EXAMEN DE L'ARTICLE
Article unique
Mise en compatibilité du plan local
d'urbanisme intercommunal
du Bas-Chablais avec une déclaration
d'utilité publique antérieure
Cet article propose d'appliquer, par voie législative, une mise en compatibilité, décidée par décret, au plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) du Bas-Chablais, adopté ultérieurement et non visé par la mise en compatibilité initiale, mais couvrant le même périmètre que cette dernière.
La commission a adopté l'article sans modification .
I. La situation actuelle - Un projet d'infrastructure d'utilité publique mis en péril par l'adoption d'un nouveau document d'urbanisme qui a omis de l'intégrer
A. Un projet d'infrastructure structurant qui a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique portant mise en compatibilité
Les collectivités de Haute-Savoie ont, depuis la fin des années 1980, soutenu le projet de réalisation d'une liaison 2x2 voies dans le territoire dit du Bas-Chablais. L'objectif de cette liaison est de permettre le désenclavement du Bas-Chablais, dont les interconnexions routières ne sont pas à la hauteur des enjeux touristiques, démographiques et transfrontaliers , et en conséquence, de désengorger les voies existantes.
Ce projet global d'amélioration de la desserte s'est progressivement concrétisé, en plusieurs étapes . Ainsi, un contournement de la ville de Thonon-les-Bains a été finalisé en 2008 ; puis, en 2014, entre le carrefour dit « des chasseurs » à Annemasse et la commune de Machilly (cofinancé par le Département, la Région et l'État).
En 2015, une dernière liaison 2x2 voies, reliant Machilly au contournement de Thonon-les-Bains , déjà envisagée de longue date, a été mise à l'étude afin de compléter ce projet global de désenclavement du Bas-Chablais. Elle porte sur un tronçon d'environ 16,5 kilomètres, traversant le territoire d'une dizaine de communes environ, et qui serait concédé sous la forme d'une autoroute (A412).
À la suite d'une enquête publique et de l'avis des collectivités territoriales concernées, ce nouveau projet a été déclaré d'utilité publique par le biais d'un décret du 24 décembre 2019 1 ( * ) , en vue de pouvoir lancer rapidement l'appel d'offres destiné à désigner le concessionnaire.
Source : extrait du plan d'ensemble de la liaison
2x2 voies (au sein du périmètre d'étude
relatif
aux opérations routières, 2015), préfecture de la
Haute-Savoie
En particulier, l'article 6 de ce décret portant DUP a emporté mise en compatibilité des plans locaux d'urbanisme (PLU) des dix communes situées sur le tracé de la liaison autoroutière. Dès la publication du décret portant mise en compatibilité, ces dix PLU 2 ( * ) ont donc été de facto modifiés selon les dispositions figurant en annexe du décret, afin de les rendre compatibles avec le projet autoroutier déclaré d'utilité publique.
LA MISE EN COMPATIBILITÉ POUR DÉCLARATION D'UTILITÉ PUBLIQUE
Le code de l'urbanisme prévoit que certains projets d'aménagement ou de construction relevant de l'intérêt général peuvent bénéficier de procédures combinées spécifiques, visant à faciliter l'évolution des documents d'urbanisme qui doivent être modifiés avant de pouvoir autoriser ces projets.
C'est le cas de la procédure de mise en compatibilité, qui peut être utilisée pour les projets ayant fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP), d'une procédure intégrée, ou d'une déclaration de projet (DP), lorsque l'autorité portant le projet estime que les documents d'urbanisme correspondants ne lui sont pas compatibles.
La mise en compatibilité, procédure spécifique d'évolution des documents d'urbanisme liée à un projet spécifique, permet d'alléger les modalités de consultation du public, des personnes publiques associées et des collectivités qui président d'ordinaire à l'évolution des documents d'urbanisme. Elle est toutefois soumise à enquête publique, à autorisation environnementale le cas échéant, et à examen conjoint par les collectivités concernées.
Une fois cette procédure menée à son terme, l'État décide de la déclaration d'utilité publique du projet (par décret en Conseil d'État pour les projets les plus significatifs). Ce décret vaut alors approbation des documents d'urbanisme mis en compatibilité, qui sont le plus souvent les plans locaux d'urbanisme (PLU).
Schéma simplifié d'une mise en compatibilité de PLU pour déclaration d'utilité publique
Source : commission des affaires économiques du Sénat
B. L'adoption d'un nouveau PLUi pour la communauté de communes a annulé par omission les effets de la mise en compatibilité déjà décidée au profit du projet d'infrastructure
Six des communes concernées par la mise en compatibilité décidée en décembre 2019 étaient membres, à cette date, d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), la Communauté de communes du Bas-Chablais .
Or, en 2015, la Communauté de communes du Bas-Chablais avait prescrit l'élaboration d'un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi), qui a été approuvé le 25 février 2020 3 ( * ) et rendu exécutoire le 13 mars 2020. Moins de trois mois après qu'il a été procédé à la mise en compatibilité des dix PLU - mise en compatibilité nécessaire à la réalisation du projet autoroutier - six de ces PLU modifiés ont été ainsi été abrogés au profit du nouveau PLUi .
Il apparaît toutefois que les dispositions du plan local d'urbanisme intercommunal adopté en 2020 , c'est-à-dire après la déclaration d'utilité publique du projet et après la publication du décret portant mise en compatibilité, s'avèrent incompatibles avec le projet de liaison autoroutière . Entre autres, les zonages retenus ne font pas apparaître l'emplacement réservé relatif au projet de liaison, et le règlement ne comporte pas les règles écrites nécessaires pour pouvoir permettre les travaux, notamment dans les zones A et NA concernées. En l'état des documents d'urbanisme applicables, le projet autoroutier se trouve donc aujourd'hui en contradiction avec le PLUi de la communauté de communes du Bas-Chablais, ce, alors même que la déclaration d'utilité publique qui avait été décidée en 2019 devait justement résoudre cette incompatibilité.
La Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, interrogée par la rapporteure, a indiqué avoir été avertie de cette incompatibilité à la fin du mois de janvier 2022 par les services déconcentrés de l'État de la région Auvergne-Rhône-Alpes et du Département de la Haute-Savoie. La communauté d'agglomération de Thonon agglomération a, elle, indiqué avoir noté l'incompatibilité très rapidement après l'adoption du plan (au printemps 2020), et avoir pris immédiatement l'attache des services déconcentrés de l'État pour déterminer les solutions les plus adaptées en vue de la résoudre.
Le graphique ci-après présente une chronologie comparative du déroulé de la procédure de mise en compatibilité pour déclaration d'utilité publique et de la procédure d'élaboration du PLUi du Bas-Chablais.
CHRONOLOGIE SIMPLIFIÉE DES DEUX PROCÉDURES
D'ÉVOLUTION PARALLÈLE
DES DOCUMENTS D'URBANISME DES
COLLECTIVITÉS DU BAS-CHABLAIS
Source : commission des affaires économiques du Sénat
II. Le dispositif envisagé - Appliquer de manière dérogatoire la mise en compatibilité déjà décidée au document d'urbanisme adopté postérieurement, afin de le rendre conforme au projet d'infrastructure
La proposition de loi vise à appliquer la déclaration d'utilité publique portant mise en compatibilité , déjà décidée en 2019 par décret, au document de PLUi adopté par la communauté d'agglomération Thonon agglomération en 2020, c'est-à-dire postérieurement.
L'article unique de ce texte prévoit donc, en quelque sorte, une application complémentaire de la mise en compatibilité prévue par le décret au PLUi de Thonon agglomération, afin que ce document ne puisse faire obstacle à la mise en compatibilité déjà décidée.
III. La position de la commission - Une disposition législative dérogatoire, qui se justifie toutefois par l'absence d'alternative satisfaisante, par son champ limité et par son objectif d'intérêt général
A. Les cas dans lesquels la loi régit des cas individuels doivent rester rares
La rapporteure rappelle tout d'abord que les cas dans lesquels la loi est utilisée pour régir des situations individuelles doivent rester rares, en vertu du principe constitutionnel d'égalité devant la loi . Il convient en effet de conserver la force et la portée des règles générales établies par la loi, auxquelles nuirait l'existence de trop nombreuses dérogations.
Toutefois, la rapporteure estime que l'intervention de la loi en faveur de situations particulières peut se justifier lorsque trois conditions cumulatives sont remplies :
• d'abord, lorsque la loi ne vise pas à faire obstacle à une mesure ou décision déjà intervenue ni à contourner des exigences légitimes, mais plutôt qu'elle vise à réparer une erreur ou apporter une solution à une difficulté non anticipée ;
• ensuite, lorsqu'il n'existe pas de solutions alternatives satisfaisantes au recours à la loi ;
• enfin, lorsque cette intervention répond à un motif d'intérêt général avéré.
B. La mesure proposée ne fait pas obstacle à des décisions intervenues et ne contourne pas des exigences légitimes, mais apporte une solution à une difficulté non anticipée
La rapporteure a tout d'abord souhaité s'assurer que le texte, qui touche à la fois aux compétences des communes et intercommunalités en matière d'urbanisme, et à la compétence de l'État pour définir les projets répondant à une utilité publique, ne fait pas obstacle à l'exercice de ces compétences mais vise bien à remédier à des difficultés concrètes .
Les auditions menées ont confirmé que les communes concernées par le projet de liaison autoroutière, la communauté d'agglomération de Thonon agglomération, le syndicat intercommunal d'aménagement du Chablais, le Département, la Région, ainsi que l'État (par le biais du préfet de Haute-Savoie et de la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités, DGITM, du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires), soutiennent unanimement la démarche portée par la proposition de loi .
L'incompatibilité entre le plan local d'urbanisme intercommunal du Bas-Chablais et le projet de liaison 2x2 voies ne résulte en effet pas d'une décision délibérée des collectivités, mais au contraire d'une erreur de traduction au sein du document d'un projet anticipé et soutenu de longue date par le territoire .
D'ailleurs, l'ensemble des documents d'urbanisme et de planification existants prennent déjà en compte ce projet :
• le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) de la Région Auvergne-Rhône-Alpes fait figurer à de nombreuses reprises le projet de désenclavement modal du Chablais. L'axe entre Annemasse et Thonon-les-Bains y est identifié comme une « liaison routière structurante » , et l'autoroute Machilly-Thonon-les-Bains y est définie comme stratégique pour la Région ;
• le schéma de cohérence territoriale (SCoT) , porté par le syndicat intercommunal d'aménagement du Chablais (SIAC) et révisé en 2020, intègre déjà pleinement le projet, conformément au « porter à connaissance » transmis par l'État en 2015. Selon la Présidente du syndicat, « l'autoroute est un projet fondateur pour le SCoT du Chablais », les documents du SCoT le qualifiant à de multiples reprises de « projet structurant » . Il a d'ailleurs fait l'objet de prescriptions paysagères et environnementales spécifiques, et a été intégré aux objectifs de « zéro artificialisation nette » applicables au SCoT. Enfin, la stratégie de mobilité attachée au SCoT inclut également le projet, comme en témoigne le document graphique ci-après :
Source : Extrait de la stratégie de mobilité du SCoT du Chablais
• l'ensemble des plans locaux d'urbanisme des communes concernées par le projet et adoptés avant la publication du décret portant déclaration d'utilité publique avaient fait l'objet d'une mise en compatibilité , après qu'a été suivie la procédure prescrite par la loi (qui inclut notamment une enquête publique et un avis des communes) ;
• le « porter à connaissance » transmis par l'État en 2016 après qu'a été prescrite l'élaboration du plan local d'urbanisme intercommunal du Bas-Chablais précisait qu' « afin de préserver la faisabilité du projet de liaison autoroutière concédée entre Machilly et Thonon-les-Bains, dont les études et procédures en vue d'une nouvelle déclaration d'utilité publique ont été engagées, il est demandé de reporter dans le plan de zonage du futur PLUi du Bas-Chablais le périmètre d'études du désenclavement du Chablais, défini par l'arrêté préfectoral du 12 mars 2002 modifié par arrêté du 2 octobre 2015 » ;
• enfin, comme l'a rappelé Thonon agglomération à la rapporteure, si les documents graphiques et les dispositions écrites du règlement du PLUi n'ont pas correctement traduit le projet, le projet autoroutier et son tracé ont bien été inclus dans d'autres composantes du PLUi du Bas-Chablais , telles que la stratégie de mobilité, les enjeux environnementaux... La conception du document s'est donc, dès le départ, structurée autour du projet d'infrastructure.
Source : extrait du PADD du PLUi du Bas-Chablais
L'ensemble de ces éléments concordants, ainsi que les auditions menées par la rapporteure, plaident bien en faveur d'une erreur de traduction du projet au sein du nouveau plan local d'urbanisme intercommunal, dans un contexte compliqué par l'existence de plusieurs procédures urbanistiques complexes menées en parallèle . Ainsi, la préfecture de Haute-Savoie a par exemple indiqué que le document « a été victime d'un mauvais enchaînement des procédures au regard de la complexité des différentes opérations simultanées » et des différentes autorités contribuant au projet. Il convient en effet de noter que sont intervenues en parallèle l'intégration de Thonon dans l'EPCI préexistant, l'élaboration d'un premier document d'urbanisme intercommunal, la procédure de DUP et de mise en compatibilité, ainsi qu'un renouvellement des équipes municipales. Entendus par la rapporteure, les élus du conseil départemental sont également allés dans le sens d'une « erreur matérielle regrettable » .
Il faut par ailleurs rappeler que le code de l'urbanisme ne permet pas à l'EPCI à l'initiative d'un plan local d'urbanisme intercommunal de modifier le projet de document une fois celui-ci arrêté et soumis aux personnes publiques associées (PPA), même lorsque ces modifications viseraient à corriger des erreurs : seules les remarques formulées par les PPA, les communes membres ou dans le cadre de l'enquête publique peuvent être ultérieurement intégrées au projet, et celles-ci ne peuvent pas modifier le projet d'aménagement et de développement durable du document. Comme l'a indiqué la communauté d'agglomération à la rapporteure, « l'intégration à ce stade de la liaison autoroutière concédée Machilly-Thonon aurait donc été constitutive d'un grave vice de forme entachant d'illégalité la procédure » .
En outre, les personnes auditionnées ont toutes rappelé les modalités approfondies de concertation et de participation du public ayant présidé à l'élaboration du projet autoroutier à toutes ses étapes :
• les SRADDET et SCoT susmentionnés, qui avaient déjà inscrit le projet autoroutier, ont fait l'objet des enquêtes publiques et consultations ordinaires prévues par la loi ;
• une concertation publique a été organisée sous l'égide de la Commission nationale du débat public entre septembre 2015 et juin 2016, en amont de la procédure de déclaration d'utilité publique ;
• une enquête publique a été menée entre juin et juillet 2018, toujours dans le cadre de la procédure de DUP ;
• enfin, le PLUi du Bas-Chablais (dans lequel le projet est bien évoqué, bien que non retranscrit dans le règlement et les documents graphiques) a lui aussi fait l'objet d'une enquête publique en décembre 2019.
Pour terminer, la déclaration d'utilité publique prise en 2019 est, à la date de rédaction du présent rapport, purgée de tout recours : la mesure proposée ne vise donc aucunement à faire obstacle à l'exercice d'un droit de recours contre le projet.
L'ensemble de ces éléments confirme la pertinence d'une mesure, au besoin législative, permettant d'apporter une solution à ces difficultés et de faire aboutir un projet partagé , ayant déjà fait l'objet de l'ensemble des procédures d'autorisation, de planification et de consultation prévues par la loi.
C. Il n'existe pas de solution alternative satisfaisante pour résoudre en temps utile l'incompatibilité entre le document d'urbanisme et le projet d'infrastructure
Ensuite, la rapporteure a tenu à s'assurer que l'objectif de la mesure portée par la proposition de loi ne peut pas être atteint de manière satisfaisante par des solutions alternatives.
Trois autres solutions ont été explorées, mais toutes écartées :
• prendre un nouveau décret portant déclaration d'utilité publique et mise en compatibilité, cette dernière visant cette fois-ci le PLUi en vigueur . La Direction des affaires juridiques du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires a toutefois indiqué à la rapporteure que cette option ne paraît pas envisageable, dans la mesure où elle impliquerait de reprendre à son commencement la procédure de DUP (la dernière ayant duré près de 3 ans et demi), incluant la réalisation de nouvelles études et de nouvelles consultations. Surtout, la jurisprudence du Conseil d'État considère que la prise d'une seconde DUP visant le même projet, sans que celui-ci n'ait connu de modification significative, peut constituer un détournement de procédure : cela exposerait la mise en compatibilité à un fort risque juridique , pouvant réduire à néant les efforts de régularisation de la situation.
• faire évoluer le PLUi du Bas-Chablais par les procédures ordinaires prévues par la loi . La communauté d'agglomération de Thonon agglomération avait initialement prescrit, en lien avec les services de l'État, une procédure corrective de modification simplifiée, visant à intégrer les effets de la DUP au sein du document. Toutefois, eu égard à la nature des incompatibilités constatées 4 ( * ) et à la suite de discussions avec l'autorité environnementale, il apparaît qu'il serait nécessaire de recourir à une révision du document en vertu de l'article L. 153-31 du code de l'urbanisme. Cela impliquerait non seulement de préparer un nouveau dossier complet (incluant une étude d'impact entièrement refaite), mais aussi de conduire l'ensemble des étapes procédurales de la révision (et notamment une nouvelle évaluation environnementale). La durée totale de la révision est estimée par les collectivités concernées et par les services de l'État à trois ans au mieux.
• attendre l'adoption du nouveau PLUi de la communauté d'agglomération , celle-ci ayant prescrit le 23 février 2021 l'élaboration d'un document valant également programme local de l'habitat et plan de mobilité (PLUi-HM). Pour les raisons citées précédemment, cette procédure ne se terminera pas avant trois ans au moins : l'entrée en vigueur du document est prévue par la communauté d'agglomération au mieux au début de l'année 2026.
Les délais sont pourtant un élément central du projet de liaison d'infrastructure , car l'ensemble des personnes auditionnées s'accorde à dire que la situation actuelle d'engorgement de la desserte routière du Bas-Chablais est difficilement tenable, en particulier au vu des dynamiques démographiques et économiques. Surtout, la déclaration d'utilité publique prise en 2019 arrivera à échéance en décembre 2029 .
Or, les délais nécessaires à l'appel d'offres pour la mise en concurrence de la concession autoroutière - estimés à trente mois - puis de réalisation du projet, ne sont pas compatibles avec la modification du document à échéance 2025 ou 2026 en application des trois options précitées. L'appel d'offres lancé le 23 février 2022 devrait être annulé si une solution de mise en compatibilité du PLUi du Bas-Chablais n'était pas trouvée rapidement, car il s'agit d'un préalable impératif au contrat de concession ( le concessionnaire qui démarrerait les travaux s'exposerait sinon à des poursuites pénales pour la réalisation d'aménagements non conformes au document d'urbanisme). Un tel retard serait susceptible de remettre la totalité du projet en cause .
En outre, ces trois options distinctes auraient pour inconvénient majeur d'exposer le projet - sans que celui-ci n'ait connu aucune évolution de fond - à de nouvelles contestations devant la justice . À la date de rédaction de ce rapport, l'ensemble des recours dirigés contre la déclaration d'utilité publique du projet autoroutier a été purgé. Le PLUi du Bas-Chablais est également purgé de tout recours. L'adoption d'un nouveau PLUi, d'un PLUi révisé ou d'une nouvelle DUP rouvriraient les délais de recours et permettrait de contester à nouveau, sur les mêmes fondements, un projet pourtant déjà validé par la justice administrative. Aucune des trois options précitées n'offrirait au projet la sécurité juridique nécessaire et légitime. Pis, elles risqueraient de reporter l'ensemble du risque juridique sur le nouveau document de PLUi-HM de Thonon agglomération, en cours d'élaboration .
La rapporteure souligne enfin que le projet de liaison 2x2 voies n'a pas évolué entre l'adoption de la DUP et du PLUi du Bas-Chablais, et l'examen de ce texte. La mesure dérogatoire proposée ne vise ainsi aucunement à imposer un projet nouveau ou modifié, mais seulement à confirmer la compatibilité du projet avec l'ensemble des documents de planification, comme devait l'assurer la DUP en 2019. Les modifications du PLUi du Bas-Chablais dont il est question ici ont en réalité déjà fait l'objet de l'ensemble des consultations, concertations et examens prévus par la loi, et ont été validées à de nombreuses reprises tant par l'État que par les collectivités territoriales concernées.
D. Le projet d'infrastructure relève de l'intérêt général, en ce qu'il est nécessaire au désenclavement du territoire, qu'il répond à des besoins liés à des dynamiques démographiques et économiques incontestables et qu'il améliorera la sécurité des riverains
1) Un territoire enclavé, oublié du réseau routier national
Les auditions menées par la rapporteure ont convergé sur le caractère d'intérêt général du projet, en premier lieu en ce qu'il répond à un besoin de désenclavement du territoire du Chablais .
À la différence du sud et de l'ouest de la Haute-Savoie, le nord-est du département n'est aujourd'hui desservi par aucune route nationale ni autoroute (voir carte ci-dessous) .
Source : préfecture de la Haute-Savoie
L'ensemble du réseau est composé de voies départementales, dont le potentiel est aujourd'hui trop limité vu le développement économique et démographique rapide de ce territoire frontalier . Il s'agit d'un territoire à fort potentiel, de par sa proximité avec la Suisse et l'agglomération genevoise, qui en fait un bassin attractif pour la population. Le Chablais est aujourd'hui le deuxième bassin le plus dynamique de la région Auvergne-Rhône-Alpes, selon les éléments fournis par Thonon Agglomération.
De plus, le département compte plusieurs hauts-lieux touristiques , comme Thonon-les-Bains et Évian-les-Bains, stations thermales d'envergure, dont le développement bénéficierait d'un accès routier facilité. Or, la liaison depuis d'autres régions, voire avec les aéroports les plus proches, est aujourd'hui très compliquée.
Une meilleure desserte routière offrirait non seulement aux grandes villes, mais aussi aux territoires plus ruraux , des opportunités de développement supplémentaires.
Enfin, les élus du territoire ont souligné lors des auditions les enjeux économiques du désenclavement du Chablais, indiquant qu'il était aujourd'hui c ompliqué d'attirer les entreprises au vu de l'inaccessibilité du bassin . Pourtant, il pourrait s'agir d'une localisation stratégique, au vu des possibilités de transport transfrontalier de marchandises en vue de l'export. Les entreprises déjà implantées - comme l'usine d'embouteillage d'Évian, champion français - indiquent que le réseau de fret étant saturé, le réseau routier existant ne répond pas à leurs besoins.
Thonon Agglomération a résumé, lors des auditions conduites par la rapporteure, l'enjeu du désenclavement en ces termes : « Ne pas réaliser cette liaison, c'est nous laisser de côté dans le développement de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, et nous inféoder aux grandes villes proches voire à la Suisse. Cela créerait un territoire à deux vitesses , entre les villes centres et le reste du territoire. »
2) Un réseau départemental qui atteint ses limites capacitaires
Le dynamisme de la Haute-Savoie , région frontalière comptant plusieurs agglomérations en forte croissance, fait peser de lourdes contraintes sur le réseau départemental existant (principalement la RD903 et la RD1005). Alors que le département gagne en moyenne 15 000 nouveaux habitants par an, selon les éléments fournis par la Région, les infrastructures routières ont, elles, très peu évolué.
Selon les comptages réalisés sur la RD903, à titre d'exemple, la ville de Bons-en-Chablais (5 800 habitants) voit ainsi passer près de 16 800 véhicules par jour en 2021, contre 12 800 en 2020, avec des pics enregistrés à 22 300 véhicules. De plus, près de 6,5 % des usagers sont des poids lourds , pourcentage qui s'élève à près de 7,5 % dans la commune d'Allinges (4 800 habitants), également située sur le tracé de la RD903 et qui voit passer 14 300 véhicules par jour environ.
Pour ces petites communes, un tel trafic routier est source de fortes nuisances et pollutions . Le coeur des bourgs et leur développement sont fortement contraints par le passage de poids lourds et la circulation incessante. Cela soulève d'ailleurs des enjeux de sécurité , les villes devant assurer la sécurité des passants, des écoliers et des habitants. Certains hameaux sont particulièrement frappés par ces risques liés à un trafic inadapté. La commune de Brenthonne se considère ainsi « coupée en deux » par cette départementale très fréquentée, comme elle l'a indiqué lors de son audition par la rapporteure.
En outre, certains aménagements s'avèrent sous-dimensionnés ou inadaptés à un trafic routier ayant connu une telle croissance. À titre d'exemple, il existe plusieurs passages à niveau dangereux sur le tracé des routes départementales du Chablais - territoire qui reste marqué par la tragédie d'Allinges en 2008. La suppression de deux passages à niveau, sur la commune de Perrignier, est d'ailleurs prévue en parallèle de la réalisation de la liaison 2x2 voies.
Plusieurs études, rappelées par le SCoT du Chablais et menées en 2002, 2006 et 2015, confirment que des aménagements ponctuels du réseau départemental ne permettront pas, à long terme, d'absorber l'évolution du trafic routier . Le transport ferroviaire, fortement accru au cours des dernières années, est également déjà congestionné.
L'ensemble des communes situées sur le tracé du tronçon autoroutier ont d'ailleurs annoncé à cette occasion, en lien avec le département qui prendra en charge 80 % des investissements, d'importants projets de reconfiguration routière , notamment en vue d'y favoriser la vie au coeur des bourgs et la sécurité des habitants et usagers (zones 30 ou 50, feux tricolores), de faciliter le déploiement de mobilités douces et de transports en commun (réseau de bus) ainsi que d'inciter le report du trafic des voies départementales vers la nouvelle liaison 2x2 voies.
La réalisation de l'autoroute est donc regardée par les collectivités territoriales comme incontournable pour soulager le réseau départemental et détourner le trafic qui ne fait que traverser ces bourgs. Selon les études préalables menées en 2014, le gain socio-économique estimé du projet s'élevait alors à près de 400 millions d'euros, recouvrant principalement des gains de temps pour les usagers de la route.
3) Un projet soutenu par les habitants et les collectivités territoriales
Témoignage de son caractère d'intérêt général, le projet est soutenu très majoritairement par la population et les élus locaux du territoire . Selon Thonon agglomération, entendue par la rapporteure, « ce projet a aujourd'hui été totalement intégré par l'opinion publique. Les habitants se demandent pourquoi il existe encore des difficultés procédurales, alors que la DUP a été prise et que tous les recours ont été rejetés ». Lors de la table ronde des communes concernées par le projet de liaison, celles-ci ont d'ailleurs souligné auprès de la rapporteure qu'une association s'était formée il y a plusieurs décennies déjà en soutien au projet (association « Oui au désenclavement du Chablais »).
Selon la commune d'Allinges, entendue par la rapporteure, « il serait incompréhensible de "rejouer le match", trois ans après, alors que la DUP a été prise, que l'enquête publique, à laquelle 10 500 personnes ont participé, a été concluante. » En effet, le bilan de la concertation autour du projet d'autoroute souligne que « la concertation a donné lieu à une forte mobilisation du territoire : riverains, usagers potentiels, acteurs socio-économiques et collectivités. Les personnes et acteurs en faveur du projet, très nettement majoritaires , mettent en avant la diminution des temps de parcours, le désenclavement du Chablais par rapport au reste du département, l'impact économique positif sur le territoire, la diminution des gênes liées à la circulation dans les villages traversés par les routes départementales (saturation, bruit, pollution, sécurité) et l'impact environnemental favorable, notamment en matière de diminution de la pollution. » Selon la Commission nationale du débat public (CNDP), garante de la concertation, les oppositions au projet n'auraient concerné qu'environ 10 % des participations à la concertation. Qui plus est, à l'occasion des recours n'ayant pas prospéré contre la DUP, le Conseil d'État n'a pas remis en cause l'intérêt majeur du projet pour les habitants du territoire , principalement en raison de son rôle dans le désenclavement du Bas-Chablais.
En outre, il convient de rappeler que le projet, sous diverses formes, a fait l'objet d'un soutien politique et opérationnel des collectivités territoriales depuis près de cinquante ans . Outre l'inscription au sein de l'ensemble des documents d'urbanisme déjà évoquée plus haut, nombre d'entre elles ont d'ailleurs soutenu financièrement ce projet : le Département s'est engagé, si nécessaire, à contribuer à l'équilibre financier de celui-ci, tandis que la Région a participé au financement des études préalables. Certaines des communes traversées par le tracé de l'autoroute ont également mobilisé d'importants budgets afin d'acquérir des emprises foncières dédiées à la compensation environnementale et agricole des impacts du projet. La liaison a donc déjà fait l'objet d'engagements financiers, que l'incompatibilité du PLUi du Bas-Chablais pourrait remettre en cause .
Pour l'ensemble de ces raisons, la régularisation du PLUi du Bas-Chablais par le biais d'une application a posteriori de la DUP relève incontestablement d'un motif intérêt général , en ce qu'il lève le risque juridique important pesant sur ce projet essentiel.
Ayant constaté que la mesure portée par ce texte, bien que dérogatoire, se justifie par le fait qu'elle vise à remédier à des difficultés concrètes mettant en danger un projet d'intérêt général, soutenu par les parties prenantes, et qu'il n'existe pas d'alternative à cette régularisation législative, la rapporteure recommande donc à la commission des affaires économiques d'adopter l'article unique de la proposition de loi sans modification .
La commission a adopté l'article unique sans modification.
* 1 Décret du 24 décembre 2019 déclarant d'utilité publique les travaux de création d'une liaison à 2×2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, dans le département de la Haute-Savoie, conférant le statut autoroutier à la liaison nouvellement créée et portant mise en compatibilité des documents d'urbanisme des communes de Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains.
* 2 Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains.
* 3 L'élaboration du PLUi du Bas-Chablais, prescrite par la communauté de communes du même nom, a été menée à son terme par la Communauté d'agglomération de Thonon agglomération, issue de la fusion des communautés des communes du Bas-Chablais et des Collines du Léman, ainsi que la ville de Thonon-les-Bains.
* 4 Absence d'emplacements réservés nécessaires, zonage inadapté en raison de zones A ou N, absence de règles écrites spécifiques relatives à ces zones et notamment aux activités qui y sont permises.