B. UNE PROGRESSION DES CRÉDITS DE 7 % PRÉVUE EN 2023

La progression des crédits prévue en 2023 relève de trois objectifs :

- la prise en compte de l'inflation : 37,4 millions d'euros (AE=CP) ;

- la mise en place de mesures nouvelles, à hauteur de 37,5 millions d'euros en AE et 38,3 millions d'euros en CP ;

- la mise en oeuvre de mesures de transfert pour un montant atteignant 1,1 million d'euros.

1. Une réponse budgétaire à la progression des dépenses contraintes

48,7 % de la progression des crédits dédiés au programme 175 relèvent de mesures destinées à tenir compte de l'inflation et de la hausse des coûts, qu'il s'agisse de majorations de dotation de fonctionnement ou de dotation d'investissement. Sur les 37,4 millions d'euros dédiés à cet objectif, 63,4 % sont fléchés vers les opérateurs (cf infra ). Les services à compétence nationale (SCN) du ministère 15 ( * ) et les directions régionales des affaires culturelles sont également concernés par ces majorations de crédits.

Répartition des majorations de dotation destinées à tenir compte de l'inflation

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données transmises par la direction générale des patrimoines et de l'architecture

Comme l'avaient relevé les rapporteurs spéciaux lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2002, le secteur de la construction a connu une première crise liée au redémarrage rapide de l'économie mondiale à compter de la fin de l'automne 2020. À celle-ci a succédé une seconde, déclenchée par l'envolée des prix de l'énergie à la fin de l'été 2021 et accentuée par la guerre en Ukraine. Cette majoration importante des coûts s'inscrit, par ailleurs, dans un contexte français marqué par un marché sous tension, en raison notamment de la multiplication des chantiers liés au lancement du Grand Paris, à la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, à la mise en oeuvre du Plan de relance ou à la préparation des jeux olympiques et paralympiques.

Il n'est pas étonnant dans ces conditions que l'indice mensuel de référence des coûts de construction, - BT01, travaux tous corps d'état de l'INSEE - affiche une progression de 13,3 % en 2022 par rapport à la période pré-covid . Le taux atteint ainsi 8,9 %, il serait ramené à 5,7 % en 2023 et 3,1 % en 2024. Concrètement, cette progression du taux trouve un écho dans le montant des prix des demi-produits en aluminium (+ 16,3 % par rapport à novembre 2021), des tuiles (+ 11,5 %), des produits céramiques (+ 8,6 %) ou des produits verriers ( + 4,9 %).

Cette majoration des coûts est constatée sur plusieurs chantiers encadrés par l'État : + 20 % pour le chantier de la cathédrale de Soissons (progression de 75 % des coûts des métaux), + 12,8 millions d'euros sur le château de Villers-Cotterêts ou hausse de l'offre de 113,7 % du recoupement des combles de la cathédrale Saint-Louis de Versailles (Yvelines).

S'agissant des coûts énergétiques, les dépenses d'électricité du ministère et de ses opérateurs pourraient évoluer en 2023 entre + 128 % selon une hypothèse médiane et + 285 % selon une hypothèse plus dégradée.

2. De nouveaux crédits en faveur de la protection et de la valorisation des patrimoines dans les territoires

13,1 millions d'euros en AE et 18,1 millions d'euros en CP sont fléchés vers la protection du patrimoine dans les territoires.

7,4 millions de crédits de paiement sont spécifiquement fléchés vers l'archéologie :

- 2,4 millions d'euros viennent majorer les subventions allouées aux 62 collectivités territoriales habilitées à réaliser des diagnostics archéologiques, soit une progression de 20 % par rapport à la loi de finances pour 2022 ;

- les moyens des directions régionales des affaires culturelles en faveur de l'archéologie bénéficient par ailleurs d'une réévaluation de 5 millions d'euros, afin d'abonder le budget consacré aux fouilles programmées et à la valorisation scientifique du patrimoine archéologique.

Le solde des crédits est fléché vers la sécurité des cathédrales et le fonds incitatif et partenarial.

a) La poursuite du déploiement du plan de mise en sécurité des cathédrales

Lancé fin 2019, le plan de mise en sécurité des cathédrales voit sa dotation progresser au fil des exercices budgétaires. Doté initialement de 2 millions d'euros (AE = CP), son montant a été porté à 12 millions d'euros en AE et 9 millions d'euros en CP en 2022. Le présent projet de loi de finances prévoit une progression de 1 million d'euros en AE et 3 millions d'euros en CP . 3,67 millions d'euros en AE et 5,7 millions d'euros en CP devraient par ailleurs être investis en vue de la restauration de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Nantes .

Sur les 89 édifices religieux visés par le plan, 6 avaient encore un niveau de sécurité insuffisant en 2022, dont les cathédrales de Paris et Nantes, contre 8 en 2020. 62 atteignent le seuil réglementaire et 21 bénéficient d'un niveau de sécurité « de référence », soit 7 de plus qu'en 2020.

Ces crédits viennent compléter la dotation de 40 millions d'euros allouée annuellement à la conservation des cathédrales au sein de l'enveloppe « Monuments historiques hors grands projets » de l'action 01.

Ces sommes ne couvrent aucune opération liée à la mise en sécurité et à la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris (cf supra) .

Les rapporteurs spéciaux relèvent, qu'au-delà du plan Cathédrales, une attention particulière devrait être portée à la préservation de l'ensemble des édifices cultuels placés sous la responsabilité des pouvoirs publics. Les collectivités territoriales, en particulier les petites communes, sont, comme l'a noté la commission de la culture du Sénat dans un récent rapport 16 ( * ) , démunies, tant en raison de difficultés d'accès aux financements - l'État ne cofinance que la restauration d`édifices protégés - que d'un manque d'assistance à la maîtrise d'ouvrage au sein de la part des conservations régionales des monuments historiques. Au-delà de ces deux aspects, une meilleure protection de ces bâtiments passe par leur identification a priori . Le dernier inventaire du patrimoine religieux mené par le ministère remonte aux années quatre-vingts et s'avère incomplet. Il conviendrait de mener à bien un nouveau bilan, visant tout à la fois les patrimoines immobilier et mobilier.

L'article 95 de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales permet à l'État de conduire une enquête thématique nationale. Interrogé par les rapporteurs spéciaux, le ministère de la culture reconnaît que mener une telle entreprise avec la rigueur appropriée demanderait des moyens financiers et humains considérables. La direction générale des patrimoines et de l'architecture reconnaît, néanmoins, qu'un premier bilan est envisageable pour évaluer l'avancement des inventaires existants et en dresser une cartographie. Le sujet devrait d'ailleurs être à l'ordre du jour du prochain Conseil national de l'Inventaire général du patrimoine culturel

b) Le nouveau renforcement des moyens accordés au Fonds incitatif et partenarial (FIP)

Le présent projet de loi de finances propose de majorer de 2 millions d'euros (AE=CP) les crédits du fonds incitatif et partenarial (FIP). Créé en loi de finances pour 2018, il accompagne les collectivités à faibles ressources en vue de financer des opérations de restauration de monuments historiques. Doté dès l'origine de 15 millions d'euros en AE, il a vu son enveloppe de CP progresser chaque année pour atteindre 16 millions d'euros en 2022. Il devrait ainsi être abondé à hauteur de 18 millions d'euros (AE=CP) en 2023.

Depuis sa création, 576 opérations ont été lancées en région , visant principalement des édifices religieux (82 % des projets financés), appartenant à des communes (90 % des collectivités concernées). 76 % des financements sont fléchés vers les communes de moins de 2 000 habitants. Le financement de l'État d'élève en moyenne à 47 %, le reste étant réparti entre les départements (12 %), les régions (17 %) et les propriétaires accompagnés par des associations, telles que la Fondation du patrimoine ou la Fondation pour la sauvegarde de l'art français (24 %). La consommation des crédits a été très soutenue, malgré le contexte sanitaire, la totalité des AE étant engagée et presque 90 % des CP ont été consommés.

Les rapporteurs spéciaux approuvent cette progression des crédits, qui témoigne d'une réelle ambition pour le petit patrimoine, notamment rural. Ils relèvent par ailleurs, comme la Cour des comptes, que le FIP comme le Loto du Patrimoine viennent compenser la tendance à la baisse des crédits déconcentrés. Les CP consommés sont passés de 202 millions d'euros en 2011 à 181 millions en 2020. L'exécution de ces crédits est évaluée à 80 % sur les dernières années.

3. La poursuite des grands chantiers

Les crédits dédiés aux grands projets devraient s'élever à 51,5 millions d'euros en AE et 46,1 millions d'euros en CP en 2023, enregistrant une baisse de 18,4 millions d'euros en AE et 5,3 millions d'euros en CP. Cette diminution reste faciale et tient pour l'essentiel aux échéanciers de plusieurs chantiers : schéma directeur de Fontainebleau, rénovation du Grand Palais, réhabilitation du quadrilatère des Archives ou extension du site des archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine.

Cette baisse ne signifie pas de fait l'absence de moyens nouveaux pour d'autres projets :

- 14,7 millions d'euros en AE et 0,9 million d'euros en CP seront ainsi fléchés vers le projet de restructuration, de restauration et de réaménagement du palais de justice de l'Ile-de-la-Cité ;

- 2 millions d'euros (AE=CP) seront fléchés vers le réaménagement et l'agrandissement de l'Institut du monde arabe ;

- 2 millions d'euros en AE et 1 million d'euros en CP seront orientés vers le musée-mémorial du terrorisme.

Dans le prolongement de la majoration des crédits dédiés au patrimoine dans les territoires, le présent projet de loi de finances prévoit, en outre, de financer deux nouveaux projets de restauration :

- la reconversion de l'ancienne abbaye de Clairvaux, cédée par l'administration pénitentiaire. 15 millions d'euros en AE et 2 millions d'euros en CP. La prison des enfants, le réfectoire des moines et le grand cloître appartiennent déjà au ministère de la culture ;

- le projet de réhabilitation du château de Gaillon, porté par la communauté Seine-Eure, devrait bénéficier d'une dotation de 5 millions d'euros en AE et 0,7 million d'euros en CP.

Ces nouveaux projets, notamment celui de la reconversion de l'ancienne abbaye de Clairvaux, laissent songeur. Le montant des AE prévu ne représente au mieux que 10 % du coût total du chantier, estimé entre 150 et 200 millions d'euros.

Ce coût n'est pas sans rappeler celui de la Cité internationale de la langue française, installée au sein du Château de Villers-Cotterêts . Initialement évalué à 185 millions d'euros, le montant total des travaux de restauration et d'installation a finalement été porté à 209 millions d'euros. Sa réalisation n'a été permise que par la mise en oeuvre du Plan de relance, 124 millions d'euros étant dégagés sur la mission éponyme pour répondre à l'impasse de financement. 30 millions d'euros ont été versés au titre du plan d'investissement d'avenir et 55 millions d'euros au titre du programme 175.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit ainsi le versement de 5 millions d'euros en CP aux fins de financement des derniers travaux de restauration, l'ouverture du site étant prévue en cours d'année. Celle-ci donne lieu à l'octroi d'une autre subvention de 4 millions d'euros dédiée au déficit d'exploitation annoncé. Les rapporteurs spéciaux notent que celui-ci risque de se maintenir, faute d'équipements attractifs au sein de la Cité internationale. Un appel à manifestations d'intérêt pour l'exploitation d'un hôtel, d'un restaurant et de services annexes tels que des espaces de séminaires, une offre de bien-être, etc. a été lancé en novembre 2021 par le Centre des monuments nationaux, en charge de l'exploitation du site. Il a permis d'identifier de potentiels opérateurs mais les discussions sont encore en cours concernant le modèle économique et financier de ces activités. Les travaux de restauration intérieure en vue de réaliser ces aménagements sont en effet estimés à 44 millions d'euros. Cette expérience coûteuse doit servir de point cardinal dans la réflexion à mener sur l'aménagement du site de Clairvaux.

Par ailleurs, s'ils ne contestent pas la nécessité de lancer de nouvelles opérations de restauration, les rapporteurs spéciaux rappellent la tendance constatée ces dernières années à la progression des restes à payer , soit le solde des engagements n'ayant pas donné lieu à consommation de crédits de paiement au 31 décembre, au sein des programmes de la mission Culture, et particulièrement ceux du programme 175. Au 31 décembre 2021, ceux-ci représentaient 728,4 millions d'euros, soit 72 % de l'ensemble des restes à payer de la mission.

Évolution du montant des restes à payer de la mission « Culture »,
par programme, de 2016 à 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces restes à payer correspondent aux deux tiers à des opérations conduites en DRAC. La direction générale des patrimoines et de l'architecture a indiqué aux rapporteurs spéciaux qu'un travail de rééquilibrage en CP était désormais conduit pour maîtriser les restes à payer. Les rapporteurs spéciaux seront particulièrement vigilants aux résultats de ce travail.


* 15 Les SCN du ministère de la culture comprennent les dix-sept musées nationaux répartis en douze SCN, le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), la Médiathèque du patrimoine et de la photographie (MPP) (précédemment Médiathèque de l'architecture et du patrimoine (MAP)), le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) et les trois services d'Archives nationales : Archives nationales (AN), Archives nationales d'outre-mer (ANOM) et Archives nationales du monde du travail (ANMT).

* 16 Patrimoine religieux en péril : la messe n'est pas dite, Rapport d'information n° 765 (2021-2022) de M. Pierre Ouzoulias et Mme Anne Ventalon au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, 6 juillet 2022.

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