III. LE FINANCEMENT DU CINÉMA FRANÇAIS FACE AU DÉFI DE LA BAISSE DE LA FRÉQUENTATION
Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère chargé de la culture. Il lui a été confié une triple mission :
- économique, au travers du soutien à une industrie soumise à une très forte concurrence. L'industrie cinématographique représente 0,9 % du PIB et 1 % de l'emploi total en France ;
- culturelle, via la valorisation de la diversité et de l'originalité de la création française ;
- stratégique et réglementaire, par l'intermédiaire d'une participation directe à la définition de la politique de l'État pour ce secteur et à l'élaboration des textes de nature législative ou réglementaire visant ce secteur.
Le CNC ne bénéficie, en principe, d'aucun crédit budgétaire. Son budget annuel - 697,6 millions d'euros prévus en 2022 - est abondé par quatre taxes affectées :
- la taxe sur les services de télévision due par les éditeurs (TST-E) ;
- la taxe sur les services de télévision due par les distributeurs de services de télévisions (TST-D) ;
- la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSV) ;
- la taxe sur les entrées en salle de cinéma (TSA).
Recettes du CNC prévues pour 2023
Source : commission des finances du Sénat, d'après le document stratégique de performance du CNC Perspectives 2023
L'article 10 du présent projet de loi de finances, tel qu'adopté à l'Assemblée nationale en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, revient sur le transfert à la DGFiP du recouvrement de la taxe sur les entrées en salle de cinéma (TSA) et de la taxe sur les services de télévision due par les éditeurs (TST-E) et par les distributeurs de services de télévision (TST-D). Ce transfert avait été prévu en loi de finances pour 2020 et mis en oeuvre à compter du 1 er janvier dernier 17 ( * ) .
A. UNE TRAJECTOIRE DE PROGRESSION DES RECETTES PRUDENTE
1. Une diminution de la fréquentation qui affecte la prévision budgétaire pour 2022 et 2023
a) Une baisse logique des recettes en 2022
L'exercice 2022 est une nouvelle fois marqué par une modification de la prévision budgétaire en cours d'exercice, destinée, notamment, à tenir compte d'une fréquentation en salles moindre qu'attendue. Le CNC tablait en effet fin 2021 sur 200 millions d'entrées, soit un étiage comparable à celui de 2019. Le rapporteur spécial avait relevé lors de l'examen des crédits pour 2022 que ce budget s'avérait « optimiste, dépassant la simple sortie de crise ».
Plusieurs raisons justifient cette fréquentation moindre :
- une offre qui ne satisfait plus un public plus âgé ;
- un nombre moins important de films américains ;
- le coût du billet pour les familles ;
- la préférence pour les plateformes ;
- la question sanitaire, qu'il s'agisse de la perte d'habitude liée aux fermetures des salles ou du poids des restrictions d'accès (pass vaccinal, port du masque).
Le haut niveau de 213 millions d'entrées annuelles établi à 2019 semble, dans ces conditions, difficile à atteindre à court terme. Le CNC privilégie désormais une reprise progressive : 160 millions en 2022, puis 175 millions en 2023 et 190 millions en 2025.
Nombre d'entrées dans les salles de cinéma entre 2016 et 2024
(en millions)
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire
A la lumière de ces éléments, l'exécution 2022 devrait aboutir à une moindre recette de l'ordre de 5,8 millions d'euros, soit une baisse de 0,8 %, pour atteindre 697,6 millions d'euros. Une moins-value de 22 millions d'euros par rapport à la budgétisation initiale devrait ainsi être enregistrée s'agissant de la taxe sur les entrées en salles de cinéma. Celle-ci devrait ainsi atteindre 124,5 millions d'euros, contre 146,5 millions d'euros initialement espérés. Le contournement d'un opérateur en matière de paiement de la taxe sur les services de télévision - distributeurs (TST-D) explique quant à lui une moindre recette attendue de 31,1 millions d'euros, soit 15 % du montant initialement prévu (207,8 millions d'euros).
La reprise du marché publicitaire permet de compenser partiellement ces moindres recettes, la taxe sur les services de télévision -éditeurs (TST-E) progressant de 15,5 % par rapport à la prévision initiale, pour atteindre 292,2 millions d'euros. La chute de la fréquentation en salles a pour corollaire la progression du recours aux plateformes de vidéos. La taxe vidéo et vidéo à la demande (TSV) est ainsi plus dynamique qu'escompté initialement, une plus-value de 8,1 millions d'euros étant ainsi enregistrée (+8,4 %), le rendement de la TSV devant atteindre 104,3 millions d'euros à la fin de l'exercice.
Évolution des recettes du CNC entre 2019 et 2022
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après le document stratégique de performance du CNC Perspectives 2023
b) Une augmentation des recettes modérée attendue en 2023
Le produit des taxes perçues par le CNC en 2023 est estimé à 710,8 millions d'euros, soit une majoration de 13,1 millions d'euros par rapport à la prévision d'exécution 2022.
La progression des recettes attendue en 2023 tient, pour l'essentiel, à une reprise progressive de l'activité des salles et à une augmentation, en conséquence, du produit de la taxe sur les entrées de cinéma. Le niveau envisagé reste modeste, le CNC privilégiant désormais l'horizon 2025 pour retrouver son niveau de 2019. S'il se confirme, ce retour annoncé ne doit pas occulter totalement la question de la progression du coût moyen du billet, appelé, selon le CNC, à augmenter - 7,40 euros en 2026 contre 7,21 euros en 2022 -, qui dans un contexte de hausse des prix à la consommation sert d'arbitrage entre une sortie au cinéma et le recours à une plateforme de vidéo à la demande. Ce tarif reste un prix moyen, qui varie en fonction de l'âge et de la localisation géographique notamment.
Le rapporteur spécial note par ailleurs une certaine prudence concernant la TST-E, assise sur le chiffre d'affaires publicitaire. Celle-ci mérite d'être saluée, compte-tenu des incertitudes pesant sur l'activité économique.
La montée en puissance des plateformes de vidéos à la demande par abonnement qui intègrent désormais des contenus, à l'image des programmes sportifs - tels le championnat de France de football ou le tournoi de Roland-Garros - qui étaient jusqu'alors exclusivement proposés par des services de télévision payante, devrait de son côté contribuer à faire progresser le rendement de la TSV.
Trajectoire prévisionnelle du produit des taxes affectées au CNC 2023-2026
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après le document stratégique de performance - Perspectives 2023
2. Quel rôle pour les plateformes dans le financement du cinéma ?
a) La mise en place d'obligations de financement pour les plateformes...
Le décret n° 2021-793 du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, entré en vigueur le 1 er juillet 2021, transpose en droit français la directive dite « Services de médias audiovisuels - SMA » 18 ( * ) . Le décret cible les éditeurs de service de média audiovisuel à la demande (« SMAD ») établis en France ou à l'étranger mais diffusant leurs programmes en France, dès lors qu'ils dépassent certains seuils de diffusion (10 oeuvres cinématographiques de longue durée ou 10 oeuvres audiovisuelles diffusées). Les plateformes de partage de vidéos créées par des utilisateurs ne constituent pas nécessairement des SMAD. Un compte de partage de vidéos sur ces services peut être considéré comme un SMAD s'il remplit les conditions de la définition, et son éditeur devra donc en respecter les règles.
Aux termes du décret, les éditeurs sont tenus de financer et promouvoir des « oeuvres européennes » à savoir des « oeuvres » réalisées dans un pays européen et particulièrement les oeuvres en français. Les éditeurs de services par abonnement (VADA) (à l'image de Netflix, Amazon Prime Video, Disney +, HBO) devront ainsi consacrer entre 20 et 25 % au moins de leur chiffre d'affaires au développement de la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes. Le taux établi à 20 % du chiffre d'affaires est porté à 25 % pour les services qui proposent des films de moins de douze mois. 85 % de ces sommes doivent être dédiées aux oeuvres en français (soit 17 % à 21,25 % du chiffre d'affaires).
La répartition entre oeuvres cinématographiques et oeuvres audiovisuelles doit être fixée par une convention conclue avec l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), chacun des genres devant représenter au minimum 20 % de l'obligation totale. Les éditeurs établis en France dont le chiffre d'affaires annuel net est supérieur à 1 million d'euros sont ainsi tenus de conclure une telle convention, dont l'objet est de préciser leurs obligations en la matière, mais aussi concernant l'offre et la mise en valeur effective de ces oeuvres, ainsi que l'accès des ayants droit aux données d'exploitation relatives à leurs oeuvres. Les éditeurs installés hors de France ont simplement la faculté de conclure une telle convention.
75 % des investissements dans le cinéma et 66 % au sein des productions audiovisuelles devront se faire auprès de producteurs indépendants. Les SMAD ne pourront avoir aucun lien capitalistique direct ou indirect dans une société de production et la durée des droits ne peut excéder trente-six mois. Ils ne peuvent pas non plus disposer du droit à recette, de mandats de distribution et des droits secondaires. Des clauses de diversité sont, en outre, prévues pour éviter que la contribution ne soit fléchée que vers les grosses productions ou certains genres.
Les autres services, notamment les services de « vidéo à la demande à l'acte » (VOD ou VAD), devront consacrer 15 % au moins de leur chiffre d'affaires à des dépenses contribuant au développement de la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes. 12 % de ces sommes devront être spécifiquement dédiées aux oeuvres en français.
Les éditeurs de services de media audiovisuel à la demande établis en France, lorsqu'ils ont un chiffre d'affaires et une part de marché suffisamment importants en France dans leur catégorie, ainsi que les éditeurs de services de télévision de rattrapage, sont également tenus de mettre en valeur les oeuvres européennes et françaises sur leurs plateformes. 60 % de leur catalogue doit être consacré aux oeuvres européennes et 40 % aux oeuvres françaises.
Le décret a été doublé d'une refonte de la chronologie des médias, de façon à assurer à ces plateformes, en contrepartie de leurs nouvelles obligations, des créneaux plus courts pour la diffusion des films après leur sortie en salle.
b) ... pour partie compensées par un accès aux fonds du CNC
Le CNC estime à 250 millions d'euros annuels la participation des plateformes induite par l'entrée en vigueur du décret SMAD. Les obligations de financement des autres acteurs de l'audiovisuel français sont aujourd'hui estimées à 1,3 milliard d'euros. Seuls 20 % sont cependant fléchés vers le cinéma. L'essence même des plateformes, tournées vers le format série, explique en large partie cette répartition.
Cet apport sera en partie compensé par la possibilité pour les plateformes d'accéder aux financements du CNC pour les productions qu'elles appuient. Le coût est estimé à 20 millions d'euros, soit 10 % environ des dépenses de soutien automatiques dédiées à la seule production audiovisuelle. Le CNC envisage de permettre l'accès à ses fonds à l'horizon 2023.
En attendant, il a mis en place, à titre expérimental, un Fonds sélectif plateforme (FSP) doté de 5,5 millions d'euros destiné aux entreprises de production déléguées française travaillant pour le compte de plateformes. Installé jusqu'en décembre 2022, il a pour l'heure participé au financement de 12 oeuvres (8 fictions, 3 documentaires et 1 film d'animation) pour un montant global de 2,46 millions d'euros. Cette utilisation relative appelle plusieurs observations.
Les plateformes privilégient pour l'heure un recours à la production exécutive d'une oeuvre, qui leur permet de conserver les droits de propriété intellectuelle et de conservation sur celle-ci. Les plateformes accèdent également, de la sorte, au crédit d'impôt international (C2I), plus avantageux que les crédits d'impôt nationaux (CIC ou CIA), dont bénéficie une production déléguée (cf infra ). L'accès des productions déléguées aux fonds de soutien en 2023, devrait selon le CNC, éviter ce risque de contournement. Le rapporteur spécial souhaite qu'un bilan soit effectué fin 2023 afin d'élaborer, le cas échéant, de nouvelles dispositions encadrant l'accès au C2I pour les plateformes.
* 17 Article 184 de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
* 18 Directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (SMA).