COMPTE RENDU DE
L'AUDITION
DE M. GÉRALD DARMANIN,
MINISTRE DE L'INTÉRIEUR
ET DES OUTRE-MER
(Mercredi 21 septembre 2022)
M. François-Noël Buffet , président . - Nous accueillons cet après-midi M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, que je remercie, afin qu'il nous présente, dans un premier temps, le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, dite Lopmi. Puis nous évoquerons, dans un second temps, l'état et les moyens de la sécurité civile au regard des graves incendies de la période estivale.
Vous le savez, la genèse de la Lopmi est longue. Ce projet de loi fait suite à l'élaboration du livre blanc sur la sécurité intérieure, rendu public en 2020, puis à l'organisation du Beauvau de la sécurité, conclu l'année dernière. Le Gouvernement a d'abord déposé un premier projet de loi de 32 articles le 16 mars 2022, avant de redéposer un nouveau texte, plus resserré, sur le bureau de notre assemblée le 7 septembre dernier. Ce projet de loi, que nous examinerons en commission le 5 octobre prochain, comprend 16 articles, dont deux articles programmatiques présentant les orientations du ministère de l'intérieur pour les cinq prochaines années et prévoyant une augmentation de son budget, en cumulé, de 15 milliards d'euros, et 13 articles normatifs, dont les neuf dixièmes ont trait à la procédure pénale.
À la suite des événements, exceptionnels à tous les égards, qui se sont produits cet été dans tout le pays, j'ai souhaité que cette audition soit également consacrée à l'état et aux moyens de la sécurité civile. Face à des incendies d'une ampleur inégalée depuis 2003, les sapeurs-pompiers professionnels, les sapeurs-pompiers volontaires, ainsi que les personnels administratifs, techniques et spécialisés de services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ont été fortement mobilisés et ont su faire preuve d'un engagement et d'une ardeur à la tâche que je tiens, en guise d'introduction à cette audition, à souligner au nom de notre commission.
Malgré le fort investissement humain, logistique et matériel des services de l'État et des collectivités territoriales et les succès certains en ce qui concerne la défense des vies humaines et des biens, cette période estivale éprouvante a mis en exergue des difficultés ou, a minima , des interrogations, en matière de ressources et de moyens affectés à la sécurité civile.
Ces interrogations sont d'autant plus légitimes à l'heure où la plupart des scientifiques prévoient un accroissement du risque et de la fréquence des incendies dans les prochaines années, compte tenu du changement climatique.
Monsieur le ministre, je vais donc vous céder la parole afin que vous puissiez présenter le projet de loi Lopmi et répondre aux questions des membres de notre commission, en particulier celles des deux rapporteurs, MM. Daubresse et Hervé.
Je laisserai ensuite la parole à notre collègue Françoise Dumont, que j'ai souhaité associer à cette audition en tant que rapporteure pour avis du budget de la sécurité civile lorsque nous passerons à la deuxième thématique de votre audition, sur l'état et les moyens de la sécurité civile.
M. Gérald Darmanin, de l'intérieur et des outre-mer . - Je vous remercie pour votre invitation. Je voudrais d'abord excuser Jean-François Carenco, qui a dû se rendre en urgence en Guadeloupe pour les raisons que vous connaissez. Vous aurez certainement l'occasion de l'entendre prochainement sur la Nouvelle-Calédonie.
La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur est une loi très importante qui tombe à point nommé, en début de mandat. Ce ministère a connu des lois d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, mais jamais un texte comme celui-ci, qui nous donne une visibilité sur cinq ans sur l'ensemble des missions traditionnelles du ministère de l'intérieur. Ce ministère dispose d'ailleurs désormais un périmètre inédit : sécurité, outre-mer, Corse, cyberespace, Grand Paris, bref, toutes les difficultés que notre pays peut connaître. Si, de par l'actualité, nous nous concentrons sur des problématiques à quelques jours, à quelques semaines voire à quelques mois, nous avons besoin aussi de prévisibilité à 5 ans. À cet égard, les 15 milliards d'euros prévus dans le projet de loi vont permettre une transformation profonde du ministère de l'intérieur. La moitié de cette somme ira au cyber et au numérique : la marche technologique que fait le ministre de l'intérieur sera, je l'espère, et toutes proportions gardées, semblable à ce que le ministère des armées a connu à la fin de la conscription et au début de l'armée de métier.
À ce stade, je tiens à rappeler qu'il y avait dans le premier texte déposé au Conseil des ministres des dispositions plus nombreuses sur le statut de l'image, souhaitées par la Cnil et par le Conseil d'État, pour adapter notre droit au développement de la vidéoprotection et à l'intelligence artificielle. Nous avons jugé plus sage de retirer ces mesures au profit d'un texte plus complet à venir, notamment pour tenir compte de travaux menés tant au Sénat que ceux à venir à l'Assemblée nationale. C'est un sujet fondamental à mes yeux dans la perspective de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des jeux Olympiques en 2024.
Le premier article renvoie à un rapport annexé très dense, qui présente en détail l'ambition de cette loi. Il retient trois axes de transformation pour le ministère de l'intérieur.
Tout d'abord, pour faire suite aux discours du Président de la République à Roubaix et à Saint-Denis, nous proposons le doublement de la présence en voie publique des policiers et des gendarmes. Depuis les attentats de 2015, nos forces de sécurité se sont concentrées, avec succès, sur les interventions. Je rappelle que 39 attentats ont été déjoués depuis 5 ans. Par ailleurs, sur les 10 milliards d'euros alloués lors du quinquennat précédent à la sécurité intérieure et sur les 10 000 créations de postes, 40 % ont bénéficié à la DGSI et aux renseignements territoriaux. Cette stratégie a fonctionné, mais, en parallèle, on a pu constater une augmentation de la délinquance du quotidien à cause d'un manque de présence sur la voie publique. Il s'agit donc de poursuivre notre politique, entamée sous le quinquennat précédent, de recréation d'effectifs de sécurité publique. On a aussi constaté que l'augmentation des violences se fait davantage en zone gendarmerie qu'en zone police, ce qui ne paraît pas intuitif. Je pense au monde agricole, qui subit aujourd'hui beaucoup d'actes de délinquance. Aussi, un effort particulier sera fait au profit de la gendarmerie nationale, avec la création de 200 brigades supplémentaires, quand 500 d'entre elles avaient été supprimées depuis 20 ans. Je lancerai d'ailleurs la consultation pour la création de ces brigades la semaine prochaine dans le département du Cher. La nouvelle carte des gendarmeries sera proposée en février 2023. Nous proposons également la recréation de 11 unités de forces mobiles : 7 escadrons de gendarmerie mobile et 4 unités de CRS, plus les 7 qui sont à la préfecture de police et qui font aujourd'hui du gardiennage de bâtiments. Cela fait donc 18 unités de forces mobiles prêtes, notamment, pour les jeux Olympiques, puisque nous créerons l'intégralité de ces effectifs dans les deux premières années budgétaires.
Sont aussi prévues des réformes structurelles au sein du ministère de l'intérieur, avec la fin des cycles horaires et du vendredi fort, ainsi que des réformes de procédure pénale, qui nous permettront de mettre plus de monde sur le terrain. En résumé, le doublement de la présence en voie publique sera atteint si nous pouvons mener à bien toutes les réformes, dont la réforme de la police nationale.
La deuxième grande ligne directrice de la loi de programmation, c'est la transformation numérique et cyber du ministère de l'intérieur. Désormais, il n'y a quasiment plus de frontière entre le monde réel et le monde numérique dans la délinquance. La quasi-intégralité la délinquance, y compris de voie publique, se fait en grande partie désormais sur ou grâce à internet : vente de drogue, vente d'armes, escroqueries, violences sexuelles. Il faut que la voiture numérique ou technologique du policier ou du gendarme aille aussi vite que la voiture technologique des voleurs ou des délinquants. Nous avons commencé avec Pharos, qui compte désormais 54 enquêteurs et qui, 24 heures sur 24, lutte contre les mots de haine et les appels au meurtre sur les réseaux sociaux. Cette police du cyber ne sera pas une direction à part entière ; chaque direction doit avoir un bras dans le cyber et un bras dans le réel. Sur les 15 milliards d'euros, un peu plus de 7 milliards d'euros sont consacrés à cette transformation numérique, avec notamment la création d'une agence unique du numérique au ministère de l'intérieur. D'autres transformations seront nécessaires. Par exemple, nous proposons qu'il soit possible de saisir des actifs numériques comme des actifs physiques et les agents d'investigation connaîtront des formations poussées.
Nous allons également créer un réseau radio du futur, avec un budget de 2 milliards d'euros. Nous avons constaté que les réseaux radio de chacune des forces de sécurité étaient anciens et fonctionnaient mal. Il y aura à l'avenir un seul réseau radio pour tout l'appareil sécuritaire d'État, à la fois pour le son et l'image, chaque agent disposant d'un terminal unique. Ce sont des industriels français qui ont gagné l'appel d'offres et nous espérons pouvoir exporter notre savoir-faire après les jeux Olympiques.
Le troisième sujet, c'est évidemment une meilleure organisation du ministère de l'intérieur dans sa gestion des crises, notamment en sécurité civile, avec le renouvellement de nos hélicoptères - je pense aux 35 hélicoptères de la sécurité civile -, et l'augmentation des moyens donnés aux préfets en phase de gestion de crise pour bien identifier les responsabilités.
Permettez-moi de souligner les efforts que nous souhaitons faire pour l'investigation. Il y a de plus en plus d'interpellations, notamment de trafiquants de drogue, et un effort s'est porté sur les violences conjugales, de mieux en mieux prises en compte. Une fois les délinquants interpellés, il faut faire des enquêtes, donc nous avons besoin de plus en plus d'enquêteurs. Avant, les gardiens de la paix devaient attendre 3 ans avant de pouvoir passer le concours d'officier de police judiciaire (OPJ). Compte tenu de l'allongement de la formation initiale des gardiens de la paix de 8 à 12 mois, nous avons jugé que ce délai de 3 ans n'était plus nécessaire. Cela devrait contribuer à augmenter les effectifs des services d'investigation.
J'en viens à la sécurité civile. Depuis 1976, nous n'avions pas connu un tel épisode de déforestation par incendie. Heureusement, si j'ose dire, nous n'avons à déplorer aucune victime. Il y a eu assez peu de destructions d'habitations et pas de pillages signalés à la suite des évacuations.
Cependant, des conséquences sont à tirer. Le réchauffement climatique aggrave la propagation des feux, c'est indéniable, mais 9 feux sur 10 sont d'origine humaine, volontairement ou pas. Il faut aussi souligner que nombre de forêts sont mal entretenues.
Nous devons changer notre modèle de sécurité civile, sachant qu'il y a eu pratiquement autant d'incendies au nord de la Loire qu'au sud. J'entends bien, nous avons besoin d'avions, mais ceux-ci sont de peu d'utilité une fois que l'incendie s'est propagé. Certains départements, comme le Finistère ou le Jura, peu habitués à ces phénomènes, sont assez mal équipés, tout comme les départements pauvres. Il faut donc travailler sur le financement des SDIS, au besoin en imaginant une péréquation, ainsi que sur le statut des pompiers bénévoles et sur leurs relations avec leurs employeurs. Pourquoi ne pas imaginer une obligation pour les employeurs privés ou publics de libérer les pompiers volontaires en cas de sinistre important ?
M. Marc-Philippe Daubresse , rapporteur . - Monsieur le ministre, je me félicite que vous présentiez cette Lopmi, ce qui devrait nous préserver d'un détricotage de Bercy...
M. Gérald Darmanin, ministre . - Ce n'est pas le genre de Bercy !
M. Marc-Philippe Daubresse , rapporteur . - En matière de statut de l'image, vous le savez, nous avons besoin d'une législation qui aille plus loin, notamment en matière d'intelligence artificielle et de reconnaissance faciale, non de manière généralisée mais dans quelques cas très particuliers. Les perspectives de la Coupe du monde de rugby en 2023, puis des JO en 2024, rend ce besoin encore plus criant. Pouvez-vous nous confirmer qu'un texte spécifique sera bien présenté en 2023 ? Verriez-vous un inconvénient à ce qu'il s'agisse d'une proposition de loi s'inspirant des travaux des deux assemblées parlementaires ?
S'agissant du doublement des forces sur la voie publique, envisagez-vous toujours une réforme de la répartition territoriale entre police et gendarmerie ?
Par ailleurs, vous avez évoqué une somme de 7 milliards d'euros supplémentaires pour combattre la cyberdélinquance, mais c'est aussi la réglementation européenne qui pose problème. Directive après directive, les autorités européennes limitent les possibilités d'investigation en mettant en avant la protection des données personnelles. La Conférence des procureurs nous alerte régulièrement sur ce point. Que pouvez-vous faire à cet égard ?
Enfin, l'amende forfaitaire délictuelle nous interroge également. Ne faut-il pas mieux sérier les domaines où elle est susceptible d'être appliquée ?
M. Loïc Hervé , rapporteur . - Je tiens d'abord à saluer la décision du Gouvernement de commencer au Sénat le débat parlementaire sur ce texte.
Ce projet de loi est dense, mais mon intervention se limitera aux OPJ. Dans la réforme que vous portez, il est prévu la création d'assistants d'enquête pour alléger la charge administrative de ces enquêteurs. Comment envisagez-vous de rendre ces métiers attrayants sur les plans statutaire et professionnel ?
Mme Françoise Dumont , rapporteure pour avis du programme budgétaire "Sécurité civile" de la mission "Sécurités" . - Monsieur le ministre, je suis heureuse que cette audition soit aussi consacrée à l'état et aux moyens de la sécurité civile, dont l'action a été au coeur d'un été exceptionnel sur le front des incendies. Je m'associe à l'hommage envers la mobilisation remarquable de tous les personnels concernés, que ce soit les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires ou les personnels administratifs et techniques.
Il faut tirer de ces évènements un bilan et des perspectives, afin que la France soit mieux armée pour faire face à des conditions météorologiques qui pourraient devenir la norme dans un futur très proche. L'examen, dans les prochaines semaines, de la Lopmi, dont l'un des volets budgétaires concerne les moyens alloués à la flotte aérienne de la sécurité civile, semble donc fort à propos.
Monsieur le ministre, des décès ou des blessés graves ont-ils été recensés parmi les sapeurs-pompiers mobilisés ? Disposez-vous d'éléments chiffrés sur les pertes matérielles qui s'en sont suivies ? Quel coût représentera leur remplacement pour les SDIS ? La flotte aérienne, qui dépend de l'État, a-t-elle subi des dommages lors des interventions ?
Plus globalement, quel bilan tirez-vous de cette saison éprouvante ? Quels ont été les éléments de satisfaction et, à l'inverse, les dysfonctionnements que vous avez pu identifier ? Quelles réponses prévoyez-vous d'apporter à ces derniers ?
En ce qui concerne les perspectives pour les années futures, avec l'accroissement des moyens aériens, nous souhaiterions des précisions quant à l'ampleur du « renouvellement » qui nous est présenté.
La Lopmi annonce un objectif de remplacement en cinq ans des hélicoptères « vieillissants » du ministère de l'intérieur, investissement qui concernerait un total de 36 appareils. Dans quelle mesure les hélicoptères affectés à la lutte contre les incendies font partie de ce lot de 36 appareils ? Quels sont les critères pour définir un hélicoptère comme vieillissant ? Par ailleurs, les quatre nouveaux appareils annoncés en 2020 et 2021 ont-ils été livrés et, dans le cas contraire, sont-ils inclus dans cette annonce de trente-six nouveaux hélicoptères ?
Concernant les avions bombardiers d'eau amphibie, vous prévoyez d'augmenter la flotte de Canadairs de 12 à 16, dont deux dans le cadre du programme RescUE déjà programmé depuis 2020, tout en annonçant un « renouvellement » de la flotte des 12 avions CL415 dont nous disposons déjà. Pouvez-vous nous confirmer qu'il s'agit bien de remplacer l'ensemble de la flotte de Canadairs, y compris les plus récents, et nous préciser le coût de cet investissement que nous imaginons significatif ? Quelles sont les attentes du ministère en matière d'innovations et de capacité des nouveaux appareils ?
Enfin, dans ce contexte de mobilisation des services de secours, il semble opportun de mettre en perspective les avancées de la loi de modernisation de la sécurité civile, dite « Matras », votée il y a un peu moins d'un an, et sa mise en oeuvre, ou non, au cours de l'été. La loi Matras a notamment autorisé l'expérimentation d'un numéro unique d'appel d'urgence pour une période de deux ans. Or, à notre connaissance, celle-ci n'a toujours pas été lancée. Pouvez-vous nous indiquer quel est le nouveau calendrier de votre ministère pour donner suite à cette mesure votée par le Parlement voilà désormais presqu'un an ?
M. Henri Leroy . - Monsieur le ministre, à la lecture du rapport annexé au projet de loi, on retrouve la trame du Livre blanc. Cependant, j'avais cru comprendre que vous aviez prévu de procéder à un redécoupage territorial des zones police et gendarmerie. Une expérimentation ayant suscité de vives réactions a même été menée à Toulouse. Je sais que vous penchez pour la départementalisation de notre organisation en matière de sécurité. Mais ce redécoupage entre la police et la gendarmerie, à mes yeux indispensable, a-t-il été abandonné ?
Mme Laurence Harribey . - Vous avez accompagné le Président de la République en Gironde. À cette occasion, Jean-Luc Gleyze, le président du département, vous a présenté un certain nombre de requêtes.
La première portait sur les difficultés de financement des SDIS. Vous avez évoqué cette question voilà quelques instants, pouvez-vous nous en dire davantage ?
La deuxième concernait la coordination des forces nationales et européennes.
La troisième, enfin, portait sur le renforcement de la force aérienne nationale et sur sa localisation. Or le projet de loi de programmation évoque une localisation unique, à Nîmes. Les derniers incendies ont pourtant montré qu'une telle situation pouvait poser problème. Au regard de la doctrine du « feu naissant », qui oblige à réagir très rapidement, il est essentiel de disposer d'un quadrillage territorial plus important, sans doute dans trois ou quatre zones sujettes aux incendies.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je ne peux vous laisser dire que la forêt girondine n'est pas entretenue : seule La Teste-de-Buch est une forêt usagère, mais elle ne représente qu'une petite partie de ce qui a brûlé. Tout le reste est une forêt de production, très bien entretenue. Si nous n'avons pas connu de feu depuis 1976, c'est parce que la forêt est particulièrement bien entretenue en Gironde. Comme vous l'avez souligné, ce sont les conditions climatiques qui ont provoqué cette fournaise, laquelle n'avait besoin que d'une étincelle pour s'embraser.
Mme Esther Benbassa . - La loi 3DS, adoptée en février 2022, abordait déjà le sujet de la décentralisation et de la simplification de l'action publique. Aujourd'hui, vous souhaitez relocaliser certains services centraux du ministère de l'intérieur en province afin de réduire les inégalités d'accès au service public. Comment comptez-vous concrètement mettre cette décentralisation en place ? Dans quels délais ? Quelles villes accueilleront ces services décentralisés ?
Vous souhaitez qu'il soit possible de porter plainte par visioconférence. Cette nouvelle disposition aura-t-elle vocation à remplacer le procès-verbal ? Comment assurer la confidentialité de ces enregistrements ?
M. Philippe Bonnecarrère . - Je ne m'attendais pas à trouver dans la Lopmi des dispositions pénales ou de procédure pénale. On ne cesse pourtant de nous répéter que ces questions doivent être vues de manière systémique et non au détour de réformes partielles. Dès lors que vous allez sur ce terrain, monsieur le ministre, les questions soulevées par M. Daubresse sur les techniques spéciales d'investigation et sur la définition de la criminalité grave peuvent se poser. Comment avez-vous procédé au « tuilage » de ce texte avec le garde des sceaux ?
Une partie importante du rapport annexé est consacrée à l'informatique. Il semble que votre ministère ait l'ambition de se positionner en producteur de solutions numériques. Il s'agit de l'une des faiblesses du ministère de la justice, par exemple, dont les procédures informatiques sont insuffisantes. Souhaitez-vous faire du ministère de l'intérieur la dorsale d'une restructuration numérique des ministères régaliens ?
La Cour des comptes s'est interrogée sur l'opération Sentinelle. Je peux comprendre que vous souhaitiez garder toutes vos forces en termes d'ordre public dans la perspective non seulement de la Coupe du monde de rugby, mais surtout des jeux Olympiques de Paris. Toutefois, après 2024, chacun de nous est conscient que cette opération ne pourra perdurer si l'on veut que le ministère de la défense puisse assurer complètement ses missions.
M. Gérald Darmanin, ministre . - Monsieur Daubresse, je vous confirme qu'il est de notre devoir de mettre en place des dispositions relatives au statut de l'image. La Cnil et le Conseil d'État nous ont enjoint de fondre les statuts existants dans un seul et même statut pour faire en sorte que les caméras de vidéoprotection de nos communes soient conformes aux prescriptions du règlement général sur la protection des données (RGPD).
Par ailleurs, il s'agit également de répondre au dossier de candidature de Paris en termes de traitement des images par intelligence artificielle.
Comme vous, je suis opposé à la reconnaissance faciale. Il faut écrire dans le droit français ce que l'on veut faire avec l'image de demain. Nous pouvons trouver un compromis, même s'il est toujours difficile d'y parvenir quand il s'agit de concilier liberté et sécurité.
Je voudrais rappeler à l'attention de la commission des lois que nous avons discuté de la question des drones pendant un an et demi pour arriver à une solution quelque peu étonnante : le ministre de l'intérieur peut ainsi faire voler des drones en renseignement, mais pas en judiciaire ! Il me semblait que l'autorité judiciaire était plus protectrice des libertés. Or, dans leur sagesse, le Parlement et le Conseil constitutionnel ont préféré laisser toute latitude au préfet pour protéger les libertés. On rentre parfois dans certains débats sans savoir quelle en sera l'issue... Le décret va bientôt sortir et je ne manquerai pas de le faire parvenir aux rapporteurs, notamment à M. Hervé. La question du statut de l'image va certainement nous réserver encore des discussions étonnantes...
Le Livre blanc, que mon prédécesseur avait commandé, consacre d'importants développements à la répartition des zones police et gendarmerie. Ce sujet est débattu depuis cinquante ans : tout le monde croit que l'herbe est plus verte ailleurs et ceux qui ont des gendarmes veulent des policiers et inversement. Or les gendarmes vivent souvent dans leur caserne et les policiers ne vivent pas dans leur commissariat, tout changement implique de nombreuses transformations et des coûts supplémentaires. Je ne crois pas que ces questions méritent l'énergie qu'on y dépense à deux ans des jeux Olympiques de Paris. Il peut y avoir des exceptions ici ou là, notamment en outre-mer, mais je n'ai encore accepté aucune transformation.
Je n'ai d'ailleurs pas besoin d'une disposition législative pour le grand soir des zones police et gendarmerie. Le code général des collectivités territoriales et le code de la sécurité intérieure posent un simple taquet de 30 000 habitants. Pour le reste, nous pouvons procéder aux changements sans consulter le Parlement.
Je me dois de souligner qu'aucune disposition légale n'interdit aux gendarmes d'aller en zone police et inversement. En fait, ces zones n'existent pas vraiment. Ainsi, 80 % des escadrons de gendarmerie mobile interviennent en zone police. De même, pour les événements sportifs à venir, Coupe du monde et Jeux Olympiques, il sera possible, par exemple, de demander aux gendarmes du Calvados de s'occuper temporairement du commissariat de Lisieux pendant que les agents de police nationale seront en Seine-Saint-Denis pour aider leurs camarades. Je n'ai pas besoin d'une loi pour ce faire.
L'exemple de Toulouse et de sa conurbation, dont la population augmente chaque année de 10 000 habitants est parlant. Les transports y sont coupés entre zone police et zone gendarmerie. Les policiers sont parfois obligés de descendre du tram ou du bus pour laisser les gendarmes prendre la suite, ce qui est absurde. Les gendarmes et policiers ont un droit de suite sur le territoire national. Plutôt que de penser en termes de territoires, je préfère raisonner en zone de délinquance. Il faut parfois faire des réunions pour savoir qui de la police ou de la gendarmerie est compétente pour faire des contrôles sur tel ou tel échangeur d'autoroute ! Je vais changer les choses en donnant des axes aux policiers et gendarmes plutôt que des territoires. La question de la transformation et de la mutualisation des forces de police et de gendarmerie me tient à coeur, mais je tire des conclusions différentes de celles des auteurs du Livre blanc.
En ce qui concerne le traitement des données et la jurisprudence européenne, ce domaine relève de la seule compétence du garde des sceaux. En résumé, les procureurs de la République ne pourront plus utiliser certaines données téléphoniques, dont les fameuses « fadettes ». Seul le juge pourra les obtenir, ce qui inquiète beaucoup les services enquêteurs et les procureurs. Je crois savoir que le garde des sceaux travaille sur cette question dans le cadre d'un projet de loi, que j'attends avec impatience. Les écoutes téléphoniques ont déjà un rendement décroissant dans la mesure où la plupart des gens utilisent des applications de messagerie instantanée et que le Parlement n'autorise les services enquêteurs à utiliser les moyens technologiques adéquats pour surveiller téléphones et données numériques que dans le seul cadre de la lutte antiterroriste. Si je pouvais utiliser ces moyens pour combattre la grande criminalité ou les trafics de stupéfiants, je pense qu'il y aurait beaucoup moins d'homicides à Marseille. Et si l'on ne peut plus utiliser les données de localisation ou d'appel, les choses vont encore se compliquer... Il appartiendra à M. le garde des sceaux de trouver les voies et moyens pour permettre aux services enquêteurs et aux procureurs de continuer à travailler sans alourdir la procédure malgré la décision européenne qui s'impose à nous.
Nous voulons sanctionner toute condamnation à moins d'un an de prison par une amende forfaitaire délictuelle, ou AFD, toujours sous l'autorité du procureur de la République. La première AFD que je vous ai proposée visait les consommateurs de stupéfiants. Elle a prouvé son efficacité : 225 000 amendes ont été dressées depuis septembre 2020 et les sanctions pour consommation de drogue ont augmenté de 30 %. Les AFD permettent aux services de police et de gendarmerie d'inscrire au traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) une amende pénale qui sera recouvrée automatiquement sur les comptes en banque des impétrants. L'AFD est ainsi mieux recouvrée que les amendes routières.
Nous voulons généraliser l'AFD à l'ensemble des petits délits - insultes, dégradations de l'espace public... - pour lutter contre le sentiment d'impunité. Mieux vaut simplifier certaines procédures pénales pour qu'il y ait une sanction financière et une inscription au casier judiciaire. En cas de récidive, une sanction pénale plus lourde trouvera à s'appliquer.
Le Conseil d'État a toutefois souhaité disjoindre cette disposition du projet de loi que nous présentons. J'ai préféré la maintenir pour permettre au Parlement de comprendre la volonté de l'exécutif. Si les rapporteurs trouvent une écriture juridique efficace, comme cela arrive souvent au Sénat, le Gouvernement sera très ouvert à porter cette disposition.
Monsieur Hervé, le ministère de la justice opère une distinction d'emploi entre le spécialiste du droit qu'est le juge d'instruction et le spécialiste du formalisme qu'est le greffier. Policiers et gendarmes ne disposent pas d'une telle distinction et une partie des procédures tombent en raison d'un défaut de forme. C'est que policiers et gendarmes font tout : accueil du gardé à vue, appel de l'avocat ou du médecin, fourniture des repas, photocopies... Ils perdent énormément de temps pour assurer le formalisme des procédures, alors que ce n'est pas essentiel au travail d'enquêteur. C'est la raison pour laquelle la création des assistants d'enquête, issus du personnel administratif du ministère de l'intérieur, nous semble particulièrement importante. Nous sommes tout à fait prêts, monsieur le rapporteur, à travailler à une meilleure définition de leur rôle. En ce qui concerne la police, les assistants d'enquête viendront des personnels administratifs, techniques et scientifiques ; pour la gendarmerie, il s'agira soit de personnel des corps de soutien militaire, soit de personnel civil. Selon nos estimations, la création d'un assistant d'enquête permettra de libérer 0,5 équivalent temps plein d'officier de police judiciaire.
Monsieur Bonnecarrère, on m'a reproché hier, à l'Assemblée nationale, de ne pas avoir mis plus de dispositions judiciaires dans ce texte. Nous avons décidé, en accord avec M. le garde des sceaux, que tout ce qui relevait d'une procédure pénale simplifiée, à hauteur des policiers et des gendarmes, méritait de figurer dans ce projet de loi. Le Président de la République a demandé à ce que certaines des simplifications issues du Beauvau de la sécurité soient mises en application, dont la fusion des cadres d'enquête préliminaire et de flagrance, qui sera portée par le garde des sceaux.
Le projet de loi que je présente ne propose pas de sanctions pénales alourdies et ne modifie donc aucunement le code pénal. Les entrées vers la procédure judiciaire concernent seulement le travail quotidien des policiers et gendarmes, qui agissent sous l'autorité du procureur de la République ou d'un autre magistrat.
Je veux effectivement transformer le ministère de l'intérieur, en retard par rapport à la délinquance en matière de technologie. M. Daubresse a pu évoquer un « Clemenceau 2.0 » et il a raison : nous allons créer les « brigades du Tigre numériques ».
Il s'agit également d'améliorer notre lien avec la population. Je souhaite que les policiers passent le moins de temps possible dans les commissariats. Ce texte comporte une disposition révolutionnaire qui vise à permettre le dépôt de plainte numérique par visioconférence. Voilà cinq ans, quand j'ai pris la tête du ministère des comptes publics, on m'a beaucoup dit qu'il n'était pas possible de mettre en place le prélèvement à la source. Je suis très fier de constater aujourd'hui qu'il s'agit de la réforme la plus appréciée du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. On a changé la vie des agents des finances publiques et notre façon de vivre l'impôt. Cette transformation numérique est extrêmement importante.
De même, je souhaite dématérialiser permis de conduire et cartes grises pour lutter contre les usurpations d'identité et les fraudes aux véhicules. Personne ne sait précisément combien de points il lui reste sur son permis et le policier qui vous contrôle l'ignore également. On pourrait imaginer un permis ou une carte grise numériques sous forme de QR code, par exemple.
J'ai lu le rapport de la Cour des comptes, mais je ne partage pas ses conclusions sur l'opération Sentinelle. Les militaires engagés dans ce cadre participent à la sécurisation de notre pays. Si nous décidons que ces militaires ne doivent plus aider les policiers et les gendarmes, il faut alors créer de nouveaux postes à due concurrence. Depuis deux ans, nous réalisons chaque année 10 000 non-admissions d'étrangers en situation irrégulière aux frontières espagnoles et italiennes contre 3 000 en 2019. Ce résultat est en grande partie dû au fait que les militaires impliqués sont capables d'observer en altitude les mouvements des passeurs avec des moyens technologiques qu'eux seuls possèdent. Le Président de la République a évoqué, au cours de la campagne, la création d'une Border force à l'australienne : policiers, gendarmes, douaniers et militaires pourraient, en fonction de leur spécialisation, travailler ensemble pour tenir nos frontières. Nous aurons sûrement l'occasion de reparler de cette question pour répondre aux demandes de la Cour des comptes et du ministère des armées, qui souhaite récupérer une partie de ses effectifs.
Beaucoup de questions ont été posées sur la sécurité civile. Notre disponibilité aérienne n'a pas son pareil en Europe. Pour autant, la situation est-elle satisfaisante ? Assurément non. Nous disposons aujourd'hui de douze Canadair CL 415, de sept Dash 8 et de trois Beech-craft. Notre flotte d'hélicoptères sera intégralement renouvelée dans le cadre de la Lopmi. Or le problème n'est pas d'acheter des Canadair, mais de les produire. Les Canadair que nous avons commandés ne seront pas livrés avant 2027, car il faut d'abord construire l'usine qui les produira. Par ailleurs, nous envisageons de mutualiser ces trente-cinq hélicoptères avec la gendarmerie nationale hors des périodes de risque d'incendie.
Nous souhaitons porter de douze à seize le nombre de Canadair de notre propre flotte. Mme Cayeux était à Bruxelles, la semaine dernière, à ma demande, pour évoquer avec la Commission européenne la création d'une flotte européenne souhaitée par la Président de la République.
On a dénombré trente blessés à la suite de ces feux et deux pompiers sont décédés : je voudrais saluer leur courage et avoir une pensée pour leurs familles.
En ce qui concerne le numéro d'urgence, les décrets et arrêtés sont en train d'être rédigés. J'aurai l'occasion de les présenter samedi prochain, lors du congrès des sapeurs-pompiers volontaires. L'expérimentation ne dépend pas du seul ministère de l'intérieur, ce qui serait trop simple. D'autres ministères et régions sont impliqués.
J'entends parfois des présidents de SDIS réclamer davantage de moyens pour les pompiers. Or la décentralisation ne consiste pas à demander à l'État des moyens supplémentaires une fois les compétences transférées. La taxe sur les assurances a été créée pour financer les SDIS, mais elle est versée aux départements qui n'en reversent pas l'intégralité aux SDIS... Ne devrait-on pas verser directement le produit de cette taxe aux SDIS, quitte à créer une catégorie de collectivité particulière ? Faudrait-il plutôt assurer une sorte de miroir automatique pour que l'intégralité de ce produit aille aux SDIS ? La recette de cette taxe est-elle assez dynamique ?
En Gironde, moins de 10 % des pompiers locaux ont été mobilisés pendant les trois premiers jours de l'incendie. Il nous a fallu demander à des pompiers d'autres régions de venir en soutien. Sans doute y a-t-il des raisons compréhensibles à cette situation, mais cela montre bien que ce n'est pas toujours une question de moyens, mais aussi de disponibilité. L'argent ne fait alors rien à l'affaire.
Le grand avantage de la sécurité civile française repose sur la disponibilité des appareils. Les Canadair et les Dash ont besoin de beaucoup de maintenance pour pouvoir voler dans des conditions de forte pression. Cet été, les avions ont pu voler chaque jour, parce qu'ils étaient réparés la nuit. Cette logistique demande des techniciens spécialisés et du matériel de pointe. Et c'est parce que nous disposons d'une quinzaine d'appareils que nous y parvenons. Avec trente avions, nous pourrions imaginer avoir deux bases, mais ce n'est pas encore le cas. Aujourd'hui, il peut nous arriver de prédisposer des avions, notamment en Corse, en fonction des zones de risque.
Madame Benbassa, nous allons « démétropoliser » 1 500 emplois du ministère de l'intérieur en trois ans. Une vingtaine de villes seront concernées : Pharos ira à Lens, l'IGPN au Havre, le standard du ministère de l'intérieur à Limoges... J'avais déjà « démétropolisé » 4 000 emplois à Bercy pour assurer un meilleur cadre de vie aux fonctionnaires, pour mettre de l'emploi public dans des villes moyennes et pour permettre au ministère de réaliser des économies en louant ou en achetant des biens immobiliers à un coût moins élevé qu'à Paris. Tout est réalisé en totale concertation sociale et syndicale et sans aucune obligation pour les agents.
M. Hussein Bourgi . - Je voudrais à mon tour saluer la sécurité civile à la française. Nous pouvons être fiers de sa singularité et de son efficacité. Vous avez clairement indiqué qu'il fallait amorcer une nouvelle étape de modernisation et d'adaptation à un risque nouveau.
Il a beaucoup été question de feux de forêt, mais il faut aussi évoquer les inondations survenues en Guadeloupe et l'épisode méditerranéen annoncé pour le week-end prochain dans l'Hérault et les départements mitoyens.
Nous pouvons à chaque fois compter sur les soldats du feu et sur les comités communaux de feux de forêt. Lors de la discussion du dernier projet de loi de finances rectificative, nous avions interrogé Gabriel Attal sur certaines mesures à prendre très rapidement. Les budgets des SDIS sont en effet particulièrement tendus. Nous avons évoqué la question de l'investissement dans le matériel aérien et terrestre. Dans mon département, le SDIS a sa propre flotte aérienne sur l'aéroport de Béziers-Cap d'Agde : la décentralisation a parfois du bon.
Nous avions proposé d'exonérer les SDIS du paiement de la TICPE et du malus écologique touchant les véhicules de secours. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Je voudrais aussi évoquer la question du débroussaillement des axes ferroviaires et des axes routiers, dont il est peu question. Dans ma région, beaucoup des incendies partent de ces zones. Comment faire en sorte que le débroussaillement soit mieux assuré par les sociétés d'autoroute et par la SNCF ou Réseau ferré de France ?
Ce matin, 84 sénateurs vous ont fait parvenir un courrier pour vous proposer la création d'une promotion exceptionnelle de la médaille de la sécurité intérieure avec agrafe « feux de forêt 2022 ». Ce serait l'occasion de dire aux pompiers la reconnaissance de la nation.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Vous aviez trois ans à l'époque, monsieur le ministre, mais la première loi de programmation a été adoptée le 7 août 1985. Que vous ayez fait référence au grand ministre Pierre Joxe me comble de satisfaction.
La faiblesse du chapitre de ce texte consacré aux violences intrafamiliales m'a quelque peu interpellée. Cette question relève davantage de la compétence du garde des sceaux, mais nous pourrions utilement avancer sur la question de la juridiction spécialisée, déjà évoquée par la Première ministre.
Sans aucun esprit polémique de ma part, j'aimerais savoir comment vous envisagez de faire face aux refus d'obtempérer. Nous comptons déjà neuf morts depuis le début de l'année. Si un policier mort est un mort de trop, un policier qui tue est aussi un policier traumatisé. Pensez-vous qu'il faille travailler de nouveau sur les techniques d'interpellation ? J'ai cru comprendre que les syndicats n'y étaient pas hostiles. Faut-il mieux former les personnels pour que les policiers concernés soient entraînés à tirer rapidement dans les pneus du véhicule plutôt que sur le conducteur ?
M. Stéphane Le Rudulier . - Certaines mesures présentées en mars dernier ont totalement disparu de ce texte. Je pense notamment à la possibilité offerte aux communes de se porter partie civile lorsqu'un de leurs élus est victime d'un crime ou d'un délit et à la modification du droit funéraire pour que les opérations de surveillance et de scellement des cercueils passent sous la responsabilité du maire, en présence d'un garde-champêtre ou d'un agent de police municipale. Ce transfert était d'ailleurs compensé dans la loi de finances. Ces deux mesures symboliques sont-elles définitivement abandonnées ?
Mme Brigitte Lherbier . - Votre texte prend à bras-le-corps la question de l'espace cyber. Je tenais à saluer cette initiative, la France accusant un réel retard en ce domaine. Le forum international de cybersécurité de la gendarmerie se réunit tous les ans à Lille. Il connaît un immense succès et expose très souvent des besoins humains très difficiles à combler. Vous avez annoncé le recrutement de 400 fonctionnaires et contractuels de haut niveau pour mettre en oeuvre les projets numériques indispensables au ministère. Toutefois, les développeurs sont aujourd'hui très recherchés. Comment ferez-vous face à la concurrence du secteur privé ?
M. Gérald Darmanin, ministre . - Madame Lherbier, il ne s'agit pas seulement de niveau de rémunération, mais aussi de sens à donner à son métier. Aujourd'hui, les services de renseignement croulent sous les candidatures, car chacun voit aujourd'hui combien il est important de défendre son pays. Les armées ont réussi à attirer des gens très différents, de grande qualité, en changeant d'image. Nous allons essayer de suivre cet exemple. L'image du policier et du gendarme peut être largement améliorée. J'ai demandé à l'école polytechnique de réserver quatre places de commissaires de police pour avoir enfin des ingénieurs au sein de la police nationale, qui porteront des projets numériques particulièrement importants. Nous allons aussi développer le recrutement sur titre, comme le font déjà en partie les gendarmes. De même, on peut envisager certains échanges avec des entreprises et la mise en place d'une formation continue plus efficace.
Monsieur Bourgi, je suis décentralisateur. J'estime simplement qu'une part de responsabilité incombe aux collectivités territoriales, ce qui n'empêche pas de bien travailler ensemble. Certains départements, à l'instar du vôtre, ont su innover, ce que nous devons encourager.
Vous avez raison de souligner l'importance des feux naissant sur les aires d'autoroute ou sur les voies SNCF. Cet été, la sécheresse a été si forte que le grincement des rails a fait naître des étincelles, qui ont provoqué un feu important dans les Bouches-du-Rhône, alors même que la voie concernée était bien entretenue. Sans doute faut-il revoir les normes d'entretien à l'aune du réchauffement climatique, ce qui dépasse mes compétences.
La question des incitations fiscales et des exemptions de taxe relève du domaine de Bercy, qui s'y est opposé, au nom du droit européen. Je relaierai toutefois vos demandes auprès du ministère de l'économie et des finances.
Oui et mille fois oui à une promotion spécifique avec agrafes « feux de forêt ». Le Président de la République va recevoir les acteurs de la sécurité civile à l'Élysée. Je lui ai proposé de remettre quelques décorations à cette occasion.
Madame de La Gontrie, vous avez raison en ce qui concerne les violences intrafamiliales. Ce texte comporte une disposition importante avec la création de 2 000 postes supplémentaires d'enquêteurs et de nombreux postes de psychologues et d'assistantes sociales à la disposition des commissariats et des brigades de gendarmerie. Je suis convaincu de l'importance d'une justice spécialisée, comme en Espagne.
L'année dernière, 30 % des auteurs de féminicides avaient déjà fait l'objet d'un signalement, d'une plainte, d'un main courante ; ce qui veut dire que 70 % des féminicides avaient échappé à tout signal avant-coureur. Au-delà de la spécialisation de la justice et des policiers et gendarmes, il faut améliorer les premiers signes, notamment en sensibilisant davantage les médecins.
Dans la nuit de lundi à mardi dernier, il y a eu six refus d'obtempérer. À Nantes, une femme est aujourd'hui entre la vie et la mort pour avoir été percutée par le véhicule en question. Il s'agit toujours d'un drame, même quand le policier tire et qu'il est dans son bon droit. Les refus d'obtempérer ont augmenté de 13 % depuis 2016 : 27 609 en 2021 contre 24 216 en 2016. Aujourd'hui, on dénombre un refus d'obtempérer toutes les trente minutes en zone police ou gendarmerie. Depuis le 1 er janvier dernier, 41 gendarmes et policiers ont été blessés gravement. La loi de 2017 a-t-elle amélioré les choses ? J'ai tendance à penser que ce n'est pas vraiment le sujet : on comptait 137 tirs en 2016, 202 en 2017, 170 en 2018,147 en 2019 et 153 en 2020, ce qui est beaucoup pour ces deux années « covid », et 157 en 2021, c'est-à-dire moins qu'en 2018 ou 2017. Sans doute peut-on encore améliorer la formation et apprendre à chaque policier ou gendarme à tirer dans les endroits non létaux, mais quand il fait nuit et que la voiture roule extrêmement vite, les choses sont beaucoup moins simples sur la route qu'ici. Il s'agit de professionnels de la sécurité, qui doivent agir dans un cadre déontologique. J'ai demandé au directeur général de la gendarmerie et à celui de la police nationale de réfléchir ensemble à ce qu'il était possible d'améliorer.
Il y a aussi ceux qui nous disent de faire comme les Britanniques avec le tamponnage, mais j'y suis pour ma part opposé. La doctrine des forces de police et de gendarmerie françaises est la suivante : arrêter la poursuite des suspects quand les conséquences négatives risquent d'être plus importantes que le bénéfice de l'arrestation. La police gagne toujours à la fin, de toute façon. Mais il n'est pas toujours facile de faire les bons choix dans le feu de l'action.
Il faut savoir que, depuis 2016, il y a eu une hausse de 16 % des refus d'obtempérer, mais une baisse de 8 % des tirs, donc on ne peut pas dire que le phénomène est en forte augmentation. Cependant, je vous l'accorde, il faut poursuivre le travail de formation sur la déontologie.
Vous savez, c'est toujours un drame pour tout le monde, y compris pour le policier ou le gendarme à l'origine des tirs.
Enfin, je vous fais remarquer que la première cause de mortalité des policiers, ce sont les chocs avec des véhicules tiers.
Monsieur Le Rudulier, vous semblez regretter que ce texte soit trop court, mais c'est justement pour répondre aux souhaits des parlementaires que nous avons fait ce choix. Nous avons ainsi retiré un certain nombre de points qui ne nous semblaient pas essentiels.
Par ailleurs, s'il n'y a pas de mesures « polices municipales », c'est parce que le Conseil constitutionnel a été très clair sur ce point.
M. François-Noël Buffet , président . - Je vous remercie.