N° 691

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juin 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à protéger les logements contre l'occupation illicite,

Par M. André REICHARDT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Première lecture : 360, 491 et T.A. 45

Deuxième lecture : 818 rect., 1010 et T.A. 101

Première lecture : 174, 269, 278, 279 et T.A. 51 (2022-2023)

Deuxième lecture : 498 et 692 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

La commission des lois, réunie le mercredi 25 janvier 2023 sous la présidence de François-Noël Buffet, a adopté avec modifications, sur le rapport d'André Reichardt, la proposition de loi n° 174 (2022-2023) visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, déposée par le député Guillaume Kasbarian et adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 2 décembre dernier. La commission des affaires économiques s'est saisie du texte pour avis et a désigné Dominique Estrosi-Sassone comme rapporteur.

À la suite de plusieurs affaires médiatisées, telles celles de Théoule-sur-Mer ou du Petit Cambodge, la proposition de loi entend d'abord mieux protéger la propriété privée, « droit inviolable et sacré » selon les termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, contre les squatteurs. Elle cherche également à rééquilibrer les rapports locatifs, de nombreux propriétaires ayant le sentiment qu'il leur est devenu très difficile de récupérer leur bien en cas d'impayés de loyers, alors même que les contraintes qui leur sont imposées, que ce soit en matière de rénovation énergétique ou de fixation des loyers, ne cessent de s'alourdir. Certains renoncent à mettre leur bien en location, ce qui aggrave les difficultés que rencontrent tant de nos concitoyens pour se loger.

Le texte reprend certaines dispositions qui figuraient dans la proposition de loi tendant à garantir la propriété immobilière contre le squat, déposée par Dominique Estrosi-Sassone, et adoptée par le Sénat en janvier 2021 sur le rapport d'Henri Leroy1(*). À cet égard, la commission regrette que ce dernier texte n'ait jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, ce qui aurait permis de gagner un temps précieux. La proposition de loi contient d'autres mesures, ciblant les locataires, qui suscitent de vives critiques, au motif qu'elles stigmatisent les locataires en difficulté et qu'elles risquent de favoriser les expulsions sans solution de relogement.

Attentive à ces critiques mais soucieuse d'envoyer un signal fort aux propriétaires, de nature à restaurer la confiance, la commission a adopté 28 amendements, tendant notamment à mieux distinguer la situation du squatteur de celle du locataire défaillant et à prévenir les expulsions locatives dans l'intérêt commun des propriétaires et des locataires. En séance publique, le Sénat a adopté 13 amendements tendant notamment à garantir davantage de gradation dans les peines encourues par les locataires défaillants et à clarifier le rôle et les moyens dont disposent les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions (Ccapex).

L'Assemblée nationale ayant maintenu et consolidé la plus grande partie de ces ajouts lors de la deuxième lecture, la commission, réunie à nouveau le mercredi 7 juin 2023, a adopté le texte en deuxième lecture sans modification, souhaitant que la navette parlementaire aboutisse sur ce texte, qu'elle considère constituer un compromis équilibré entre les positions exprimées par les deux chambres.

I. DES DISPOSITIONS AXÉES SUR LA LUTTE CONTRE LE SQUAT

La première partie du texte transmis par l'Assemblée nationale vise à mieux réprimer le squat d'un logement. À l'examen, il apparaît cependant que plusieurs des mesures proposées seraient susceptibles de concerner aussi bien les squatteurs que les locataires défaillants, alors que leurs situations sont dissemblables.

A. DE NOUVELLES MESURES EN MATIÈRE PÉNALE

L'article 1er propose d'abord de modifier l'article 226-4 du code pénal, qui réprime ce qui est appelé dans le langage courant le squat, et qui est défini juridiquement comme le fait de s'introduire ou de se maintenir dans un domicile à l'aide de manoeuvres, menaces, voie de fait ou contrainte. Le quantum de la peine encourue serait relevé et la notion de domicile clarifiée.

Surtout, le texte (article 1er A, 1er bis A et 1er bis) propose d'introduire quatre nouvelles infractions dans le code pénal pour réprimer divers comportements que l'article 226-4 ne permet pas d'appréhender.

La première infraction, partant du constat que l'on peut trouver sur internet de véritables « guides » du squat, entend punir d'une amende la propagande ou la publicité en faveur de méthodes incitant ou facilitant le squat. Le Sénat avait adopté une disposition similaire en 2021.

La deuxième vise à punir le fait de se dire faussement propriétaire d'un bien pour le louer. Si la commission n'est pas défavorable à ce que ces agissements soient sanctionnés, elle s'interroge sur la nécessité de créer une nouvelle infraction dans la mesure où l'article 313-6-1 du code pénal punit déjà le fait de mettre à disposition un bien immobilier sans l'accord de son propriétaire.

La troisième vise à punir le squat de tout local à usage d'habitation ou à usage économique, quand bien même il ne constituerait pas un domicile. Si la commission partage cet objectif, elle observe que la disposition adoptée par l'Assemblée nationale pourrait aussi concerner des locataires dont le bail a été résilié, ce qui paraît beaucoup plus contestable.

Enfin, la quatrième vise les locataires qui refusent de quitter les lieux alors qu'ils font l'objet d'une décision définitive d'expulsion et que tous les délais susceptibles de leur être accordés par le juge civil ont été épuisés.

De nombreuses associations d'aide aux plus démunis reprochent à ces deux dernières infractions de « criminaliser » des individus en grande difficulté, dans un contexte de hausse des prix de l'énergie qui pèse sur le pouvoir d'achat, alors que l'on compte tant de logements ou de locaux vacants.


* 1 Texte n° 43 (2020-2021) adopté par le Sénat le 19 janvier 2021 (Cf. le dossier législatif :
Respect de la propriété immobilière contre le squat - Sénat (senat.fr)).