B. LA QUESTION DE LA SPÉCIFICITÉ DES CRÉDITS CONSACRÉS À LA POLITIQUE DE LA VILLE DEMEURE POSÉE

L'action 01 « Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville » regroupe la plus grande partie des crédits budgétaires du programme 147. Elle contribue au financement d'une grande diversité de dispositifs mis en oeuvre dans le cadre des contrats de ville, ainsi que du dispositif des adultes-relais.

Dispositif financés dans le cadre de l'action 01

(en millions d'euros)

CV : contrats de ville. PDS : parentalité et droits sociaux. Discrim. : prévention et lutte contre les discriminations

Source : commission des finances, à partir du projet annuel de performances

1. Les moyens relatifs à l'éducation diminuent légèrement

Les moyens relatifs à l'éducation dans les quartiers de la politique de la ville sont de 169,7 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2023, contre 173,5 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2022, soit une diminution de 3,8 millions d'euros.

Cette diminution porte sur le programme de réussite éducative (66,1 millions d'euros, contre 68,2 millions d'euros) et sur les cités éducatives (77,8 millions d'euros, contre 79,5 millions d'euros), sans que les documents budgétaires expliquent précisément les raisons de la diminution.

Le programme de réussite éducative prend en compte les enfants et les jeunes en difficulté scolaire, par des actions éducatives, sociales, sanitaires, culturelles, sportives et de loisirs, préconisées par les équipes pluridisciplinaires de soutien mises en place dans le cadre du dispositif, en réponse aux besoins individuels identifiés. Les moyens sont concentrés sur les réseaux d'éducation prioritaire renforcée (REP+), qui concernent les quartiers ou les secteurs isolés connaissant les plus grandes concentrations de difficultés sociales ayant des incidences fortes sur la réussite scolaire.

Les cités éducatives , issues notamment d'expérimentations dans les quartiers, ont fait partie des préconisations du rapport de Jean-Louis Borloo « Vivre ensemble, vivre en grand. Pour une réconciliation nationale », remis au gouvernement en 2018. Elles ont pour objet de renforcer la coopération des acteurs dans des grands quartiers à faible mixité sociale, pour les enfants et les jeunes de 0 à 25 ans. 208 cités éducatives recouvrent 370 quartiers de la politique de la ville (QPV), soit un quart des QPV. Les 80 premières cités éducatives, labellisées en 2019 pour une durée de trois ans, ont été prolongées d'un an, jusqu'au 31 décembre 2023.

Le récent rapport de la commission des affaires économiques du Sénat sur la politique de la ville 48 ( * ) fait état du travail partenarial approfondi qui s'est noué entre les acteurs locaux et l'administration autour des cités éducatives. Ce dispositif peut servir d'exemple à l'utilité d'un dialogue fructueux entre l'État et les collectivités pour faire réussir des projets locaux.

2. Le dispositif « Quartiers d'été » est intégré à la budgétisation initiale, alors qu'il reposait jusqu'à présent sur des crédits ouverts en cours d'année

La ligne budgétaire « Lien social et à la participation citoyenne » regroupe une variété de dispositifs, tels que des animations de quartier, des ateliers sociolinguistiques, des actions en faveur du sport ou à l'accès aux droits et aux services publics.

L'augmentation des crédits de 32,1 millions d'euros de cette ligne correspond à l'intégration dans la budgétisation initiale du dispositif « Quartiers d'été », créé en 2020 à la sortie de la première phase de confinement due à la crise sanitaire, et qui n'avait été prolongé les années suivantes que par des ouvertures de crédits réalisées en cours d'année.

Le programme « Quartiers d'été » a pris la suite de l'opération « Ville, vie, vacances », dotée de crédits de l'ordre de 7 millions d'euros.

Le dispositif est organisé par chaque préfecture, qui propose une programmation pour l'ensemble des quartiers prioritaires du territoire, en favorisant les rencontres inter-quartiers, les activités y compris en soirée et les weekends et les activités aussi bien mixtes que dédiées aux jeunes filles, aux femmes et aux familles.

Les ouvertures de crédits de l'ordre de 30 millions d'euros chaque année pour le dispositif « Quartier d'été » ont suscité un engouement certain auprès des associations et des acteurs locaux concernés.

Il est donc appréciable que les crédits soient ouverts dès la loi de finances initiale , permettant une budgétisation plus sincère et apportant une meilleure visibilité aux acteurs de terrain, qui doivent réunir les financements pour monter des projets.

3. La politique de la ville demeure toutefois une politique multiforme

Au-delà des crédits portés par le programme 147, le document de politique transversale relatif à la politique de la ville permet de dresser un panorama , certes incomplet et dont le chiffrage est incertain, des dispositifs des différents ministères en faveur de la politique de la ville et de leur impact financier.

Plusieurs dispositifs fiscaux soutiennent les QPV. Par exemple :

- les zones franches urbaines « territoires entrepreneurs » (ZFU-TE), au nombre de 100, soutiennent l'activité économique et les créations d'entreprises dans les territoires les plus fragiles. Les entreprises qui se créent ou s'implantant dans une ZFU-TE peuvent bénéficier pendant une période de 8 ans d'une exonération d'impôts sur les bénéfices sous certaines conditions ;

- des exonérations en faveur des commerces de proximité ont été mises en place. Les petites entreprises exerçant une activité commerciale dans un QPV peuvent bénéficier d'exonérations temporaires de cotisation foncière des entreprises (CFE), de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ;

- les bailleurs sociaux bénéficient d'un abattement de 30 % de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), conditionné à la signature d'une convention d'utilisation de l'abattement.

Cet abattement est un dispositif original, car son bénéfice est lié par l'article 1388 bis du code général des impôts à la signature, dans le cadre d'un contrat de ville, d'une convention relative à l'entretien et à la gestion du parc. Contrairement à la plupart des dépenses fiscales, cet abattement fait donc l'objet d'une forme de pilotage de la part des autorités publiques qui subissent la perte de recettes, c'est-à-dire les collectivités au titre de la taxe foncière et l'État qui compense partiellement cette perte de recettes.

Le rapporteur spécial a toutefois été saisi de cas où des bailleurs n'auraient pas apporté toutes les contreparties prévues au bénéfice de cet abattement. Compte tenu de l'enjeu financier que représente cet abattement pour les finances publiques, il souligne l'importance du respect de ces conventions qui permettent aux bailleurs de travailler avec les collectivités et le préfet , dans le but d'améliorer la qualité de service, de soutenir le développement local, la cohésion sociale et à l'amélioration du cadre de vie . Les actions soutenues sont très diverses, comme il ressort des bilans périodiques réalisés par l'Union sociale de l'habitat 49 ( * ) . Elles font l'objet d'un suivi par les conseils citoyens établis en application de la loi Lamy 50 ( * ) , favorisant l'implication des habitants.

Par ailleurs, les fonds structurels européens , tels que le fonds social européen (FSE) et le fonds européen de développement économique régional (FEDER), soutiennent également cette politique. La programmation 2014-2020 a par exemple introduit l'objectif de consacrer au moins 5 % des enveloppes nationales FEDER soient allouées au soutien des stratégies urbaines intégrées, objectif que les autorités françaises ont porté à 10 %.

S'agissant des moyens budgétaires, on distingue les moyens spécifiques du programme 147 et les moyens « de droit commun » des autres programmes et ministères. Leur chiffrage demeure toutefois difficile, car les actions ne sont pas systématiquement territorialisées : les ministères ne sont pas toujours en mesure d'identifier la part de crédits alloués, pour chaque ministère, aux QPV.

L'enjeu est, dans la mesure du possible, de faire converger les zonages des différentes ministères (zones d'éducation prioritaire, zones de sécurité prioritaire et quartiers de reconquête républicaine du ministère de l'intérieur...) et de mieux les identifier dans les systèmes d'information , afin de mieux apprécier et surtout de mieux orienter les moyens des politiques publiques vers les quartiers de la politique de la ville, dans un objectif final d'efficacité renforcée de chacun de ces dispositifs .

Le développement des outils de géo-référencement par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) poursuit le même objectif en apportant une meilleure connaissance des personnes bénéficiaires d'aides diverses.

4. Malgré la multiplicité des financements, les problèmes de fond ne sont pas résolus

La politique de la ville donne le sentiment d'un « puits sans fond », où les crédits comme les initiatives ne parviendraient pas à améliorer une situation jugée toujours aussi insatisfaisante.

Un travail d'évaluation approfondi mené par la Cour des comptes en décembre 2020 51 ( * ) concluait que l'attractivité des quartiers , dont l'amélioration constitue l'un des objectifs de la politique de la ville, a peu progressé sur la décennie 2008-2018.

La Cour a également, à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, rendu en juillet dernier une enquête sur les dispositifs en faveur de l'emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville 52 ( * ) .

Il en ressort que l'augmentation des moyens ne parvient pas à réduire les écarts entre les habitants des QPV et ceux des autres quartiers. Plus de 40 % des adultes de 15 à 64 ans résidant en QPV restent à l'écart du marché de l'emploi , contre moins de 30 % dans les autres quartiers des mêmes unités urbaines : le taux d'activité n'y est que de 58,5 %, contre 72,7 % dans les autres quartiers des mêmes unités urbaines englobantes. L'écart est encore plus élevé pour les femmes. La multiplication des dispositifs, portés par des acteurs différents, peut même être contre-productive, car les usagers ne savent plus de quoi ils peuvent bénéficier ni à quelles conditions, la dématérialisation croissante constituant une difficulté supplémentaire pour certains d'entre eux.

Les indicateurs de performance du programme 147 confirment l'insuffisance des résultats.

Les habitants de QPV ont un revenu fiscal moyen (par unité de consommation) égal à moins de la moitié de celui de leur agglomération, ce qui est le signe de la persistance d'une pauvreté relative très importante dans les QPV. La situation s'est dégradée au cours des années passées, ce rapport passant de 46,4 % en 2017 à 46,1 % en 2019 et 45,7 % en 2021. Le Gouvernement a d'ailleurs renoncé à faire passer ce rapport au-dessus de 50 %, retenant une cible de 48,4 %, comme l'avait observé le rapporteur spécial en examinant le projet de loi de règlement pour 2021 53 ( * ) .

De même, le taux de chômage était, en 2019, de 22,5 % dans les QPV , contre 8,4 % dans les unités urbaines environnantes. Un écart du même ordre devrait être observé en 2023.


* 48 La politique de la ville, un tremplin pour les habitants , rapport d'information n° 800 (2021-2022) de Viviane Artigalas, Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 juillet 2022.

* 49 Union sociale de l'habitat, Bilan triennal de l'utilisation de l'abattement de la TFPB dans les QPV (2017-2019) , 21 mai 2021.

* 50 Article 7 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

* 51 Cour des comptes, L'évaluation de l'attractivité des quartiers prioritaires , rapport public thématique, décembre 2020.

* 52 Cour des comptes, Les dispositifs en faveur de l'emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville , juillet 2022, enquête réalisée en application de l'article 58, alinéa 2, de la Constitution, à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

* 53 Rapport n° 792, tome II, annexe 6, volume 1 (2021-2022) de Jean-Baptiste Blanc, déposé le 19 juillet 2022 : Cohésion des territoires - Logement et ville.

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