EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 mars 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Gérard Longuet sur la proposition de loi n° 341 (2022-2023) visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement.

M. Claude Raynal , président . - Nous examinons le rapport de M. Gérard Longuet sur la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France (EDF) d'un démembrement, adoptée par l'Assemblée nationale.

M. Gérard Longuet , rapporteur . - Cette proposition de loi a été déposée par Philippe Brun, jeune député de l'Eure. Il a réussi à obtenir un vote quasi unanime de l'Assemblée nationale : un seul député a voté contre. Cette majorité est constituée de députés Nupes, Rassemblement national et Les Républicains, unis comme au front, pour éviter le démembrement d'EDF.

Trois dispositions expliquent ce vote surprenant, permis notamment par l'absence des députés Renaissance qui avaient quitté l'hémicycle, estimant que l'article 40 de la Constitution aurait dû s'appliquer. Selon le ministre, l'Assemblée nationale voterait ainsi une proposition de loi dont la mise en oeuvre des dispositions coûterait 18 milliards d'euros aux finances publiques. M. Philippe Brun souhaite que le Gouvernement s'explique sur l'avenir d'EDF au moment où il met en oeuvre une procédure décidée en juillet 2022, rendue possible dans les lois de finances rectificative (LFR) : le rachat et le retrait des actions cotées d'EDF, pour que l'État acquière 100 % des actions, ce qui aboutit à retirer les actions de la cote. Cette action gouvernementale est légitime, et les moyens lui sont donnés par la LFR de fin 2022, mais ne s'accompagne pas d'un exposé clair des projets du Gouvernement sur EDF.

Philippe Brun, ayant fait un contrôle sur place et sur pièces, estime que l'idée sous-tendant le projet Hercule, à savoir la séparation du nucléaire et de l'hydraulique d'un côté, du reste des activités de l'autre, n'est pas abandonnée. L'Agence des participations de l'État (APE) poursuit d'une façon systématique des réflexions sur EDF et le Gouvernement est bien en mal de donner son avis sur l'avenir d'EDF, qui dépend beaucoup des futures règles du marché européen de l'électricité ; celui-ci a des effets pervers redoutables quand le prix de l'électricité est tiré vers le haut, à des niveaux inacceptables, par le coût marginal de la dernière centrale appelée qui s'applique ensuite à l'ensemble du marché européen.

Il y aurait trois raisons de soutenir le texte tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale, mais aucune n'est vraiment bonne. D'abord, la renationalisation est un affichage, qui, certes, a du sens pour ceux qui l'avaient souhaité, comme les communistes, qui retrouvent ainsi l'action de Marcel Paul, qui avait nationalisé EDF en 1946. Jusqu'en 2005, EDF était un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), avant de devenir une société anonyme (SA). C'est un retour vers le passé, ce qui n'est cependant pas l'intention principale de l'auteur de la proposition de loi...

Ensuite, la proposition de loi veut présenter EDF comme un groupe public unifié, indissociable. Cela pose deux types de problèmes : l'entreprise est certes unifiée, mais elle n'a pas autorité sur la totalité de ses activités. Elle a autorité sur sa fonction de production d'énergie - nucléaire, hydraulique, énergies renouvelables, thermique -, mais pas sur le transport de l'électricité ni la distribution finale. Le transport de l'électricité dépend de Réseau de transport d'électricité (RTE), capitalistiquement dépendant d'EDF. Mais institutionnellement, le code de l'énergie, inspiré par le droit communautaire, interdit au transporteur de dépendre de l'autorité d'un fournisseur particulier. Dans un marché concurrentiel, les producteurs doivent accéder aux consommateurs en utilisant de façon transparente et loyale le réseau de transport d'électricité. Cela interdit à RTE d'obéir à EDF. RTE a donc sa propre politique. S'il est majoritairement détenu par EDF, il doit être indépendant.

La situation d'Enedis est comparable, alors que la filiale détient une position quasi monopolistique pour la distribution d'électricité, si l'on exclut quelques entreprises locales comme l'usine d'électricité de Metz, héritage des Stadtwerke , ou des réseaux communaux de distribution dans le Sud-Ouest, témoignages de l'histoire. Enedis est détenue à 100 % par EDF, mais en est indépendante.

Faire évoluer statutairement EDF pour en faire un système « unifié » n'est pas clair juridiquement, et c'est en contradiction avec l'ouverture du marché exigeant que transport et distribution soient indépendants de l'autorité d'EDF.

Autre problème si l'on fige le périmètre d'EDF : EDF développe des activités très différentes, héritées de l'histoire, certaines proches de la production, d'autres plus éloignées, comme la production de chaleur : Dalkia, possédé par EDF, produit de la chaleur, et est en concurrence avec d'autres entreprises. On pourrait imaginer une évolution de son périmètre, mais la rédaction de la proposition de loi la rendrait difficile, voire impossible.

Pourquoi les députés Les Républicains soutiennent-ils cette proposition de loi qui n'est pas dans la ligne de leurs convictions habituelles ? Le groupe dirigé par Olivier Marleix avait demandé une commission d'enquête « visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France ». La raison en est d'abord tactique : le Gouvernement n'est pas à la hauteur des besoins en ce qui concerne l'amortissement des variations de prix. La proposition de loi visait l'extension du bouclier tarifaire au-delà des très petites entreprises (TPE) - selon l'Union européenne, la définition des TPE concerne les entreprises dont le chiffre d'affaires n'excède pas 2 millions d'euros et dont l'effectif est inférieur à 10 salariés - pour l'étendre à toutes les entreprises de moins de 5 000 salariés et dont le chiffre d'affaires n'excède pas 1,5 milliard d'euros ou dont le total de bilan n'excède pas 2 milliards d'euros. Le ministre au banc a découvert que l'analyse de l'application de l'article 40 par le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale était que le texte tel que rédigé n'impliquait pas de dépenses directes : l'Assemblée pouvait donc adopter la proposition de loi. Faisons prospérer le débat : cette proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale.

Mais elle arrive trop tôt ou trop tard. Elle arrive trop tard, car le retrait des actions décidé par le Gouvernement et approuvé par le Parlement via le projet de loi de finances rectificative (PLFR) implique que la nationalisation n'aurait pas de sens et perturberait la procédure en cours - l'État détient 95,82 % des actions.

Je proposerai un amendement visant à garantir que cette reprise à 100 % s'accompagne de la possibilité pour les salariés d'accéder au capital de l'entreprise - certains y sont actuellement. Cependant, si l'entreprise n'est plus cotée, les actions ne sont plus liquides : il reste donc une difficulté : comment les salariés souhaitant détenir ou conserver des actions pourraient-ils bénéficier d'une certaine forme de liquidité ?

L'initiative du Président de la République de rendre les salariés actionnaires s'appliquerait très bien ici, à condition de descendre le taux de détention par l'État de 2 % pour que les salariés soient eux-mêmes actionnaires.

Cette proposition de loi arrive trop tôt quant à la crainte du démembrement d'EDF, car le marché européen de l'énergie électrique doit être réexaminé. La règle centrale de fixation du prix sur le coût marginal de la dernière centrale est absurde. Il faut prévoir différentes formes de financement. On ne finance pas une éolienne comme une centrale nucléaire. Cette dernière fait face à des coûts d'investissement extrêmement lourds, et à des coûts de fonctionnement plus légers et insensibles aux variations des prix de la molécule fossile - à la différence de l'électricité produite à partir de gaz ou de charbon.

Avec davantage de pays acceptant le nucléaire, j'espère que l'Union européenne abandonnera ce système et adoptera des contrats de long terme pour financer des investissements lourds. Les Britanniques ont ainsi obtenu un contrat différent pour la centrale d'Hinkley Point : l'État britannique crée un tunnel de prix, avec une certaine liberté. Si le prix est trop élevé, l'État soutient le producteur ; s'il est trop bas, le producteur rembourse l'État. L'Union européenne avait accepté ce système lorsque le Royaume-Uni était membre de l'Union. Si notre gouvernement est efficace, il devrait pouvoir obtenir un résultat similaire et soutenir ceux qui veulent défendre EDF. Au Gouvernement de nous dire ce qu'il est capable de faire.

Troisième raison, nous proposons une solution acceptable : faire sauter le verrou des 36 kilovoltampères (kVA) pour les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE). Aujourd'hui, les TRVE et le bouclier s'appliquent aux entreprises employant moins de 10 personnes, dont le chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros et dont le compteur électrique a une puissance inférieure ou égale à 36 kVA. Ce seuil n'a pas de raison d'être au niveau européen. Nous devons décider que ce butoir n'est pas légitime. Cette réponse immédiate pourrait être satisfaisante.

Cette proposition de loi a l'immense mérite d'obliger le Gouvernement à présenter sa politique de long terme sur l'outil national que constitue EDF, qui mériterait un peu plus d'informations sur son avenir. Un ancien président d'EDF - qui n'est pas Jean-Bernard Lévy, mon ancien directeur de cabinet - estimait que le seul aléa, pour EDF, était les changements de politiques absolument incompatibles avec l'échéance des investissements d'EDF, à quarante ou soixante ans. Il estimait ne pas avoir besoin d'un gouvernement mauvais actionnaire mangeant le blé en herbe pour satisfaire ses besoins de financement à court terme, ni d'un gouvernement idéologique demandant de supprimer tout ce qui avait été fait auparavant. Je remercie Philippe Brun de faire ainsi progresser le débat et de nous permettre de jouer notre rôle de parlementaire, préparant l'avenir de notre pays.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je remercie le rapporteur d'avoir resitué le contexte et de dresser des perspectives. EDF porte une singularité française, à la suite du choix, dans les années 1970, de produire l'électricité principalement à base de nucléaire. Cela entraîne des contraintes et des obligations particulières. À l'époque, on ne parlait pas vraiment d'électricité décarbonée, ce qui fait dire à certains que cette production est vraiment pionnière. J'apprécie les corrections proposées sur les plafonds des tarifs réglementés. Il y a des incohérences à l'endroit de certaines professions, prises en porte à faux, des collectivités locales ou de certains opérateurs. Ce rapport et les amendements portent un cap, et je remercie le rapporteur.

M. Marc Laménie . - Je remercie le rapporteur pour son travail. EDF a une dimension nationale et internationale. Il y a de plus en plus besoin d'électricité, notamment nucléaire. Or de nombreuses centrales ont été arrêtées pour diverses raisons techniques. Les personnels sont importants pour la sûreté nucléaire.

Peut-on avoir des précisions sur le nombre de filiales ? Quelle est l'évolution de l'endettement d'EDF ? Quels investissements sont réalisés pour le nucléaire, et quelle est l'implication sur les énergies renouvelables ?

M. Albéric de Montgolfier . - Je partage la préoccupation portée par l'article 3 bis et l'amendement COM-7 sur l'extension des tarifs réglementés. Le chiffre de 36 kVA n'a plus de sens au niveau de l'Union européenne. Je suis donc d'accord pour étendre ces tarifs à d'autres, mais cela ne règle rien au véritable problème européen, à savoir la corrélation avec le gaz et avec le coût de la dernière centrale mise en service. Faut-il sortir du marché européen de l'électricité, même si l'interconnexion peut parfois nous être utile ? On a pu atteindre un prix de 1 000 euros le mégawattheure (MWh).

M. Didier Rambaud . - Sans surprise, je reprendrai la réponse de Bruno Le Maire à une question d'actualité au Gouvernement posée il y a trois semaines : je ne sais pas ce que ce texte va apporter de plus, mais je sais ce que cela va coûter... Une loi de nationalisation de 100 % du capital, alors qu'une opération de marché est en cours et poursuit le même objectif, n'aurait que des inconvénients : elle aboutirait au même résultat, mais coûterait plus cher.

La proposition de loi offrait, dans sa version initiale, 14 euros par action, alors que l'offre publique est de 12 euros par action : le surcoût pour l'État atteindrait 1,5 milliard d'euros, sans aucun avantage. Ces deux euros supplémentaires devraient être reversés à tous les actionnaires et rémunéreraient notamment des fonds d'investissements anglo-saxons.

Pour un meilleur partage de la valeur et un développement de l'actionnariat salarié, EDF peut mobiliser d'autres outils comme l'intéressement et la participation.

M. Victorin Lurel . - Je souscris aux propos du rapporteur sur l'historique et les conditions du vote. MM. Ciotti et Marleix ont voté en conscience ; ce n'est pas une erreur ni une mauvaise manière faite au Gouvernement. Il existe un vrai débat politique, philosophique et idéologique sur l'avenir d'une société d'intérêt général. En 1946, EDF était un Epic, c'est désormais une SA.

C'est pourquoi le Gouvernement veut monter dans le capital, par une étatisation de l'entreprise. Mais il faut une solution plus solennelle, assurant un contrôle permanent du parc. Il fallait donc une nationalisation, dans l'esprit du Conseil national de la résistance. Cela a encore du sens. On peut trouver un compromis raisonnable.

Albéric de Montgolfier s'interroge sur une potentielle sortie du marché européen de l'électricité. Hier, en Seine-Saint-Denis, en visitant un site, nous avons vu comment passer de la théorie à la pratique en actionnant les dernières centrales au fioul. C'est aberrant, mais cela suit les principes de la théorie libérale.

Philippe Brun a effectué un contrôle sur place et sur pièces : le projet Hercule n'est pas totalement abandonné. Même si l'État détient 100 % du capital, il existe un risque de démembrement, en termes managérial et actionnarial, qu'il faut contrer. Si nous sommes plus colbertistes, jacobins ou même gaulliens, il faut que l'entreprise reste dans le giron de l'État. Donnons à EDF une certaine agilité. Les dotations d'actions sont possibles.

Gérard Longuet a déposé des amendements qui ne sont pas très courtois à l'égard de nos collègues députés, en proposant de réécrire totalement la proposition de loi, apportant une nouvelle vision. Nous défendons néanmoins une position orthogonale sur l'article 1 er . Nous avons déposé des amendements sur l'article 2. Nous pouvons trouver un compromis pour EDF SA intégrée d'intérêt national, à défaut d'être en accord sur le groupe public unifié. EDF reste une société de service public dans le giron de l'État et d'intérêt national. Vous ne devriez pas refuser cela.

Pour éviter tout démembrement, nous citons quelques activités du groupe, notamment la production de transport, tout en respectant l'indépendance opérationnelle de RTE.

Nous retirons l'amendement COM-10 , car il est déjà satisfait par l'article L 337-9 du code de l'énergie.

M. Sébastien Meurant . - Merci d'aborder ce sujet essentiel, un des rares atouts français restant dans la compétition européenne et internationale. Mais le prix Spot de l'énergie est un système scandaleux pour notre intérêt, qu'il soit économique, national ou écologique. L'électricité allemande produite à partir de charbon est moins chère que l'électricité française décarbonée. Comment a-t-on pu en arriver là ?

L'Europe détient la centrale à charbon la plus polluante au monde ! Nous donnons de l'argent à des pays pour polluer avec ces centrales à charbon, et en France, nous avons même réactivé des centrales à charbon : quel échec ! Cela ne doit plus se reproduire.

Il y a toujours une peur du démantèlement de cette belle et grande entreprise française qu'est EDF. Or l'énergie est un bien commun, tenons-en compte.

M. Emmanuel Capus . - Les amendements du rapporteur nous rassurent un peu sur le texte final.

Il me semble que le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale n'a pas la même conception de la recevabilité financière des amendements que celui du Sénat : l'article 3 bis crée des dépenses extrêmement importantes... N'est-ce pas en opposition avec la position actuelle de notre commission des finances ?

Dans la proposition de loi, et particulièrement à l'article 2, se pose un problème de compatibilité avec la directive européenne de 2003 : quels sont les risques encourus avec ce texte ?

M. Claude Raynal , président . - J'ai la même lecture que le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Comme quoi les présidents ont parfois raison... Il n'y a pas de lien juridique direct entre l'extension des TRVE et l'application du bouclier tarifaire, les analyses juridiques sont concordantes sur ce point. Et quand bien même une interprétation très extensive des dispositions de l'article 181 de la loi de finances pour 2023 pourrait autoriser une application du bouclier à ces nouveaux tarifs, la loi de finances précise bien que le Gouvernement conserverait un pouvoir discrétionnaire puisqu'il devrait décider volontairement de prendre un arrêté pour étendre le bouclier tarifaire à ces nouveaux tarifs. Et sans bouclier tarifaire, une extension de TRVE n'implique aucune dépense publique.

M. Daniel Breuiller . - Je remercie Gérard Longuet, qui est un excellent pédagogue. Vous évoquez une certaine espérance nucléaire, qui relève plutôt de la croyance, de la foi du charbonnier...

M. Gérard Longuet , rapporteur . - Ah non, le charbon émet du CO 2 !

M. Daniel Breuiller . - Le nucléaire a certes l'avantage d'être décarboné, mais a plusieurs autres inconvénients... La proposition de loi que vous nous proposez, après l'adoption de vos amendements, n'a que peu à voir avec la proposition de loi transmise. Cela me gêne d'enfoncer un coin entre les majorités Les Républicains du Sénat et de l'Assemblée nationale.

M. Vincent Éblé . - Ne vous gênez pas !

M. Daniel Breuiller . - Pour une fois que l'Assemblée nationale vote massivement un texte...

Le travail de Philippe Brun d'aller voir où en est le projet Hercule m'a beaucoup intéressé. J'ai siégé dans le Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (Sippérec) d'Île-de-France. Le projet Hercule suscite des inquiétudes immenses : il vise à nationaliser les pertes financières et à privatiser les éléments les plus vendables.

Si je puis admettre qu'on puisse être favorable au nucléaire - ce n'est pas mon cas -, on devrait alors avoir deux préoccupations, au premier rang desquelles la sûreté. Je ne comprends pas la décision du Gouvernement quant à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ensuite, il faut avoir le souci de la maîtrise publique : le nucléaire ne peut se prêter aux fluctuations du marché et à beaucoup de sous-traitance. Essayer de ne pas démembrer le groupe EDF ni l'affaiblir est important. La fixation des prix est une aberration absolue.

Le groupe Gest va réétudier la proposition de loi Longuet qui n'est plus la proposition de loi Brun. Le statut public sans affaiblissement reste une nécessité si jamais on veut mettre des oeufs dans le panier nucléaire.

M. Éric Bocquet . - Le rapporteur a évoqué les heures glorieuses de la création du pôle de production d'énergie en 1946. J'ai relu la loi du 8 avril 1946, qui s'appuyait sur cinq objectifs, très actuels : premièrement, redresser l'économie française - or on parle beaucoup de réindustrialiser, après le covid - ; deuxièmement, moderniser les structures existantes - or nous avons besoin d'argent pour rénover les centrales et en construire d'autres - ; troisièmement, rationaliser les efforts ; quatrièmement, devenir indépendants énergétiquement - c'est toujours vrai actuellement - ; cinquièmement, enfin, avoir le contrôle sur les orientations stratégiques du pays.

Ce n'est donc pas un retour vers le passé, mais un sujet pleinement d'actualité ; et l'outil utilisé à l'époque garde sa pertinence.

Dans votre histoire, vous n'avez pas rappelé qu'il s'agissait d'une tragédie en quatre actes, celle du démantèlement progressif d'EDF-GDF. Le premier acte est l'entrée progressive dans le marché européen ; le deuxième, l'ouverture du capital d'EDF ; le troisième, l'ouverture du capital de GDF et la fusion avec Suez ; et quatrième et dernier acte, la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (Nome), imposant à EDF de vendre près de 40 % de sa production en dessous des coûts de production à des « fournisseurs » alternatifs qui n'ont jamais rempli leurs obligations de production. EDF a toujours assumé ses missions, contribué aux Trente Glorieuses, à la croissance, à la souveraineté énergétique, et n'a pas démérité. On a affaibli l'opérateur, sous prétexte d'être plus efficace, pour que cela coûte moins cher, et que le prix pour le consommateur soit moins élevé. EDF a 17,9 milliards d'euros de déficit, mais c'est notamment dû à des causes historiques sur lesquelles il faut revenir.

Mme Christine Lavarde . - Toutes les modifications proposées par M. Longuet me conviennent.

Le critère des 36 kVA aurait dû relever du domaine réglementaire plutôt que du législatif, et cela nous donne une leçon : si le Gouvernement n'avait pas voulu trop légiférer, nous aurions pu régler le problème des boulangers bien plus rapidement, sans loi.

Je m'interroge sur le fait de conserver 2 % du capital pour l'actionnariat salarié. L'État veut racheter 100 % du capital, et revendrait 2 % aux salariés ? Comment est-ce possible ? Je m'interroge sur l'intérêt des salariés. L'État monte au capital pour qu'EDF réalise des investissements pour prolonger la durée du parc et construise de nouvelles centrales. Un actionnariat salarié percevrait-il des dividendes supplémentaires par rapport à d'autres mécanismes qu'on pourrait mettre en place ?

M. Gérard Longuet , rapporteur . - Mme Lavarde a raison, mais EDF s'est faite avec ses salariés. Je leur rends hommage, mais je reconnais que rien n'est réglé. Les investissements sont tels que la possibilité que les salariés ne touchent rien est très forte. C'est un amendement d'appel pour que le Gouvernement précise devant le Parlement la façon dont il envisage de traiter les salariés et de les associer aux résultats de l'entreprise.

Je partage totalement les conclusions d'Éric Bocquet sur la loi Nome, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), le marché européen. Nous avons ouvert nos frontières. Si nous étions ambitieux, nous pourrions être un vaste fournisseur européen ; ce serait une belle ambition pour EDF. Mais actuellement, c'est impossible. Et EDF est une entreprise unitaire là où d'autres entreprises sont éclatées.

Je ne refais pas l'histoire de 1946, mais j'aurai plaisir à évoquer le travail de Marcel Paul notamment.

Monsieur Breuiller, je suis heureux que vous estimiez que la décarbonation passe par le nucléaire.

M. Daniel Breuiller . - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Gérard Longuet , rapporteur . - Monsieur Capus, concernant les règles de recevabilité financière, je m'en remets à la jurisprudence et au président de la commission des finances.

L'analyse de Sébastien Meurant sur le marché européen et les excès du prix Spot est légitime. Mais les prix délirants ne durent parfois que quelques minutes par jour, ce n'est heureusement pas le prix moyen, qui est lissé. D'où les difficultés du Gouvernement à aider les entreprises concernées par des prix excessifs. Par définition, le prix marginal, même délirant, est marginal... Une réflexion sur la réorganisation du marché européen de l'électricité est indispensable. Si un malheureux concours de circonstances ne nous permet pas d'obtenir des financements lourds pour des systèmes de production à dépenses d'investissement (Capex - Capital Expenditures ) élevées, mais à dépenses d'exploitation (Opex - Operational Expenditures ) faibles, mieux vaut arrêter immédiatement, quitter l'Europe ou arrêter de produire de l'énergie... Nous nous ferions avoir à chaque coup.

Monsieur Lurel, l'intérêt général ne me gêne pas, bien au contraire : c'est un hommage rendu à une entreprise ayant fait son travail. Merci d'évoquer les mânes du général de Gaulle. Cela fait plaisir aux gaullistes - ce n'est pas mon cas, malgré tout mon respect pour le général. Si EDF doit être qualifiée de société d'intérêt général, je n'y vois que des avantages.

Monsieur Rambaud, l'actionnariat salarié est un vrai sujet. Il y a des solutions plus adéquates que l'achat d'actions dans une entreprise en redressement qui oeuvre dans un environnement économique incertain. Nous attendons les propositions du Gouvernement pour éventuellement faire évoluer le dispositif.

Monsieur de Montgolfier, les lois trop bavardes paralysent l'action du Gouvernement. Si une loi ne prévoyait pas ce seuil de 36 kVA que personne n'avait demandé, nous n'aurions pas eu ces problèmes. Mais ils sont relativement faibles par rapport aux difficultés posées par la fixation des prix à partir du coût marginal.

Monsieur Laménie, vos questions nécessiteraient des heures de réponse sur l'endettement, les investissements, la mise en oeuvre de l'Arenh, qui a coûté entre 20 et 25 milliards d'euros à EDF en 2022. C'est décourageant pour les salariés qui ont l'impression de travailler pour rien, juste pour les bonimenteurs qui vendent des mégawatts non verts.

C'est pour cette raison que la loi arrive un peu tôt : un marché européen réfléchi, mûr, distinguerait la fourniture de long terme des problèmes de court terme : l'électricité ne se stocke pas, et certains sont donc prêts à payer très cher leur électricité. Mais la majorité des consommateurs ont des consommations prévisibles, en ruban. Actuellement, on est obligé de suivre le tarif le plus cher, sauf pour le nucléaire, qui coûte. Tant que le marché ne sera pas réorganisé, EDF n'aura pas d'avenir clair. Faisons tout ce que nous pouvons faire, mais nous ne pouvons pas tout faire avec cette proposition de loi.

M. Claude Raynal , président . - J'indique que le périmètre proposé par le rapporteur pour l'application de l'article 45 de la Constitution comprend les dispositions relatives aux missions du groupe EDF et à sa structure capitalistique ; au processus de nationalisation de l'entreprise EDF ; à l'éligibilité des consommateurs finals non domestiques aux tarifs réglementés de vente d'électricité ; et au marché de l'électricité à Mayotte.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

M. Gérard Longuet , rapporteur . - L'amendement de suppression COM-4 vise à ne pas agiter le chiffon rouge de la nationalisation, qui n'apporterait rien puisqu'une OPA est en cours.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 1 er est supprimé.

Article 2

M. Gérard Longuet , rapporteur . - L'amendement COM-5 prévoit que la participation de l'État atteigne 100 % du capital, tout en la minorant de 2 % pour maintenir la place des salariés dans le capital. Nous sommes prêts à entendre toute proposition plus réaliste du Gouvernement, mais nous mettons un pied dans la porte pour qu'il ne soit pas dit que le Sénat ne se préoccupe pas de soutenir les salariés.

Concernant le sous-amendement COM-9 , je suis favorable à ce qu'EDF soit qualifiée de société « d'intérêt général », mais seul un groupe, et non la société anonyme peut être intégré. De plus, EDF détient des milliers de participations. Adopter ce terme d'« intégré » risquerait de tout paralyser....

M. Claude Raynal , président . - L'amendement pourrait être modifié pour ne mentionner que les termes « d'intérêt général » ?

M. Victorin Lurel . - J'approuve cette rectification même si nous souhaitions mettre en oeuvre un mécanisme de consolidation des filiales et inscrire l'idée d'un groupe public unique.

M. Gérard Longuet , rapporteur . - Avis favorable dans ce cas au sous-amendement COM-9 ainsi rectifié.

Le code de l'énergie reprend toutes les directives européennes et évite de rentrer en conflit avec l'Union. Plutôt qu'une énumération, risquée, faisons confiance au code de l'énergie pour ne pas froisser nos partenaires européens. La distribution, normalement, doit être séparée d'EDF. Elle ne l'est pas totalement, mais EDF respecte les règles. Avis défavorable au sous-amendement COM-11 .

M. Victorin Lurel . - Il n'y a pas de risque de contradiction avec le droit européen. EDF respecte le code de l'énergie. Le terme « notamment » ne bloque pas. Nous mentionnons le transport, car c'est une réalité.

M. Claude Raynal , président . - Nous en débattrons lors de la séance publique.

Le sous-amendement COM-11 n'est pas adopté.

Le sous-amendement COM-9 rectifié est adopté. L'amendement COM-5 , ainsi sous-amendé, est adopté. En conséquence, les amendements COM-1 rectifié bis et COM-2 rectifié bis deviennent sans objet.

L'article 2 est ainsi rédigé.

Article 3

M. Gérard Longuet , rapporteur . - L'article 3 prévoyait une commission en cas de renationalisation ; mais, puisque nous nous en tenons à une offre publique d'achat (OPA) simplifiée, nous n'avons pas besoin de cette instance. Je vous propose donc de supprimer cet article.

L'amendement COM-6 est adopté.

L'article 3 est supprimé.

Article 3 bis (nouveau)

M. Gérard Longuet , rapporteur . - L'amendement COM-7 tend à supprimer la mention des « sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères ».

M. Pascal Savoldelli . - Quel sera l'impact de cette mesure sur les collectivités territoriales ?

M. Gérard Longuet , rapporteur . - Les collectivités territoriales qui emploient moins de dix ETP disposant d'installations électriques dépassant les 36 kilovoltampères en bénéficieront.

M. Pascal Savoldelli . - Pourrait-on connaître, d'ici à l'examen en séance publique, le nombre de collectivités concernées ?

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - C'est impossible...

M. Pascal Savoldelli . - Il est a priori très faible.

Le sous-amendement COM-10 est retiré. L'amendement COM-7 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-3 devient sans objet.

L'article 3 bis est ainsi rédigé.

Article 3 ter (nouveau)

L'amendement de coordination COM-12 est adopté.

L'article 3 ter est ainsi rédigé.

Article 4

M. Gérard Longuet , rapporteur . - L'amendement COM-8 vise à supprimer un gage devenu superflu.

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 4 est supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article 1 er

Auteur

Sort de l'amendement

M. LONGUET, rapporteur

4

Adopté

Article 2

Auteur

Sort de l'amendement

M. LONGUET, rapporteur

5

Adopté

M. LUREL

9 rect.

Adopté

M. LUREL

11

Rejeté

M. LUREL

1 rect.

Satisfait ou sans objet

M. LUREL

2 rect. bis

Satisfait ou sans objet

Article 3

Auteur

Sort de l'amendement

M. LONGUET, rapporteur

6

Adopté

Article 3 bis (nouveau)

Auteur

Sort de l'amendement

M. LONGUET, rapporteur

7

Adopté

M. LUREL

10

Retiré

M. LUREL

3

Satisfait ou sans objet

Article 3 ter (nouveau)

Auteur

Sort de l'amendement

M. LONGUET, rapporteur

12

Adopté

Article 4

Auteur

Sort de l'amendement

M. LONGUET, rapporteur

8

Adopté

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