EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le 1 er février 2023, la commission des affaires européennes a engagé le débat suivant :
M. Jean-François Rapin , président, rapporteur . - Nous allons traiter le sujet des conséquences d'une éventuelle adhésion de l'Union européenne, en tant que telle, à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH), à laquelle ses vingt-sept États membres sont déjà parties à titre individuel. Une telle adhésion, bien que prévue par les traités, bute depuis de nombreuses années sur des questions délicates, que nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte avaient présentées dans leur rapport d'information de 2020 intitulé Adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme .
Toutefois, elle pourrait se décider prochainement, à la faveur d'un tour de passe-passe juridique proposé par la Commission européenne, qui aurait un impact préoccupant sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Nos collègues Gisèle Jourda et Dominique de Legge nous ont alertés à ce sujet en octobre dernier.
Il y a deux semaines, nous avons organisé une réunion commune à trois commissions : celle des lois, celle des affaires étrangères et la nôtre, pour sensibiliser plus de sénateurs aux enjeux politiques considérables de ce sujet d'apparence technique. À l'issue de cette réunion, j'ai déposé, avec mes collègues François-Noël Buffet et Christian Cambon, une proposition de résolution européenne dont le but est, avec le Gouvernement, d'éviter un ralliement du Conseil de l'Union européenne à la proposition de la Commission. En effet, cette proposition revient à réviser les traités, de manière déguisée, par une simple déclaration intergouvernementale qui contournerait le contrôle démocratique du Parlement. Il s'agit ainsi de rendre la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) compétente sur la politique étrangère et de sécurité commune, ce que les traités excluent à ce jour, en l'autorisant à statuer sur une éventuelle violation des droits fondamentaux avant que la Cour européenne des droits de l'homme ne se prononce.
Je ne reviendrai pas sur les nombreux enjeux opérationnels pour la PESC, mais aussi juridiques, institutionnels et politiques, que cette perspective soulève. Nous en avons discuté de manière approfondie lors de notre réunion du 18 janvier. C'est sur ce fondement que nous avons déposé la proposition de résolution européenne n° 296, aujourd'hui soumise à l'examen de notre commission. Je vous propose de l'adopter en l'état, puisqu'elle est le fruit des débats que nous avons déjà eus ensemble à ce sujet. Chacun d'entre nous avait alors déjà fait part de ses incertitudes, mais je vous invite à vous exprimer à la lumière de l'audition qui vient de s'achever.
M. Jean-Yves Leconte . - La difficulté est indéniable. Qu'un requérant dénonce, devant la CEDH, une action de l'Union suppose de s'assurer que celle-ci est bien compétente. Telle qu'elle est écrite, la proposition de résolution ne remet pas en cause la perspective d'adhésion de l'Union à la CEDH et se borne à souligner la difficulté tout en rappelant les compétences respectives des États membres et de l'Union. L'adhésion de l'UE à la CESDH ne me semble pas soulever de difficultés sinon que les décisions de la CJUE touchent parfois des domaines situés, selon les États, hors de sa compétence - ses arrêts sur les communications téléphoniques en témoignent.
Ainsi, dans cette construction européenne - Jacques Delors disait souvent que l'Europe, c'est comme la bicyclette : si elle n'avance pas, elle tombe -, on ne peut attendre que les traités demeurent statiques. Son adhésion à la CEDH fait partie de ce qui augmente les compétences de l'Union elle-même, et ne pourra avoir lieu à droit constant.
Sur le fond, les réserves que j'ai exprimées auparavant sont levées. Nous soulignons une difficulté réelle, qui mérite d'être dite : il est d'ailleurs étonnant que nous soyons seuls, alors que d'autres pays auraient des raisons d'y être encore plus sensibles que nous...
M. Jean-François Rapin , président, rapporteur . - Nous ferons valoir ces arguments à nos homologues d'autres États membres.
M. Jean-Yves Leconte . - Le risque serait que certains, se rendant compte du sujet, décident, eux, de tout bloquer...
M. Jean-François Rapin , président, rapporteur . - J'ai aussi évoqué le sujet à Stockholm il y a quelques jours à l'occasion de la réunion des Présidents de la COSAC.
M. Didier Marie . - Je rejoins Jean-Yves Leconte. Premièrement, l'adhésion à la CEDH est nécessaire, car elle apportera à chacun de nouveaux moyens de défendre ses droits. Nous ne voyons plus de raison de nous opposer à la proposition de résolution, nos remarques ayant été prises en compte. Deuxièmement, nous ne souhaitons pas, en cohérence avec la résolution, qu'une déclaration interprétative modifie les traités. Troisièmement, je constate que, si nous venons en appui du Gouvernement avec une résolution, nous n'apportons pas de solution. La Première ministre l'a dit dans son courrier : la France mène bataille pour éviter la déclaration interprétative, mais elle ne semble pas, à ce stade, avoir d'autre option à présenter. Les citoyens européens en pâtissent, car, en attendant, ils n'ont pas accès à la CEDH pour contester les actes de l'Union. Rencontrer les représentants du Gouvernement serait utile pour qu'ils nous éclairent sur les pistes alternatives afin que nous puissions, au nom de la commission, fournir un soutien à celles-ci.
Mme Gisèle Jourda . - Il faudra nourrir ce dossier. Je me satisfais de constater que la difficulté est bien comprise. Avec Dominique de Legge, nous nous étions prononcés en faveur de l'adhésion à la CEDH.
Montrer l'existence d'une difficulté est un point de départ. La déclaration interprétative résulte d'une tentative de la contourner. On ne pourra sans doute pas se passer d'une modification du traité. C'est la clé d'une réelle souveraineté européenne.
M. Jean-François Rapin , président, rapporteur . - Je précise d'ailleurs que c'est la Commission européenne qui a proposé cette déclaration, comme nous le mentionnons dans l'exposé des motifs.
Mme Gisèle Jourda . - Je suis, en tout cas, favorable à ce premier pas.
La commission autorise la publication du rapport et adopte la proposition de résolution européenne .