeunes d'être prioritaires pour revenir pour aider à une meilleure maîtrise du budget ?

Mme Émilienne Poumirol. - Ce sujet passionne tout le monde. Je voudrais revenir sur le problème soulevé par Bernard Jomier et Alain Milon, sur la marchandisation et la financiarisation de la santé, qui se révèle être un danger majeur. J'ai déjà alerté MM. Olivier Véran et François Braun sur cette dérive, qui touche maintenant les centres de soins primaires. Sur le site de Ramsay, ils s'adressent à vous comme client et non comme patient. J'avais posé la question du rachat par Ramsay de centres tenus jusqu'à présent par la Croix-Rouge. Cette dérive va entraîner des dépenses supplémentaires pour la CPAM, le but étant de faire le plus d'actes possibles. Je suis d'accord pour travailler sur une proposition de loi pour interdire la publicité, mais qu'est-ce que la Cnam compte faire pour limiter, vérifier, contrôler cette financiarisation ? Sur les centres de soins non programmés évoqués par mon collègue Savary, le chef urgentiste du CHU de Toulouse m'a signalé que les urgentistes quittent l'hôpital alors que l'on est déjà en situation de pénurie, pour former des centres de soins non programmés avec des horaires fixes, pas de nuits, pas de week-ends et mieux payés qu'à l'hôpital. Il faut faire quelque chose. Enfin sur la reconnaissance des médecins traitants, cela passe aussi par la rémunération. J'ai du mal à comprendre un tel différentiel entre la consultation d'un médecin spécialiste et d'un généraliste. De mon temps, les généralistes faisaient sept ans et les spécialistes dix. Aujourd'hui, ils font tous dix ans. Cette différence est difficile à comprendre.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je souhaiterais également vous poser des questions, mais le temps passe. Elles portent sur un système de téléconsultation particulier qui existe dans l'Est, sur les opticiens à domicile, sur la vaccination contre le virus du papillome humain, sur le fait que la Cnam reprenne les convocations pour les centres de dépistage concernant notamment le cancer du sein et le cancer colorectal. Enfin, nous entendons beaucoup parler de l'ubérisation de la médecine ; cela fera l'objet d'une mission d'information de notre commission. Comment l'hôpital public va-t-il pouvoir tenir, si ce qui faisait sa force et sa valeur en matière d'enseignement et de recherche est désormais capté par d'autres structures ? Comment arrêter alors l'hémorragie des professionnels de santé ? Je vous enverrai un courrier regroupant ces questions.

M. Thomas Fatôme. - Au sujet des IPA évoqués par plusieurs d'entre vous, je vous confirme que nous souhaitons les aider durant leurs deux années de formation, qui ont un impact sur leur niveau de rémunération et leur niveau de vie. Il y a plusieurs dispositifs pilotés par les agences régionales de santé. Nous travaillons étroitement avec elles et le ministère pour voir si la Cnam peut mettre à leur disposition un mécanisme conventionnel. Il faut mieux accompagner ces professionnels.

Sur la complexité de la nomenclature, elle est réelle. C'est aussi le fruit de la discussion avec les partenaires conventionnels. Il faut simplifier, et aussi mieux accompagner toutes les nouvelles installations d'infirmières libérales sur le territoire pour la prise en main de la nomenclature. Nous ne souhaitons pas être dans le seul contrôle, mais voulons également être dans l'accompagnement. Cette complexité traduit aussi la diversité des tâches des infirmiers.

Je ne reviens pas en détail sur la coercition, sujet actuellement débattu à l'Assemblée nationale. Je vous avais déjà fait part de mes réserves sur les mécanismes de coercition au regard d'une démographie médicale globalement atone. On voit des tensions partout. La répartition est néanmoins moins déséquilibrée que pour d'autres professions de santé et nous envoyons des signaux en termes d'attractivité.

Je laisserai mon collègue répondre au sénateur Fichet sur les outils que nous déployons pour accélérer le repérage, le ciblage et l'anticipation des fraudes. Notre système d'Assurance maladie est construit pour rembourser rapidement les patients. Mettre en place des systèmes qui s'intègrent dans ces dispositifs de paiement rapide, de contrôles a priori, nécessite des refontes en profondeur de nos outils car tout le système de paiement est construit sur l'objectif de payer bien et rapidement. Des évolutions technologiques nous permettent de faire évoluer le système et d'intégrer des contrôles embarqués. Nous allons progressivement mettre en oeuvre le programme METEORe (moteur évolutif de traitement et organisation de l'Assurance maladie) en 2023,2024 et 2025, qui va intégrer le contrôle embarqué.

M. Marc Scholler. - Les risques sur le paiement à bon droit ou la fraude, c'est soit des surfacturations d'actes, soit la facturation d'actes fictifs, soit des droits ou déclarations pour les assurés qui sont falsifiés. C'est complexe à identifier. L'Assurance maladie reçoit la facture mais n'est pas présente pendant l'acte médical. Dans ce contexte de garantie de paiement et de tiers payant, l'Assurance maladie est conduite à liquider des volumes importants, soit 1,5 milliard de factures par an. Le système a été conçu comme ça. Concernant la partie préventive, le professionnel de santé doit savoir coter correctement lorsqu'il prend ses fonctions. Il a été formé à la pratique médicale, mais pas forcément à l'ensemble de la nomenclature. Il doit entrer dans une relation de facturation correcte avec l'Assurance maladie. Nous profitons des nouvelles technologies pour intégrer dans le système d'information des compteurs nous permettant de contrôler plus en amont, et donc avant paiement, ce qui pourrait être atypique ou anormal. Pour ce qui concerne la détection, nous avons une analyse comportementale des professionnels de santé, notamment par différence par rapport à leurs pairs. Nous sommes en train de mettre en place des outils qui nous permettent de détecter les fausses ordonnances en circulation et faire en sorte que les pharmacies en soient informées. C'est un moyen de lutter contre les trafics de médicaments. Nous avons aussi des outils de modélisation des bandes organisées, notamment quand un professionnel de santé prescripteur s'écarte d'un flux normal par ses relations avec certaines populations prescrites ou pharmacies. Nous regardons aussi la surfacturation kilométrique. Dans le plan évoqué par le ministre, un des outils important est de remettre l'assuré au centre du jeu, car avec le tiers payant et la garantie de remboursement, les assurés sont moins vigilants sur les dépenses prises en charge. Ils doivent avoir la possibilité de signaler à l'Assurance maladie des actes qui n'auraient pas eu lieu ou qui auraient été facturés à des montants supérieurs à ceux réellement réalisés.

M. Thomas Fatôme. - Je rajouterai quelques éléments complémentaires. Sur la consultation à 30 euros, il existe des règles fixées dans la convention médicale, reprises dans le règlement arbitral, fixées conjointement avec les médecins. Un médecin peut pratiquer un dépassement pour exigences particulières du patient dans un certain nombre de cas. Une revendication tarifaire est légitime, mais si elle se traduit par un exercice systématique d'une cotation à 30 euros, on se situe en dehors des règles fixées par la convention. On expose le patient à un reste à charge qui n'est pas justifié et l'Assurance maladie rappellera les règles du jeu. De plus, la discussion tarifaire va reprendre. C'est important de le redire.

La surmortalité est un sujet qui n'entre pas dans le champ de responsabilité de l'Assurance maladie. Cela concerne plutôt Santé publique France. En 2022, plusieurs facteurs, notamment la grippe et la canicule, peuvent expliquer cette surmortalité.

Nous allons renforcer l'accompagnement des recrutements d'assistants médicaux en simplifiant les démarches administratives, côté Assurance maladie. Nous allons aussi accompagner les groupements d'employeurs qui se créent et qui portent les contrats des assistants médicaux. Cela libère les médecins des tâches administratives.

La répartition des dentistes est un sujet que nous abordons avec les syndicats dans les négociations en cours. Comment mieux accompagner leur installation dans les zones sous-dotées ? Faut-il réguler leur installation ? Les discussions sont engagées sur ces thèmes. On soutiendra également le recours à l'assistant dentaire.

Sur l'attractivité de la médecine générale, le ministre a fait des annonces sur la quatrième année de médecine générale, qui permettent d'envoyer un signal fort d'attractivité, avec une structure de la formation qui devient identique à celle des autres spécialités et des conditions de rémunération attractives. Cela doit augmenter le nombre de généralistes.

Je ne reviens pas sur la fraude. Le contrôle des arrêts de travail fait partie de nos priorités, en ce qui concerne les assurés comme en ce qui concerne les prescripteurs. Le contrôle de la facturation en Ehpad est également réalisé. Nous vérifions qu'il n'y ait pas de double facturation. Nous avons un rendement d'environ 32 millions d'euros sur ces opérations.

Sur la question des médecins retraités posée par M. Sol, je n'ai pas connaissance de contraintes qui les empêcheraient, en libéral, de travailler. Nous avons aujourd'hui 13 000 médecins libéraux en cumul emploi-retraite, avec un nombre de jours de travail qu'ils déterminent. Nous soutenons cette démarche.

La financiarisation a été évoquée par plusieurs d'entre vous. Je suis favorable à tout ce qui pourra permettre de réguler et d'encadrer le recours aux soins afin qu'ils ne soient pas considéré comme un bien de consommation comme les autres. Il serait en effet utile que le Sénat s'empare du sujet. La particularité du système français est d'avoir des acteurs salariés ou libéraux, publics ou privés, lucratifs ou non lucratifs, et qu'il faut trouver des voies de régulation en essayant de conserver cette pluralité. Nous travaillons actuellement sur une campagne de communication sur le bon usage du système de santé. On parle beaucoup des rendez-vous non honorés. Il est de notre responsabilité de rappeler les bons réflexes pour un recours au système de soins pertinent.

Mme Jasmin a fait remarquer que la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe était très attentive aux transports sanitaires des familles et aux évacuations. Nous essayons d'être en appui des familles. Nous sommes favorables au prolongement des discussions pour voir s'il y a encore des voies d'amélioration.

Concernant les négociations avec les médecins évoquées par Mme Poumirol, nous sommes favorables à l'engagement d'évolutions permettant d'équilibrer les niveaux de rémunération entre les généralistes et les autres spécialistes. Les enveloppes financières prévues dans la négociation étaient très favorables aux médecins généralistes. Un généraliste a un revenu aujourd'hui avant impôt d'environ 90 000 euros et un spécialiste environ 140 000 euros. Il faut se poser la question d'un rééquilibrage. Mais il y a des spécialités cliniques qui ont un niveau de revenu inférieur à celui des généralistes, notamment les pédiatres et les psychiatres. C'était aussi l'objectif des négociations que de soutenir ces spécialités cliniques.

Enfin, Madame la Présidente, notre objectif n'est absolument pas de remettre en cause le rôle des centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC). Nous sommes en discussion avec eux, pour trouver le bon mode de relations. Nous avons repris la responsabilité des convocations à la suite d'un rapport de l'Igas qui témoigne d'un système à améliorer. Nous souhaitons travailler en bonne intelligence avec eux, y compris sur le partage des informations. Il est important de simplifier le système d'invitation et multiplier les interventions. Nous allons mettre notre force de frappe au service de ces centres. Il est hors de question de faire sans eux.

Mme Catherine Deroche, présidente. - M. Fatôme, je vous remercie pour cet échange très riche.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

B. EXAMEN DU RAPPORT (MERCREDI 28 JUIN 2023)

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport de Mme la rapporteure générale sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Mes chers collègues, nous nous livrons à un exercice nouveau, inspiré d'une proposition de loi organique déposée par mon prédécesseur Jean-Marie Vanlerenberghe, qui nous amène à débattre, au printemps, dans le cadre d'un projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) - celui-ci correspond à ce qu'était la première partie des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) -, de l'année n, avant de débattre, à l'automne, de l'année n+2.

Désormais, le rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) ne sera plus publié à l'automne, mais au moment du dépôt du Placss.

Ce projet de loi comporte un certain nombre d'annexes - en cette première année, celles-ci sont incomplètes -, qui contiennent de nombreuses informations sur l'efficacité et l'efficience des mesures prises dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).

La Cour des comptes a refusé de certifier les comptes 2022 de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de la branche famille. En effet, une augmentation de la proportion de paiements erronés a été constatée. Au bout de 24 mois, les erreurs à la hausse ou à la baisse représentent 7,6 % du montant total des prestations, soit 5,8 milliards d'euros, contre une proportion de 5,5 % pour les prestations versées en 2019.

Par ailleurs, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de l'activité de recouvrement pour l'exercice 2021, qui fait l'objet de la première partie de la LFSS pour 2023. En effet, un produit de 5 milliards d'euros, résultant des cotisations dues par les travailleurs indépendants, aurait dû être imputé sur les comptes, non pas de 2021, mais de 2020, comme le Sénat l'avait souhaité.

Comme le Sénat, le Conseil constitutionnel a du reste considéré que le « vrai » déficit est le déficit corrigé. Le tableau patrimonial qu'il est prévu d'annexer à la loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss) et qui correspond à l'ancienne annexe A des PLFSS comprend, pour comparaison, une colonne relative à l'exercice 2021, avec les déficits non corrigés.

Les quelques explications que la direction de la sécurité sociale nous a fournies n'ont pas suffi à nous convaincre du bien-fondé de cette démarche.

La Cour des comptes considère comme nous qu'il serait opportun d'avancer (selon elle, de quinze jours) la date de production des comptes et de réunir la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) la première quinzaine de mai - cette année, cette réunion a eu lieu fin mai.

La Cour des comptes doit en effet disposer de suffisamment de temps pour certifier les comptes et élaborer les avis relatifs aux tableaux d'équilibre et patrimonial du Placss qui figurent dans le Ralfss.

La direction de la sécurité sociale (DSS) estime qu'une anticipation du calendrier pourrait l'amener à inscrire dans les comptes des montants évaluatifs, ce qui poserait d'autres difficultés. Il faudrait donc que la Cour des comptes et la DSS fixent une date qui convienne à tous.

Cette année, le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie a publié son avis sur le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), non pas le 1er juin, mais le 7 juin, soit le lendemain de l'examen du Placss à l'Assemblée nationale.

Pour cette première mouture du Placss, il est donc clair qu'il manque de l'huile dans les rouages et qu'il y a des marges de progression.

Par ailleurs, les annexes ne sont parfois pas conformes à la loi organique. Les indicateurs des rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) s'arrêtent le plus souvent, non pas en 2022 comme cela devrait être le cas, mais en 2020 ou en 2021.

De plus, l'annexe relative aux niches sociales ne comprend pas l'« évaluation de l'efficacité » prévue par la loi organique d'un tiers des niches, de sorte que chacune fasse l'objet d'une évaluation tous les trois ans.

La première recommandation du Ralfss est de « rétablir la production des éléments d'information, à joindre en annexe au Placss, détaillant, expliquant et comparant selon les exercices les tableaux d'équilibre et le tableau de situation patrimoniale ».

Ces informations, qui constituaient la première partie de l'annexe 4 aux PLFSS antérieurs à la réforme organique, figurent en 2023 dans le rapport de la CCSS, mais rien ne garantit que ce sera toujours le cas. Par ailleurs, la CCSS peut se réunir après le dépôt du Placss, comme cela a été le cas en 2023. En tout état de cause, il serait paradoxal que l'instauration du Placss se traduise par une perte d'information du Parlement.

Si les administrations de sécurité sociale (Asso), qui incluent la sécurité sociale, mais aussi l'assurance chômage et les hôpitaux, présentent un excédent de 9,6 milliards d'euros, soit 0,4 point de PIB, les régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) sont très déficitaires, puisque leur déficit consolidé s'établit à 19,6 milliards d'euros, contre 1,7 milliard d'euros en 2019.

L'excédent de 9,6 milliards d'euros s'explique par les bons résultats de l'Unédic (+ 4,3 milliards d'euros), de l'Agirc-Arrco (+ 5,2 milliards d'euros) et de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (+ 19 milliards d'euros).

Il nous faut retrouver la maîtrise des dépenses de santé. Le constat n'est pas nouveau, mais la quasi-totalité de l'augmentation du déficit de la sécurité sociale provient de l'assurance maladie.

De 2011 à 2019, l'Ondam a été respecté, mais il ne l'a plus été depuis 2020 du fait de la crise sanitaire et des mesures prises pour compenser l'inflation. Il convient donc, dans le cas du seuil d'alerte, de supprimer la distinction entre dépenses covid et hors covid, pour que le Parlement puisse débattre.

Les mesures prises en conséquence de l'inflation, notamment le point d'indice et la couverture des charges non salariales liées à l'inflation, mais aussi la « mission Braun » sur les urgences, représentent un coût total de 3 milliards d'euros en 2022. Ce ne sont pas de simples dépassements de dépenses prévisionnelles, mais des mesures nouvelles, qu'il aurait été de bonne pratique d'inscrire dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).

J'en viens à la clause de sauvegarde des médicaments, mécanisme de régulation de dernier ressort instauré par la LFSS de 1999 qui visait à inciter les entreprises pharmaceutiques à ne pas dépasser un certain seuil compatible avec l'Ondam.

Depuis 2015, le dispositif a toujours été déclenché, sauf en 2020, et son rendement est en forte hausse. Il s'agit d'un impôt de plus en plus lourd, imprévisible et qui frappe de manière indiscriminée. Il convient que le Gouvernement fiabilise les prévisions dès le prochain PLFSS, car, entre celles-ci et la réalité, le décalage est effarant.

La mission interministérielle sur la régulation des dépenses de produits de santé devra s'interroger sur la pertinence de ce dispositif, car depuis son instauration en 1999, les choses ont évolué.

Par ailleurs, s'il était nécessaire d'instaurer une garantie de financement des hôpitaux durant la crise sanitaire du fait des nombreuses déprogrammations, il convient désormais de préciser les modalités de sortie de ce dispositif.

Je rappelle que celui-ci a été mis en place par ordonnance en 2020, avant d'être reconduit, en 2022, par une loi, puis par un arrêté ministériel, sans base légale.

En 2022, alors que l'activité hospitalière était inférieure de 4 % au niveau de 2019, notamment du fait de difficultés de recrutement, le coût de la garantie de financement des hôpitaux s'est établi à 2,7 milliards d'euros, contre 1,9 milliard d'euros en 2021 et 2,5 milliards d'euros en 2020. La garantie ne prend pas en compte les changements de périmètres d'activités intervenus depuis 2019, ce qui peut avoir un effet désincitatif pour les projets d'établissement.

Fin avril 2023, dans le cadre de la généralisation de l'intermédiation des pensions alimentaires, rendue systématique par l'article 100 de la LFSS pour 2022, plus de 133 869 pensions avaient été avancées ou intermédiées par l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa). Il convient d'être vigilant sur la mise en oeuvre de la réforme, d'assurer la bonne information des parents et de veiller au respect par les avocats de leur obligation de transmission des dossiers à l'Aripa. Il faut aussi que l'Aripa parvienne, malgré la gestion d'un fort afflux de dossiers, à améliorer le taux de recouvrement des impayés.

J'en viens à la cinquième branche. L'article 44 de la LFSS pour 2022 prévoit, dans les deux ans suivant la publication du décret fixant le cahier des charges, le regroupement des services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad), des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et des services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) au sein des services autonomie à domicile (SAD), dans une logique de simplification et de « guichet unique » pour l'usager. Or le cahier des charges n'a toujours pas été publié.

Par ailleurs, l'instauration d'un tarif plancher aura un effet à la hausse sur le reste à charge des usagers. Il convient donc de s'assurer que la réforme ne restreigne pas l'accès aux prestations.

En matière de lutte contre la fraude sociale, je rappelle qu'en 2020 la Cour des comptes n'avait pas réussi à évaluer le montant de la fraude aux prestations.

En s'appuyant sur des extrapolations, la Cour des comptes estime dans son rapport que la fraude aux prestations s'établirait entre 6 et 8 milliards d'euros, dont environ 4 milliards d'euros pour l'assurance maladie, les fraudes commises par les professionnels de santé emportant des montants beaucoup plus importants que celles commises par les usagers, et 3 milliards d'euros pour les allocations familiales - principalement au titre du revenu de solidarité active (RSA), de la prime d'activité et des aides au logement.

La fraude aux cotisations s'élèverait à 8 milliards d'euros, principalement imputables au travail dissimulé.

Comme Jean-Marie Vanlerenberghe l'avait démontré dès 2019, la fraude aux faux numéros de sécurité sociale est un enjeu relativement mineur. Entre 2019 et 2022, le nombre de cartes Vitale « surnuméraires », qui étaient majoritairement des cartes perdues non désactivées, serait passé de 600 000 à environ 3 000.

Le plan de lutte contre la fraude sociale annoncé par le Gouvernement le 30 mai dernier comporte plusieurs mesures qui ont d'ores et déjà été votées, telles que l'obligation de verser sur un compte domicilié en zone Sepa les prestations sociales soumises à condition de résidence en France, qui sera effective au 1er juillet 2023, ou l'allongement de 6 à 9 mois de la durée de résidence en France pour percevoir l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), qui sera effectif au 1er septembre prochain.

Par ailleurs, le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) a exprimé de très fortes réserves concernant l'hypothèse évoquée par le Gouvernement d'une fusion de la carte nationale d'identité (CNI) et de la carte Vitale. Il faudra veiller à ne pas se détourner des principaux enjeux.

En matière de lutte contre la fraude, j'estime qu'il convient déjà de s'assurer que les dispositions législatives existantes sont effectivement appliquées, et je rappelle que l'augmentation du nombre de contrôles suppose le renforcement des moyens humains et l'amélioration des systèmes d'information.

Si ce Placss est une photographie, comme le ministre Gabriel Attal l'a indiqué devant notre commission, j'estime que celle-ci reste floue. Je vous proposerai d'ailleurs tout à l'heure d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable.

M. Bernard Jomier. - Je remercie la rapporteure générale.

Entre 2014 et 2018, le recul du passif net de la sécurité sociale a été constant. Le résultat excédentaire des administrations de sécurité sociale est de ce point de vue un trompe-l'oeil. En dépit des déclarations du Gouvernement, la sécurité sociale est délibérément maintenue en déficit constant, et ce sans que les résultats soient à la hauteur, en particulier pour la branche maladie à laquelle est imputable une grande partie du déficit. C'est donc la marque d'un double échec.

En dépit de l'affirmation de M. Attal selon laquelle ce texte ne serait que la photographie d'un compte administratif à l'instant t, le fait que la Cour des comptes n'ait pas certifié les comptes de la branche famille suffirait à nous conduire à voter contre ce Placss.

Mais allons plus loin. Le Gouvernement, qui prévoit d'augmenter l'Ondam de 2,9 % par an, se félicite qu'une telle modération n'ait été observée depuis plusieurs années.

La Cour des comptes a raison toutefois de douter du résultat en la matière. Elle rappelle notamment que de nouvelles aides financières sont prévues pour les soignants. Elle juge en outre les hypothèses d'évolution économique avancées par le Gouvernement optimistes et peu réalistes.

Dans l'ensemble, le Placss qui nous est présenté témoigne d'une gestion de la sécurité sociale assez désespérante de continuité. Le Gouvernement la maintient en déficit, en refusant de se pencher sur la question des recettes. La question des exonérations ne fait pas l'objet d'une véritable évaluation. Il en résulte un système de santé à l'efficacité dégradée, qui ne rend plus les services qu'il rendait auparavant, sans un réel retour à l'équilibre des comptes en perspective.

Ces différents éléments nous conduiront à rejeter ce texte.

Par ailleurs, la rapporteure générale semble considérer que l'arrêté ministériel ayant pour objet de prolonger la garantie de financement, qui a pris fin le 31 décembre dernier, ne dispose pas de base légale. Or je n'ai pas la même lecture de ce dispositif.

Enfin, pourquoi choisir de présenter une motion tendant à opposer la question préalable ? Pourquoi refuser de débattre du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, donc de la gestion de la sécurité sociale par le Gouvernement ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Il y aura une discussion générale néanmoins.

Mme Laurence Cohen. - Comme l'ensemble des membres de mon groupe, je ne suis pas gênée par les motions tendant à opposer la question préalable. Lorsque le texte qui nous est présenté est aux antipodes de nos propres propositions, il est difficile de continuer à essayer de le modifier.

La logique gouvernementale semble effectivement consister à perpétuer la situation actuelle, quoi que l'on puisse observer par ailleurs. Les exonérations de cotisations se poursuivent, sous prétexte qu'elles seraient compensées presque en totalité, sans qu'aucune analyse approfondie ne soit menée sur le sujet. Or, les compensations étant effectuées par l'État, cet argent manquera pour améliorer les services publics.

Le Placss que nous examinons, présenté comme innovant par le Gouvernement, n'est en réalité qu'une compilation des PLFSS précédents, dont il reprend la logique.

Gabriel Attal a mentionné dans une intervention récente la grande reconnaissance qu'il avait à l'égard des personnels de la sécurité sociale. Or nous avons appris le lendemain dans la presse que le Gouvernement avait l'intention de supprimer 1 720 postes au sein de l'assurance maladie d'ici à 2027. Cherchez l'erreur !

La Cour des comptes a par ailleurs refusé de certifier la branche famille en raison de l'augmentation importante des paiements erronés. Or plusieurs syndicats estiment que cette augmentation est liée à la suppression de 809 contrats à durée indéterminée (CDI) entre 2018 et 2022. Si cette dernière n'explique pas tout, il est certain que l'on ne peut pas constamment demander aux services de l'État de faire davantage, et mieux, tout en leur supprimant des postes.

Je rappelle ensuite que le fait de voter l'Ondam a des conséquences concrètes. Cela revient en effet à réduire les moyens de l'hôpital. Ainsi, en 2022, 80 services d'urgences ont été contraints de fermer la nuit, 131 établissements ont été concernés par des fermetures de lits, 30 % des patients atteints d'une maladie chronique ont été contraints de reporter leurs soins et des milliers de soignants ont démissionné de l'hôpital. Or cette tendance va se poursuivre, puisque vous continuerez à voter des textes qui auront de telles conséquences. La motion tendant à opposer la question préalable présentée par Mme la rapporteure générale pourra nous faire éviter ce scénario, mais elle ne s'appuie pas sur les mêmes arguments que ceux que je développe.

Il est par ailleurs à noter que l'augmentation des salaires survenue dans la fonction publique a entraîné une hausse des cotisations engrangées par la sécurité sociale, à hauteur de 1,1 milliard d'euros. Les augmentations de salaire que les membres de mon groupe et moi-même demandons régulièrement sont donc bonnes non seulement pour les salariés, mais aussi pour les comptes de la sécurité sociale.

Enfin, nous avons la chance d'avoir créé au Sénat une commission d'enquête sur la question importante de la pénurie de médicaments, dont le rapport sera intéressant à consulter. Le recours à la clause de sauvegarde a effectivement augmenté de manière exponentielle, mais cela tient aussi à la forte hausse du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique. Il faut toutefois faire une différence à cet égard entre les petites et moyennes entreprises (PME) et les « Big Pharma ».

Mme Raymonde Poncet Monge. - Le déficit prévisionnel de la sécurité sociale me paraît désormais construit. Nous savons, dès le départ, qu'il surviendra. Or un gouvernement qui laisse ainsi un déficit se produire afin d'alimenter ensuite un discours visant à soutenir des réformes plus ou moins brutales n'est pas sincère dans sa démarche.

Entre 2001 et 2019, l'Ondam des soins de ville a été respecté au détriment de l'Ondam des établissements de santé. De manière générale, il faudrait toujours distinguer entre les différents Ondam, pour identifier les principales dépenses au sein de l'enveloppe globale.

À quoi cela sert-il cependant de rétablir le seuil d'alerte quand le taux d'évolution de l'Ondam est prévu à 2,9 % de 2023 à 2026, pour une inflation attendue à 2,8 %, et sachant que compte tenu de la politique de santé, qui n'amorce toujours pas son virage vers la prévention, la dépense évolue à 4 % en volume - en raison du vieillissement de la population, de l'innovation médicale, et de la part croissante occupée par les maladies chroniques ?

Les comptes de la sécurité sociale seront donc en déficit. Il faudrait à cet égard maintenir un seuil d'alerte permanent. Par ailleurs, les lois de financement rectificatives ne sont pas faites uniquement pour faire passer des réformes structurelles impopulaires.

À quoi les excédents construits de l'Unédic, chiffrés à 6 milliards d'euros, serviront-ils ?

S'agissant du paiement à bon droit de la branche famille, les données disponibles distinguent-elles les indus et les rappels, sachant que la distinction entre ces deux notions n'est pas claire pour tous, et que la mise en oeuvre de la solidarité à la source permettra de repérer des indus et rappels non identifiés actuellement ?

Enfin, si l'allongement de six à neuf mois de la durée de résidence en France requise pour pouvoir prétendre à l'Aspa vient durcir effectivement les conditions de la loi, il n'entre nullement dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale. C'est une mesure de stigmatisation.

M. René-Paul Savary. - Il s'agit bel et bien d'une mesure de lutte contre la fraude sociale. Plus on reste en France, moins cette prestation peut être détournée.

Je reviens sur le déficit organisé de la sécurité sociale, qui pèsera de plus en plus dans les comptes publics. Il faut amortir la dette sociale de dizaines de milliards d'euros, ce qui sera d'autant plus difficile que les taux d'intérêt ont fortement augmenté, jusqu'à atteindre 3 %. Or creuser ce déficit revient à consacrer moins de moyens aux soins apportés aux malades.

La clause de sauvegarde, qui visait initialement à éviter une hausse trop importante des dépenses de médicaments, est devenue un véritable impôt sur le médicament. Il ne faut pas s'étonner, dès lors, que des pénuries surviennent, puisqu'il devient plus rentable pour les laboratoires de vendre à l'étranger plutôt qu'en France. Ainsi détourné par Bercy, ce mécanisme, utile en soi, constitue en outre un vecteur contre l'innovation. Il faut faire preuve de vigilance dans ce domaine, pour ne pas aller à l'encontre de ce que l'on souhaite.

Une fiabilisation des données nominatives sera par ailleurs nécessaire pour garantir l'efficacité du dispositif de solidarité à la source et limiter le risque d'erreur.

Enfin, en réponse à Laurence Cohen, une augmentation des salaires entraîne également, à long terme, une augmentation du nombre de prestations et une hausse du niveau des retraites, donc des dépenses supplémentaires dès le moyen terme. Il faut considérer la situation dans sa globalité.

M. Daniel Chasseing. - Il serait bon d'assister davantage les personnes responsables de l'autonomie à domicile, qui s'inquiètent dans certains départements de l'unification annoncée des Ssiad et Spasad au sein des SAD. Aucune aide ne leur est effet apportée pour la réalisation de cette fusion.

Une amélioration de la lutte contre la fraude sociale, évaluée entre 10 milliards et 16 milliards d'euros, serait de nature à de renforcer l'équilibre des comptes de la sécurité sociale.

Entre 2014 et 2018, on a observé un sous-financement dans les hôpitaux. Les salaires des soignants n'ont pas été augmentés, hormis un rattrapage de 300 euros par mois accordé aux aides-soignants. Il serait bon d'y remédier, pour valoriser leur travail.

Comme l'a souligné René-Paul Savary, l'équilibre des comptes de la sécurité sociale est lié à l'équilibre des retraites. L'allongement de la durée de cotisation jusqu'à 43 ans inscrit dans la réforme Touraine de 2014 pourra jouer un rôle dans ce domaine. Toutefois, l'équilibre de la sécurité sociale tient aussi à une augmentation du nombre de cotisants. Pour y parvenir, il faut des entreprises compétitives à l'échelon européen. Or, depuis 2020, la part des entreprises dans le PIB est passée de 18 % à 12 %, alors qu'elle s'élève à 25 % en Allemagne.

Entre 2012 et 2018, le taux d'évolution de l'Ondam était inférieur à 2 %. Il s'élève actuellement à 2,9 %, ce qui demeure insuffisant, mais n'en constitue pas moins un progrès.

Rappelons enfin que la crise du covid-19 a entraîné de lourds déficits dans les comptes de la sécurité sociale, et qu'une telle pandémie était impossible à prévoir.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - L'information est primordiale lorsqu'il est question des comptes de la sécurité sociale. Or nous avons l'impression que le Gouvernement communique à ce sujet avec parcimonie et réticence, alors même que le Parlement doit avoir la possibilité d'entrer dans les détails de ces comptes pour pouvoir remplir sa mission.

À l'avenir, il pourrait être intéressant, à partir des différents manques qui ont été relevés dans le cadre du rapport, de se focaliser au sein de la commission des affaires sociales sur des sujets précis au cours de l'année.

J'en viens à la fraude sociale. Comme l'a souligné la Cour des comptes, la Cnam a évalué la fraude pour seulement 29 % de ses dépenses. Il faut mettre la Cnam au défi de nous fournir enfin, pour la fin de l'année, une estimation dans ce domaine et une projection des moyens qui seront mis en oeuvre pour effectuer ce contrôle et récupérer l'argent ainsi indûment versé.

Je voudrais également qu'un compte précis des variations d'effectifs de la sécurité sociale nous soit fourni. Il est question en effet de diminuer les effectifs de l'assurance maladie, tout en augmentant le nombre et la fréquence des contrôles. Cette donnée est donc essentielle, d'autant que l'on demande à ces personnels de s'investir pour pouvoir mieux financer par la suite les différentes branches de la sécurité sociale. Au total, la fraude sociale est estimée à environ 15 milliards d'euros, soit un montant substantiel qui permettrait, s'il était recouvré, de financer une partie de la cinquième branche.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - La garantie de financement pour les hôpitaux a été reconduite, pour le premier semestre 2022, par la loi, puis, pour le second semestre 2022, par un arrêté ministériel sans base légale.

Par la suite, considérant que la base légale était trop fragile pour une dérogation importante et prolongée aux règles de financement, le Sénat, à l'initiative de notre commission, a sécurisé juridiquement le dispositif pour l'année 2022 en prévoyant une prolongation expresse, par un amendement de Mme Corinne Imbert, rapporteure pour l'assurance maladie, au PLFSS pour 2023. Malgré un avis défavorable à cette initiative, le Gouvernement l'a prolongée avec un nouveau dispositif de sécurisation des ressources modulé à l'activité pour l'année 2023.

La prolongation de la garantie de financement s'est donc faite au jour le jour, sans réelle anticipation. Le Sénat avait proposé de revenir à des bases juridiquement plus solides, mais la tournure des événements a fait que le Gouvernement a procédé autrement.

J'en viens à la question de Bernard Jomier relative aux raisons du dépôt de la motion tendant à opposer la question préalable. Il ne me semble pas que nous disposions d'éléments suffisamment exhaustifs. Quand le Gouvernement nous présentera des annexes et un projet de loi solide, nous pourrons discuter. Il n'en va pas ainsi à ce stade, c'est la raison du dépôt de la motion.

Madame Cohen, il est difficile de comprendre l'évolution des ressources humaines de la sécurité sociale dans le temps. On nous annonce en effet le recrutement de 1 000 personnes supplémentaires, mais il faut que nous sachions précisément à quelles caisses ces personnels supplémentaires seront attribués.

Concernant l'Ondam, il est vrai que nos votes ont des conséquences sur le terrain. Nous devons nous donner les moyens de produire un rapport détaillé sur le sujet, par exemple par le biais de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss). Les dispositions mises en oeuvre ont parfois été peu ou mal corrigées, il conviendrait de s'assurer qu'elles correspondent bien aux besoins des territoires.

Nous serons attentifs par ailleurs aux conclusions de la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, dont le rapport sera examiné le 4 juillet. Il faut différencier à cet égard les petites et les grandes entreprises, mais également celles qui font de l'innovation et celles qui n'en font pas, ou encore celles qui ont des initiatives vertueuses sur un plan environnemental et celles qui n'en ont pas.

Madame Poncet Monge, la protection sociale en France doit être maintenue, voire améliorée. C'est notre bien le plus précieux. Or, pour y parvenir, il faut éviter les déficits, d'autant que les taux d'intérêt augmentent.

Il est effectivement souhaitable par ailleurs de respecter la distinction entre l'Ondam des soins de ville et l'Ondam des établissements de santé.

Concernant le seuil d'alerte, il faudrait le rendre à nouveau effectif, pour que le Parlement et, par son intermédiaire, les citoyens, disposent d'une information précise.

Nous verrons si des ambitions particulières sont formulées pour l'utilisation des excédents de l'Unédic.

La page 113 du rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) relatif à la branche famille, faisant partie (comme les autres Repss) de l'annexe 1 au Placss, comporte un tableau montrant la différence entre les taux d'indus et les taux de rappels, les premiers étant les plus importants.

L'allongement de six à neuf mois de la durée de résidence requise pour pouvoir prétendre à l'Aspa a l'avantage d'éviter d'encourager les personnes bénéficiant de ce dispositif à partir vivre à l'étranger.

Concernant la clause de sauvegarde et la solidarité à la source, nous attendons les conclusions de la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments pour voir quelles améliorations pourraient être mises en oeuvre. La fiabilisation des données est effectivement essentielle pour garantir l'efficacité du dispositif de la solidarité à la source.

Pour bien discerner les enjeux relatifs à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, il est important d'avoir une vue d'ensemble des recettes et dépenses.

En réponse à Daniel Chasseing, les professionnels de l'aide à domicile sont effectivement inquiets du regroupement annoncé entre les services existants. Ce guichet unique permettra néanmoins aux usagers de mieux s'y retrouver. Il faudrait toutefois signaler à Jean-Christophe Combe qu'un accompagnement des personnels du secteur serait bienvenu.

La branche retraite a une incidence sur l'équilibre des comptes de la sécurité sociale. Cependant, ce sont d'abord les mesures sociales de la réforme des retraites qui s'appliqueront. Les mesures d'âge n'entraîneront pas de recettes supplémentaires dans l'immédiat.

Favoriser l'économie pour augmenter le nombre de cotisants est par ailleurs effectivement souhaitable. C'est la direction prise par le Gouvernement. Il faudrait profiter néanmoins de la relance économique pour dire aux entreprises qu'elles ont un rôle à jouer dans tous les défis que nous avons à relever : défi environnemental, défi de la protection sociale, bien-être au travail, etc.

Je remercie enfin Jean-Marie Vanlerenberghe, car c'est en partie à lui que nous devons ce « printemps de l'évaluation » des comptes de la sécurité sociale. Il a toujours su nous indiquer la bonne voie à suivre.

Le Gouvernement ne parvient pas, dans cet exercice nouveau, à nous fournir tous les éléments nécessaires pour mesurer l'efficacité des politiques publiques en matière de solidarité. J'espère que nous disposerons d'une carte plus détaillée l'année prochaine.

EXAMEN DES ARTICLES

Motion

La motion n°  1 est adoptée.

La commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.

En conséquence, l'ensemble des amendements devient sans objet.

Le projet de loi n'est pas adopté.

Mme Catherine Deroche, présidente. - La motion tendant à opposer la question préalable sera présentée au nom de la commission des affaires sociales en séance publique le lundi 3 juillet prochain. Elle sera précédée d'une discussion générale. Son adoption par le Sénat équivaudrait à un rejet conforme, donc définitif, du projet de loi par le Parlement.

II. TRAVAUX DE LA MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (MECSS)

A. AUDITION DE M. NICOLAS GRIVEL, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA CAISSE NATIONALE DES ALLOCATIONS FAMILIALES (CNAF) (MARDI 20 JUIN 2023)

M. René-Paul Savary, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour entendre M. Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.

Comme vous le savez, l'exercice 2022 a été particulier, dans la mesure où la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la Cnaf et de la branche famille, en raison de l'augmentation de la proportion de paiements erronés.

Pour ne citer que cet exemple, si l'on prend l'indicateur de référence à vingt-quatre mois, les erreurs à la hausse ou à la baisse ont représenté 7,6 % du montant total des prestations versées en 2021, soit 5,8 milliards d'euros, contre 5,5 % du montant total des prestations versées en 2019.

Monsieur le directeur général, je vous invite à nous présenter les faits marquants de l'exécution 2022 et, notamment, le refus de certification des comptes de la Cour des comptes, et à nous livrer votre réaction à ce sujet.

M. Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravi de pouvoir échanger avec vous sur ce sujet important, qui a donné lieu à des interprétations parfois un peu rapides.

Mon audition s'inscrit dans le cadre de l'examen d'un nouveau projet de loi, le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, dit « Placss », et dans un contexte où les comptes de la Cnaf n'ont pas, pour la première fois depuis 2011, été certifiés par la Cour des comptes.

Pour entrer dans le vif du sujet, je relève tout d'abord que l'appréciation portée par la Cour des comptes n'est pas d'ordre comptable : les comptes de la branche famille reflètent fidèlement la réalité des paiements et des flux financiers enregistrés en 2022, comme lors des années précédentes. Le problème concerne davantage le contrôle interne et la maîtrise des risques, insuffisants au vu notamment de l'ampleur et de la grande complexité des prestations que nous gérons.

Je vous rappelle que notre système de prestations est fragile en raison des potentielles erreurs déclaratives des allocataires : l'essentiel du risque découle du manque de qualité des données entrantes, c'est-à-dire de la fiabilité des données dont nous disposons pour liquider les prestations. Cette réalité est naturellement connue depuis plusieurs années, mais un certain nombre de phénomènes l'ont amplifiée et ont contribué à dégrader nos indicateurs de risque.

Les outils que nous avons mis en place pour mesurer ces risques sont de plusieurs ordres. Nous disposons surtout d'indicateurs dits « de risque résiduel » : nous réalisons chaque année un contrôle exhaustif et intensif d'un échantillon de 6 000 dossiers, selon une périodicité variable, puisqu'il existe deux indicateurs de référence, un indicateur à neuf mois, et un autre à vingt-quatre mois, qui nous permettent d'évaluer le risque résiduel propre à chaque échéance.

Il s'agit d'une approche statistique à laquelle nous sommes attachés - et que, du reste, la Cour des comptes salue - et qui nous a permis de repérer la forte augmentation, depuis 2019, des erreurs dans le système de délivrance de nos prestations, que ce soit au détriment ou au bénéfice des allocataires.

Alors que, je le précise, ces indicateurs n'ont quasiment pas évolué entre 2021 et 2022, la Cour des comptes a certifié nos comptes en 2021, mais pas en 2022. Cette situation ne constitue pas pour autant une surprise pour nous : nos indicateurs s'étaient en effet beaucoup dégradés entre 2019 et 2021, et si la Cour a certifié nos comptes pour ces exercices, c'est qu'elle a fait preuve de beaucoup de compréhension, voire d'empathie, si je puis dire, vis-à-vis de la branche famille durant cette période, en prenant en considération la crise de la covid-19 et la réforme très complexe des aides au logement mise en oeuvre en 2021.

La Cour des comptes nous avait prévenus que, pour l'exercice 2022, elle ne tiendrait plus compte de ces événements, même si les indicateurs, notamment celui à vingt-quatre mois, mesurent une réalité très antérieure à 2022, qui englobe les épisodes troublés dont je viens de parler.

Cela étant, je retiens de l'argumentaire fort intéressant de la Cour des comptes que la trentaine de prestations que nous délivrons, pour près de 100 milliards d'euros par an, ont des caractéristiques très différentes et que certaines d'entre elles présentent des facteurs de risque plus élevés que d'autres, compte tenu notamment de la qualité des données entrantes.

Ainsi, les facteurs de risque sont très limités pour les prestations calculées sur la base de données fiscales datant des deux années précédentes (N-2), autrement dit des données très sécurisées et très stables. Lorsque les aides dépendent de données beaucoup plus complexes, le risque d'erreur de la part des allocataires s'accroît, d'autant que le contrôle ex ante de ces données est quasi impossible du fait du nombre élevé des prestations dont nous sommes responsables, sauf à retarder considérablement le versement des allocations, ce qui n'est évidemment pas concevable.

Nous revérifions un grand nombre de données, notamment en les croisant avec des données ex post, fiscales ou autres, mais il nous est impossible de toutes les contrôler. Nous avons tendance à vérifier en priorité les prestations qui représentent la charge financière la plus élevée.

Depuis 2019, notre système a connu deux réformes importantes, l'une relative à la prime d'activité, l'autre relative aux aides au logement, qui ont eu un effet direct sur nos indicateurs de risque.

En 2019, le doublement du jour au lendemain du montant de la prime d'activité qui, par ses caractéristiques, est l'une des prestations les plus risquées, a immédiatement et assez logiquement accru le nombre d'erreurs commises.

En 2021, j'y ai déjà fait allusion, une réforme d'ampleur, celle des aides personnelles au logement (APL), a été décidée : elle visait à faire correspondre le plus possible ces aides avec la situation réelle des allocataires, en faisant en sorte que le système repose sur des données très récentes, datant parfois de quelques mois seulement.

Ces aides au logement, qui étaient parmi les plus simples que nous gérions, notamment parce que le calcul des droits reposait sur les données fiscales de l'année N-2, ont soudain posé problème, tant aux caisses d'allocation familiale (Caf) - difficultés d'appropriation de la réforme par les équipes et de mise à niveau des systèmes d'information - qu'aux allocataires, dont les obligations déclaratives ont soudain changé. Les erreurs ont alors considérablement augmenté.

En définitive, le quasi-doublement des erreurs relevées par la Cour des comptes peut être attribué presque intégralement à ces deux seules réformes. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faut rien faire, mais je tenais à apporter ces quelques précisions importantes.

S'ajoutent à cela des problèmes circonstanciels de qualité de service, qui découlent en partie de la difficile mise en oeuvre de la réforme des aides au logement, de l'afflux des demandes, d'une augmentation du nombre d'allocataires et de la difficulté pour les équipes à respecter les objectifs en termes de délais.

La question des effectifs est pendante : en 2020 et 2021, nous avons allégé les effectifs consacrés au contrôle, au vu du contexte très particulier de la pandémie. En 2022, nous sommes revenus à des standards plus proches de nos objectifs, mais la situation n'est pas encore revenue à la normale.

La problématique des effectifs dévolus au contrôle des prestations fait d'ailleurs l'objet d'un débat entre la Cnaf et la Cour des comptes.

De son côté, la Cour observe à juste titre qu'en 2022 nous sommes en deçà des objectifs fixés par l'actuelle convention d'objectifs et de gestion (COG) en ce qui concerne le nombre de contrôles. De notre côté, nous avons privilégié un changement de stratégie : nous menons certes moins de contrôles, mais nous cherchons à mieux les cibler, à nous concentrer sur les dossiers qui présentent les risques financiers les plus élevés, et à faire en sorte que chacun de ces dossiers ait un impact financier plus important qu'auparavant. De notre point de vue, cette stratégie contribue à améliorer notre rendement et notre efficacité.

Pour faire bref, l'évolution de notre panier de prestations, qui présente désormais davantage de risques d'erreurs, conjuguée à notre incapacité à augmenter la part des effectifs dédiées à la fonction de contrôle, a largement contribué aux résultats statistiques que la Cour des comptes déplore dans son rapport.

Cette situation appelle une réaction de notre part, qui consistera à amplifier le plan d'actions que nous avons lancé sur des sujets que nous avions déjà identifiés.

À court terme, nous devrons sans doute envisager une évolution structurelle, au travers par exemple de la mise en oeuvre de la « solidarité à la source » : plutôt que d'intensifier les contrôles sur des données de mauvaise qualité, nous devons faire en sorte de disposer de données de bonne qualité dès le départ, ce qui correspond du reste au souhait exprimé par la Cour des comptes. Cette réforme, quand elle sera engagée, portera ses fruits progressivement, ne serait-ce que parce que, mécaniquement, nous continuerons à utiliser nos indicateurs à vingt-quatre mois durant un certain temps.

Nous conduisons également des actions visant l'amélioration de la qualité de service aux allocataires, de sorte à aboutir à un rééquilibrage satisfaisant entre les ressources humaines consacrées à la délivrance des prestations et celles qui sont dédiées à la maîtrise des risques.

Enfin, nous adopterons dans les jours à venir un plan d'amélioration de la qualité de traitement de nos prestations, qui fait suite à un audit interne réalisé l'an dernier, et qui vise à renforcer le pilotage de cette fonction « qualité » en améliorant la maîtrise des risques.

C'est dans ce contexte que les négociations autour de la prochaine COG se déroulent : la convention prévoit la mise à disposition de moyens supplémentaires...

M. René-Paul Savary, président. - On parle de 1 000 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires d'ici 2027 !

M. Nicolas Grivel. - Pour la seule branche famille, la COG ne prévoit que 430 ETP supplémentaires par rapport à la fin de l'exercice 2022, auxquels il faut ajouter la hausse annoncée de 200 ETP cette année-là, soit environ 600 postes en plus au total.

Cette augmentation de nos effectifs devrait nous permettre de restaurer à la fois la qualité de service - délivrance des prestations pour les allocataires - et du droit - sécurisation des droits - et de poursuivre la conduite de projets nouveaux et complémentaires : la mise en oeuvre de la « solidarité à la source », j'en ai parlé, le service public de la petite enfance, la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), etc.

Par ailleurs, le ministre Gabriel Attal a annoncé, dans le cadre spécifique de son plan de lutte contre la fraude, le renforcement des effectifs des caisses de la sécurité sociale : ce sont les 1 000 ETP auxquels vous faisiez allusion, monsieur le président, qui concernent en réalité l'ensemble des branches d'ici 2027.

En outre, nous agissons, à court et à moyen terme, pour répondre à la situation décrite par la Cour des comptes, en travaillant à la « solidarité à la source » et à l'adossement des données entrantes sur le dispositif de ressources mensuelles (DRM), car c'est là que tout se joue.

Notre ambition est de parvenir, grâce au DRM et à un système qui reposerait désormais sur une déclaration préremplie, à une meilleure qualité des données entrantes, notamment pour le versement des prestations les plus variables et les plus sensibles - je pense au RSA et à la prime d'activité. Cet objectif peut être atteint dans un avenir proche, puisque nous l'expérimenterons en 2024 et que nous envisageons de le généraliser dès 2025.

M. René-Paul Savary, président. - Vous avez insisté dans votre propos sur la nécessaire qualité des données entrantes, véritable noeud du problème. Qu'envisagez-vous en la matière ? La mobilisation des données du DRM ou celle des données de la déclaration sociale nominative (DSN) vous semble-t-elle une piste intéressante ?

La Cour des comptes préconise par ailleurs de contrôler davantage les allocataires du revenu de solidarité active (RSA), d'autant que le futur projet de loi pour le plein emploi prévoit une modification des conditions à remplir pour en bénéficier : quelles sont vos perspectives en la matière ?

M. Nicolas Grivel. - Il est en effet prévu de recourir au DRM pour les bénéficiaires du RSA et de la prime d'activité, les deux prestations les plus lourdes et les plus risquées. Nous sommes très attachés à cette évolution, qui conduira au remplacement de déclarations d'allocataires « livrés à eux-mêmes » par des déclarations d'allocataires résultant de déclarations préremplies sur le fondement de la DSN.

Le dispositif a fait l'objet d'une expérimentation dans cinq Caf l'année dernière, et se déploiera dans dix Caf cette année : l'objectif est d'évaluer si le recours au DRM réduit le taux d'erreur que l'on atteint dans un système reposant sur l'actuelle déclaration trimestrielle que remplissent les demandeurs du RSA et de la prime d'activité.

Le résultat de cette expérimentation est a priori sans appel : nous constatons d'ores et déjà un renforcement de la fiabilisation des données, notamment à partir des données des mois M-2 et M-3. L'amélioration est en revanche beaucoup moins nette lorsque les données utilisées datent de M-1, ce qui nous a amenés à demander le décalage de la période de référence du calcul des prestations, pour retenir un trimestre composé des mois M-4, M-3 et M-2.

Évidemment, ce nouveau système de référence n'élimine pas toutes les erreurs, mais le fait que le calcul des prestations repose sur le trimestre contribue à donner à notre système social une réactivité très importante, ce qui est souhaitable.

L'enjeu à plus long terme est de fiabiliser totalement le DRM, c'est-à-dire d'éliminer les quelques erreurs qui demeureraient.

Le recours à la déclaration mensuelle lors de la mise en oeuvre de la réforme des aides au logement en 2021 nous a déjà permis de nous améliorer. Nous serons encore meilleurs si nous parvenons à favoriser une meilleure articulation des Caf avec les organismes gestionnaires des données, c'est-à-dire l'Urssaf, Agirc-Arrco, la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), dans le cadre d'une gouvernance qui permettra d'identifier au plus vite les erreurs déclaratives des tiers, en particulier les erreurs systémiques.

M. René-Paul Savary, président. - D'une certaine façon, vous êtes coincés entre la « fraîcheur » des données entrantes, nécessaire pour répondre au mieux à la réalité des situations, et leur nécessaire « profondeur » qui permet d'en renforcer la fiabilité. Ne pourrait-on pas trouver un juste équilibre entre cette fraîcheur et cette profondeur pour les trois prestations que sont les aides personnelles au logement (APL), le RSA et la prime d'activité, en retenant par exemple une période de référence commune de six mois ?

M. Nicolas Grivel. - Aujourd'hui, nous sommes confrontés à des situations différentes, qui n'empêchent pas pour autant un rapprochement des modes de calcul, puisque le mois M-2 devient le butoir commun pour le calcul des prestations, quand bien même la période de référence diffère.

Vous ouvrez à juste titre un débat de fond, qui va plus loin que la seule question des périodes de référence, celui de l'unification des bases de ressources. Cela me rappelle d'une certaine façon le débat autour du revenu universel d'activité.

La nature des prestations servies par les Caf est très différente d'une aide à l'autre. J'ajoute que les allocataires sont très attachés à la stabilité dans le temps des prestations qu'on leur verse, mais aussi à leur fiabilité, car rien n'est pire que de devoir rembourser un indu. De ce point de vue, la variation trimestrielle du calcul des aides au logement a beaucoup perturbé les allocataires et les associations qui les accompagnent.

Des mesures de simplification sont certes souhaitables, mais leur mise en oeuvre prendra du temps. Sans compter, je le répète, que les prestations diffèrent beaucoup les unes de autres : les aides au logement n'obéissent pas à la même logique que le RSA ou la prime d'activité, qui impliquent une forte réactivité face aux demandes des publics, car elles doivent tenir compte des ruptures de situations et accompagner des personnes qui sont souvent sans emploi ou ne disposent que de revenus modestes.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Parmi les documents annexés au projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale figurent les rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss).

Dans le cas du Repss « Famille », les indicateurs relatifs aux établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE) s'arrêtent en 2019 ou en 2020, ce qui est particulièrement regrettable quand on sait que la COG 2018-2022 avait fixé pour objectif à la Cnaf la création de 30 000 places d'accueil supplémentaires nettes en EAJE. Pouvez-vous nous dire combien de places ont effectivement été créées ?

Le 1er juin 2023, la Première ministre a annoncé la création de 200 000 places d'accueil d'ici 2030. Cet objectif vous semble-t-il atteignable, et selon quelles modalités ? Tout récemment, une élue de Montrouge me disait qu'elle avait dû fermer une crèche dans sa commune faute de personnels : comment pourrait-on créer 200 000 places dans de telles conditions ?

M. Nicolas Grivel. - Globalement, sur la période 2018-2022, nous avons créé un peu moins de 15 000 places nettes, soit un peu moins de la moitié de ce qui était prévu. Je rappelle cependant que nous avons traversé une période un peu particulière avec la crise de la covid-19, et ce malgré les aides qui ont contribué à maintenir le secteur sous perfusion.

Malgré toute notre énergie et les moyens qui y étaient consacrés, la dynamique n'a pas été au rendez-vous. D'où notre contribution au débat sur le service public de la petite enfance et sur la meilleure manière de rectifier la situation dans les prochaines années.

Nous avons conscience des difficultés que rencontrent les collectivités locales et des problèmes actuels de démographie. Il faut faire évoluer un certain nombre de paramètres et de dispositifs pour que les choses s'améliorent. La question de la gouvernance du service public de la petite enfance fera, je vous l'indique, l'objet de l'article 10 du futur projet de loi pour le plein emploi.

Les aspects financiers de cette problématique et, donc, les objectifs en termes de nombre de places trouveront leur traduction dans la future convention d'objectifs et de gestion de la branche.

Vous l'avez dit, la Première ministre a récemment évoqué le sujet de la petite enfance : elle a d'ores et déjà annoncé que le secteur disposerait de 1,5 milliard d'euros supplémentaires dans le cadre de la prochaine COG. L'ambition est donc claire.

Notre souhait est de pouvoir jouer sur les deux leviers que sont la qualité, au sens large, et la quantité : le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a pointé un certain nombre de difficultés ponctuelles, mais il existe des problèmes de fond à régler, que sont le manque de professionnels dans les crèches, le manque d'attractivité des métiers et l'insuffisance des formations.

Cette situation suppose certainement qu'une réflexion soit menée sur l'évolution des rémunérations des professionnels du secteur. Elle suppose aussi de trouver des solutions concrètes pour les différentes structures, de financer et d'apporter un appui en matière d'ingénierie aux territoires et aux porteurs de projets, notamment dans les territoires les plus fragiles.

Vous savez sans doute que les collectivités locales devraient se voir reconnaître, par la loi qui est en cours de discussion, le rôle d'autorité organisatrice dans le secteur de la petite enfance et de l'information des familles : nous devons faire savoir aux élus locaux que la branche famille est là pour les accompagner, les conseiller et les financer plus durablement et efficacement qu'auparavant.

Je ne suis pas certain qu'il soit forcément pertinent de comparer les quelque 15 000 places de crèches nettes créées entre 2018 et 2022 et les 200 000 places évoquées par la Première ministre, qui ne sont pas, si j'ai bien compris, des places de crèche stricto sensu, mais des solutions d'accueil au sens large, par exemple, dans le cadre des maisons d'assistants maternels.

J'en profite pour rappeler que l'accueil individuel des enfants est un sujet crucial : la situation des assistantes maternelles est primordiale, notamment dans les territoires où cette solution reste la plus répandue : si nous ne favorisons pas le développement de cette offre individuelle et si nous n'encourageons pas la complémentarité entre les modes d'accueil individuel et collectif, nous courons à l'échec, d'où la nécessaire gouvernance du service public de la petite enfance que nous appelons de nos voeux.

Nous devons réfléchir de manière globale aux solutions les plus adaptées aux territoires, aux demandes des familles et à la réalité du terrain.

Les enquêtes récentes, notamment celle de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur les besoins des familles, montrent que leurs attentes excèdent les 200 000 nouvelles places d'accueil annoncées. Il faut donc actionner tous les leviers à notre disposition pour améliorer les choses.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je me permets de vous faire une suggestion : compte tenu des graves difficultés que cela pose dans les territoires ruraux, il conviendrait d'harmoniser les différents modes de prise en charge financière de l'accueil des enfants en micro-crèche. Beaucoup de communes et d'associations rurales sont confrontées à un hiatus. Si l'on ne parvient pas à résoudre le problème, on risque de décourager les maires des petites communes qui ne ménagent pourtant pas leurs efforts pour maintenir des services de proximité pour les familles.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Il est prévu une baisse d'environ 100 000 assistantes maternelles à l'horizon 2030. Il faut donc comprendre que l'essentiel des efforts fournis afin de créer 200 000 places pour la petite enfance concernera les crèches.

Permettez-moi de revenir un instant sur la question de la solidarité à la source, sujet du rapport que nous sommes en train d'élaborer au nom de la Mecss, René-Paul Savary et moi-même.

Monsieur le directeur général, vous avez évoqué la qualité des données entrantes du dispositif de ressources mensuelles. Or on estime qu'environ 2 % des déclarations sociales nominatives alimentant le DRM comportent des erreurs. Ce chiffre est-il, d'après vous, toujours d'actualité ?

Les représentants de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et de la direction de la sécurité sociale (DSS) ont déclaré, lors de leur audition, que la baisse du taux de non-recours aux prestations - qui varie entre 30 et 50 % selon les aides - entraînerait mécaniquement une hausse des dépenses sociales, mais que ce surcoût serait largement compensé par les économies attendues - et c'est tant mieux ! - à la suite de la réduction des indus et des rappels qui découlera de l'amélioration des dispositifs. Qu'en pensez-vous ?

Ils ont aussi affirmé que la Cnaf disposait d'une première évaluation des économies que pourrait engendrer le préremplissage des déclarations de ressources des demandeurs et allocataires du RSA et de la prime d'activité. Êtes-vous en mesure de nous fournir cette estimation chiffrée ?

M. Nicolas Grivel. - J'ai coutume de dire qu'il faut se montrer prudent sur le sujet, d'une part, parce que la réforme se fera progressivement, par étapes successives, et qu'elle vise moins à réaliser des économies qu'à simplifier et à améliorer le système de délivrance des prestations et, d'autre part, parce qu'il est très difficile d'en évaluer l'impact sur l'accès aux droits et le recours aux prestations, impact qui résulte directement des potentiels changements de comportement des demandeurs et allocataires des différentes prestations.

M. René-Paul Savary, président. - Vous ne nous avez pas donné de chiffres ! (Sourires.)

Mme Raymonde Poncet Monge. - Les expérimentations en cours devraient pourtant vous permettre de connaître assez rapidement la proportion réelle d'indus et de rappels et d'en tirer des enseignements. À combien évaluez-vous les économies réalisées ?

M. Nicolas Grivel. - J'ai trop de respect pour la représentation nationale pour vous livrer des chiffres contestables. L'expérimentation n'a pas pour but d'évaluer le montant des économies possibles, mais de mieux comprendre les pratiques, en définissant les points de vigilance à considérer, et en identifiant les éléments déclaratifs les plus risqués.

Potentiellement, ce dispositif peut contribuer à économiser plusieurs centaines de millions d'euros mais, encore une fois, dans une proportion que je ne connais pas précisément et que je me garderai bien de chiffrer en détail.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Et pour ce qui est du taux d'erreur de 2 % au niveau du DRM ?

M. Nicolas Grivel. - De notre point de vue d'utilisateur - et non de producteur - des données, c'est bien cet ordre de grandeur qui est, je le rappelle, très inférieur au taux d'erreur relevé au niveau du RSA ou de la prime d'activité. Ce taux de 2 % est donc élevé, mais il est à comparer aux pourcentages d'erreurs actuels... Le saut en termes de fiabilité semble déjà très important.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Monsieur Grivel, je vous remercie pour les réponses très concrètes que vous venez d'apporter.

Permettez-moi cependant une petite remarque : aujourd'hui, les standards téléphoniques de la Caf exaspèrent tout le monde et suscitent beaucoup de colère chez nos concitoyens qui, souvent, n'obtiennent pas la réponse qu'ils désiraient. Que faire pour améliorer la situation ?

Qu'envisagez-vous par ailleurs de faire pour aider les jeunes, les étudiants, les apprentis qui perçoivent des allocations logement, mais qui font parfois face à de réelles difficultés lorsque leurs propriétaires, pour la plupart privés, oublient ou tardent à envoyer à la Caf les quittances de loyers qu'ils ont pourtant acquittées ? Quand les propriétaires ne remplissent pas leurs obligations, ce sont ces jeunes qui sont privés d'aides au logement ! Pire, il faut bien trois à quatre mois pour que leurs droits soient rétablis. Or, sans APL, ils se retrouvent très souvent dans des situations financières dramatiques.

M. Nicolas Grivel. - Vous avez raison de soulever le problème de nos accueils téléphoniques. Nos résultats en la matière sont, d'une manière générale, insuffisants dans la période récente. Depuis la crise de la covid-19, nous faisons face à une hausse de 30 % des sollicitations téléphoniques, alors que nos effectifs n'ont évidemment pas progressé dans les mêmes proportions.

Nous avons concentré notre expertise sur les sujets les plus complexes et externalisé une partie des réponses téléphoniques les plus simples, notamment tout ce qui a trait à l'information de non-allocataires qui souhaiteraient obtenir des renseignements génériques.

En 2022, nos statistiques en termes de réponse téléphonique se sont améliorées, même si elles restent insuffisantes, puisque notre taux de réponse avoisine les 80 % et non les 90 % comme nous le souhaiterions.

Pour améliorer la réponse téléphonique en tant que telle, nous avons décidé de nous doter d'un outil de meilleure qualité, qui nous permettra de fluidifier les flux d'appels, de mieux adapter les réponses à la typologie des questions posées et de faire en sorte que les demandes les plus complexes soient traitées par les personnes les plus expérimentées.

Pour que le nombre d'appels diminue, il faut en parallèle que les personnes obtiennent une réponse du premier coup. Il nous faut également être proactifs et prévenir les difficultés des allocataires : plutôt que d'attendre que les gens nous appellent, il nous faut les contacter, pour les alerter par exemple d'un futur changement de situation ou de la possible interruption de leurs droits.

S'agissant des APL, la période de déclaration des loyers est circonscrite au seul mois de juillet, mais les Caf attendent généralement le mois de janvier suivant pour interrompre les droits des allocataires si, à ce moment-là, aucun justificatif ne leur a été fourni.

Nous devons intensifier nos contacts avec les propriétaires, en sachant que ceux-ci ont de toute façon intérêt à nous transmettre des documents, qui servent à verser des aides à leurs locataires.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Le projet de loi pour le plein emploi prévoit qu'en cas de retour sur le droit chemin, si je puis dire, d'un allocataire auquel on aurait suspendu le versement du RSA, cette prestation lui sera versée de façon rétroactive.

Je me pose donc une question purement technique : le futur système de « solidarité à la source », qui suppose une forme d'automaticité, sera-t-il en mesure de tenir compte de cette « complexité » ?

M. Nicolas Grivel. - Le dispositif est encore en cours d'expertise, d'autant que les détails techniques ne sont pas encore tout à fait connus. Votre question sur la faisabilité de cette mesure est donc légitime, mais je ne suis pas encore en mesure d'y apporter une réponse.

M. René-Paul Savary, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

B. AUDITION DE M. ÉRIC BASEILHAC, DIRECTEUR ACCÈS, ÉCONOMIE ET EXPORT DU LEEM, SUR LA CLAUSE DE SAUVEGARDE DES MÉDICAMENTS (MARDI 20 JUIN 2023)

M. René-Paul Savary, président. - Dans le cadre des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), nous recevons M. Éric Baseilhac, directeur Accès, Économie et Export des Entreprises du médicament (le Leem), afin d'aborder la clause de sauvegarde des médicaments, avant d'auditionner la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss). La Mecss mène en effet des auditions en parallèle de la commission des affaires sociales, en vue du prochain examen du Placss.

Introduite par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 1999, la clause de sauvegarde des médicaments constitue historiquement un mécanisme de régulation de dernier ressort, destiné à inciter les entreprises pharmaceutiques à maintenir le volume de leur chiffre d'affaires en deçà d'un seuil permettant le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Quand le chiffre d'affaires global du secteur dépasse un certain seuil, ces entreprises doivent payer une taxe, répartie en fonction de leur chiffre d'affaires.

À l'exception de l'année 2020, le dispositif a systématiquement été déclenché de 2015 à 2022, avec un rendement en forte hausse. Alors que le prélèvement de la clause de sauvegarde est toujours resté, entre 2015 et 2020, inférieur à 250 millions d'euros, il a dépassé en 2021 les 750 millions et est estimé par le Placss à 1,1 milliard en 2022.

Cette évolution de la clause de sauvegarde constitue un fait saillant de l'exécution 2022, au sujet duquel nous avons souhaité vous entendre.

Je vous invite, dans un premier temps, à nous présenter la manière dont le Leem, en tant qu'organisme représentant des entreprises pharmaceutiques, perçoit la clause de sauvegarde.

M. Éric Baseilhac, directeur Accès, Économie et Export du Leem. - Derrière son apparente dimension technique, la clause de sauvegarde est en réalité révélatrice de choix très politiques.

Je souhaitais avant tout revenir de manière globale sur les enjeux de la régulation économique du médicament. Le Leem a été auditionné à trois reprises par la mission consacrée à la régulation et au financement du médicament lancée par la Première ministre, ce qui nous a donné l'opportunité de replacer cette question dans une perspective historique. Je tenais à vous livrer les conclusions de l'analyse de cette régulation au cours de la dernière décennie, que nous avons exposée devant la mission.

Il faut considérer deux temps distincts. D'abord, la décennie 2010-2019 a été marquée par une croissance tendancielle du marché des médicaments, à hauteur de 3 à 4 % : ainsi, si aucune mesure de régulation n'avait été appliquée, la dépense naturelle de médicaments aurait suivi ce taux de croissance pendant cette période. Or, le régulateur a souhaité, à travers divers projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), maintenir un niveau de régulation très important sur le médicament. En effet, le chiffre d'affaires net du médicament - auquel sont soustraites les remises et les clauses de sauvegarde - n'a quasiment pas évolué entre 2010 et 2019. Ce prix fabricant hors taxe doit être distingué du prix du médicament remboursé - il est généralement celui auquel fait référence l'assurance maladie -, auquel sont ajoutés les coûts de distribution et de dispensation ainsi que le taux de remboursement.

Durant dix ans, cette régulation drastique s'est exercée par des leviers classiques votés chaque année dans le PLFSS, tels que des baisses de prix, des niveaux de remise, la maîtrise médicalisée et la clause de sauvegarde. Ainsi, cette hyperrégulation, comme nous la qualifions nous-mêmes, a conduit progressivement à une décapitalisation du budget du médicament durant dix ans. Le témoin de ce phénomène est facilement objectivable : la part représentée par le chiffre d'affaires net du médicament par rapport à l'Ondam s'élevait à 12 % en 2010, contre moins de 9 % en 2023.

Cette hyperrégulation est paradoxale : durant dix ans, la démographie a largement augmenté, la population française a vieilli et beaucoup de maladies se sont chronicisées. Les coûts de traitement, par conséquent, ont évolué. Surtout, trois chocs d'innovation ont produit un effet de vague sur la croissance budgétaire : l'arrivée de nouveaux traitements de l'hépatite C en 2014, des immunothérapies anticancéreuses, qui jouent encore un rôle important dans le budget du médicament, en 2016, et enfin des thérapies géniques et cellulaires en 2018.

Ainsi, jusqu'en 2019, la régulation très forte a maintenu le chiffre d'affaires net du médicament à un niveau de croissance étale pendant dix ans.

L'année 2020 a été fortement perturbée par les effets d'inflation et de déflation liés à la sous-consommation médicamenteuse, puis au rattrapage, durant la covid.

En revanche, l'année 2021 a marqué une césure dans l'équation budgétaire. Nous constatons depuis 2021 une croissance tendancielle du chiffre d'affaires du médicament - pris en charge par l'assurance maladie, en ville ou à l'hôpital : alors qu'elle s'élevait à environ 3 % dans la décennie précédente, elle atteint désormais, de manière continue, 9 à 10 %. L'examen précis de la structure de cette croissance tendancielle révèle le rôle majeur joué par l'innovation, ainsi que par un second facteur : l'effet épidémiologique, un nombre croissant de maladies traitées tendant à devenir des pathologies chroniques. En y ajoutant l'effet populationnel, tous les ingrédients d'une croissance très soutenue, et appelée à se poursuivre, sont réunis.

Or, qu'est-il advenu de la régulation budgétaire ? Le « montant M » du PLFSS - il désigne le chiffre d'affaires net régulé au-delà duquel le législateur estime qu'une clause de sauvegarde doit être appliquée pour le ramener au plus proche des prévisions - n'a quasiment pas progressé. Le « montant M » de 2023 s'élève ainsi à 24,6 milliards d'euros, contre 24,5 milliards d'euros en 2022, soit une croissance de 0,4 %.

Le fossé grandissant qui sépare les courbes du marché et du budget régulé engendre des conséquences de plusieurs ordres.

D'abord, tous les leviers de la régulation, qui sont destinés à ramener le marché au plus proche du budget, sont à leur paroxysme. Premièrement, les montants de baisses de prix repartent à la hausse. Au sortir de la crise covid, le Président de la République s'était rendu compte de leur impact délétère sur les médicaments matures et des délocalisations qui s'étaient ensuivies, remettant en cause la souveraineté pharmaceutique de la France. Il avait donc allégé - mais pour une année seulement - le montant des baisses de prix à 640 millions d'euros, alors qu'elles avaient atteint jusqu'à 900 millions d'euros. En 2022, les baisses de prix sont reparties à la hausse pour s'élever à 825 millions d'euros. Je ne peux pas vous donner de précisions sur l'année 2023 : l'annexe 7 du PLFSS, devenue annexe 5, ne faisant plus état du moindre chiffre sur le médicament, nous naviguons à l'aveugle. Cependant, nos contacts réguliers avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) nous conduisent à penser que le montant sera similaire à celui de 2022.

Ensuite, le niveau des remises - elles sont conjointement négociées pour les nouveaux médicaments - a augmenté de manière exponentielle : alors qu'au début des années 2010, elles s'élevaient à 400 millions d'euros environ, elles ont atteint 5 milliards en 2021, 6 milliards en 2022, et seront probablement de l'ordre de 7 milliards en 2023.

Par ailleurs, la maîtrise médicalisée n'a pas beaucoup évolué : elle reste aux alentours de 400 millions d'euros.

Enfin, la clause de sauvegarde a mécaniquement explosé. Alors qu'elle avait atteint, au maximum, 200 millions d'euros dans les années antérieures, elle représentait 1,1 milliard en 2022. Selon nos prévisions, elle sera égale à 2,3 milliards en 2023, et pourrait approcher des 4 milliards en 2024.

Cette déconnexion entre la régulation budgétaire et le marché pose question quant à l'adaptation du budget voté par le Parlement aux besoins. En effet, le marché pharmaceutique ne procède pas d'une volonté spontanée des patients de se procurer des médicaments - ils sont, de toute manière, délivrés sur ordonnance -, mais bien d'un besoin. Ce dernier est donc corrélé au chiffre d'affaires tendanciel du marché.

Ainsi, le budget n'est plus du tout adapté aux besoins, que le Président de la République a pourtant clairement redéfinis : accueillir l'innovation, qui devrait être foisonnante dans les années à venir ; maintenir la possibilité pour les Français d'accéder à des produits matures, qui ne coûtent pas cher, mais qui sont souvent essentiels, comme les curares ; relocaliser la production de certains médicaments manquants indispensables ; et, enfin, demeurer attractifs pour les nouvelles thérapies afin qu'elles soient fabriquées sur le sol français plutôt qu'à l'étranger.

La clause de sauvegarde n'est que la résultante mécanique de deux phénomènes : la croissance très dynamique du marché, poussée par l'innovation, et l'atonie du budget régulé, qui, de notre point de vue, est largement sous-capitalisé, du fait des années antérieures. Ainsi, le paradoxe est terrible : le budget du médicament représentait 12 % de l'Ondam en 2010, contre 9 % seulement en 2023. Cet écart entre évolution tendancielle du marché et budget régulé explique l'envolée exponentielle de la clause de sauvegarde.

Le second grave phénomène qui consacre cette déconnexion est que l'un des articles du PLFSS, par son manque de clarté, peut induire en erreur. En effet, les modalités de calcul du « montant M », depuis 2015, consistaient chaque année - selon un choix politique formulé à plusieurs reprises par les ministres ou les Présidents de la République successifs dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé (Csis) - à se fonder sur la croissance du chiffre d'affaires réalisé l'année précédente minoré du montant de la clause de sauvegarde sur la même période. Cette modalité de calcul utilisée par la direction de la sécurité sociale (DSS) nous paraissait saine : elle intégrait l'impératif de régulation sans ignorer la croissance spontanée des dépenses, qui correspond à celle des besoins. La clause de sauvegarde récupère en moyenne 70 % de l'excédent du « montant M ». En minorant le chiffre d'affaires réalisé l'année précédente du montant de la clause de sauvegarde, on intègre 30 % de la dynamique du marché au seuil de régulation pour l'année suivante. C'est précisément ce qui empêche cet écartement inexorable, qui, un jour, nous fera nous retourner en constatant le fossé qui sépare le budget des besoins - mais en réalité, nous y sommes déjà.

Cette modalité de calcul est donc absolument essentielle. Or, dans le PLFSS 2023 - et cela est passé à l'insu de tous les parlementaires - le « montant M » a été fixé sur la base du M de l'année précédente, avec un taux de croissance de 0,4 %. Dans cet article d'application, la DSS essaie de vous faire écrire qu'exceptionnellement, en 2022, la règle pour fixer le « montant M » avait été établie sur la base du chiffre d'affaires réalisé en 2021 minoré de la clause de sauvegarde appliquée en 2021 ; en effet, c'est ce qu'avait écrit Thomas Mesnier à la page 155 du rapport de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. La DSS prétend que cette modalité était exceptionnelle. Or, c'était la règle historique qui prévalait, et l'exception s'est introduite l'année dernière. Nous la combattons très fortement, car nous pensons qu'elle est délétère. Si nous ne raccrochons pas un minimum le budget régulé à la réalité constatée du marché, nous nous livrons à un exercice totalement schizophrénique, qu'il serait très coûteux de corriger.

Nous avons donc émis plusieurs recommandations à la mission. Concernant la clause de sauvegarde, nous proposons, pour couper court à ce débat - il a d'ailleurs souvent lieu par dépêches APM interposées entre la DSS et le secteur -, que la règle de calcul du « montant M » soit gravée dans le marbre de la loi, de façon à donner davantage de visibilité aux entreprises.

En outre, il faut d'urgence rétablir la clause de sauvegarde dans son principe initial. La vocation originelle de cette clause est de servir de corde de rappel budgétaire. Au fond, la clause de sauvegarde a été très utile et compréhensible dès lors qu'elle ne s'appliquait qu'en cas d'erreurs de prévisions, procédant d'une mauvaise estimation du chiffre d'affaires ou des économies. Elle permettait alors de récupérer 70 % de l'excédent de dépenses constaté. Or, en 2021, son montant a atteint plus de 700 millions d'euros : c'est un problème. Il aurait pu s'agir d'une très grave erreur de prévision ; mais c'est impossible, puisqu'en 2022, le montant s'élève à 1,1 milliard d'euros !

En réalité, la clause de sauvegarde a changé de nature pour devenir une taxe préconçue sur la croissance. La meilleure preuve, c'est que dans le PLFSS 2022 a été introduit pour la première fois un montant prévisionnel de clause de sauvegarde, à hauteur de 125 millions d'euros. D'abord, il est incongru de fixer ab initio d'un budget une clause de sauvegarde censée servir de corde de rappel budgétaire, constatée, par définition, a posteriori ; cela revient à avouer que le budget n'était pas à l'équilibre. Ensuite, le montant exécuté nous a particulièrement étonnés : les comptes de la sécurité sociale affichent 1,1 milliard d'euros. Certes, on pourrait penser que les 125 millions d'euros étaient une simple provision - mais à nouveau, il est surprenant de préempter une provision sur un dépassement budgétaire avant même d'avoir clôturé les comptes.

Nous avons donc recommandé à la mission de restaurer la clause de sauvegarde dans sa fonction originelle en la bridant. Si elle apparaît technique, cette mesure est en réalité très simple, et serait la clé de voûte d'une restauration de la construction budgétaire sincère. En effet, en décrétant que le montant de la clause de sauvegarde ne peut excéder 2 % du « montant M » - soit 500 millions d'euros -, vous obligeriez le régulateur à la sincérité de la prévision du tendanciel. Alors que cette dernière sert de variable d'ajustement, vous n'avez aucune transparence sur les chiffres ni sur le montant des économies. Cette mesure, assez simple, permettrait une restauration de la fonction originelle de la clause de sauvegarde. Bien entendu, nous aurions bien du mal à passer d'une clause de sauvegarde de 2,4 milliards d'euros - comme nous l'anticipons pour 2023 - à 500 millions d'euros, par exemple, dès 2024 ; mais il faut imposer une trajectoire de décroissance de cette clause et rétablir la sincérité des comptes.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Le rendement de la clause de sauvegarde ces dernières années se révèle très éloigné des prévisions qui figuraient dans les études d'impact. Dans chaque PLFSS, nous devons étudier les sujets qui appellent à une forme de rigueur budgétaire, afin de nous rapprocher au mieux des prévisions. Il apparaît ainsi que, pour 2021, le produit de la clause de sauvegarde s'établit à 680 millions d'euros, alors que dans son étude d'impact, le Gouvernement n'anticipait pas le déclenchement du dispositif. De même, en 2022, le produit s'établirait à plus de 1 milliard d'euros contre 125 millions d'euros prévus.

Ce fort décalage entre prévision et exécution peut donner l'impression d'une sous-évaluation volontaire. Les évaluations inscrites en LFSS vous semblaient-elles réalistes ? Avez-vous été surpris par le montant final de la clause de sauvegarde de 2021 et de 2022 ? Comment le Gouvernement pourrait-il, selon vous, fiabiliser et étayer davantage ses prévisions dans les prochains PLFSS ?

Comment pourrions-nous disposer d'une meilleure prévisibilité pour établir un PLFSS ? Il semblerait que nous naviguions à vue, au point que le bateau ne se dirige vraiment pas dans la bonne direction !

Quelles sont selon vous les évolutions souhaitables ? Pourrait-on, par exemple, se contenter de maintenir la clause de sauvegarde, mais avec des prévisions réalistes, pour que les entreprises puissent estimer le montant de l'imposition ? Faut-il supprimer la clause de sauvegarde - une piste que vous n'avez pas évoquée - et recourir davantage, à due concurrence, à d'autres outils de régulation ? Le cas échéant, lesquels ?

Le dynamisme des dépenses de produits de santé, très important ces dernières années, pourrait-il vraiment être maîtrisé sans clause de sauvegarde, et de quelle manière ?

M. Éric Baseilhac. - Je vous remercie de me donner l'occasion de revenir sur la discordance majeure entre les montants de clause de sauvegarde estimés par le régulateur et la DSS et la réalité constatée ces dernières années. L'année 2021 nous a fait l'effet d'un véritable choc ; le montant de 740 millions d'euros était-il prévisible ? Je l'ignore ; mais le Leem, de son côté, l'avait prévu. Dès le début de la LFSS 2022, nous l'avions chiffré à 800 millions d'euros. Certes, nous l'avions légèrement surestimée ; mais la marge d'erreur était moindre que celle de la DSS, qui affichait une prévision de 400 millions. Elle s'est d'ailleurs rendue coupable en maintenant cette prévision jusqu'au mois de décembre 2022. C'est assez grave, d'abord parce que cela pose un problème de sincérité, mais aussi vis-à-vis des entreprises : les commissaires aux comptes des entreprises établissent leurs provisions à partir des prévisions de la DSS. Ainsi, la grande majorité des entreprises a provisionné la clause de sauvegarde pour 2021 sur la base de 800 millions d'euros. Vous pouvez facilement imaginer les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises qui doivent trouver 400 millions d'euros de correctifs dans leurs provisions
- sans même évoquer le regard que portent les corporates (les instances dirigeantes internationales) - sur cette incapacité à prévoir un montant qui devrait être mécaniquement déduit, si les comptes étaient sincères. L'année 2021 était de ce point de vue caricaturale ; et en 2022, la situation n'est plus tenable.

Vous m'interrogez sur la manière dont la représentation nationale pourrait mieux prévoir le montant de la clause de la sauvegarde. Une plus grande transparence des chiffres le permettrait. Le Csis, qui se réunit tous les deux à trois ans, sous l'égide du Premier ministre ou du Président de la République, comme lors des deux précédents, vise à établir une forme de contrat de mandature, afin de profiler la croissance du secteur et les mesures qui favoriseraient son attractivité. À chaque Csis, nous réclamons une plus grande transparence sur les chiffres de construction du budget du médicament au sein du PLFSS. Une réponse toujours favorable nous est adressée - comment dire autre chose ? Pourtant, nous constatons une aggravation de l'opacité. Le comble a été franchi l'année dernière : pas une seule ligne sur le moindre chiffre lié au médicament ne permettait de préciser des informations aussi simples que le montant détaillé des économies. Le tendanciel de chiffre d'affaires, qui est la clé de voûte de la construction budgétaire du médicament, n'est affiché nulle part.

En disposant, comme nous, de ce tendanciel, du montant des économies prévues par la DSS et du « montant M », vous calculeriez facilement le montant attendu de la clause de sauvegarde. Il suffit de demander que les informations figurant dans l'ancienne annexe 7 aux PLFSS (devenue annexe 5) soient rétablies comme c'était le cas il y a quelques années. Les hypothèses de calcul, qui n'y ont jamais figuré, mériteraient aussi d'y être intégrées. En effet, elles sont devenues les variables d'ajustement budgétaire du médicament. De ce point de vue, les récentes déclarations du Président de la République selon lesquelles il ne veut plus que le médicament soit une variable d'ajustement budgétaire ont bien été entendues par le secteur.

La prévision par les entreprises elles-mêmes de leur propre clause de sauvegarde, en revanche, est une autre question, qui est tout aussi pertinente, puisqu'elle dépend d'une clé de répartition.

M. René-Paul Savary, président. - Qui l'applique ?

M. Éric Baseilhac. - C'est la loi qui la fixe à 70 % au prorata de la part de marché en valeur, et à 30 % au prorata de la part de croissance. Ensuite, chaque laboratoire calcule de manière prévisionnelle la part qui lui revient.

M. René-Paul Savary, président. - Vous ne remettez donc pas en cause cette règle.

M. Éric Baseilhac. - Nous avions le sentiment que la clé de répartition devait être révisée, et que le Gouvernement se montrerait proactif, car il important d'éviter de reproduire le modèle précédent, qui procédait à une simple répartition au regard des parts de marché, pour introduire la notion de croissance. Aussi lui avons-nous demandé de nous laisser la primauté d'une décision consensuelle au niveau du secteur. Nous avons joué le jeu, et nous avons réussi à dégager une telle position.

M. René-Paul Savary, président. - Au travers de cette clé de répartition, vous protégez donc les vieilles molécules.

M. Éric Baseilhac. - Non. En introduisant ce pourcentage de croissance, nous savions que les petites entreprises en croissance
- les start-up - seraient fortement affectées, alors qu'elles représentent le modèle que nous souhaiterions promouvoir, de même que les plus grosses entreprises en croissance. Nous avons étudié tous les scénarii : au-delà de 30 %, la clé de répartition devenait particulièrement critique pour ces start-up. Il faut donc faire preuve de prudence. Il n'existe pas de clé de répartition idéale ; celle-ci a fait consensus au sein du secteur, ce qui est rare sur un sujet aussi sensible. De grâce, n'y touchons plus.

Les difficultés à calculer pour chaque entreprise la clause de sauvegarde sont en tout cas réelles. Nous avons progressé en mettant au point, par l'intermédiaire d'un tiers de confiance, un système permettant à chaque entreprise de déclarer le montant attendu de remise, sous anonymat, afin de reconstituer un outil de prévisibilité individuelle.

S'agissant de la prévisibilité, vous serez sans doute étonnés d'apprendre que les commissaires aux comptes - et plus particulièrement dans les petites entreprises - sont particulièrement favorables à l'autre instrument qu'est le plafonnement. En effet, la clause de sauvegarde ne peut pas dépasser 10 % du chiffre d'affaires de chaque entreprise. Jusqu'au dernier PLFSS, ce plafond concernait le chiffre d'affaires brut ; l'année dernière, nous avons proposé au Gouvernement un amendement, qui a été voté, pour que le plafond porte sur le chiffre d'affaires net. Cependant, cette mesure, qui a changé considérablement la donne, n'a été votée que pour un an. Ainsi, dans le cadre du prochain PLFSS, nous proposerons de la prolonger indéfiniment. C'est à la fois un instrument de sécurité, bien qu'il n'empêche pas un certain nombre d'entreprises de souffrir de l'inflation de la clause de sauvegarde, et de prévisibilité en permettant aux commissaires aux comptes d'estimer la provision maximum.

Vous m'avez interrogé sur une éventuelle suppression de la clause de sauvegarde au profit d'autres outils pour garantir une plus grande maîtrise du dynamisme des dépenses de produits de santé. Au fond, si nous schématisons ces modèles à l'extrême, nous avons le choix entre deux systèmes. Le premier, qui chercherait à réguler par le budget, est celui de la clause de sauvegarde : chaque année, il convient de voter un budget du médicament, et de récupérer 70 % de l'excédent auprès des entreprises. Dans un tel modèle, il n'y a plus même besoin de procéder à des baisses de prix. Nous avons éprouvé, par l'inflation de la clause de sauvegarde, les conséquences d'une orientation très forte de ce système : elles sont terribles, car un tel modèle empêche toute nuance dans la régulation. Or, les problématiques des entreprises pharmaceutiques sont très variables. Deux tiers des entreprises adhérentes au Leem sont des PME - contrairement à ce que l'on croit souvent, il ne s'agit pas seulement des « Big Pharma ».

De plus, la discussion de cette modulation, qui se fait actuellement produit par produit, et qui permet de prendre en compte des phénomènes industriels, de santé publique ou de relocation, ne serait plus possible dans une régulation à la hache. Or, en atteignant des montants de clause de sauvegarde tels que ceux dont nous nous approchons, nous risquons de tomber dans ce système.

À l'inverse, la suppression de la clause de sauvegarde conduirait à pousser les leviers de la régulation à leur maximum. Si nous voulions rétablir la clause de sauvegarde dans son épure initiale, en instaurant un plafond à 500 millions, par exemple, il nous faudrait augmenter le montant des baisses de prix de manière considérable. C'est donc un levier très sensible pour la viabilité économique de nombreux médicaments, notamment des produits matures.

Pour sa part, le Leem est favorable à la restauration de la clause de sauvegarde dans sa mission originelle, c'est-à-dire un système mixte, qui en fasse une réelle corde de rappel budgétaire. Ce que dénotent ces postures externes, surtout, c'est que nous faisons face à une sous-capitalisation du budget du médicament. Ce dernier souffre en réalité du syndrome de la cocotte-minute, comme l'hôpital l'a vécu : les besoins croissants ne pourront être indéfiniment contenus. Le problème est celui de la réadaptation budgétaire : les 24,6 milliards d'euros votés sont insuffisants au regard des besoins.

Que faudrait-il faire pour adapter ce budget ? Si le budget du médicament était resté équivalent à 12 % du montant de l'Ondam, nous disposerions aujourd'hui de 6 milliards supplémentaires. Il faut donc se demander comment rétablir cette adéquation. Nous avons soumis plusieurs pistes de recommandations à la mission. D'abord, il faut envisager la question sous l'angle des poches externes de croissance. Il pourrait aussi être utile d'engager une réflexion autour des médicaments de prescription médicale facultative. Sans parler de déremboursement - je sais combien le sujet est sensible -, il faut noter que la France affiche un taux de prescription médicale facultative très faible par rapport à ses voisins. Cependant, nous pourrions optimiser encore la liste des produits concernés.

M. René-Paul Savary, président. - Vous seriez donc favorables à ce que la clause ne s'applique pas aux médicaments qui ne sont pas remboursés ?

M. Éric Baseilhac. - L'idée serait plutôt de faire passer certains médicaments du statut de systématiquement remboursés à un remboursement facultatif, à condition d'avoir de véritables parcours de soins, avec des algorithmes décisionnels pour les pharmaciens.

Nous avons également mené une réflexion, appuyée par des experts de la Toulouse School of Economics, sur la possibilité de considérer certaines dépenses de médicaments comme des investissements. En effet, si certains médicaments ont un impact sociétal important - c'était par exemple le cas du vaccin contre la covid -, ils pourraient être financés en dehors du budget de la sécurité sociale, sur plusieurs années, en intégrant une notion de retour sur investissement. Cela pourrait être le cas du prochain traitement curatif de la maladie d'Alzheimer ; de même, les nouveaux médicaments qui permettront d'éradiquer l'hépatite C auraient pu être considérés sous cet angle. Il faudrait définir les critères précis et créer un fonds d'investissement pour financer certains médicaments innovants à très fort impact sociétal, grâce à des fonds issus de plusieurs sources, notamment de l'État, et éventuellement d'investisseurs privés.

Mme Laurence Cohen. - Je suis rapporteure d'une commission d'enquête sur la pénurie de médicaments. Nous avons mené de nombreuses auditions sur la clause de sauvegarde, afin de revoir ce dispositif. Plusieurs paramètres sont absents de vos explications. Vous affirmez - sans le démontrer - qu'il existe une différence entre les petites et moyennes entreprises (PME), qui font face à de vraies difficultés, et les « Big Pharma », dont chacun a en tête la liste. Les bénéfices annuels des entreprises pharmaceutiques sont évalués à 34 milliards de dollars avant impôts, soit 1 000 dollars par seconde ou encore 93,5 millions de dollars par jour, selon des chiffres datant du 14 mars 2022. Si la clause de sauvegarde est exponentielle, les profits des grandes entreprises le sont aussi. La forte majoration de son montant, par conséquent, est peu surprenante, puis qu'il dépend des bénéfices réalisés par les entreprises.

Par ailleurs, vous demandez beaucoup à l'État ; mais le médicament est-il un bien de consommation comme un autre, qui dépend du marché, ou un bien universel, qui appelle à le considérer autrement ? Or, si l'on réfléchit différemment, il faut aussi envisager que l'État fournit déjà de nombreuses aides au secteur, bien que nous ne les ayons pas évoquées.

Vous mentionnez à la fois les médicaments matures et innovants. Or, les prix de ces derniers sont parfois indécents. Pourriez-vous nous indiquer la proportion de médicaments matures produits par les laboratoires hors PME ? En effet, on a le sentiment que la politique du médicament privilégie fortement les produits innovants, au détriment de médicaments anciens qui sont pourtant indispensables.

Enfin, vous évoquez l'opacité sur les prix. Nous sommes en effet nombreux à réclamer davantage de transparence ; mais à chaque fois, on nous oppose le secret des affaires, au nom duquel le montant des remises ne peut être rendu public, au risque de brouiller les règles du jeu. Par ailleurs, qu'en est-il, à ce titre, à l'étranger ?

M. Éric Baseilhac. - Les deux tiers des adhérents du Leem, qui représente 99 % du secteur exerçant en France, sont en effet des PME. La clause de sauvegarde joue le rôle d'un rouleau compresseur, chargé de faire passer une croissance tendancielle du marché, évoluant ces dernières années à 9 ou 10 %, à une épure de l'ordre de 2 à 3 %. C'est cette pression de régulation qui est particulièrement douloureuse, et ce d'autant plus pour les petites entreprises, pour lesquelles elle se traduit par une disparition de leurs marges. Certaines start-up sont ainsi arrêtées en plein démarrage ; de petites entreprises de produits matures - et pourtant, comme vous le soulignez, essentiels - peuvent également être mises à l'arrêt ou poussées à la délocalisation lorsque les marges sont trop réduites. Les « Big Pharma », quant à elles, bénéficient d'une richesse de portefeuille et d'une dimension internationale qui leur permettent de compenser ces effets. Pourtant, la France n'est plus un pays contributeur à ces bénéfices : ainsi, la pression de la régulation engendre une perte de compétitivité et d'attractivité.

Nous avons sans doute insuffisamment expliqué l'hétérogénéité du tissu pharmaceutique. Ainsi, les conséquences devraient être examinées de manière plus nuancée. Si elles sont, dans tous les cas, délétères, c'est sous l'effet de différents mécanismes.

À titre personnel, j'adhère à l'idée selon laquelle le médicament est un bien universel, tout comme la santé, inscrite dans la déclaration de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1948 comme un Droit de l'Homme. Aujourd'hui, le médicament est sans doute l'objet qui contribue le plus à l'amélioration de la santé. Comment, dès lors, ne pas inférer qu'il est aussi un Droit de l'Homme ? Cela nous oblige en matière d'universalité d'accès : j'y vois l'un des leviers d'action de l'industrie pharmaceutique dans les années à venir.

Toutefois, pour être un bien universel, le médicament doit d'abord exister sur un marché, et être produit, de préférence localement, afin de répondre aux enjeux de souveraineté pharmaceutique - en France, ou en Europe, qui est l'échelle géopolitique la plus pertinente en la matière. Notre souci est donc le suivant : la régulation économique doit permettre au bien universel qu'est le médicament d'être produit.

Par ailleurs, comment parler du budget du médicament sans évoquer le sujet des prix ? Vous avez raison. D'abord, les budgets que j'ai évoqués sont nets : ils n'intègrent pas les remises. Vous mentionnez, de votre côté, des prix faciaux, qui véhiculent des messages politiques à l'opinion publique, qui sont souvent exploités. Le montant des remises, certes, est confidentiel ; cependant, sur des médicaments très innovants, il n'est pas rare qu'il soit de l'ordre de 50 %. Ainsi, les raisonnements budgétaires que j'ai tenus sont indépendants des niveaux de prix que vous citiez.

Vous avez abordé la question de la transparence sur les prix. Vous connaissez bien la situation en matière de transparence sur les prix ; ce n'est malheureusement pas le cas de l'opinion publique. Nous avons beaucoup fait pour faire progresser la cause de la transparence sur les prix, dans la mesure du respect juridique du secret des affaires. Le rapport d'activité annuel du CEPS présente les montants agrégés de remises versées par le secteur - à hauteur d'environ 5 milliards d'euros pour l'année 2021 - ainsi que la répartition des remises par classe thérapeutique. Par ailleurs, les remises sont payées par 3 % des avenants de prix signés : elles reposent sur un nombre réduit d'industriels, qui sont en effet ceux qui apportent les médicaments les plus innovants. Ces chiffres permettent d'établir une estimation assez proche de la réalité, sans déroger au secret des affaires.

En remettant en cause le secret des affaires - et, par conséquent, la capacité à négocier confidentiellement des remises -, nous nous condamnerions à subir la même fin que le conte d'Andersen : le roi serait nu, mais pour un temps seulement, car des remises se reconstitueraient. Pourquoi ? Les remises sont un levier mécanique inhérent à chaque négociation. Certaines sont liées au fait qu'un même médicament est indiqué dans plusieurs maladies. C'est notamment le cas en cancérologie. Or, la boîte est vendue au même prix : il faut donc procéder par remises pour mettre en adéquation la valeur réelle du médicament avec les niveaux d'amélioration du service médical rendu (ASMR) pour chacune de ces indications. D'autres remises ont un sens de santé publique : lorsqu'il s'agit d'une indication très délicate, pour laquelle le CEPS, et la direction générale de la santé (DGS) en son sein, sont soucieux de ne pas voir l'industrie pharmaceutique encourager des prescriptions qui dépasseraient la population cible pour laquelle le produit est prévu. Dans ce cas, des remises de plafonnement imposent au laboratoire de reverser 80 % de son chiffre d'affaires à partir d'un certain seuil.

L'accord-cadre entre le CEPS et le Leem décrit ainsi toute la taxonomie des remises : la lecture du mécanisme est donc assez transparente.

Enfin, il faut bien noter que le prix facial que vous dénoncez n'est rien d'autre qu'un signal de prix lancé à l'international. La réalité du prix budgétaire d'un médicament est toute autre : sans ces remises, il n'y aurait plus d'accès à ces médicaments innovants, car l'ensemble des prix internationaux seraient dérégulés. En effet, les prix des médicaments en France servent de référentiels à une cinquantaine de pays. Ce prix facial garantit ainsi une cohérence dans la régulation des prix internationaux, tandis que le prix net seul correspond à la réalité de l'impact budgétaire du médicament.

M. René-Paul Savary, président. - Les pays étrangers paient quand même un peu mieux : c'est d'ailleurs ce qui explique la pénurie en France.

M. Éric Baseilhac. - Nous ne prétendons pas que les facteurs économiques soient à l'origine de la pénurie : ils le sont très marginalement dans le sujet des exportations parallèles ; mais comme l'a récemment démontré une étude suédoise, les prix plus bas en France aggravent la situation, une fois les pénuries constituées en raison d'une inadéquation entre l'offre et la demande. En effet, lorsque les capacités de production se remettent en phase avec la demande, l'offre se dirige d'abord vers les pays qui garantissent la meilleure viabilité économique. C'est pour cette raison que dans le cas de la pénurie d'amoxicilline, l'Allemagne a immédiatement proposé un bonus pour le prix des sirops pédiatriques, alors même que les prix étaient identiques en Europe.

Mme Laurence Cohen. - Pouvez-vous nous indiquer la part accordée aux médicaments anciens par rapport aux médicaments innovants ? Le Zolgensma est vendu à plus de 1,9 million d'euros l'unité : c'est indécent. On peut bien sûr avoir une réflexion collective avec l'ensemble des autorités concernées pour évaluer le service rendu : mais au fond, cela revient à mesurer la valeur d'une vie.

M. Éric Baseilhac. - La fixation du prix des thérapies géniques est complexe, car ces traitements correspondent à un modèle très spécifique. En effet, ces molécules ou ces thérapies sont administrées en une seule fois et sont efficaces à vie, puisqu'elles promettent la guérison. Quel est le prix d'un tel médicament ? Si vous me permettez cette comparaison triviale, cela revient à comparer le prix d'un loyer à celui de l'achat d'une maison.

Par ailleurs, ce modèle économique est également complexe pour l'entreprise elle-même : pour les maladies géniques, comme l'hémophilie, la prévalence de patients à traiter passera de 2 000 patients à une vingtaine chaque année. Comment, dès lors, l'entreprise peut-elle rentabiliser son modèle ?

Enfin, il faut aussi considérer la difficulté que représente le prix du ticket d'entrée industriel pour les thérapies géniques. Ce modèle consiste à bâtir un seul centre mondial de production, qui est nécessairement construit à partir de rien - on ne peut se contenter de reconvertir une usine, au regard de la complexité des incubateurs. Je suis assez optimiste sur la capacité, grâce à l'innovation technologique, à rationaliser le modèle économique des thérapies géniques ; mais il faut bien saisir tous les tenants de cette équation complexe.

M. René-Paul Savary, président. - Je vous remercie de votre participation.

III. PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE GÉNÉRALE

Direction de la sécurité sociale (DSS)

Morgan Delaye, chef de service, adjoint au directeur de la sécurité sociale

Clélia Delpech, sous-directrice de la direction du financement du système des soins

MOTION TENDANT À OPPOSER
LA QUESTION PRÉALABLE

Motion présentée par Mme Élisabeth Doineau
au nom de la commission des affaires sociales

TENDANT À OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2022 (n° 705, 2022-2023), rejeté par l'Assemblée nationale.

Objet

La loi organique du 14 mars 2022, résultant d'une proposition de loi organique de Thomas Mesnier, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, et s'inspirant largement sur ce point d'une proposition de loi organique du 26 mars 2021 de Jean-Marie Vanlerenberghe, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat, a créé une nouvelle catégorie de lois de financement de la sécurité sociale : les lois d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss).

Les Lacss poursuivent un double objectif :

- permettre au Parlement de se prononcer plus spécifiquement sur l'approbation des comptes de la sécurité sociale, qui résultait jusqu'alors de l'adoption de la première partie du PLFSS ;

- favoriser un « chaînage vertueux » entre projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) et projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), notamment grâce aux informations figurant dans les annexes au Placss.

Sur le premier point, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes 2022 de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de la branche famille, en raison de l'augmentation de la proportion de paiements erronés. Dans le cas de l'indicateur à 24 mois, les erreurs à la hausse ou à la baisse pour les prestations versées en 2021 étaient de 7,6 % du montant total des prestations (soit 5,8 Md€), contre 5,5 % dans le cas des prestations versées en 2019.

Dans le cas de l'exercice 2021, le tableau patrimonial devant être annexé à la Lacss (correspondant à l'ancienne annexe A des PLFSS) comprend, pour comparaison, une colonne relative à l'exercice 2021. Cette colonne ne prend pas en compte la correction effectuée par le Parlement, à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, lors de l'examen du PLFSS 2023. Comme le Conseil constitutionnel l'a confirmé dans sa décision n° 2022-845 DC, le « vrai » déficit est celui figurant à l'article 1er (corrigé par le Parlement) de la LFSS 2023, et non celui figurant à l'annexe A.

La commission ne peut approuver un projet de loi reprenant des comptes 2021 et 2022 manifestement erronés, correspondant à des montants que la Cour des comptes a refusé de certifier.

S'agissant des annexes au Placss, on peut mentionner deux violations majeures de la loi organique.

Tout d'abord, les rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) ont désormais pour objet d'alimenter, chaque printemps, un débat relatif à l'efficacité et à l'efficience des dépenses de sécurité sociale. Il importe donc qu'ils indiquent les résultats atteints lors des trois dernières années, comme le prévoit la loi organique. Or, tel est loin d'être le cas. Si l'on excepte ceux relatifs à l'exécution financière, les indicateurs s'arrêtent habituellement en 2020 ou en 2021.

Ensuite, il est désormais prévu que l'annexe relative aux niches sociales comprenne une « évaluation de l'efficacité » (pour un tiers des niches, chacune devant faire l'objet d'une évaluation une fois tous les trois ans). Or cette annexe ne comprend toujours pas d'évaluation des mesures concernées.

Une lecture détaillée de ce texte ne permettra pas de corriger les erreurs des tableaux d'équilibre et patrimonial ou de compléter les nombreuses annexes au projet de loi (qui de toute façon n'ont pas vocation à être annexées au texte adopté et ne sont donc pas amendables). Dans ce contexte, la commission propose au Sénat d'adopter la présente motion.


* 1 Les dispositions relatives à la Lacss reprennent l'essentiel des dispositions de l'article 11 de la proposition de loi organique n° 492 (2020-2021).

* 2 Commission pour l'avenir des finances publique, « Nos finances publiques post-covid-19 : pour de nouvelles règles du jeu », mars 2021.

* 3 Le chapitre III de la proposition de loi organique n° 492 (2020-2021) précitée du sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe était intitulé « Reproduire le chaînage vertueux des lois de finances ».

* 4 « Ces dispositions ne sauraient, sans porter atteinte à l'article 34 de la Constitution, faire obstacle à la mise en discussion du projet de loi de financement de l'année dès lors que le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale a été examiné. » (considérant 18).

* 5 Article L.O. 132-3 du code des juridictions financières.

* 6 À l'Assemblée nationale, rapport n° 1302 (XVe législature), 31 mai 2023.

* 7 Comme les années précédentes, dans le cadre du « printemps social de l'évaluation », la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté un rapport d'information portant sur diverses politiques sociales (n° 1318, XVe législature, 2 juin 2023) ; et la restitution des travaux des commissions des finances et des affaires sociales sur le printemps de l'évaluation a fait l'objet d'un débat en séance publique (7 juin 2023, soit le lendemain de l'examen du Placss en séance).

* 8 Ministre délégué chargé des comptes publics, directeur général de la Cnam, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes.

* 9 Directeur général de la Cnaf, directeur « accès, économie et export » des entreprises du médicament (Leem).

* 10 Corinne Imbert, Élisabeth Doineau, « Santé publique France : des missions étendues, une stratégie à mieux définir », rapport d'information n° 189 (2022-2023), commission des affaires sociales du Sénat, 7 décembre 2022.

* 11 Catherine Deroche, Élisabeth Doineau, Corinne Imbert, Michelle Meunier, Martin Lévrier, Véronique Guillotin, « Accès aux soins en Suède : un point d'entrée unique, des réponses focalisées sur les délais de prise en charge », rapport d'information n° 216 (2022-2023), commission des affaires sociales du Sénat, 19 décembre 2022.

* 12 Catherine Deroche, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, Colette Mélot, Philippe Mouiller, « Le vieillissement de la population en Martinique », rapport d'information n° 658 (2022-2023), commission des affaires sociales du Sénat, 31 mai 2023.

* 13 Jocelyne Guidez, Laurent Burgoa, Corinne Féret, « Les troubles du neuro-développement », rapport d'information n° 659 (2022-2023), commission des affaires sociales du Sénat, 31 mai 2023.

* 14 Olivier Henno, Annie Le Houerou, « Réformer l'indemnisation des congés parentaux pour donner un vrai choix aux familles », rapport d'information n° 761 (2022-2023), commission des affaires sociales du Sénat, 21 juin 2023.

* 15 Corinne Imbert, Christine Bonfanti-Dossat, Michelle Meunier, « Fin de vie : privilégier une éthique du soin », rapport d'information n° 795 (2022-2023), commission des affaires sociales du Sénat, 28 juin 2023.

* 16 Rapporteur : Bernard Bonne.

* 17 Groupe de travail constitué de Catherine Deroche, présidente, Philippe Mouiller, Annie Le Houerou, Jocelyne Guidez, Martin Lévrier, Laurence Cohen, Véronique Guillotin, Raymonde Poncet Monge.

* 18 Rapporteurs : René-Paul Savary et Raymonde Poncet Monge.

* 19 Rapporteures : Élisabeth Doineau et Annie Le Houerou.

* 20 Jusqu'à la révision de la LOLF en 2022, l'article 23 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012. Ces dispositions mettent en oeuvre le traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG) du 2 mars 2012.

* 21 Ou 0,25 point de PIB potentiel deux années consécutives.

* 22 Afin notamment de ramener le déficit structurel des administrations publiques à 1,7 point de PIB potentiel en 2027 (contre 2,8 points de PIB selon le texte initial), les administrations de sécurité sociale devant avoir un solde effectif de 1 point de PIB en 2027 (contre 0,6 point de PIB selon le texte initial).

* 23 Le 19 juin 2023, la Première ministre a indiqué aux assises des finances publiques que le « projet de loi de programmation des finances publiques » serait « révisé en septembre ».

* 24 Amendé par le Gouvernement pour prendre en compte les données publiées par l'Insee le 31 mai 2023.

* 25 Amendements des groupes Socialistes, Écologiste et La France insoumise.

* 26 On rappelle que les administrations de sécurité sociale sont un concept de la comptabilité nationale, utilisée notamment pour la mise en oeuvre du pacte de stabilité et comprenant notamment l'assurance chômage.

* 27 Contrairement à la proposition de loi organique n° 492 (2020-2021) du sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe, cet article liminaire ne comprend pas d'estimation du solde structurel, ou d'indication de l'écart éventuel aux soldes prévus par la loi de financement de la sécurité sociale de l'année et par la loi de programmation des finances publiques.

* 28 Le deuxième article du présent Placss correspondant à l'ancien article 1er est l'article 2, concernant les dépenses de l'Ondam, les recettes du FRR, les recettes mises en réserve par le FSV et la dette amortie par la Cades.

* 29 Les LFSS comprennent obligatoirement certaines annexes, désignées par des lettres (A, B...) et jointes au texte promulgué.

* 30 Exonérations de cotisations et contributions ; Ondam et dépenses de santé ; comptes du FSV, de la Cades, du FRR et des organismes ou fonds financés par des Robss.

* 31 Situation financière des établissements de santé et des établissements médico-sociaux ; perspectives financières du régime d'assurance chômage et des régimes de retraite complémentaire.

* 32 Antérieurement à la révision organique de 2022, l'article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale ne mentionnait pas, dans son alinéa relatif aux Repss, de telle exigence.

* 33 Article L. 114-4-1 du code de la sécurité sociale.

* 34 Le 7 juin 2023.

* 35 La date limite de réunion de la CCSS étant actuellement le 15 juin (article D. 114-3 du code de la sécurité sociale).

* 36 Solde des catégories d'administrations publiques ; dépenses et recettes pour l'ensemble des administrations publiques (sans ventilation par catégorie).

* 37 Publication par l'Insee des recettes et dépenses de chaque catégorie d'administrations publiques (comme les administrations de sécurité sociale).

* 38 « L'information du Parlement sur la situation financière des hôpitaux : des progrès nécessaires ».

* 39 Le « rapport sur les actions menées sur le champ du financement des établissements de santé incluant un bilan rétrospectif et présentant les évolutions envisagées », prévu par l'article 61 de la LFSS 2012.

* 40 Le rapport prévu par l'article 26 de la LPFP de janvier 2018, selon lequel « le Gouvernement remet chaque année au Parlement, au plus tard le 15 octobre, un rapport sur la situation financière des établissements publics de santé pour le dernier exercice clos. Ce rapport fait état de l'évolution des charges et des produits par titre, de l'endettement et des dépenses d'investissement ».

* 41 « L'article 6 a modifié les conditions de signature des contrats de « reprise de dette » des établissements de santé issus du Ségur « investissements ». Par la même occasion, l'Assemblée nationale a choisi d'introduire à cet article une demande de remise d'un rapport annuel d'information sur le versement de la dotation destinée à concourir à la compensation des charges résultant d'opérations d'investissements structurants. Ce rapport doit notamment dresser la liste des établissements bénéficiaires de cette dotation et du montant qui leur est versé. Pour l'année 2022, ce rapport n'a pas été remis. Le Gouvernement estime cependant avoir satisfait à cette demande par la nouvelle annexe 6 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, relative à la situation financière des établissements de santé » (Pascale Gruny, « Bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2023 », rapport d'information n° 636 (2022-2023), 24 mai 2023).

* 42 IGF, Igas, « Évaluation de l'efficacité des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale prévue par la loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale », mars 2023.

* 43 Philippe Marini, « Comment définir et chiffrer les allégements de prélèvements obligatoires ? », rapport d'information n° 553 (2010-2011), commission des finances du Sénat, 25 mai 2011.

* 44  https://www.securite-sociale.fr

* 45 Numéro de la fiche du dispositif ; numéro du dispositif ; intitulé du dispositif ; ressource concernée ; population concernée ; impact sur les prestations ; forme du dispositif ; points de sortie du dispositif ; origine normative ; première année de mise en oeuvre ; année de la dernière modification ; année de la dernière modification importante ; compensation ; caractère facultatif de la mesure.

* 46 Coût du dispositif ; organisme responsable du chiffrage ; méthode de chiffrage ; fiabilité de l'estimation du coût ; avantage différentiel « global » ; avantage différentiel « local » (c'est-à-dire pour 1 Smic, 1,3 Smic et 2 Smic) ; personnes physiques bénéficiaires / concernées ; entreprises bénéficiaires.

* 47 Objectif(s) du dispositif ; cible(s) du dispositif ; existence d'autres mesures pour un même objectif ; cumul avec les mesures générales ; caractérisation de l'évaluation du dispositif.

* 48 Dans le cas des caractéristiques descriptives, l'existence d'un impact des exonérations sur les prestations ainsi que le caractère facultatif ou non des exonérations ; dans le cas des caractéristiques quantitatives, l'avantage différentiel « global » et l'avantage différentiel « local ».

* 49 Rapport n° 1302, XVe législature, 31 mai 2023.

* 50 Le Ralfss indique que « selon la DSS, l'article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale issu de la loi n° 2022-354 du 14 mars 2022, a fait disparaître cette obligation. Ces informations seraient désormais précisées dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale ».

* 51 4.2 « Les comptes des régimes de base et du FSV ».

* 52 5.5 « La situation patrimoniale des organismes de sécurité sociale ».

* 53 Article L.O. 111-6 du code de la sécurité sociale.

* 54 Article D. 114-3 du code de la sécurité sociale.

* 55 Selon l'article L. 114-1 du code de la sécurité sociale, la CCSS est « assistée par un secrétaire général permanent, nommé par le premier président de la Cour des comptes pour une durée de trois ans, qui assure l'organisation de ses travaux ainsi que l'établissement de ses rapports ».

* 56 L'article L. 114-1 du code de la sécurité sociale mentionne à plusieurs reprises les rapports de la commission (« Elle inclut, chaque année, dans un de ses rapports... » ; « l'établissement de ses rapports... » ; « les rapports de la Commission des comptes de la sécurité sociale... »), ce qui pourrait donner l'impression que la commission les adopte.

* 57 Conformément à l'article L. 114-1 du code de la sécurité sociale, quatre députés et quatre sénateurs sont membres de la CCSS.

* 58 Selon l'article D. 114-2 du code de la sécurité sociale, « le secrétaire général permanent assure l'organisation des travaux ainsi que l'établissement du rapport (...). Il fait appel à cette fin aux services du ministre chargé de la sécurité sociale ».

* 59 Selon l'article D. 114-3 du code de la sécurité sociale, « le secrétaire général permanent établit un rapport qui est exposé à la commission et transmis au Gouvernement en vue de sa présentation au Parlement ». En pratique, la couverture de la version papier du rapport transmis aux membres de la commission est à l'en-tête du Gouvernement et a pour titre « Rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale », avec en pied de page la mention du site https://www.securite-sociale.fr (dont la direction de la publication est assurée par le directeur de la sécurité sociale et la directrice de l'Ucanss).

* 60 L'annexe 3 au PLFSS 2023 indique : « cette première partie est détaillée en cohérence avec la présentation pour la dernière fois avant la pleine application des nouvelles dispositions de la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale qui a renvoyé la présentation de ces résultats à la loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale ».

* 61 Selon l'article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale, « sont jointes au projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale des annexes (...) 6° Comportant un rapport rendant compte de la mise en oeuvre des dispositions de la loi de financement du dernier exercice clos ».

* 62 Selon la lettre des articles L.O. 111-4-4 et L.O. 111-3-13 du code de la sécurité sociale, il manque une annexe au Placss sur le tableau patrimonial et la couverture des déficits. En effet, il résulte de ces articles que la Lacss (la loi elle-même) doit approuver une telle annexe au Placss (au projet de loi). Certes, cette annexe, approuvée par l'article 3, existe, mais en tant qu'annexe à la future loi elle-même (cf. commentaire de l'article 3).

* 63 Rapport n° 825 (2020-2021), 15 septembre 2021.

* 64 Calcul réalisé sur la base de l'estimation du PIB potentiel de la Commission européenne (15 mai 2023).

* 65 Article L. 114-4-1.

* 66 Article D. 114-4-0-17 du même code.

* 67 Article 115 de la LFSS 2022 : « Dans le cas où le risque sérieux que les dépenses d'assurance maladie dépassent l'objectif national de dépenses d'assurance maladie est imputable à l'évolution des dépenses liées à la crise sanitaire résultant de l'épidémie de covid-19, il n'est pas fait application, en 2022, des trois dernières phrases du cinquième alinéa de l'article L. 114-4-1 du code de la sécurité sociale ». L'article 108 de la LFSS 2023 comprend une disposition identique pour l'exercice 2023.

* 68 Respectivement 1,5 Md€, 0,8 Md€ et 0,7 Md€.

* 69 L'article L.O. 111-9-2-1 du code de la sécurité sociale, en vigueur depuis le 16 mars 2022 et inséré à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, prévoit que « lorsque, en cours d'exercice, les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale déterminées en loi de financement de la sécurité sociale sont remises en cause, le Gouvernement adresse sans délai aux commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale un rapport » présentant notamment les mesures envisagées de redressement des comptes de la sécurité sociale pour l'année en cours.

* 70 Rapport n° 825 (2020-2021), 15 septembre 2021.

* 71 Article 31 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999.

* 72 Article 21 de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

* 73 Articles L. 138-10 et L. 138-12 du code de la sécurité sociale.

* 74 L'article 18 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 a modifié les conditions de répartition de la clause de sauvegarde en prévoyant que celle-ci tiendrait compte, à concurrence de 30 %, de la progression du CA de chaque entreprise.

* 75 Article 138-12 du code de la sécurité sociale.

* 76 Études d'impact annexées aux PLFSS pour 2022 et pour 2023.

* 77 Annexe n° 3 « Ondam et dépenses de santé » jointe au Placss 2022.

* 78 En application de l'article L. 138-13 du code de la sécurité sociale, le montant dû au titre de l'année n est communiqué à chaque entreprise au plus tard le 1er octobre de l'année n+1.

* 79 Annexe n° 9 au PLFSS 2021 « Fiches d'évaluation préalable des articles du projet de loi », p. 94.

* 80 Annexe n° 9 au PLFSS 2022 « Fiches d'évaluation préalable des articles du projet de loi », p. 108.

* 81 Amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 n° 919 de Mme Poncet Monge, adopté par le Sénat en première lecture.

* 82 Rapport n° 500 de Mmes Stéphanie Rist, rapporteure générale, Caroline Janvier, MM. Paul Christophe, Cyrille Isaac-Sibille et Thibault Bazin, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 17 novembre 2022, p. 114 et 115.

* 83 Article 30 bis B supprimé dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en nouvelle lecture.

* 84 Page 24 dans l'annexe 7 au PLFSS 2021, page 49 dans l'annexe 7 au PLFSS 2022.

* 85 Page 34 de l'annexe 5.

* 86 Communiqué de presse des services de la Première ministre du 26 janvier 2023.

* 87 Article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

* 88 Arrêté du 6 mai 2020 relatif à la garantie de financement des établissements de santé pour faire face à l'épidémie du covid-19.

* 89 Ordonnance n° 2020-309 du 25 mars 2020 relative à la garantie de financement des établissements de santé et aux régimes complémentaires obligatoires de sécurité sociale.

* 90 Médecine, chirurgie, obstétrique.

* 91 Hospitalisation à domicile.

* 92 Dotation globale.

* 93 Hôpitaux de proximité.

* 94 Actes et consultations externes.

* 95 Objectif quantifié national.

* 96 Soins de suite et de réadaptation.

* 97 Ordonnance n° 2020-1553 du 9 décembre 2020 prolongeant, rétablissant ou adaptant diverses dispositions sociales pour faire face à l'épidémie de covid-19.

* 98 Arrêté du 13 avril 2021 relatif à la garantie de financement des établissements de santé pour faire face à l'épidémie du covid-19 pour l'année 2021.

* 99 Arrêté du 17 août 2021 modifiant l'arrêté du 13 avril 2021 relatif à la garantie de financement des établissements de santé pour faire face à l'épidémie du covid-19 pour l'année 2021.

* 100 Loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique.

* 101 Arrêté du 10 mai 2022 relatif à la garantie de financement des établissements de santé pour faire face à l'épidémie du covid-19 pour l'année 2022.

* 102 Arrêté du 24 août 2022 relatif à la garantie de financement des établissements de santé pour faire face à l'épidémie de covid-19 pour l'année 2022.

* 103 Article 44 de la LFSS 2023.

* 104 Ralfss 2023.

* 105 Les organismes débiteurs sont les caisses d'allocations familiales et les caisses de la mutualité sociale agricole.

* 106 Igas, IGF, IGSJ, « Création d'une agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires », septembre 2016.

* 107 Ces conditions de mise en place sont prévues par l'article 373-2-2 du code civil.

* 108 Annexe 9 au PLFSS 2022 (études d'impact), p. 401.

* 109 Décret n° 2022-1370 du 27 octobre 2022 relatif à la revalorisation de l'allocation de soutien familial.

* 110 Cour des comptes, Rapport sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale, p. 111.

* 111 À compter de la publication du cahier des charges, les services disposeront d'un délai de deux ans pour se mettre en conformité avec celui-ci. Pendant cette période, ils resteront régis par les dispositions actuelles.

* 112 Cf. rapport du Sénat n° 130 (2021-2022), tome II, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, déposé le 3 novembre 2021 - Commentaire de l'article 30.

* 113 Arrêté du 30 décembre 2021 relatif au tarif minimal mentionné au I de l'article L. 314-2-1 du code de l'action sociale et des familles et fixant son montant pour 2022.

* 114 Arrêté du 30 décembre 2022 fixant le montant du tarif minimal mentionné au I de l'article L. 314-2-1 du code de l'action sociale et des familles pour 2023.

* 115 Décret n° 2022-735 du 28 avril 2022 relatif au financement des services proposant des prestations d'aide et d'accompagnement à domicile.

* 116 Rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale, mai 2023.

* 117 Cour des comptes, « La fraude aux prélèvements obligatoires - Évaluer, prévenir, réprimer », communication au Premier ministre, novembre 2019.

* 118 Devenue Urssaf Caisse nationale.

* 119 Conseil des prélèvements obligatoires, « La fraude aux prélèvements obligatoires », mars 2007.

* 120 Jean-Marie Vanlerenberghe, « La fraude à l'immatriculation à la sécurité sociale Combien coûte-t-elle vraiment ? Comment l'éviter ? », rapport d'information n° 545 (2018-2019), commission des affaires sociales du Sénat, 5 juin 2019.

* 121 La direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) et le service administratif national d'immatriculation des assurés (Sandia) de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav).

* 122 Carole Grandjean, Nathalie Goulet, « Lutter contre les fraudes aux prestations sociales, un levier de justice sociale pour une juste prestation », rapport au Premier ministre, à la ministre de la santé et au ministre de l'action et des comptes publics, octobre 2019.

* 123 Pascal Brindeau, « Rapport d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations », rapport n° 3300 (XVe législature), commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, 8 septembre 2020.

* 124 Jean-Marie Vanlerenberghe, « Sur l'enquête de la Cour des comptes relative à la fraude aux prestations sociales », rapport d'information n° 699 (2019-2020), 8 septembre 2020.

* 125 Sauf pour la Cnaf (fraudes uniquement).

* 126 La Cnam s'est fixé l'horizon 2024 pour achever ses travaux d'évaluation.

* 127 « En 2021, les six domaines pour lesquels la Cnam a établi une estimation ont représenté 58 Md€ de dépenses, qui ne représentent que 29 % du total du montant des prestations légales versées par l'assurance maladie (hors dotations et forfaits de rémunération des professionnels et des établissements de santé). » (Cour des comptes, Ralfss 2023, p. 230). « Pour les six estimations disponibles de l'assurance maladie, les préjudices liés à des fraudes et à des fautes atteignent en cumul entre 1,1 et 1,3 Md€. Au regard du poids financier des prestations pour lesquelles les fraudes et fautes ne sont pas encore estimées, cela laisse augurer un préjudice global pour l'assurance maladie très largement supérieur. L'application d'une simple règle de trois aux montants déjà estimés conduit, pour le régime général, à un montant de fraudes et de fautes à l'assurance maladie de l'ordre de 3,8 à 4,5 Md€. » (Cour des comptes, Ralfss 2023, p. 233).

* 128 Selon le Ralfss 2023, « l'essentiel des montants fraudés est imputable, au détriment de l'assurance maladie, aux facturations des professionnels et des établissements de santé ». La direction de la sécurité sociale (DSS) indique que « près des deux tiers des fraudes détectées par l'assurance maladie se concentrent chez les professionnels de santé ».

* 129 Selon le Ralfss 2023, « l'essentiel des montants fraudés est imputable, (...) au détriment des caisses d'allocations familiales (Caf), aux données déclarées d'activité professionnelle, de ressources et de la composition des foyers allocataires des prestations. (...) Depuis 2010, la Cnaf établit selon une méthodologie solide une estimation périodique du montant des fraudes aux prestations légales (2,8 Md€ en 2021), qui sont principalement concentrées sur le revenu de solidarité active (RSA), la prime d'activité et les aides au logement ».

* 130 Alimenté par les flux de données issus de la déclaration sociale nominative (DSN) pour les revenus d'activité salariaux et la DSN « Prélèvement à la source - Revenus autres » (PASRAU) pour les revenus de remplacement. Le DRM doit permettre aux Caf de pré-remplir, à compter de 2025, les déclarations de ressources souscrites en vue de l'examen ou du réexamen du droit au RSA et à la prime d'activité.

* 131 « Le directeur général de la Cnam a toutefois fait part de ses « très fortes réserves », concernant ce projet. Plusieurs motifs sont soulevés, notamment le fait que ce scénario ne répondrait à aucun besoin ou enjeu, en termes de lutte contre la fraude ou en termes de simplification administrative, qu'il pourrait fragiliser le déploiement dans un futur proche de l'ApCV, qu'il ne permettrait pas de couvrir à lui seul l'ensemble de la population assurée et qu'il présenterait plusieurs risques techniques et d'image. »

* 132 La Cour des comptes indique qu'« en l'absence d'adaptation de leur système d'information, les Caf constatent et mettent en recouvrement les indus frauduleux uniquement sur deux années, comme s'il s'agissait d'indus non frauduleux (ou plus rarement sur trois années, à l'aide d'un outil bureautique) » (Ralfss 2023, p. 246).

* 133 Par la suite, la LFSS 2023 a restreint l'application de cette mesure aux préjudices les plus graves (dont le montant dépasse huit plafonds mensuels de la sécurité sociale, soit 29 328 € en 2023).

* 134 Voir notamment la proposition de loi organique n° 492 (2020-2021) tendant à renforcer le pilotage financier de la sécurité sociale et à garantir la soutenabilité des comptes sociaux de M. Jean-Marie Vanlerenberghe et le rapport du Sénat n° 825 (2020-2021) sur la proposition de loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

* 135 L'Insee publie les comptes des administrations publiques en deux étapes : fin mars, des « premiers résultats », qui dans le cas des différentes catégories d'administrations publiques indiquent leur besoin ou leur capacité de financement, mais pas leurs dépenses et leurs recettes ; fin mai, le compte des administrations publiques, qui indiquent pour chacune d'elles, outre le besoin ou la capacité de financement, les dépenses et les recettes.

* 136 Ces chiffres peuvent être retrouvés simplement. Selon le programme de stabilité, le solde conjoncturel est de 0,3×(-1,1)=-0,3 point de PIB, donc le déficit structurel est d'environ 4,7-0,3=4,4 points de PIB. Selon la Commission européenne, le solde conjoncturel est de 0,3×0,2=+0,1 point de PIB, donc le déficit structurel est d'environ 4,7+0,1=4,8 points de PIB.

* 137 Selon la Commission européenne, le PIB de la France aurait été supérieur en 2022 de 0,2 point à son niveau potentiel (prévisions du 15 mai 2023). En revanche, selon le programme de stabilité d'avril 2023, il aurait alors été inférieur de 1,1 point à son niveau potentiel.

* 138 L'effort structurel est une notion introduite par le ministère du budget au sujet du projet de loi de finances pour 2004. Il s'agit de l'évolution du solde structurel, corrigée de l'évolution spontanée du ratio recettes/PIB (découlant des fluctuations spontanées de l'élasticité des recettes au PIB). Concrètement, il se définit comme la somme (en points de PIB) de la diminution du ratio dépenses/PIB potentiel et des mesures nouvelles sur les recettes.

* 139 La commission des affaires sociales a également proposé, à l'article 24 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2022 à 2027, qu'une telle décomposition soit adressée au Parlement pour ce qui concerne l'exercice clos au moment du dépôt du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale ; voir avis Sénat n° 73 (2022-2023).

* 140 Ont également joué la résorption des dépenses liées aux mesures d'urgence et la montée en charge de la réforme de l'assurance chômage de 2019, qui a permis des économies pour le régime d'environ 2 Md€ en 2022.

* 141 L'article 1er des PLFSS comprenait également d'autres dispositions (dépenses constatées relevant de l'Ondam, recettes affectées au FRR, recettes mises en réserve par le FSV, montant de la dette amortie par la Cades), figurant à l'article 2 du présent Placss.

* 142 Cf. également la partie du commentaire de l'article 2 relative à l'Ondam.

* 143 Selon l'article L.O. 111-4-6 du code de la sécurité sociale : « La mission d'assistance du Parlement confiée à la Cour des comptes par le premier alinéa de l'article 47-2 de la Constitution comporte notamment : (...) 4° La production du rapport, mentionné à l'article L.O. 132-2-1 du [code des juridictions financières], de certification de la régularité et de la fidélité des comptes des organismes nationaux du régime général, des comptes de chaque branche et de l'activité de recouvrement du régime général, relatifs au dernier exercice clos, établis dans les conditions prévues au présent livre. Ce rapport présente le compte rendu des vérifications opérées aux fins de certification ».

* 144 Selon la Cour des comptes, « en application des normes comptables de la sécurité sociale applicables aux exercices 2020 et 2021, le fait générateur de l'enregistrement des produits de cotisations et de contributions sociales des travailleurs indépendants (en dehors des micro-entrepreneurs) était le revenu perçu ». Le conseil de normalisation des comptes publics (CNoCP) a admis que l'exigibilité devienne le critère de rattachement à l'exercice des produits de prélèvements sociaux des travailleurs indépendants (hormis les micro-entrepreneurs), mais en proposant qu'elle soit applicable à partir des comptes de l'exercice 2022.

* 145 Le tableau d'équilibre du régime général, absent du texte initial, avait été inséré par l'Assemblée nationale, qui avait ensuite rejeté l'ensemble de la première partie. Ce tableau était indispensable pour respecter la loi organique : ce n'était en effet qu'à compter de l'exercice 2022 qu'il était supprimé.

* 146 Comme cela était indiqué dans le commentaire de l'article 1er du PLFSS 2023 du rapport de la commission des affaires sociales du Sénat sur le PLFSS 2023.

* 147 « Est approuvé le rapport figurant en annexe A à la présente loi présentant un tableau, établi au 31 décembre 2021, retraçant la situation patrimoniale des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement, à l'amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit et décrivant les mesures prévues pour l'affectation des excédents ou la couverture des déficits, tels qu'ils sont constatés dans les tableaux d'équilibre relatifs à l'exercice 2021 figurant à l'article 1er» (Note de la commission des affaires sociales.)

* 148 Comme la Cour des comptes le souligne dans son rapport de certification des comptes de la sécurité sociale, la colonne « 2021 pro forma » figurant dans certains comptes (annexés à son rapport) ne prend pas en compte la correction apportée par le Parlement.

* 149 Sur ce dernier point, le Repss « Famille » indique, p. 113, qu'en 2021 l'indicateur de risque financier résiduel à 9 mois, de 10,3 %, se répartissait entre 7,5 % pour les indus résiduels et 2,8 % pour les rappels résiduels. Le Repss « Famille » n'indique pas les données pour 2022, ce qui, s'agissant d'un document annexé au Placss 2022, confirme une fois de plus la nécessité d'actualiser les Repss, de manière à ce qu'ils soient conformes à la loi organique et effectivement exploitables par le Parlement.

* 150 Le Ralfss indique que « selon la DSS, l'article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale issu de la loi n° 2022-354 du 14 mars 2022, a fait disparaître cette obligation. Ces informations seraient désormais précisées dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale ».

* 151 L'article L.O. 132-3 du code des juridictions financières prévoit que ces avis sont publiés dans le Ralfss, lui-même désormais conjoint au dépôt du Placss. Ces tableaux d'équilibre ne correspondent pas aux mêmes chiffres que les tableaux faisant l'objet de la certification des comptes de la sécurité sociale, en raison de divers retraitements opérés par la DSS.

* 152 Dans le présent Placss, l'article premier ne concerne plus que les tableaux d'équilibre des Robss et du FSV.

* 153 Article 114.

* 154 Cette baisse était même attendue à - 1,0 % selon l'annexe 3, en considérant les chiffres effectifs pour 2021.

* 155 Annexe 7.

* 156 Selon la terminologie habituelle. Il ne s'agit pas des surcoûts par rapport à la prévision.

* 157 Prévue par l'article L. 162-23-6 du code de la sécurité sociale, la « liste en sus » permet, dans le cas des établissements de santé, la prise en charge par l'assurance maladie de certaines spécialités pharmaceutiques, pour certaines de leurs indications thérapeutiques, en sus des tarifs d'hospitalisation.

* 158 Article L. 114-4-1.

* 159 Article D.  114-4-0-17 du même code.

* 160 Article 115 de la LFSS 2022 : « Dans le cas où le risque sérieux que les dépenses d'assurance maladie dépassent l'objectif national de dépenses d'assurance maladie est imputable à l'évolution des dépenses liées à la crise sanitaire résultant de l'épidémie de covid-19, il n'est pas fait application, en 2022, des trois dernières phrases du cinquième alinéa de l'article L. 114-4-1 du code de la sécurité sociale ». L'article 108 de la LFSS 2023 comprend une disposition identique pour l'exercice 2023.

* 161 2,3 Md€ pris en compte lors de la LFSS 2023 et 0,5 Md€ supplémentaire.

* 162 Le principe d'une augmentation du point d'indice de la fonction publique avait été annoncé (sans indication chiffrée) par la Première ministre le 22 mai 2022.

* 163 La lettre de mission à François Braun date du 31 mai 2022, soit le lendemain de la décision du comité d'alerte, et le rapport a été remis le 30 juin 2022.

* 164 Selon l'avis du 30 mai 2022 du comité d'alerte, « une augmentation de 1 % du point d'indice conduit à une dépense supplémentaire de 0,6 Md€ en année pleine sur le périmètre de l'Ondam », soit 0,3 Md€ sur une demi-année, ce qui suggère un coût légèrement supérieur à 1 Md€ pour une augmentation de 3,5 %. Le coût constaté semble avoir été plus élevé : selon l'annexe 3 au Placss, « le 28 juin 2022, le Gouvernement a annoncé une revalorisation exceptionnelle de 3,5 % à partir du 1er juillet 2022 du point d'indice des fonctionnaires. Le coût total financé au sein de l'Ondam sur une demi année est de 1,5 Md€ ».

* 165 Respectivement 1,5 Md€, 0,8 Md€ et 0,7 Md€.

* 166 Loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

* 167 On peut également mentionner l'article L.O. 111-9-2-2 du code de la sécurité sociale, selon lequel « lorsque, en cours d'exercice, le montant de la dotation mentionnée au b du 2° de l'article L.O. 111-4-1 affectée à un organisme fait l'objet d'une augmentation de plus de 10 %, les commissions parlementaires saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale en sont informées sans délai ».

* 168 Le FSV finance également le minimum vieillesse.

* 169 Cette annexe au texte du Placss, qui doit être jointe à la loi promulguée, ne doit pas être confondue avec les annexes au seul projet de loi, destinées à l'information du Parlement et qui n'ont pas de valeur législative.

* 170 Branche maladie des Robss, branche vieillesse de base du régime des salariés agricoles, régimes de retraite équilibrés par des subventions de l'État (SNCF, RATP, etc.) ou l'employeur (fonction publique de l'État, industries électriques et gazières).

* 171 Le Ralfss indique que « selon la DSS, l'article L.O. 111-4-4 du code de la sécurité sociale issu de la loi n° 2022-354 du 14 mars 2022, a fait disparaître cette obligation. Ces informations seraient désormais précisées dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale ».

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