B. UN OBSTACLE À SURMONTER : L'INALIÉNABILITÉ DU DOMAINE PUBLIC

Le principe d'inaliénabilité des biens appartenant au domaine public fait obstacle à leur restitution. Si le déclassement des biens qui ne sont plus affectés à un service public ou à l'usage direct du public est, en principe, possible, le code du patrimoine réserve cette procédure aux seuls biens relevant des collections des musées de France qui ont perdu leur intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de la science ou de la technique. Il est impossible d'y recourir pour faire sortir des collections des restes humains, puisqu'ils conservent un intérêt en tant que vestige de l'histoire de l'humanité, ainsi qu'une valeur scientifique pour le lancement de nouvelles recherches. L'intervention du législateur est nécessaire pour déroger au principe à valeur législative d'inaliénabilité.

Ces difficultés expliquent le faible nombre de restitutions de restes humains intervenues jusqu'ici. Seules deux lois, résultant chacune d'une initiative sénatoriale, ont été adoptées afin de permettre des restitutions ponctuelles de restes humains. La lourdeur et la complexité de la procédure législative ont conduit à privilégier à plusieurs reprises d'autres voies de restitution malgré leur licéité discutable. Le recours à la procédure de dépôt en 2020 dans le but de restituer en urgence une vingtaine de crânes à l'Algérie, qui procéda immédiatement à leur inhumation, constitue un dévoiement à ne pas renouveler.

Les restitutions passées de restes humains conservés dans les collections publiques

2002

Restitution à l'Afrique du Sud de la dépouille de Saartjie Baarman, dite « Vénus hottentote »

Loi n° 2002-323 du 6 mars 2002

2002

Restitution à l'Uruguay de la dépouille de l'indien Charrua Vaimaca Peru

Procédure administrative

2012

Restitution à la Nouvelle-Zélande de vingt têtes maories

Loi n° 2010-501 du 18 mai 2010

2014

Restitution à la Nouvelle-Calédonie des crânes d'Ataï et de Sandja

Transfert de propriété privée : crânes entreposés au musée de l'Homme mais appartenant à une collection privée

2020

Restitution à l'Algérie de vingt-quatre crânes algériens

Convention de dépôt en date du 26 juin 2020

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

L'utilisation de stratégies de contournement est révélatrice du besoin urgent à définir un cadre juridique clair permettant de simplifier les restitutions de restes humains. La situation actuelle n'est satisfaisante ni pour les États demandeurs ni pour les établissements conservant ces pièces, soumis à une pression croissante pour justifier leur présence dans leurs collections. La demande sociale en faveur de pratiques plus éthiques a permis une évolution sensible des mentalités qui facilite aujourd'hui l'adoption d'un tel cadre.

Le travail amorcé au sein de la Commission scientifique nationale des collections à la demande du législateur suite à la loi sur les têtes maories, approfondi ensuite par le groupe de travail pluridisciplinaire sur les restes humains mis en place par le ministère de la culture et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, a permis de faire considérablement avancer la réflexion sur les restitutions de restes humains et leurs critères éventuels.

Sur cette base, le Sénat avait adopté, le 10 janvier 2022, une proposition de loi1(*), dont l'article 2 définissait un cadre général pour la sortie des restes humains des collections publiques et leur restitution. Cette initiative n'a malheureusement pas abouti, l'Assemblée nationale n'ayant jamais inscrit l'examen du texte à son ordre du jour en raison de l'opposition du Gouvernement au contenu de son article 1er.


* 1 Dossier législatif consacré à la proposition de loi de Catherine Morin-Desailly, Max Brisson, Pierre Ouzoulias et plusieurs de leurs collègues relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques.

Les thèmes associés à ce dossier