C. UNE HAUSSE LARGEMENT INSUFFISANTE DES CRÉDITS DESTINÉS À LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE
L'action 03 du programme 303 relative à la lutte contre l'immigration irrégulière finance trois principaux postes :
- les dépenses de fonctionnement des centres et locaux de rétention administrative et zones d'attente ;
- les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière ;
- diverses subventions aux associations chargées du suivi sanitaire, social et juridique des étrangers retenus .
Elle voit ses crédits augmenter de 31,7 % en AE (+ 49,4 millions d'euros) et de 17,8 % en CP (+ 25,6 millions d'euros) en 2023, pour s'établir à 205,5 millions d'euros en AE et 169,5 millions d'euros en CP.
1. Une politique d'éloignement des migrants en situation irrégulière en échec
La hausse des crédits de l'action 3 du programme 303 en 2023 ne se répercute qu'à 15,4 % en AE et 29, 7 % en CP sur les dépenses directement liées à l'éloignement des migrants en situation irrégulière , soit une hausse de 7,6 millions d'euros en AE et en CP (+ 20,8%), pour atteindre 44,1 millions d'euros. En outre, la hausse de ces crédits directement liés à l'éloignement des migrants en situation irrégulière répond pour une part importante aux conséquences de l'augmentation du prix des carburants sur le coût de l'éloignement, notamment par avion.
En 2023, les dépenses directement liées à l'éloignement des migrants en situation irrégulière représentent 21,5 % des AE et 26,0 % des crédits de l'action et 1,65 % des AE et 2,2 % des CP de la mission .
Part des crédits de paiement directement
dédiés à l'éloignement des migrants
en
situation irrégulière en 2023 au sein de la mission
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Ces dépenses portent sur l'organisation des procédures d'éloignement par voie aérienne et maritime des étrangers qui font l'objet d'une mesure d'éloignement dont la mise en oeuvre revient à la police aux frontières (PAF) : principalement les frais de billetterie centrale (avions commerciaux, trains et bateaux), les coûts des aéronefs de type Beechcraft (19 places) et Dash, et les dépenses locales de déplacement supportés par la police notamment.
En n'augmentant pas significativement les dépenses d'éloignement, le présent projet de loi de finances traduit l'absence de volonté réelle du gouvernement sur ce sujet. Ainsi, depuis 2015, les dépenses d'éloignement n'ont connu aucune augmentation significative et oscillent entre 30 et 45 millions d'euros.
Le volume de la dépense affectée aux reconduites à la frontière et sa dynamique apparaissent largement insuffisants dans un contexte de hausse de l'immigration irrégulière et d'une efficacité déclinante de la politique de renvoi.
Ainsi, le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui constituent la quasi-totalité des mesures d'éloignement prononcées 28 ( * ) , est en baisse constante depuis plusieurs années. Après avoir atteint 22 % en 2012, il a connu une forte baisse, ne dépassant plus les 15 % depuis 2016, et atteignant moins de 13 % en 2018 comme en 2019. Son niveau est inférieur à 10 % depuis 2020. Il s'établit à 6,0 % en 2021 et à 6,9 % pour la première partie de 2022 29 ( * ) .
Cette stagnation des crédits est d'autant plus surprenante que le président de la République a réaffirmé dans le courant de l'été 2021 l'objectif d'augmenter significativement l'effectivité des mesures d'éloignement.
Le rapporteur spécial regrette la dichotomie entre le nombre croissant de personnes déboutées, lié au nombre croissant de demandes, et la faiblesse des crédits affectés à la lutte contre l'immigration irrégulière.
2. Une hausse des crédits en réalité concentrée sur les dispositifs de préparation au retour et les dépenses de fonctionnement des centres de rétention administrative
L'essentiel des hausses de crédits de l'action 03 du programme 303 relative à la lutte contre l'immigration irrégulière en 2023 ( 84,6 % de la hausse des AE et 70,3 % de la hausse des CP) portent sur les dépenses liées aux dispositifs de préparation au retour (DPAR) et aux dépenses de fonctionnement des centres de rétention administration (CRA), des locaux de rétention et des zones d'attente.
a) Le hausse des dépenses liées aux dispositifs de préparation au retour
En 2023, les dépenses liées aux dispositifs de préparation au retour (DPAR) augmentent de 309 % en AE (+ 29,1 millions d'euros) et de 104,5 % en CP (+ 8,4 millions d'euros), pour s'établir à 38,5 millions d'euros en AE et 19,3 millions d'euros en CP.
Ces dispositifs hébergent en priorité des familles séjournant irrégulièrement sur le territoire français, majoritairement après avoir été déboutées de leur demande d'asile et en présence indue dans le dispositif national d'accueil, volontaires au retour aidé de l'Ofii ou susceptibles de l'être, pour lesquelles il existe une perspective raisonnable d'éloignement.
2 151 places ont été ouvertes depuis l'expérimentation de ce dispositif en 2015. Ce dispositif, bien que marginal, se révèle assez efficace puisqu'en 2021, 76 % des personnes hébergées dans un centre de province ont été éloignées.
L'augmentation des crédits par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 s'explique par la prise en compte des 1 100 places financées par le plan de relance en 2021 et 2022 et intégrés à compter de 2023 dans la présente mission.
b) Le hausse des dépenses de fonctionnement des CRA, locaux de rétention administrative et des zones d'attente
Le parc d'hébergement en CRA (26 centres de rétention administrative) fait face à une hausse constante des besoins. Ces structures logent les étrangers ayant fait l'objet d'une décision d'éloignement du territoire, dans l'attente de son exécution. Elles concourent à la bonne poursuite de la lutte contre l'immigration irrégulière, dans un contexte de hausse constante des flux migratoires vers la France. La loi du 18 septembre 2018, qui introduit un allongement de la durée de rétention administrative (de 45 à 90 jours) est venue aggraver les tensions sur un parc immobilier déjà proche de la saturation.
En 2022, les crédits demandés au titre de l'investissement immobilier dans le parc d'hébergement des CRA avaient augmenté de 51,1 % en CP pour financer la tranche 2022 du plan d'extension des CRA, notamment les opérations d'Olivet (90 places) et de Bordeaux (140 places). Si les crédits d'investissement sont en baisse en 2023 par rapport à 2022 (de 5,7 millions d'euros en AE et de 5,8 millions d'euros en CP), des investissements immobiliers importants seront réalisés en 2023 pour financer la tranche 2023 du plan d'extension des CRA , notamment les opérations d'Olivet (90 places), de Bordeaux (140 places) et de Perpignan (12 places). En 2023, la capacité des centres de rétention administrative est ainsi portée à 1 961 places.
Les taux d'occupation, qui ont connu une baisse pendant la crise sanitaire, commencent d'ores et déjà à retrouver des niveaux proches de ceux qui prévalaient les années précédentes. Le taux d'occupation des CRA de métropole a fortement augmenté depuis l'automne 2017, puisqu'il s'élevait en moyenne à 86 % en 2019 contre 68 % en 2017. Il était même concernant les hommes isolés de 91 % à la veille du confinement. En 2020, avec la crise sanitaire qui s'est traduite par des restrictions en termes de places ouvertes en rétention, il s'élevait à 61 % en métropole. Pour 2021, il s'élève à 82 %.
En 2023, ce sont les crédits de fonctionnement des CRA et des locaux de rétention administrative et des zones d'attente qui augmentent le plus, de 16,9 millions d'euros en AE (+ 37,8 %) et de 12,5 millions d'euros en CP (+ 31,4 %), notamment pour faire face à la hausse de leur taux d'occupation par rapport à 2020, développer les activités occupationnelles dans le contexte d'allongement de la durée de rétention administrative (de 45 à 90 jours), financer les hausses des coûts de l'énergie et externaliser les tâches non régaliennes effectuées par les fonctionnaires de police dans les CRA.
* 28 Les autres mesures sont les interdictions de territoire et les expulsions, qui connaissent des taux d'exécution bien supérieurs à celui des OQTF.
* 29 Voir également les graphiques supra s ur l'évolution du nombre d'OQTF prononcées et exécutées et de leur taux d'exécution.