II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. Une hausse des crédits de la mission très importante du fait de la poursuite des nécessaires mesures de revalorisation
Les dépenses de personnel continuent d'augmenter par rapport à l'année précédente et tirent la croissance globale de la mission. Les mesures de hausse des rémunérations s'élèvent à plus de 1,86 milliard d'euros en 2022.
a) Un impact déterminant de la hausse du point d'indice
Cette croissance peut se décomposer en plusieurs facteurs : elle découle pour moitié de mesures générales et pour un quart de mesures catégorielles, dans le cadre des mesures annoncées par le Grenelle de l'éducation et poursuivant les premières étapes amorcées en 2021. À ce titre, si 2021 avait déjà représenté une dynamique inédite, l'année 2022 se distingue par un impact très limité des facteurs d'évolution structurelle par rapport aux mesures de hausse des rémunérations. Le glissement vieillesse-technicité (GVT) ne représente que 16,7 % de la hausse des dépenses de personnel en 2022 et un tiers des mesures de revalorisation générale.
Facteurs d'évolution de la dépense de personnel en 2022
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les données budgétaires et la Cour des comptes
Compte tenu du poids de la masse salariale dans la mission, la hausse de 3,5 % du point d'indice a un impact budgétaire très important. En 2023, son coût sera d'1,2 milliard d'euros. Sur les quatre mois de l'année 2022 concernés, son coût s'est élevé à près de 800 millions d'euros.
Coût de la hausse du point d'indice par programme en 2022
(en millions d'euros)
Programme |
Montant lié à la revalorisation du point d'indice |
140 |
244,84 |
141 |
370,74 |
230 |
36,97 |
139 |
116,00 |
214 |
16,36 |
143 |
12,16 |
Total |
797,07 |
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
La hausse du point d'indice correspond à 85 % des montants ouverts en 2022 au titre des mesures de revalorisation générale. S'y ajoutent également le relèvement de l'indice minimal pour les plus bas salaires et diverses revalorisations.
Ventilation des mesures de revalorisation générales en 2022
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les données budgétaires
b) 2022 constitue un palier dans la poursuite des mesures de revalorisation catégorielles à destination des enseignants
Diverses mesures ont été annoncées par le Gouvernement dans le cadre du Grenelle de l'éducation ayant eu lieu en 2020 à destination des personnels enseignants. Ces mesures « Grenelle » recouvraient initialement :
- 178 millions d'euros de prime d'équipement informatique, soit 150 euros par an net par enseignant ;
- 260 millions d'euros sous forme de prime d'attractivité visant à accélérer l'augmentation du traitement en début de carrière ;
- 50 millions d'euros d'augmentations catégorielles, notamment à destination des chefs d'établissement et directeurs d'école. Ils complètent l'indemnité exceptionnelle d'un montant de 450 euros bruts versée aux directeurs d'école en 2019-2020 ;
- 2,75 millions d'euros pour le passage du taux de promotion à la hors classe de 17 % à 18 %.
À ces mesures générales s'ajoutait une enveloppe indemnitaire ad hoc de 30 millions d'euros destinée à accompagner les mesures de l'agenda social relatives aux ressources humaines.
Pour la seule année 2022, il était prévu en LFI pour financer ces diverses mesures catégorielles 508 millions d'euros, légèrement sous-exécutés à hauteur de 498,3 millions d'euros. Ces mesures s'ajoutent donc à celles mises en oeuvre en 2021 pour un coût de 440 millions d'euros. Au total, sur 2021-2022, les mesures de revalorisation salariale auront eu un coût de 1,16 milliard d'euros.
Ventilation des mesures de revalorisation catégorielles en 2022
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les données budgétaires
En conséquence, la prime d'attractivité a représenté une dépense de 311,7 millions d'euros en 2022 en incluant le coût en année pleine de la première tranche accordée en 2021 (soit 81,5 millions d'euros). Cependant, la dépense est inférieure à celle prévue initialement de 20 millions d'euros, ce que le Gouvernement a indiqué découler d'une « montée en charge moins importante que prévue »2(*) de la prime d'attractivité.
Une troisième tranche de revalorisation salariale à destination des enseignants débutants a été mise en place à partir de 2023. L'objectif est que les enseignants débutants puissent bénéficier d'un traitement minimum de 2 000 euros nets à partir de la rentrée 2023. Cela reviendrait à une hausse de 75 euros par mois pour les enseignants débutants. Cette revalorisation est scindée entre une part générale (dite « revalorisation socle ») de 10 % de la rémunération, accordée sans condition et une part à destination des professeurs exerçant des missions supplémentaires dans le cadre du Pacte enseignant (dite « revalorisation pacte »). Le chiffre de 10 % recouvre en réalité un certain nombre de hausses déjà annoncées, dont la hausse du point d'indice (qui compte pour 1,5 % sur les 10 %) et les mesures dites « Grenelle » (2 %).
Le ministre de l'Éducation nationale a en outre annoncé en avril 2023 la poursuite des revalorisations en 2024 pour un montant de 2 milliards d'euros consacrés à la revalorisation socle et un milliard d'euros pour la part « Pacte enseignant ». En conséquence, une quatrième tranche de revalorisation devrait être mise en place dès septembre 2023. Celle-ci devrait aboutir à une hausse de 100 euros nets par mois, sur la base du doublement du montant de l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (Isae) pour les enseignants du 1er degré et de la part fixe de l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (Isoe) pour les enseignants du second degré. Les personnels contractuels devraient bénéficier d'une prime d'attractivité renforcée s'élevant à 300 euros par an.
La revalorisation « pacte » sera accordée aux enseignants effectuant des missions particulières sur une base volontaire, ce qui constitue un outil de renforcement de la souplesse du système (notamment sur les heures de remplacement) et d'amélioration du pouvoir d'achat des enseignants. Les enseignants pourront opter soit pour la réalisation d'une mission supplémentaire, rémunérée à hauteur de 1 250 euros bruts par an, soit pour la réalisation de trois missions pour un montant de 3 750 euros bruts par an.
Le rapporteur spécial l'a indiqué à de nombreuses reprises : il considère que la poursuite attendue des revalorisations est indispensable pour restaurer l'attractivité du métier d'enseignant, en particulier dans les disciplines les plus en tension. Le ciblage de ces revalorisations sur les débuts de carrière doit permettre de combler les écarts de revenus entre les enseignants français et les enseignants européens. La rémunération par le biais du Pacte lui semble en outre aller dans le bon sens et constituer un outil intéressant, comme il a pu l'exprimer dans son rapport budgétaire pour 2023.
c) Une prévisibilité moindre du schéma d'emplois du fait des difficultés de recrutement du ministère
Les plafonds d'emplois fixés à la mission « Enseignement scolaire » sont structurellement légèrement sous-consommés. La sous-consommation des plafonds d'emplois s'élève à 1,4 % en 2022, ce qui accentue encore la tendance (le taux de sous-exécution des emplois se situait entre 1 % et 1,1 % au cours des trois années précédentes). Cela correspond à une sous-utilisation de 14 204 ETPT en 2022.
Évolution de la consommation des emplois
par rapport aux plafonds
fixés en loi de finances initiale et
rectificatives
(en ETPT)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
La sous-exécution concerne surtout les premier et second degrés publics, environ 2 646 ETP n'ayant pas été consommés par le ministère de l'Éducation nationale pour l'enseignement public et 851 pour l'enseignement privé. Le second degré explique à lui seul les trois-quarts de cette sous-consommation.
Le plafond d'emplois global de la mission a augmenté en 2022, mais cette hausse est en trompe l'oeil dans la mesure où elle est essentiellement due au transfert vers le titre 2 d'une partie des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) auparavant employés hors plafond. En revanche, le nombre d'enseignants est en baisse, en particulier pour le second degré, dans la continuité des années précédentes.
Évolution du nombre d'emplois en 2022 par rapport à 2021 à périmètre constant
(en ETPT)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Deux facteurs principaux peuvent être identifiés. D'une part, cette sous-consommation est la traduction du manque d'attractivité du métier d'enseignant qui s'est traduit par d'importantes difficultés de recrutement à la rentrée 2022 et un recours massif aux contractuels dans certaines académies.
D'autre part, le nombre de sorties d'emplois, départs à la retraite et démissions, a également été plus élevé que prévu. 9 202 départs définitifs supplémentaires n'avaient ainsi pas été anticipés en LFI, dont 952 départs à la retraite. Le nombre de démissions a également été largement supérieur à celui constaté en exécution 2021 (+3 337 démissions). Le rapporteur spécial alerte sur le fait que la croissance continue du nombre de démissions, bien qu'encore marginale, doit constituer un point d'attention prioritaire de la gestion des ressources humaines du ministère.
Évolution du nombre de sorties
(en ETPT)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Le rapporteur spécial a développé dans son dernier rapport budgétaire comme dans son rapport de juin 20223(*) le sujet des difficultés de recrutement.
La Cour des comptes insiste dans sa note d'exécution budgétaire pour l'année 2022 sur l'impact de la réforme de la formation initiale des enseignants, qui aurait mécaniquement conduit à une baisse des candidats avant la rentrée 2022. S'il est vrai que 2022 constituait une année de transition du fait de cette réforme, les candidats devant désormais être titulaires d'un master et non plus être seulement inscrits en master, le rapporteur spécial a insisté dans ses précédents rapports sur le fait que ces chiffres traduisent une chute structurelle du nombre de candidats.
Le nombre d'inscrits aux concours de l'enseignement du second degré a diminué de plus de 30 % en quinze ans, passant de 50 000 candidats présents en 2008 à 30 000 en 2020. En outre, le nombre de candidats pour la rentrée 2023 reste très inférieur à celui des années antérieures, ce qui confirme qu'il s'agit d'une tendance lourde et non uniquement d'un effet conjoncturel. Ainsi, le nombre d'inscrits n'a augmenté en 2023 que de 3 % par-rapport à 2022 pour le concours de professeur des écoles, et de 11 % pour le CAPES, ce qui ne permettra pas de compenser la quasi-division par deux du nombre de candidats présents constatée entre 2021 et 2022.
En 2023, le schéma d'emplois a diminué de 1 598 postes d'enseignants pour le seul enseignement public. Cette baisse a cependant été compensée par le relèvement du plafond d'emploi des AESH (+ 10 000 ETPT sur le programme 230, lié à la fois au schéma d'emploi et à l'intégration des AESH dans le titre 2). Si la sous-consommation des emplois reste identique à celle constatée au cours des dernières années, la baisse des emplois serait en réalité bien plus importante.
2. Les interrogations sur la soutenabilité budgétaire du modèle actuel d'école inclusive
En dix ans, le nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire est passé de 126 000 dans le premier degré et 76 000 dans le second degré à respectivement 200 000 et 184 000, soit une hausse de 58,7 % des effectifs dans le primaire et près de 150 % dans le secondaire. Les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) sont les prescriptrices d'aide adaptée à ces élèves, qui prend la majorité du temps la forme d'un accompagnement humain par un AESH. Les AESH interviennent désormais auprès de l'ensemble des élèves bénéficiant d'une prescription d'aide humaine, notamment dans le cadre des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL). On dénombre aujourd'hui plus de 130 000 AESH, un chiffre multiplié par deux en 5 ans.
Conséquence de cette généralisation de l'aide humaine, les crédits consacrés à « l'école inclusive », c'est-à-dire la scolarisation des élèves en situation de handicap, sont en très nette hausse sur l'ensemble des dernières années. En dix ans, ces crédits ont augmenté de plus de 300 %. En moyenne, au cours des cinq dernières années, les financements augmentent de plus de 10 % chaque année.
Évolution de la consommation des crédits de l'action 03 - scolarisation des élèves en situation de handicap du programme 230
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les données budgétaires
Le rapporteur spécial a consacré dans son rapport budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2023 un long développement sur la non-soutenabilité de la politique de massification de l'accompagnement humain. Ces conclusions ont été reprises par d'autres travaux du Sénat4(*).
L'effectif total d'AESH s'élève à 123 874 personnes, soit près de 83 000 ETPT. 4 000 ETP supplémentaires ont été créés à la rentrée 2021, autant en 2022 et autant devraient l'être en 2023.
S'agissant du statut des AESH, la Cour des comptes soulignait annuellement qu'un grand nombre d'emplois permanents d'AESH demeuraient non comptabilisés dans les plafonds d'emplois de la mission et relevaient des dépenses « hors T2 » du programme 230. Or, la politique de transformation des contrats de droit public de trois ans, renouvelable une fois en contrat à durée indéterminée (CDI) pour les AESH ayant plus de 6 ans d'ancienneté a conduit à l'intégration massive d'AESH dans les plafonds d'emplois de la mission.
En 2021, n'étaient pas pris en compte dans les plafonds d'emplois 52 529 ETPT pour les assistants d'éducation (AED) et 38 439 ETPT pour les AESH (dont seuls 35 266 ETPT étaient pris en charge sur le titre 2). Plus de 25 000 ETP d'AESH sont actuellement basculés du HT2 vers le T2, soit 8 565 ETPT. L'objectif est que la totalité des AESH soit gérée sur le titre 2 d'ici 2025. En 2022, près de la moitié (46 %) des dépenses liées aux AESH étaient cependant encore gérées hors titre 2.
Cette évolution va dans le sens d'une plus grande lisibilité et sincérité de la dépense, et contribue en outre à limiter la précarité du métier, qui reste importante. La récente évolution législative permettant de faciliter la « cdisation » des AESH5(*) devrait en outre accélérer le basculement des emplois vers le titre 2.
Paradoxalement, et tout comme les années précédentes, malgré la hausse de la dépense, le plafond d'emplois consacrés aux AESH reste sous-consommé de façon importante. Ainsi, il manquait 3 433 ETPT en exécution par rapport aux prévisions d'emplois et de recrutement en LFI. Le métier d'AESH restant précaire et majoritairement constitué de femmes exerçant à temps partiel, les recrutements ne parviennent pas à suivre la hausse de la demande en accompagnement humain.
3. Une sous-consommation importante et régulière des crédits dédiés à l'orientation dans le second degré
Les crédits de l'action 8 « Information et orientation » du programme 141 sont structurellement sous-consommés. Ainsi, au cours des trois dernières années, les crédits effectivement utilisés étaient inférieurs de plus de 55 millions d'euros aux montants inscrits en loi de finances initiale.
Consommation des crédits dédiés à l'orientation depuis 2020
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Ces dépenses sont constituées en quasi-totalité de crédits de rémunération. Cela explique la légère hausse tendancielle du budget, liée aux mesures de revalorisation dont bénéficient également les psychologues de l'éducation nationale, les conseillers d'orientation-psychologues (COPSY) et les directeurs de centre d'information et d'orientation (DCIO).
Cette situation est regrettable, alors que l'orientation est régulièrement présentée comme le « parent pauvre » de la réforme du lycée, laquelle a pourtant considérablement complexifié les choix d'orientation pour les élèves et leurs familles. Alors que la sous-consommation des crédits est un phénomène qui se reproduit année après année dans les mêmes montants, il faut souligner le réel manque de sincérité de la prévision budgétaire.
Au-delà de ces crédits, la loi prévoit un horaire dédié à l'accompagnement au choix de l'orientation avec 12 heures en quatrième, 36 heures en troisième et 54 heures au lycée d'enseignement général et technologique. Toutefois, ces heures ne sont pas inscrites dans les emplois du temps et il est fréquent, pour ne pas dire systématique, que les élèves ne bénéficient pas de l'intégralité des heures prévues. Par ailleurs, les heures d'orientation sont actuellement financées par les établissements scolaires sur leur dotation horaire globale, et entrent donc en concurrence avec un certain nombre d'autres enseignements.
* 2 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2022.
* 3 Comparaison européenne des conditions de travail et de rémunération des enseignants ; Rapport d'information de M. Gérard LONGUET, fait au nom de la commission des finances n° 649 (2021-2022) - juin 2022.
* 4 Notamment le rapport d'information fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur les modalités de gestion des AESH, pour une école inclusive, de notre collègue Cédric VIAL.
* 5 Loi du 16 décembre 2022 visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation.