II. L'EXÉCUTION 2021 POSE AVEC ACUITÉ LA QUESTION D'UNE RÉFORME DES RÉGIMES SPÉCIAUX ENCORE OUVERTS ET DE CELUI DE LA FONCTION PUBLIQUE
1. Quel serait l'impact d'une suppression des régimes spéciaux couverts par la mission « Régimes sociaux et de retraite » ?
Le taux de subventionnement des régimes spéciaux, soit le rapport entre la contribution de l'État et le montant des arrérages servis fait apparaître une très grande dépendance des principaux régimes spéciaux couverts par la mission aux fonds publics.
Taux de subventionnement des principaux régimes spéciaux en 2021
SNCF |
RATP |
Marins |
Mines |
|
Contribution de l'État (en millions d'euros) |
3 252,4 |
737 |
799,4 |
993,2 |
Prestations servies (en millions d'euros) |
5 218,0 |
1 199,0 |
990,5 |
1 177 |
Taux de subventionnement |
62,3 % |
61,5 % |
80,8 % |
84,4 % |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Cette intervention peut se justifier en vue de compenser des prestations majorées afin de tenir compte de la pénibilité des métiers concernés. La subvention de l'État permet de fait de financer la dérogation aux principales règles du régime général : base de liquidation, âge légal d'ouverture, mécanisme de surcôte et de décôte. Il est regrettable que le rapport annuel de performances ne mesure pas plus finement l'impact de ces subventions dans le financement des dispositifs dérogatoires au sein de chaque régime.
Une telle information apparaît pourtant essentielle en vue d'accompagner une éventuelle suppression des régimes spéciaux. Celle-ci ne concernerait au sein de la mission « Régimes sociaux et de retraites » que les régimes des marins et celui de la RATP, les régimes des mines et de la SNCF étant d'ores et déjà fermés . Cette suppression ne devrait pas, dans un premier temps, conduire à une baisse des subventions versées par l'État. Comme l'a relevé la direction du budget, auditionnée par la rapporteure spéciale, la fermeture des régimes induit logiquement une attrition du nombre de cotisants et donc une augmentation de la subvention d'équilibre.
Ce scenario, coûteux à court terme pour les finances publiques, pourrait cependant être contourné par la mise en place d'une compensation financière versée par le régime général et l'Agirc-Arrco, à l'image de celle mise en place pour le régime de la SNCF en 2020. Les régimes de droit commun percevraient, en effet, à compter de la date de leur fermeture les cotisations des salariés de la RATP ou du régime des marins qui leur seraient désormais affiliés, mais sans avoir encore de droits à pension à honorer alors même que la CRP-RATP ou l'ENIM devraient pour leur part continuer d'assurer le versement des pensions aux retraités du régime, actuels ou à venir, mais en ne percevant plus qu'un flux de cotisation en attrition.
Évolution du montant de la compensation
financière CNAV - Agirc-Arcco
versée à la CPRP
SNCF
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la direction du budget au questionnaire de la rapporteure spéciale
S'agissant de la RATP, il convient de relever que l'ouverture à la concurrence du réseau bus à compter du 1 er janvier 2025 devrait conduire à une réduction du nombre de cotisants à cette date. Les nouveaux recrutements sur les lignes concédées donneront lieu, en effet, à une affiliation au régime général. 19 000 salariés seront, par ailleurs, concernés par cette ouverture à la concurrence et un éventuel transfert dans les entreprises - y compris la filiale de la RATP dédiée - ayant gagné les appels d'offres. La loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités prévoit que ces salariés bénéficient d'un maintien de leur affiliation au régime des retraites, dans des conditions restant à définir par décret.
2. Une moindre progression du solde du CAS « Pensions » qui pose question
Les dépenses du CAS « Pensions » ont augmenté de 1,4 % en 2021, renouant avec le niveau de progression enregistré en 2018 . Cette hausse reste cependant inférieure à la moyenne annuelle observée entre 2007 et 2013 (+ 3%).
Progression des dépenses du CAS « Pensions » depuis 2017
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Cette progression comme la baisse des recettes n'affecte que partiellement l'excédent attendu en fin d'exercice 2021. L'affichage d'un solde cumulé positif de 9,5 milliards d'euros ne doit pas, cependant, masquer la réelle utilisation de ces excédents, reportés en totalité en 2022. Il n'existe, dans ces conditions, pas de réserves destinées à faire face au choc démographique attendu à partir de 2023. Les dépenses du CAS devraient en effet excéder ses recettes à l'horizon 2023, année de fin de montée en charge des réformes paramétriques intervenues en 2003 et 2010.
Évolution du solde cumulé du CAS « Pensions » depuis 2006
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
La rapporteure spéciale note, en outre, que si le solde annuel du CAS « Pensions » demeure positif en 2021, atteignant 370 millions d'euros, il reste inférieur à celui enregistré en 2020 (1,26 milliard d'euros) et s'avère surtout en deçà de celui prévu en loi de finances initiale : 759 millions d'euros.
Évolution du solde annuel du CAS Pensions entre 2020 et 2021
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Il convient de rappeler à ce stade que le CAS a pourtant bénéficié jusqu'en 2021 d'un contexte favorable à la progression de son solde cumulé :
- les exercices 2018 à 2020 ont été marqués par la mise en oeuvre du rapprochement du taux de cotisation salariale avec celui du régime général ;
- la conjonction de la revalorisation du point fonction publique en 2016 et 2017 et la mise en place du protocole d'accord « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) entre 2016 et 2021 a également permis de majorer les recettes du CAS, l'impact de ces majorations de traitement sur les dépenses de pension étant différé ;
- la faible inflation observée sur la période 2013-2021 a limité les revalorisations des pensions.
La forte inflation enregistrée en 2022 remet d'ores et déjà en cause la prévision retenue en loi de finances s'agissant du solde annuel du CAS : 261,2 millions d'euros. Dans ces conditions, il convient de s'attendre, à court terme, à une montée en charge des dépenses de l'État aux fins d'équilibre du compte. Deux options sont ouvertes :
- une augmentation du niveau des taux de contribution patronale, la direction du budget avait néanmoins indiqué à la rapporteure spéciale au moment de l'examen du projet de loi de finances pour 2022 qu'une telle progression pouvait perturber les signaux donnés aux employeurs quant aux conséquences financières de long terme des recrutements d'agents titulaires ;
- la mise en place d'une subvention d'équilibre du budget général au CAS Pensions. Cette option permettrait de simplifier la budgétisation et le suivi de l'exécution de la masse salariale tout en limitant les biais de comparaison entre le recrutement de fonctionnaires et de contractuels.
Quelle que soit la solution retenue, elle équivaudrait à une majoration des dépenses de l'État en faveur des retraites de la fonction publique, posant inévitablement la question de la réforme du régime pour en alléger le coût pour les finances publiques. Il convient de rappeler à ce stade que les contributions patronales au CAS pensions ont atteint 49,80 milliards d'euros en 2021.
Contributions au CAS Pensions par ministère en
2017-2020
et prévues pour 2021 et 2022
(en millions d'euros)
Source : direction du budget
Au sein des missions du budget général, le montant total de la contribution employeur au CAS Pensions prévu par la LFI 2022 est estimé à 44,41 milliards d'euros. Ce niveau est supérieur à celui des dépenses pilotables (c'est-à-dire hors versements au CAS pensions) de quatre des cinq principales missions du budget général (Défense, Recherche et enseignement supérieur, Solidarité, insertion et égalité des chances et Écologie, développement et mobilité durables).
Montant prévu en LFI 2022 de la contribution des ministères au CAS Pensions et des dépenses (hors versements au CAS Pensions) des cinq premières missions du budget général
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires