EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
Création d'une procédure administrative
pour la restitution
des biens culturels spoliés
intégrés aux collections publiques
Cet article instaure une procédure administrative dérogeant au principe d'inaliénabilité des collections pour permettre la restitution à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit des biens culturels, aujourd'hui intégrés aux collections publiques, qui leur avaient été spoliés dans le contexte des persécutions antisémites. La décision de restitution par la personne publique est conditionnée à l'avis préalable de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), chargée d'apprécier l'existence de la spoliation et ses circonstances.
La commission est favorable aux dispositions du présent article.
I. - La législation actuelle : l'absence de dérogation générale au principe d'inaliénabilité des biens culturels appartenant aux collections publiques
À la différence des biens « Musées Nationaux Récupération » (MNR), qui sont facilement restituables dans la mesure où ils sont restés sous la garde temporaire des musées nationaux en attendant de retrouver leurs véritables propriétaires sans jamais intégrer les collections publiques, les biens culturels appartenant aux collections publiques qui se révèlent spoliés sont plus difficiles à restituer. Ils sont en effet soumis au régime de la domanialité publique et frappés, à ce titre, d'inaliénabilité, conformément à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, décliné à l'article L. 451-1 du code du patrimoine s'agissant des biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique.
L'ordonnance du 21 avril 1945 peut permettre d'obtenir leur restitution par la voie judiciaire. Cette ordonnance frappe en effet de nullité tout acte de spoliation commis en France par l'occupant ou par le régime de Vichy. Elle impose la restitution des biens considérés au propriétaire originellement dépossédé ou à ses ayants droit, les propriétaires ultérieurs étant tous considérés comme « possesseurs de mauvaise foi ». Sur son fondement, le juge peut donc ordonner la restitution d'un bien entré dans les collections publiques, sa décision ayant pour effet d'annuler son entrée dans les collections et donc de lever son caractère inaliénable.
Comme l'avait déjà noté la commission1(*), cette modalité de restitution par voie judiciaire n'est pas complète.
D'une part, elle ne permet pas d'obtenir la restitution de l'ensemble des biens spoliés qui pourraient être intégrés aux collections publiques. Son champ d'application est en effet limité aux seuls biens qui ont été spoliés sur le sol français pendant l'Occupation. Or, des biens culturels qui sont entrés dans les collections publiques depuis la fin de la Seconde guerre mondiale peuvent se révéler spoliés sans que l'acte de spoliation se soit produit sur le territoire français. La loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites illustre cette problématique, puisque le tableau de Gustav Klimt intitulé Rosier sous les arbres, qui faisait l'objet de l'article 1er, avait été spolié en Autriche en 1938 et le tableau de Marc Chagall intitulé Le Père, traité à l'article 4, avait été volé par les nazis en Pologne en 1940.
D'autre part, la mise en oeuvre de cette procédure est conditionnée au dépôt d'une requête par les propriétaires spoliés ou leurs ayants droit. Ni l'État ni les collectivités territoriales n'ont la possibilité de saisir le juge pour qu'il annule, sur le fondement de cette ordonnance, l'entrée dans leurs collections d'un bien culturel, s'ils venaient à découvrir qu'il s'agissait d'un bien spolié et qu'ils souhaitaient le restituer.
La seconde voie possible de restitution des biens spoliés appartenant aux collections publiques est la voie législative. Le législateur est en effet libre d'apporter des dérogations ponctuelles ou générales au principe d'inaliénabilité des collections, qui constitue un principe de valeur législative et non constitutionnelle.
Le législateur n'a eu recours à cette faculté qu'une fois afin de restituer des biens spoliés pendant la période nazie par le biais de la loi n° 2022-218 du 21 février 2022 précitée.
En revanche, aucune dérogation générale au principe d'inaliénabilité des collections publiques n'a été jusqu'ici mise en place. La procédure de déclassement prévue à l'article L. 451-5 du code du patrimoine ne peut pas s'appliquer dans le but de faire sortir des biens des collections aux fins de les restituer : elle est limitée aux oeuvres qui ont perdu leur intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique.
L'absence d'un cadre législatif général applicable aux restitutions de biens spoliés constitue une source de difficultés.
Les principes de la conférence de Washington, à laquelle la France a participé en 1998, recommandent de trouver « des solutions justes et équitables » au problème des oeuvres d'art confisquées par les nazis. Afin que les collectivités publiques puissent démontrer leur engagement à réparer les spoliations artistiques, il est essentiel qu'elles puissent être à l'initiative des restitutions de biens spoliés en leur possession, sans attendre une décision de justice.
En l'absence de cadre législatif, le travail engagé par le ministère de la culture et les institutions culturelles publiques depuis une dizaine d'années sur la provenance des biens appartenant à leurs collections, avec le développement de « recherches proactives », pourrait se traduire par une multiplication des lois d'espèce dans les années à venir. Cette solution n'apparait guère satisfaisante compte tenu de l'allongement de la durée de la procédure de restitution et de l'encombrement de l'ordre du jour législatif qui en résulteraient.
II. - Le dispositif proposé : la mise en place d'une procédure administrative facilitant la restitution de biens culturels spoliés appartenant aux collections publiques à leurs propriétaires ou ayants droit
Le présent article crée, au sein du chapitre du code du patrimoine consacré aux modalités de sortie des biens des collections publiques, une nouvelle section relative à la sortie des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, composée de trois articles L. 115-2, L. 115-3 et L. 115-4.
Ces nouveaux articles mettent en place une procédure administrative permettant la restitution à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit des biens culturels, aujourd'hui intégrés aux collections publiques, spoliés dans le contexte des persécutions antisémites, par dérogation au principe d'inaliénabilité des collections.
Contrairement à la loi n° 2022-218 du 21 avril 2022 précitée qui concernait exclusivement la restitution d'oeuvres d'art (tableaux, dessins, sculpture), cette procédure pourrait concerner tous types de biens culturels appartenant aux collections publiques : oeuvres et objets d'art, mais aussi pièces de mobilier, livres et instruments de musique.
Conformément à la jurisprudence de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliation intervenues du fait des législations antisémites (CIVS), les spoliations visées comprennent les actes de vol et de pillage, les confiscations, saisies et ventes de biens liés à des mesures d'aryanisation, ainsi que les ventes forcées rendues nécessaires pour financer l'exil, la fuite ou la simple survie2(*). Comme pour la loi de 2022, il s'agit des actes de spoliation perpétrés dans le contexte des persécutions antisémites mises en place par l'Allemagne nazie ou par les autorités des territoires qu'elle a occupés, contrôlés ou influencés, qu'ils soient ou non intervenus en France, pendant la période allant de l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler à la fin de la Seconde guerre mondiale.
Le dispositif autorise les personnes publiques à faire sortir de leurs collections les biens qui s'avéreraient spoliés dans le but de les restituer à leurs propriétaires légitimes (article L. 115-2), après avoir recueilli l'avis d'une commission sur l'existence de la spoliation et ses circonstances (art. L. 115-3). Les collections publiques étant la propriété, soit de l'État, soit de collectivités territoriales, ce sont respectivement à ces derniers qu'appartiendra la décision de restitution. Elle devrait prendre la forme d'un acte du ministre chargé de la culture pour l'État ou d'une décision de l'assemblée délibérante de la collectivité concernée, même si ces éléments sont renvoyés aux mesures d'application.
Le texte prévoit que la restitution s'accompagne de la délivrance automatique d'un certificat d'exportation destiné à rendre possible la sortie du bien culturel du territoire français.
Dans son avis du 30 mars 2023, le Conseil d'État précise que la restitution des biens spoliés s'impose à l'État et aux collectivités territoriales au nom d'un intérêt général supérieur à celui poursuivi par l'inaliénabilité des collections. Il estime que « lorsqu'il est établi que le bien a fait l'objet d'une spoliation, la personne publique est tenue d'en prononcer la sortie de ses collections afin de le restituer à son propriétaire ou à ses ayants droit ».
Le dispositif offre néanmoins la possibilité pour les personnes publiques et les propriétaires ou leurs ayants droit de se mettre d'accord sur des modalités de réparation de la spoliation autres qu'une restitution, une fois la spoliation avérée et le principe de la restitution obtenu. L'exposé des motifs mentionne, à titre d'exemple, la possibilité d'une transaction prévoyant le maintien du bien dans la collection publique en contrepartie d'une compensation financière.
Le rôle de la commission sera donc déterminant afin de caractériser la spoliation. Ce rôle incombera à la CIVS. Elle n'est cependant pas spécifiquement nommée dans le dispositif du présent article dans la mesure où elle n'est aujourd'hui mentionnée que dans des textes de nature réglementaire.
La CIVS est aujourd'hui compétente pour examiner les demandes individuelles présentées par les victimes ou par leurs ayants droit pour la réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des législations antisémites prises, sous l'Occupation, tant par l'occupant que par les autorités de Vichy. Le périmètre d'intervention spatio-temporel dévolu à la CIVS dans le cadre de cette nouvelle mission devrait donc être plus large que celui qui lui est confié pour établir ses recommandations en matière d'indemnisation des différents types de spoliations antisémites intervenues pendant l'Occupation (pillages d'appartement, spoliations professionnelles et immobilières, spoliations financières, spoliations de biens culturels...).
L'article L. 115-4 renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de fixer les mesures d'application du présent article. Il impose d'ailleurs spécifiquement l'adoption de dispositions réglementaires relatives à la compétence, à la composition, à l'organisation et au fonctionnement de la CIVS. D'après les informations communiquées au rapporteur, le champ d'intervention spatio-temporel de la CIVS ne devrait être modifié qu'en ce qui concerne sa saisine aux fins éventuelles de restitution d'un bien culturel spolié appartenant aux collections publiques.
III. - La position de la commission : un dispositif très satisfaisant pour répondre au besoin de simplification de la procédure de restitution des biens spoliés
La procédure mise en place par le présent article est de nature à accélérer la procédure d'examen des restitutions et à amplifier le mouvement de restitution des biens spoliés. Son champ d'application large permettra de couvrir les différents cas de spoliation de biens culturels intervenus pendant cette période, qu'elle soit le fait de l'Allemagne nazie ou des autorités en place comme le régime de Vichy, ou encore le fait d'acteurs, d'entités ou d'individus inspirés par le contexte des persécutions antisémites que ces autorités ont mises en place. S'il ne permettra pas de faire sortir des collections des biens acquis dans des circonstances troubles comme l'avait fait la loi du 21 février 2022 pour les biens de la collection d'Armand Dorville conservés dans les collections publiques, il permettra de solder les cas dans lesquels la spoliation est clairement établie.
La commission est très satisfaite qu'il soit fait appel à la CIVS afin de s'assurer de la caractérisation des spoliations. Il s'agit d'une institution dont l'expertise est reconnue et dont la compétence en matière de biens culturels s'est nettement renforcée depuis la réforme de 2018. La CIVS comprend désormais quatre personnalités qualifiées respectivement en matière d'histoire de l'art, de marché de l'art, d'histoire de la Seconde guerre mondiale et de droit du patrimoine. Elle dispose d'une antenne à Berlin et de partenariats avec des institutions dans plusieurs pays, ce qui devrait faciliter l'instruction lorsqu'elle aura à examiner des biens susceptibles d'avoir été spoliés à l'étranger.
La commission estime que son intervention répond à l'exigence d'organiser les restitutions selon une procédure garantissant un examen scientifique et impartial des cas concernés. L'avis préalable de la CIVS constitue un élément sécurisant au sein de cette procédure à la fois pour les familles de victimes et pour les établissements culturels. Ces derniers estiment approprié de confier à une autorité indépendante et spécialisée le soin de caractériser la spoliation.
La valeur simple de l'avis de la CIVS ne soulève pas de difficulté particulière. Le risque que son avis ne soit pas suivi est faible et la décision de la collectivité publique pourra toujours être contestée devant le juge administratif dans les cas où celle-ci n'aurait pas suivi l'avis. L'avis simple de la CIVS est donc de nature à responsabiliser davantage les collectivités publiques dans leur prise de décision et à conférer une plus grande valeur symbolique à la restitution.
La commission juge opportune la disposition rendant possible un accord entre les parties sur des modalités de réparation autres que la restitution. Cette disposition est inspirée de la transaction conclue en 2021 par le musée Labenche d'art et d'histoire de Brive-la-Gaillarde avec les héritiers d'un propriétaire allemand spolié prévoyant le maintien de la tapisserie spoliée dans le musée, compte tenu de son importance dans ses collections, moyennant un arrangement financier, correspondant au prix auquel le musée avait acheté l'oeuvre auprès d'une galerie parisienne en 1995, et un engagement du musée à raconter l'histoire de l'oeuvre dans la salle dans laquelle elle est exposée.
Cette disposition pourrait permettre le maintien de biens qui revêtent une importance significative dans les collections publiques, soit en raison de leur intérêt propre, soit en raison de leur cohérence avec le reste de la collection. Les représentants du musée d'art et d'histoire du judaïsme ont ainsi indiqué qu'elle aurait pu être utile pour négocier le tableau Le Père de Marc Chagall, restitué l'an passé suite au vote de la loi du 21 février 2022. Le rapporteur a eu confirmation que le montant de la compensation financière n'avait pas à couvrir le préjudice moral lié à la spoliation. La CIVS n'inclut pas le préjudice moral dans les recommandations qu'elle formule relatives au montant des indemnisations.
Dans la mesure où elle repose sur la nécessité d'un accord entre les parties, la commission estime que cette disposition peut effectivement constituer une solution alternative à la restitution, tout aussi juste et équitable. Tout en étant avantageuse pour la préservation des collections publiques, elle pourrait recueillir les faveurs de certaines familles de victimes en constituant un moyen que soit présenté, dans un lieu accessible au public, une trace mémorielle de la spoliation dont elles ont été victimes. Le directeur général de la Fondation pour la mémoire de la Shoah a ainsi estimé que cette solution ne soulevait pas d'objection dans la mesure où elle préservait à la fois la reconnaissance de la spoliation et sa juste indemnisation. Elle lui paraissait présenter des avantages du strict point de vue du bien culturel, en garantissant qu'il demeure accessible à tous plutôt qu'il ne retourne dans une collection privée.
La mise en oeuvre de cette disposition pourrait néanmoins se heurter à une problématique financière, compte tenu de la faiblesse des crédits d'acquisition dont disposent annuellement les établissements. Peu de collectivités auront sans doute les moyens de débourser une seconde fois la valeur du bien sans une aide de l'État. Il n'est pas certain que ce dernier sera en capacité de les accompagner au regard de ses capacités d'acquisition modestes. Cette problématique illustre les difficultés engendrées par le faible montant consacré chaque année par l'État aux acquisitions. La commission s'inquiète de leur stagnation depuis plusieurs années.
En dépit des interrogations qu'elle peut soulever de prime abord, la commission considère souhaitable la délivrance automatique d'un certificat d'exportation pour les biens qui feraient l'objet d'une restitution. Prévue par le code du patrimoine, l'obligation de certificat répond au souci de contrôler la sortie du territoire des biens susceptibles de présenter le caractère de trésors nationaux. L'administration peut en refuser la délivrance au propriétaire demandeur, avec pour effet d'interdire l'exportation du bien pendant une durée de trente mois, délai durant lequel l'État peut se porter acquéreur du bien, quoique le propriétaire ne soit pas tenu d'accepter son offre. On pourrait considérer qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause cette procédure de certificat, même en cas de restitution, dans la mesure où elle constitue un principe de bonne gestion des biens culturels à la disposition de l'État.
Néanmoins, la commission estime que la réparation de la spoliation ne serait pas complète si l'État venait à reprendre d'un côté le bien qu'il restituerait de l'autre. Elle constate que cette délivrance automatique du certificat d'exportation en cas de restitution correspondait déjà à la pratique actuelle mise en oeuvre par le ministère de la culture et qu'elle serait sans doute indispensable dans un certain nombre de cas, dans la mesure où les ayants droit des propriétaires spoliés ni ne sont nécessairement ni ne vivent systématiquement en France. Elle estime enfin que les possibilités offertes de négocier à l'amiable le rachat du bien culturel une fois la spoliation établie étaient suffisantes pour permettre à l'État d'éviter, sous réserve de l'accord des propriétaires, la sortie du territoire de biens constituant des trésors nationaux.
La commission espère que la mise en place d'une procédure institutionnalisée permettra d'inciter les établissements culturels à approfondir le travail de recherche sur la provenance des biens culturels de leurs collections, aujourd'hui tout juste lancé au sein des institutions nationales et encore balbutiant voire inexistant dans les établissements relevant des collectivités territoriales.
Le parcours de tous les biens culturels acquis par les établissements depuis 1933 nécessite en effet d'être reconstitué afin de s'assurer qu'ils n'ont pas été spoliés pendant la période comprise entre 1933 et 1945. Il s'agit d'une tâche titanesque qui appelle sans doute à identifier des critères permettant de prioriser l'examen, dans un premier temps, des biens culturels les plus susceptibles d'avoir une provenance douteuse.
Il est important que le ministère de la culture continue d'impulser ce travail, en utilisant les divers outils disponibles (contrats d'objectifs et de moyens, circulaires) et qu'il assure une plus grande animation et coordination de ces travaux. Les établissements culturels semblent en particulier désireux de réunions périodiques les rassemblant sur le sujet, afin d'échanger entre eux autour de bonnes pratiques.
Ce travail nécessite toutefois des moyens humains considérables. Il ne pourra pas être réalisé dans des délais raisonnables sans financements nouveaux pour permettre aux établissements de recruter des personnels dédiés. Le recrutement mutualisé de chercheurs de provenance pourrait s'avérer une solution intéressante, en particulier pour les établissements territoriaux ou les plus petits établissements nationaux.
L'application de cette procédure à tous les types de biens culturels, y compris les livres qui n'avaient pas été concernés par la loi de 2022, devrait permettre de poursuivre le travail amorcé au sein des bibliothèques depuis quelques années sous l'impulsion du service du livre et de la lecture. La Bibliothèque nationale de France, qui vient d'achever son travail sur les oeuvres MNR, prévoit ainsi d'engager des recherches sur les biens acquis aux enchères pendant la période comprise entre 1933 et 1945.
La commission a adopté cet article sans modification.
Article 2
Procédure destinée
à faciliter la restitution de certains biens culturels spoliés
appartenant aux collections d'un musée de France privé
Cet article instaure une procédure permettant aux musées privés bénéficiant de l'appellation « musée de France » de faire sortir de leurs collections les biens acquis, soit par dons ou legs, soit avec le concours financier de l'État ou d'une collectivité territoriale, qui se révéleraient spoliés afin de les restituer à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit.
La commission a adopté deux amendements visant à garantir la bonne application du présent article.
I. - La législation actuelle : l'inaliénabilité des biens des collections des musées de France privés acquis par dons ou legs ou avec le concours financier des collectivités publiques
À la différence des collections publiques, les biens relevant des collections des musées privés sont régis par le droit privé. N'étant pas inaliénables, il n'existe en principe aucun obstacle à ce que ceux qui s'avéreraient avoir été spoliés puissent être restitués à leurs propriétaires légitimes ou à leurs ayants droit, dès lors que le musée y consent.
Toutefois, l'article L. 451-10 du code du patrimoine prévoit des règles spécifiques concernant les biens des musées privés ayant reçu l'appellation « musée de France ».
D'une part, leurs collections sont insaisissables et imprescriptibles. D'autre part, les biens acquis par dons et legs ou avec le concours financier de l'État ou d'une collectivité territoriale sont, comme les biens appartenant aux collections publiques, frappés d'inaliénabilité. Ils ne peuvent être vendus ou transférés qu'à des personnes publiques ou des personnes morales de droit privé à but non lucratif qui se seraient engagées, au préalable, à maintenir l'affectation de ces biens à un musée de France. Une telle vente ou un tel transfert est par ailleurs conditionné à l'approbation préalable du ministre chargé de la culture, après avis du Haut conseil des musées de France.
En pratique, ces dispositions rendent donc impossible la restitution d'un bien spolié acquis par dons ou legs ou avec l'aide d'une collectivité publique, puisque les propriétaires légitimes ou leurs ayants droit sont des personnes physiques de droit privé.
II. - Le dispositif proposé : l'introduction d'une dérogation pour faciliter la restitution des biens des musées de France privés ayant fait l'objet d'actes de spoliations antisémites
Le présent article vise à faire sauter le verrou de l'inaliénabilité attachée aux biens des collections des musées privés de France acquis par dons ou legs ou avec le concours financier de l'État ou d'une collectivité territoriale.
Il insère, au sein du code du patrimoine, un nouvel article L. 451-10-1 autorisant les musées privés de France à pouvoir restituer ces biens à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit, lorsqu'ils s'avèrent avoir été spoliés entre 1933 et 1945 du fait des persécutions antisémites.
Les musées privés de France se voient accorder la faculté de faire sortir ces biens de leurs collections aux fins de les restituer après information du Haut conseil des musées de France.
Comme pour les biens appartenant aux collections publiques, la décision de restitution par le musée est subordonnée à l'avis préalable de la CIVS chargée de caractériser l'existence de la spoliation et ses circonstances.
L'article autorise également les musées privés de France à convenir, d'un commun accord avec les propriétaires légitimes ou leurs ayants droit, de modalités de réparation de la spoliation différentes de la restitution, une fois la spoliation établie et le principe de la restitution acquise.
III. - La position de la commission : une mesure bienvenue pour inciter les établissements privés à agir en matière de réparation des spoliations antisémites
Cet article apparait indispensable afin qu'aucun obstacle juridique n'entrave la capacité des musées privés de France à participer à l'élan en faveur de la réparation des spoliations antisémites. Il serait en effet incohérent que seuls les musées de France appartenant à l'État ou aux collectivités territoriales puissent bénéficier d'une dérogation de portée générale au principe d'inaliénabilité afin de faciliter la restitution des biens spoliés relevant de leurs collections, tandis que les musées de France appartenant à des personnes morales de droit privé à caractère non lucratif continueraient à devoir obtenir à chaque fois l'autorisation expresse du législateur afin de restituer les biens spoliés de leurs collections du fait des dispositions législatives qui leur resteraient applicables. Environ 13 % des 1 222 musées de France appartiennent à des personnes morales de droit privé à caractère non lucratif, soit un peu plus de 150.
La commission estime que cette disposition pourrait même jouer un rôle incitatif à l'égard des établissements privés bénéficiant de l'appellation « musée de France ». Elle y voit une mesure destinée à les encourager à restituer les biens spoliés de leurs collections et à approfondir le travail de recherche sur la provenance de celles-ci. La circulaire relative à la méthodologie du récolement et aux opérations de post-récolement des collections des musées de France demande, depuis 2016, à l'ensemble des établissements bénéficiant de l'appellation, que leur statut soit public ou privé, d'améliorer, à l'occasion du récolement, la connaissance des biens inscrits à leur inventaire et de « documenter autant que faire se peut [...] les biens dont l'historique n'est pas clairement connu entre l'année 1933 (arrivée des Nazis au pouvoir en Allemagne) et l'année 1945 (fin de la Seconde guerre mondiale) et qui auraient pu faire l'objet, durant cette période, d'une spoliation ou d'une vente forcée ».
Afin de respecter l'indépendance de ces établissements, le présent article n'impose pas aux musées privés de restituer, mais se contente de leur en offrir la faculté. Sans doute sera-t-il néanmoins délicat pour les propriétaires des établissements d'aller à l'encontre de l'avis de la CIVS si celle-ci a reconnu le caractère spolié du bien culturel, d'autant que leur décision de refus de restituer pourra alors être attaquée en justice par les propriétaires spoliés ou leurs ayants droit.
La procédure mise en place ménage par ailleurs la possibilité d'une supervision par le Haut conseil des musées de France. Le musée privé aura en effet l'obligation de le tenir informé avant de procéder à une éventuelle restitution de bien spolié. Le service des musées de France, qui assure le secrétariat du haut conseil, a indiqué qu'en cas de refus du propriétaire du musée de restituer un bien dont la spoliation aurait été reconnue par la CIVS, un dialogue s'engagerait nécessairement pour comprendre ses motivations et tenter d'infléchir sa position.
Il convient de noter que le code du patrimoine ne permet pas la possibilité d'un retrait de l'appellation « musée de France » en cas de manquement d'un propriétaire à ses obligations. Le législateur avait estimé, au moment de l'adoption de la loi sur les musées en 2002, qu'une telle disposition serait contre-productive, dans la mesure où elle pourrait inciter un propriétaire de mauvaise volonté à manquer à ses obligations afin d'obtenir d'en être déchargées.
Afin de garantir la bonne application du présent article, la commission a adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement visant à préciser le caractère dérogatoire de cette disposition au principe d'inaliénabilité applicable à certains biens des musées de France privés prévu à l'article L. 451-10 du code du patrimoine ( COM-4). Dans le même souci, elle a renvoyé au décret pris en application de l'article 1er le soin de fixer également les modalités d'application du présent article ( COM-5). Il lui semble essentiel que des dispositions réglementaires puissent organiser les modalités d'intervention de la CIVS. À ce titre, elle jugerait pertinent que les musées privés développent un dialogue avec la CIVS comme le font déjà plusieurs établissements nationaux.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
Article 3
Application de la loi aux demandes de restitution
formulées avant sa publication
Cet article vise à rendre applicables les dispositions de la présente loi aux demandes de restitution déposées avant sa publication et encore en cours d'examen.
Il n'appelle pas d'observation de la part de la commission.
I. - Le dispositif proposé : garantir l'application des nouvelles dispositions résultant de cette loi aux dossiers de restitution de biens spoliés encore en cours d'examen
Cet article précise les conditions d'application de la présente loi. Il rend applicables les procédures de sortie des collections prévues aux articles 1er et 2 aux demandes de restitution en cours d'examen à la date de sa publication.
II. - La position de la commission : une précision opportune compte tenu des gains qu'elle pourra procurer
La commission est favorable aux dispositions du présent article. Elles permettront d'accélérer, le cas échéant, la restitution des biens culturels qui font l'objet de dossiers actuellement ouverts auprès de la CIVS, si l'instruction détermine que ces biens ont effectivement fait l'objet d'actes de spoliation. Elles épargneront par ailleurs aux familles de victimes d'avoir à déposer une nouvelle demande de restitution afin de bénéficier de la nouvelle procédure une fois la loi entrée en vigueur.
D'après les informations communiquées au rapporteur, six dossiers seraient concernés : deux résulteraient de requêtes déposées par des familles de victimes, tandis que les quatre autres correspondraient à des oeuvres identifiées comme potentiellement spoliées à la suite de recherches proactives menées par les établissements culturels relevant du ministère de la culture. Ils concerneraient moins d'une dizaine de biens culturels.
La commission a adopté cet article sans modification.
*
* *
En conséquence, la commission de la
culture, de l'éducation
et de la communication a adopté la
proposition de loi ainsi modifiée.
* 1 Rapport n° 469 (2021-2022) de Mme Béatrice Gosselin, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, déposé le 9 février 2022.
* 2 Vademecum sur le traitement des biens culturels spoliés de juin 2017 réalisé conjointement par le Conseil des ventes et la CIVS.