B. UNE RÉDUCTION PRÉVUE DES DÉPENSES D'ALLOCATION POUR DEMANDEUR D'ASILE EN 2023 EXCESSIVEMENT OPTIMISTE
1. L'ADA : une aide financière allouée aux demandeurs d'asile
Créée par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile 25 ( * ) , l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) est versée aux demandeurs d'asile d'au moins 18 ans pendant toute la durée de la procédure d'instruction de leur demande , y compris en cas de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (Cnda). Cette allocation est familialisée et versée à l'ensemble des demandeurs d'asile dès lors qu'ils ont accepté l'offre de prise en charge qui leur a été présentée lors de leur admission au séjour . Les demandeurs d'asile relevant des dispositions du règlement Dublin peuvent également percevoir l'ADA jusqu'à leur transfert effectif vers l'État membre responsable de l'examen de leur demande. En outre, les personnes bénéficiant de la protection temporaire au titre du conflit en Ukraine peuvent également percevoir l'ADA 26 ( * ) . La gestion de l'ADA est assurée par l'Ofii.
Son montant varie en fonction de la composition familiale, des ressources de la famille et du besoin et des modalités d'hébergement. Il est de 6,8 euros par jour pour une personne seule. Il augmente de 3,4 euros par membre de la famille supplémentaire. Le montant supplémentaire, si aucune place d'hébergement n'a été proposée au demandeur, est de 7,4 euros (ce montant est identique que le demandeur soit seul ou qu'il ait une famille). Ainsi, le montant mensuel pouvant être versé à un demandeur d'asile seul, s'il ne s'est pas vu proposer de place d'hébergement, est de 432 euros mensuel.
Montants journaliers de l'ADA, en fonction de la
composition familiale
et du département d'enregistrement de la
demande
Composition familiale |
Métropole |
Guyane/Saint-Martin |
1 personne |
6,80 € |
3,80 € |
2 personnes |
10,20 € |
7,20 € |
3 personnes |
13,60 € |
10,60 € |
4 personnes |
17,00 € |
14,00 € |
5 personnes |
20,40 € |
17,40 € |
6 personnes |
23,80 € |
20,80 € |
7 personnes |
27,20 € |
23,20 € |
8 personnes |
30,60 € |
27,60 € |
9 personnes |
34,00 € |
30,00 € |
10 personnes |
37,40 € |
34,40 € |
Source : commission des finances, annexe 8 de la partie réglementaire du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA)
2. Une réduction anticipée du coût de l'ADA en 2023 qui apparaît excessivement optimiste, en dépit de l'amélioration des délais de traitement des demandes par l'Ofpra
a) Un raccourcissement observé des délais de traitement des demandes d'asile par l'OFPRA, dans un contexte de réduction temporaire de ces dernières en 2020 et de moyens humains en hausse,...
L'Ofpra est l'office chargé, en première instance, d'accorder ou non la protection de la France aux demandeurs d'asile qui la sollicitent. Établissement public administratif de l'État placé sous la tutelle du ministre de l'intérieur depuis 2010, il bénéficie de l'indépendance fonctionnelle. Son financement est assuré presque intégralement par une subvention pour charges de service public versée par le ministère.
En 2020, les subventions accordées à l'Ofpra avaient augmenté de près de 30 % et ses effectifs de 200 ETPT, en cohérence avec l'objectif de réduction des délais de traitement des demandes. La subvention s'établira en 2023 à 103,5 millions d'euros, en hausse de 11 % par rapport à 2022, tandis que 8 ETPT seront créés, pour atteindre 1 011 ETPT, tous rémunérés par l'opérateur. La hausse des moyens budgétaires de l'Ofpra en 2023 vise à faire face à l'augmentation des dépenses, aux conséquences de l'inflation et à permettre la mise en place de mesures visant à réduire le taux de rotation des officiers de protection, qui grève la performance de l'établissement. Au cours du second semestre 2022, une antenne de l'Ofpra entrera en service à Mamoudzou (Mayotte), afin de traiter spécifiquement, conformément au décret n° 2022-211 du 18 février 2022, la demande d'asile enregistrée à Mayotte, sur le même modèle que l'antenne de Cayenne, qui traite des demandes d'asile déposées en Guyane.
Évolution des moyens accordés à l'Ofpra (subvention), en millions d'euros
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
En 2020, l'activité de traitement des demandes par l'Ofpra avait été très affectée par la mise en place de restrictions sanitaires, les périodes de confinement et par la réduction du flux de demandes. Alors qu'en 2019, l'Ofpra avait rendu 120 634 décisions, seules 89 774 ont été rendues par lui en 2020, soit une baisse de 25,6 %.
Dans un contexte d'une levée progressive des restrictions sanitaire et de moyens humains et budgétaires en hausse, l'Ofpra a rendu 139 810 décisions en 2021, soit 55,7 % de plus qu'en 2020 et 15,9 % de plus qu'en 2019 . Il en résulte une baisse du délai moyen de traitement des demandes d'asile par l'Ofpra , qui est passé de 262 jours en 2020 à 140 jours en août 2022 , soit un niveau comparable à 2018.
Cette amélioration du délai moyen de traitement se poursuivrait selon le projet annuel de performance de la mission, pour s'approcher de 100 jours fin 2022 et viser l'objectif, fixé par le Président de la République, de 60 jours, en 2023 . Par ailleurs, le nombre relativement élevé de décisions de l'Ofpra en 2021 a permis de réduire les stocks de dossier pendants et donc l'âge moyen des dossiers, qui s'établit à 176 jours en 2021. Enfin, il est prévu une hausse des décisions rendues par l'Ofpra, qui s'établiraient à 150 000 en 2022.
b) ...qui ne suffit pas à justifier la baisse prévue de la dotation au titre de l'ADA en 2023, laquelle est exagérément optimiste
La dotation au titre de l'ADA (hors frais de gestion) est réduite pour 2023 à 314,7 millions d'euros en AE et en CP, en diminution de 36 % (- 176,3 millions d'euros), par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 (qui prévoyait une dotation de 491 millions d'euros, en incluant la provision de 20 millions d'euros pour couvrir un éventuel dépassement).
L'explication donnée à cette réduction importante annoncée des dépenses d'ADA tient dans le raccourcissement du délai moyen de traitement des demandes d'asile, qui a un effet mécanique sur le coût de l'ADA , laquelle est ainsi versée sur une moins longue période à chaque demandeur.
Le rapporteur spécial estime toutefois que la prévision du Gouvernement s'agissant de la dotation au titre de l'ADA est excessivement optimiste. En effet, plusieurs risques importants pèsent sur elle.
En premier lieu, le raccourcissement prévu du délai moyen de traitement des dossiers par l'Ofpra dont dépend la baisse du coût de l'ADA apparaît extrêmement ambitieux puisqu'il suppose de le réduire de 140 jours en août 2022 à 60 à fin 2023, soit plus de deux fois moins . Or, rien ne permet de penser qu'une telle accélération soit possible ; elle n'a jamais eu lieu dans le passé. En outre, si le délai moyen a été réduit en 2021 et 2022 par rapport à 2020, c'est non seulement grâce à la hausse des effectifs et de l'efficacité de l'Ofpra mais aussi, et peut-être surtout, en raison du fait que le nombre de demandes d'asile a été réduit en 2020, contribuant moins qu'à l'accoutumée à la hausse du stock de dossiers. Or, la reprise de la hausse des demandes d'asile en 2021, 2022 et 2023 constituera un obstacle majeur pour réduire, voire même pour maintenir, le délai moyen de traitement des demandes. Pour mémoire, en 2021, le nombre de demandes d'asile est ainsi reparti à la hausse pour s'établir à 103 164 demandes, soit une progression de 7 %. La poursuite de la levée des restrictions sanitaires au cours des années 2021 et 2022 et les effets de rattrapage devraient accentuer cette hausse. Le Gouvernement anticipe d'ailleurs 135 000 demandes d'asile en 2023, chiffre probablement sous-estimé.
En deuxième lieu, les conséquences de l'accueil d'un nombre élevé de personnes fuyant le conflit en Ukraine pourraient compliquer la tâche de l'Ofpra . En effet, les personnes sollicitant ou ayant obtenu la protection temporaire 27 ( * ) peuvent également demander l'asile en France, ce qui devrait augmenter le nombre de dossiers à traiter par l'Ofpra. En outre, dans la procédure d'octroi de la protection temporaire, les préfectures peuvent solliciter indirectement l'Ofpra pour les assister dans la prise de décision, ce qui augmentera leur charge de travail.
En troisième lieu, le délai de traitement des demandes d'asile ne dépend pas que de l'Ofpra puisque la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) traite des recours contre ses décisions . Durant la période de recours, l'ADA continue à être versée. Or si la CNDA a augmenté le nombre de ses décisions en 2021 de 63 % pour retrouver un niveau d'activité comparable à 2019, elle n'a pas réduit son délai moyen de traitement des demandes puisqu'elle a fait face à un nombre élevé de recours sur les décisions elles-mêmes plus nombreuses de l'Ofpra. L'augmentation des demandes d'asile en 2021, 2022 et 2023, devrait donc conduire à un rallongement du délai moyen de traitement des demandes par la CNDA.
En quatrième lieu, l'incapacité de l'État à assurer l'application systématique du règlement « Dublin » contribue au dérapage systématique des dépenses d'ADA. En effet, si le nombre de transferts de demandeurs d'asile réalisés vers des pays européens était en progression jusqu'au début de la crise sanitaire (de 12 % en 2018 à 19 % en 2019) ce dernier diminue depuis 2020. Il s'est ainsi élevé à 17 % en 2020, en raison des transferts suspendus pendant le premier confinement, puis de la reprise modérée qui a suivi avec les restrictions de circulation. En 2021, le taux de transfert a baissé, à 16 %, alors que le nombre d'enregistrements sous procédure Dublin est plus soutenu qu'en 2020. En 2022, le Gouvernement s'était fixé la cible, déjà très faible, de 20 % de transferts. Celle-ci ne sera pas atteinte et est ramenée à 16 %, soit 3 600 transferts. Le rapporteur spécial estime que des mesures de retrait systématique de l'ADA aux personnes qui ne coopèrent pas à la mise en oeuvre de leur transfert dans un pays de l'Union européenne doivent être prises de manière ferme. Plus largement, il estime que ce faible taux de transfert traduit l'impuissance de l'Union européenne en matière migratoire.
Dans ces conditions, le rapporteur spécial estime que la dotation prévue pour 2023 au titre de l'ADA est encore davantage sous-estimée que les années précédentes.
* 25 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.
* 26 Voir supra .
* 27 Voir supra .