EXAMEN EN COMMISSION
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MERCREDI 10 MAI 2023
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La commission désigne M. François-Noël Buffet rapporteur sur la recevabilité de la demande d'attribution d'une commission d'enquête à la commission des finances pour mener une mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds.
M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - La commission des finances a demandé la semaine dernière à se voir attribuer les prérogatives d'une commission d'enquête pour mener une mission d'information portant sur le fonds Marianne, pour une durée de trois mois.
Conformément à l'article 22 ter du Règlement du Sénat, il nous appartient de nous prononcer au préalable sur la recevabilité de cette demande au regard des conditions fixées par l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Vous le savez, une commission d'enquête peut avoir pour objet soit des faits déterminés, soit la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale. Lorsqu'elle porte sur des faits déterminés, ceux-ci ne doivent pas faire concomitamment l'objet de poursuites judiciaires. Pour s'en assurer, le Président du Sénat interroge le garde des sceaux. En revanche, lorsque les investigations portent sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, notre commission considère de façon constante qu'il n'y a pas lieu, par définition, d'interroger le garde des sceaux quant à l'existence d'éventuelles poursuites. Je précise à ce sujet que nous apprécions cette notion de « poursuites judiciaires » de façon large, comme englobant également l'existence d'une information judiciaire en cours, mais pas d'une simple enquête préliminaire, en revanche.
En l'espèce, la commission des finances souhaite enquêter sur la création du fonds Marianne, sur la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs assignés à ce fonds.
Pour mémoire, le fonds Marianne est un appel à projets national doté d'une enveloppe de 2,5 millions d'euros, qui a été lancé en avril 2021 par le Gouvernement pour promouvoir les valeurs républicaines et combattre les discours séparatistes, en réaction à l'assassinat du professeur Samuel Paty. Il a conduit, en juin 2021, à la sélection de 17 projets par un comité de sélection, pour un montant global d'un peu plus de 2 millions d'euros, financés par le fonds interministériel de prévention de la délinquance.
Telle qu'elle est formulée, la demande de la commission des finances porte sur la gestion d'un service public - à savoir les conditions d'attribution et de contrôle de subventions publiques à des structures engagées dans la lutte contre les discours séparatistes et complotistes ou dans la défense des valeurs républicaines -, ce qui ne rend pas, en principe, nécessaire une saisine du garde des sceaux, si l'on suit la « jurisprudence » traditionnelle de notre commission que je viens de rappeler.
Toutefois, l'information, publiée dans la presse le 4 mai dernier, de l'ouverture par le parquet national financier (PNF) d'une information judiciaire pour des faits de détournement de fonds publics, de détournement de fonds publics par négligence, d'abus de confiance et de prise illégale d'intérêts concernant l'attribution de subventions par ce fonds m'a convaincu de faire preuve d'une certaine prudence, compte tenu en l'espèce de la relative modestie de ce fonds et du nombre limité de projets sélectionnés.
C'est pour cette raison qu'il m'a paru préférable de demander au Président du Sénat de saisir le garde des sceaux, afin d'en savoir plus sur la nature et le périmètre exact de cette information judiciaire et d'éclairer par contraste le champ des investigations que nos collègues de la commission des finances pourraient mener sans empiéter sur des faits dont l'autorité judiciaire est saisie. Compte tenu de la frontière relativement ténue qui sépare ce qui relève, en l'espèce, du contrôle de la gestion d'un service public stricto sensu et de l'enquête sur des faits déterminés, il m'a paru en effet utile que nos collègues de la commission des finances disposent de cette information pour ne pas risquer de se retrouver en difficulté dans le cadre de leurs travaux.
Toutefois, dans la réponse qu'il a adressée hier au président du Sénat, le garde des sceaux s'est borné à confirmer l'existence d'une information judiciaire, sans préciser ni la nature ni le périmètre des poursuites engagées, c'est-à-dire les faits sur lesquels porte cette procédure. J'en prends donc acte et en déduis que rien ne s'oppose à, ce stade, aux investigations que la commission des finances entend mener sur la création de ce fonds, les projets sélectionnés, les subventions attribuées et contrôlées, et sur les résultats obtenus au regard des objectifs assignés à ce fonds.
Je relève par ailleurs que les autres conditions de recevabilité de la demande sont bien réunies : d'une part, la demande détermine avec précision l'objet et la durée de la mission, laquelle n'excède pas six mois ; d'autre part, elle n'a pas pour effet d'octroyer des prérogatives d'enquête sur un objet pour lequel elles ont déjà été octroyées pour des travaux achevés par une commission depuis moins de douze mois ou sur lequel une commission d'enquête a achevé ses travaux depuis moins de douze mois.
Pour conclure, je vous invite donc à constater la recevabilité de la demande de la commission des finances.
M. Alain Richard. - J'adhère à votre raisonnement, mais je m'interroge quant au « contrôle » de l'usage des subventions figurant dans l'intitulé de la mission d'information. En effet, s'il y a poursuite judiciaire pour détournement, les services qui se sont chargés du contrôle de l'utilisation des subventions sont susceptibles d'entrer dans le champ de l'enquête pénale. Il est donc à craindre que les travaux de la commission des finances n'interfèrent avec l'investigation pénale en cours.
M. Philippe Bas. - Votre rapport est très circonstancié, chaque mot ayant été pesé au trébuchet. J'entends les propos de notre collègue Alain Richard, mais il peut y avoir des contrôles de nature différente : un contrôle du juge pénal, un contrôle fondé sur des dispositions constitutionnelles du Parlement. Lorsque nous procédons à de tels contrôles, nous n'avons pas à caractériser les faits que nous examinons sur le plan pénal. Nous pouvons en revanche considérer que les dépenses qui ont été faites ne sont pas pertinentes pour telle ou telle raison au regard des objectifs que s'est assignés le service public. Il me semble au contraire qu'il faut maintenir dans le champ des investigations parlementaires la notion de contrôle de la pertinence des dépenses engagées par le fonds Marianne.
M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - La difficulté tient au fait que la lettre du garde des sceaux est généraliste. Elle ne nous dit rien du champ de l'instruction judiciaire qui vient d'être ouverte. D'où l'avis favorable que je vous ai communiqué. En revanche, nous devrons attirer l'attention de nos collègues de la commission des finances sur le fait qu'ils devront s'assurer que les personnes auditionnées n'auront pas été mises en cause dans le cadre de l'information judiciaire et qu'ils devront conduire leurs auditions avec prudence.
La commission constate la recevabilité de la demande d'attribution des prérogatives d'une commission d'enquête à la commission des finances pour mener une mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds.