B. LES GRANDS PROGRAMMES DE MODERNISATION DE LA NAVIGATION AÉRIENNE : UNE NOUVELLE APPROCHE PLUS PRAGMATIQUE QUI DOIT ÊTRE SOUTENUE PAR UNE DYNAMIQUE D'INVESTISSEMENTS SOUTENUE
Après 2008 et du fait des conséquences de la crise financière sur le trafic aérien et ses recettes, la DGAC a mobilisé ses dépenses d'investissements comme variable d'ajustement. Celles-ci s'étaient ainsi rétractées à 150 millions d'euros en 2010, un montant très insuffisant pour engager les programmes indispensables à la modernisation d'outils de navigation aérienne hors d'âge. Après cette date, les dépenses ont amorcé une lente progression. Le développement des grands programmes de modernisation de la navigation aérienne a conduit la DGAC à augmenter ces dépenses.
Les choix effectués lors de la crise sanitaire ont été différents, la DGAC prenant le parti de maintenir à un niveau élevé ses dépenses d'investissement. Compte-tenu des enjeux éminents liés à la modernisation des outils de navigation aérienne, le rapporteur spécial se félicite que les dépenses d'investissements du BACEA n'aient pas servi cette fois ci de variable d'ajustement pour limiter les déséquilibres financiers liés aux répercussions de la pandémie de Covid 19.
Après une augmentation de 10,2 millions d'euros en 2022, dont 7,5 millions d'euros sur les seuls grands programmes de modernisation des outils de la navigation aérienne, les dépenses d'investissements du BACEA doivent se rétracter de 4 millions d'euros en 2023 (- 1,2 %) pour s'établir à 319 millions d'euros .
Les dépenses d'investissement de la DGAC depuis 2013
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire
1. Une nouvelle approche stratégique plus pragmatique pourrait enfin permettre à la DSNA de déployer ses programmes de modernisation sans nouveaux délais ni surcoûts
Le programme 612 « Navigation aérienne » représente à lui seul environ 85 % des dépenses d'investissement du BACEA, avec 253,8 millions d'euros en AE et 271,8 millions d'euros en CP . 12 millions d'euros de fonds de concours et d'attributions de produits sont par ailleurs attendus en 2023 en faveur du contrôle aérien. Sur les exercices 2024 et 2025, selon les prévisions, les niveaux de dépenses devraient se maintenir au-dessus de 260 millions d'euros par an. En consolidant ses efforts d'investissement, la DSNA entend parvenir à mettre à niveau des équipements datés afin de pouvoir, à l'avenir, faire passer le trafic dans de meilleures conditions .
Évolution des CP inscrits en loi de finances
initiale
sur le programme 612
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Pour parvenir à cet objectif, la DSNA doit résoudre les difficultés soulevées par le rapporteur spécial dans son rapport d'information du 13 juin 2018 « Retards du contrôle aérien : la France décroche en Europe », et notamment :
- l'augmentation des retards provoquée par le manque de capacités du contrôle aérien français, qui coûtait, avant la crise, 300 millions d'euros par an aux compagnies aériennes ;
- l'obsolescence des systèmes de la DSNA, qui tend à faire d'eux un « facteur bloquant » pour la modernisation technologique du ciel unique européen .
Le rapporteur spécial suit avec intérêt l'exercice de révision de ses stratégies sectorielles qu'a engagé la DSNA en 2021 . Nécessaire, cette révision consiste en un réexamen systématique de l'ensemble des projets d'investissement . Elle est centrée sur les programmes de modernisation des systèmes de gestion du trafic aérien. Si ce réexamen global qui s'inscrit dans une dimension plus large de révision stratégique de la DSNA, n'a pas encore abouti, le rapporteur spécial considère que certaines de ses premières traductions vont dans le bon sens . Les nouvelles orientations prises sur certains programmes illustrent un souci de rationalisation et d'efficacité ainsi qu'un renoncement à des tendances historiques à la sur-spécification, à la diversification à outrance ainsi qu' à la volonté de systématiquement développer des projets propres uniques plutôt que des outils standards .
2. Des grands programmes dont le coût représente plus de deux milliards d'euros
Dans la perspective d'améliorer ses performances, la DSNA poursuit plusieurs grands programmes techniques destinés à modifier en profondeur le travail des contrôleurs aériens dans les centres en route, les centres d'approche et les tours de contrôle des aérodromes. Le coût total de ces programmes dépasse les deux milliards d'euros. La durée de conception de ces programmes s'avère particulièrement longue.
Coût des programmes techniques de
modernisation
du contrôle de la navigation aérienne
(en millions d'euros)
Programme |
Durée du programme |
Coût total fin 2021 |
Coût 2022 |
Coût total programme après 2022 |
Coût total programme |
4-Flight |
2011-2027 |
686,5 |
96,0 |
102,7 |
885,2 |
Coflight |
2003-2027 |
259,2 |
30,3 |
70,2 |
359,7 |
Sysat |
2012-2032 |
113,7 |
27,3 |
289,0 |
430,0 |
Data Link |
2006-2021 |
34,0 |
- |
- |
34,0 |
Autres programmes |
- |
178,0 |
24,5 |
109,4 |
311,9 |
Total |
- |
1 271,4 |
178,1 |
571,3 |
2 020,8 |
Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Ces programmes, dont certains ont été lancés au début des années 2000, avaient pris un retard considérable qui entrave aujourd'hui la performance délivrée par les services de la navigation aérienne. 4-Flight , nouveau système de contrôle, devait être livré en 2015 . Or, la DSNA n'a finalement commencé à le déployer qu'au printemps dernier, dans le centre en route de Reims . Il doit être déployé dans le centre d'Aix-en-Provence en décembre prochain, à Athis-Mons en 2023 puis dans les centres de Bordeaux et de Brest d'ici 2026, soit avec plus de dix ans de retard sur le calendrier initial.
Ces programmes se sont aussi traduits par d'importants surcoûts dont plus de 300 millions d'euros (+ 52 %) pour 4-Flight ou 163 millions d'euros (+ 105 %) pour Coflight .
Coût et durée des trois principaux programmes de la DSNA
Programme |
Au lancement |
Actualisation |
Écarts |
|
4-Flight |
Coût total (en million d'euros) |
582,9 |
885,2 |
+ 51,9 % |
Durée totale (en mois) |
180 |
192 |
+ 6,7 % |
|
Cofligt |
Coût total (en million d'euros) |
175,1 |
359,7 |
+ 105,4 % |
Durée totale (en mois) |
156 |
276 |
+ 76,9 |
|
Sysat |
Coût total (en million d'euros) |
500,0 |
430,0 |
- 14,0 % |
Durée totale (en mois) |
228 |
202 |
- 11,4 % |
Source : projet annuel de performances pour 2023
3. Déployé pour la première fois dans le centre en route de Reims, le programme 4-Flight vient de connaître une augmentation de 35 millions d'euros de son coût global
À la suite de la parution du rapport précité du rapporteur spécial, la DSNA avait finalisé en novembre 2018 pour un coût de 121 millions d'euros TTC la signature d'un avenant avec Thalès sur 4-Flight portant sur le complément de développement, le partage des surcoûts et les premières mises en services opérationnelles. Cet avenant était supposé enfin garantir l'achèvement du projet dans les délais prévus. Néanmoins, en janvier 2020 de nouvelles difficultés avaient été identifiées ce qui avait occasionné une nouvelle dérive des délais de mise en service.
Le 5 avril 2022, le programme 4-Flight a enfin été déployé dans un premier centre en route à Reims. Après une phase de tests, la mise en service opérationnelle a été prononcée le 13 juin 2022. Un nombre significatif d'anomalies et de dysfonctionnements a été relevé à l'occasion de la phase de déploiement. Leur résolution a fait l'objet d' un plan d'action élaboré avec l'industriel Thalès.
En 2022, le coût total du programme 4-Flight a subi une nouvelle dérive de 35 millions d'euros , passant de 850,2 millions d'euros à 885,2 millions d'euros. La DGAC explique cette augmentation par les coûts non prévus induits par la mise en service opérationnelle réalisée au centre de Reims, par l'accélération du calendrier de déploiement, par la convergence sur une seule version ainsi que par le contexte d'inflation.
Désormais le calendrier de déploiement prévoit une mise en service dans le centre d'Aix-en-Provence le 6 décembre 2022, dans celui d'Athis-Mons avant la fin de l'année 2023 puis dans les centres de l'Ouest de la France d'ici 2026.
Une version 2.0 du programme doit être développée au début de l'année 2023. Cette version unique aura vocation à être déployée à l'identique dans l'ensemble des centres en route de la navigation aérienne. Ce choix pragmatique apparaît comme un effort de rationalisation salutaire par rapport à la situation qui prévalait jusqu'ici, la trop grande diversité de spécifications pour chaque centre se traduisant par des coûts supplémentaires et par une performance sous-optimale des services de la navigation aérienne.
S'il regrette de constater un nouveau dérapage financier du programme, le rapporteur spécial accueille avec soulagement les débuts tant attendus du déploiement de 4-Flight. Il craint néanmoins que les difficultés liées au programme Coflight neutralisent une bonne partie des apports attendus de l'outil 4-Flight.
Le rapporteur spécial se félicite par ailleurs de la nouvelle approche pragmatique adoptée par la DSNA et visant à réduire au minimum les spécifications parfois superfétatoires et propres à chaque centre en route. Cet effort de rationalisation semble s'inscrire plus généralement dans une nouvelle stratégie d'investissements de la DSNA qui vise à aboutir rapidement à des résultats tangibles et à des gains de performance effectifs. Une logique similaire a semblé prévaloir quant à la réorganisation du programme Sysat.
4. Le programme Sysat a été profondément réorganisé et opportunément rationalisé
Le programme Sysat G1 consiste en une modernisation des systèmes de contrôle de la navigation aérienne ou ATM (pour air traffic management ) des tours de contrôle des aéroports ainsi que des centres d'approche de la région parisienne.
Dans le cadre de l'exercice de réexamen global des investissements de la DSNA et face aux difficultés rencontrées par l'industriel SAAB-CS pour livrer à temps et simultanément les dispositifs prévus pour les aéroports de Roissy-Charles-de-Gaule et Orly, le programme Sysat a été profondément remanié.
Cette réorganisation s'est traduite par une approche dissociée pour les deux aéroports et par une rationalisation du projet. La DSNA a demandé à l'industriel de se concentrer sur le seul aéroport d'Orly pour mettre en service, d'ici aux jeux olympiques de 2024, le système standard I-ATS déjà opérationnel sur d'autres plateformes aéroportuaires telles que Dublin, Stockholm ou encore Istanbul.
Concernant l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, face au constat d'impasse de la précédente approche, il a été décidé à court terme de revoir le programme à la baisse pour ne poursuivre qu'un objectif de sécurisation du système actuel de surveillance au sol, là encore d'ici aux jeux olympiques de 2024.
Compte-tenu de cette réorganisation profonde du projet, sa trajectoire de financement et son coût global sont en cours de révision .
Si le rapporteur spécial regrette qu'il ait été nécessaire d'en arriver là, il considère que les choix effectués par la DSNA sont rationnels et nécessaires. Il se félicite également de sa nouvelle approche stratégique qui la conduit désormais à faire le choix de systèmes « sur étagères », robustes , qui ont fait leur preuve ailleurs et qui sont prêts à être déployés dans des délais raisonnables plutôt que la conception de projets propres, aux spécifications multiples, sources de dérives des coûts et des délais ainsi que d'une fiabilité moins garantie.