B. UNE REPRISE DES FLUX MIGRATOIRES DÈS 2021, APRÈS UNE ANNÉE 2020 PARTICULIÈRE MARQUÉE PAR L'ÉPIDÉMIE DE COVID-19
1. Après une année 2020 marquée par l'épidémie de COVID-19, la pression migratoire a repris sa tendance haussière en Europe et en France dès 2021
Comme l'indique le projet annuel de performance de la présente mission annexé au projet de loi de finances pour 2023, « la pression migratoire demeure exceptionnellement élevée en Europe depuis 2015 ».
En 2020, la situation de crise sanitaire liée à la Covid-19 avait entrainé une baisse des flux migratoires à destination de la France et de l'Europe . Les restrictions sur les déplacements intérieurs et internationaux intervenus en France et en Europe ainsi que dans les pays de départ et de transit avaient concouru à cette diminution, notamment les restrictions sur les vols commerciaux. Les flux migratoires à destination des pays de l'Union européenne avaient ainsi diminué de moitié au premier semestre 2020 5 ( * ) . En Europe, les demandes d'asile avaient ainsi diminué de 33 % au cours des six premiers mois de 2020 par rapport à la même période en 2019, ce qui coïncidait avec la restriction des déplacements sur le continent pour endiguer la crise sanitaire 6 ( * ) . En 2020, l'Europe demeurait néanmoins la plus grande terre d'accueil de migrants internationaux en volume avec un total de 87 millions de migrants y vivant 7 ( * ) .
Cette situation était conjoncturelle et le retour progressif à une situation sanitaire maitrisée s'accompagne d'un retour progressif des flux migratoires à un niveau proche de celui d'avant-crise. En 2021, plus de 617 800 personnes ont demandé l'asile dans les États membres ou associés de l'Union européenne, « ce qui représente une augmentation d'un tiers par rapport à 2020 et un retour à la situation antérieure à la pandémie de Covid-19 » 8 ( * ) . En France, alors que 223 093 premiers titres de séjour avaient été délivrés en 2020, 270 925 l'ont été en 2021, soit une hausse de 21,4 % 9 ( * ) . Le nombre de demandes d'asile, après une baisse en 2020, est ainsi reparti à la hausse dès 2021 (+ 7 % avec 103 164 demandes). En outre, le projet annuel de performance de la mission « Immigration, asile et intégration » relève que « les contextes migratoire et géopolitique (évolution de la situation politique en Afghanistan, impact économique de la crise sanitaire dans les pays du Sud, effet de rattrapage des migrations stoppées par la crise sanitaire) permettent de penser que la tendance observée historiquement va se poursuivre ».
Outre les flux en eux-mêmes et les demandes d'asile, les autres volets de la politique migratoire ont également progressé en 2021, après un ralentissement en 2020. Les délivrances de visas ont augmenté de 2,9 % et les acquisitions de nationalité de 53,6 % par rapport à 2020 10 ( * ) . Les contrats d'intégration républicaine ont également été signés en plus grand nombre (109 000 CIR ont été signés en 2021, contre 78 764 CIR en 2020).
2. Des demandes d'asile qui ont repris leur progression en 2021 et devraient augmenter en 2022 et 2023
Les indicateurs sur la demande d'asile ont fait l'objet d'un changement de méthode de calcul en 2020. Le système d'information asile (SI Asile) a succédé à la source de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). La nouvelle méthodologie permet désormais de dénombrer, outre les demandes passant par l'Ofpra, les demandes en procédure Dublin « III » 11 ( * ) et les demandes déposées en guichet unique pour demandeur d'asile (Guda) mais jamais arrivées à l'Ofpra. Pour rappel, le règlement européen Dublin « III » prévoit qu'un seul État membre est responsable du traitement d'une même demande d'asile au sein de l'Union européenne. Les demandes d'asile concernées sont celles qui relèvent de la compétence d'un autre État membre, c'est-à-dire de migrants arrivés en Europe qui, après avoir enregistré cette demande dans un premier pays européen, la réitèrent dans un autre État membre de l'Union européenne. Ce nouvel indicateur donne ainsi une image plus fidèle de l'évolution du nombre de demandes d'asile à partir de 2018, année pour laquelle le nouveau périmètre est applicable.
Évolution du nombre de demande d'asile en France
Premières demandes |
Réexamens et réouverture de dossiers clos |
Total demandes d'asile |
Évolution nombre demandes d'asile |
|
2018 |
114 226 |
9 399 |
123 625 |
+ 22,7 % |
2019 |
123 682 |
9 144 |
132 826 |
+ 7,4 % |
2020 |
87 514 |
8 910 |
96 424 |
- 27,4 % |
2021 |
89 256 |
13 908 |
103 164 |
+ 7,0 % |
Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Ofpra
La baisse observée entre 2019 et 2020 revêt un caractère exceptionnel (- 27,4 %). En 2021, le nombre de demandes d'asile est ainsi reparti à la hausse pour s'établir à 103 164 demandes, soit une hausse de 7 %. À titre d'exemple, le nombre de demandes d'asile à Mayotte a augmenté de 64,3 % entre 2020 et 2021. La poursuite de la levée des restrictions sanitaires au cours des années 2021 et 2022 et les effets de rattrapage devraient accentuer cette hausse 12 ( * ) . Pour 2022, le Gouvernement anticipe 135 000 demandes d'asile en 2023.
Les décisions de protection rendues par l'Ofpra et la Cnda
En 2021, l'Ofpra et la Cour nationale du droit d'asile (Cnda) ont rendu 54 384 décisions de protection (octroi du statut de réfugié ou d'apatride, protection subsidiaire), contre 33 204 en 2020 (et 45 988 en 2019), soit une hausse de 63,8 %. 34 754 demandeurs d'asile se sont vu accorder le statut de réfugié (+ 72 % par rapport à 2020) et 19 630 demandeurs d'asile ont obtenu une protection subsidiaire (+ 51 % par rapport à 2020).
La majorité de ces décisions sont prises par l'Ofpra : 35 919 admissions ont été enregistrées en 2021 (66 % des décisions prises). 22 550 personnes protégées par l'Ofpra en 2021 se sont vu octroyer un statut de réfugié ou d'apatride (62,8 % des demandes acceptées) et 13 369 une protection subsidiaire (37,2 % des demandes acceptées). Le taux de protection de l'Ofpra augmente de deux points et s'établit à 25,9 %, en 2021.
La CNDA a quant à elle rendu en appel 18 465 décisions de protection en 2021 , contre 12 338 en 2020 (+ 49,7 %). La proportion de décisions d'octroi de la protection subsidiaire est comparable à celle observée pour l'Ofpra : 12 204 personnes se sont vues octroyer un statut de réfugié ou d'apatride (66 % du total) et 6 261 une protection subsidiaire (34 %) .
À l'issue des décisions de l'OFPRA et de la CNDA, 52,7 % des demandeurs se sont vus accorder une protection en 2021 , contre 34,4 % en 2020 et 34,6 % en 2019.
Au total (décisions de l'OFPRA et de la CNDA), les trois principales nationalités concernées par la protection subsidiaire en 2021 sont les Afghans (57 % de l'ensemble des protections subsidiaires), les Syriens (14 %) et les Albanais (2,1 %). Le statut de réfugié a été octroyé principalement à des Afghans (20,5 % du total des statuts de réfugié), des Syriens (4,8 %), des Turcs (3,7 %), des Chinois (2,8 %) et des Russes (2 %).
Source : commission des finances, d'après l'Ofpra
3. Une immigration irrégulière très conséquente et un dispositif d'éloignement en échec
Malgré l'absence persistante de données officielles fiables relatives au nombre d'étrangers en situation irrégulière en France, certains indicateurs permettent d'appréhender la hausse structurelle de l'immigration irrégulière sur le territoire français.
Le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME) rend compte de cette dynamique de hausse, qui s'est accentuée en 2020, malgré le contexte sanitaire. Il s'établissait à 382 899 en 2020, soit une hausse de + 15 % par rapport à 2019. En 2021, il s'établit à 380 762 13 ( * ) , soit à un niveau quasiment identique à 2020 et supérieur de 147 % par rapport à 2004. Dans les réponses au questionnaire budgétaire, le ministère de l'Intérieur indique pour sa part que le nombre de bénéficiaires a augmenté de 2 % en 2021 par rapport à 2020 . Il convient de rappeler que cette aide est versée sous condition de résidence ininterrompue en France de trois mois, et que son taux de recours n'est pas connu, et ne peut donc donner qu'une image tronquée du nombre d'étrangers résidant en France en situation irrégulière, qui est certainement bien supérieur. Il est néanmoins possible que le contexte de crise sanitaire ait entrainé une hausse du taux de recours.
Évolution du nombre de bénéficiaires de l'AME
Source : commission des finances du Sénat, d'après les projets annuels de performance successifs de la mission « Santé »
Dans le même temps, les retours forcés n'ont augmenté que de 10,8 % en 2021 par rapport à 2020, année durant laquelle ils avaient été très peu nombreux du fait du contexte sanitaire. Ils restent inférieurs de 46,7 % au nombre de retours forcés constatés en 2019, qui était déjà très faible .
Nombre de retours forcés exécutés
Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur
Plus spécifiquement, les obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui constituent la majorité des mesures administratives d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, connaissent un taux d'exécution inférieur à 10 % depuis le début 2020 (voir infra ) ; il s'établit à 6,0 % en 2021 et à 6,9 % pour la première partie de 2022. Le rapporteur spécial estime que les mesures budgétaires prévues par le présent projet de loi de finances ne devraient pas permettre d'augmenter significativement leur nombre.
Évolution du nombre d'OQTF
prononcées
et exécutées et de leur taux
d'exécution (en %)
Source : commission des finances, d'après le ministère de l'intérieur
Par ailleurs, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit la possibilité, pour les étrangers en situation irrégulière, de se voir délivrer, dans certains cas, une carte de séjour temporaire. En 2021, le nombre d'étrangers ayant ainsi bénéficié d'une régularisation s'établit à 31 129 14 ( * ) . Entre 2020 et 2021, ce chiffre a connu une hausse de plus de 15 % . Le nombre de délivrances de cartes de séjour temporaires a très fortement augmenté en 10 ans (+ 79 % entre 2010 et 2021).
Nombre d'admissions exceptionnelles au séjour
Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur
* 5 Edition 2020 des perspectives des migrations internationales, OCDE, Octobre 2020.
* 6 Rapport d'activité 2020 de l'OFPRA.
* 7 Organisation internationale pour les migrations, World migration report 2022.
* 8 Rapport d'activité 2021 de l'OFPRA.
* 9 Les principales données de l'immigration en France, Ministère de l'Intérieur, 20 juin 2022.
* 10 Les principales données de l'immigration en France, Ministère de l'Intérieur, 20 juin 2022.
* 11 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
* 12 Voir supra .
* 13 Projet annuel de performance de la mission « Santé » annexé au projet de loi de finances pour 2023.
* 14 Les données du ministère de l'Intérieur fournissent deux chiffres : 31 576 et 31 129.