C. LES OBJECTIFS AMBITIEUX ASSIGNÉS AUX SECRÉTARIATS GÉNÉRAUX COMMUNS SONT LOIN D'AVOIR ÉTÉ ATTEINTS

1. Les objectifs de gains de productivité et de redéploiement vers les fonctions métier n'ont pas atteints
a) Des objectifs ambitieux en amont de la réforme

Aux termes de l'article 3 du décret, « le secrétariat général commun départemental assure la gestion de fonctions et moyens mutualisés en matière budgétaire, d'achat public, d'affaires immobilières, de systèmes d'information et de communication, de logistique, de ressources humaines, de relation avec la médecine de prévention et de mise en oeuvre des politiques d'action sociale ».

La création des SGC répondait à un triple objectif :

- professionnaliser les agents affectés à des fonctions support , en permettant à ceux-ci de développer une expertise plus importante sur des sujets propres ;

- faire apparaître des marges en emplois et les réallouer sur les fonctions métiers . Dans la circulaire du 2 août 2019, portant sur la constitution des SGC, le Premier ministre a en effet indiqué qu'il avait « décidé que la moitié des gains obtenus grâce à la création de ces entités viendra abonder la réserve régionale d'emplois 19 ( * ) en vue d'un redéploiement vers les fonctions « métier », notamment au profit de l'ingénierie territoriale, à l'échelon départemental » ;

- garantir la réalisation effective d'un certain nombre de services auprès des préfectures et des DDI. Alors que les effectifs des secrétariats généraux des DDI ont fait l'objet d'une réduction continue depuis une décennie, la poursuite des réductions d'effectifs aurait pu conduire à mettre en péril l'exercice de certaines de leurs missions. En effet, les schémas d'emplois imposés aux DDI ont pu conduire à une réduction importante des effectifs affectés à des fonctions support.

b) Les pertes de compétences lors de la création des secrétariats généraux communs ont contribué à limiter leur efficacité

Le directeur de cabinet du Premier ministre a confié à un comité de pilotage interministériel l'évaluation des besoins de ces nouveaux secrétariats généraux communs en termes d'effectifs et de moyens. Le comité a dû documenter le décompte des effectifs positionnés au sein des DDI et des préfectures sur des fonctions support.

Alors que 1 944 ETP étaient en charge des fonctions support en 2018 dans des DDI, lors de la création des SGC, le total des agents transférés s'est élevé à 1 892 ETP en 2020 et 2021.

Ainsi, sans attendre les effets escomptés de la réforme, c'est donc de l'ordre de 2,6 % des ETP réalisant des fonctions support au sein des DDI qui ont été supprimés .

La rapporteure spéciale déplore le choix du Gouvernement d'anticiper les gains d'efficience issus de la réforme. Il aurait été plus pertinent d'amorcer la réforme à effectif complet, voire même légèrement renforcé, pour garantir une transition dans les meilleures conditions, avant d'envisager de « réduire la voilure ».

De plus, près d'un quart des agents des secrétariats généraux des DDI, compétents sur les missions transférées aux SGC, ont fait le choix de ne pas suivre leur poste et de rester au sein des DDI.

Il en est résulté, dès l'amorçage de la réforme, des pertes de compétences très importantes, en particulier en matière de gestion RH des agents du périmètre ATE. Il a donc fallu maintenir des agents sous lettre de mission au sein des DDI et, au sein des SGC, former des agents dans des délais très contraints.

En parallèle, les ministères ont bénéficié d'ajustements techniques au titre des agents ayant fait le choix de rester au sein des DDI. Le maintien en poste des agents ne souhaitant pas rejoindre les SGC a occasionné un double effet dommageable : d'une part une perte de compétence au sein des secrétariats généraux communs, et, d'autre part, une hausse des plafonds d'emplois des DDI pour amortir le maintien en poste des agents ayant fait le choix de ne pas intégrer les SGC.

2. Il est nécessaire de poursuivre les différents chantiers engagés et de conforter les moyens des secrétariats généraux communs pour permettre la viabilité de la réforme
a) Remettre de l'humain et de la proximité, une priorité pour répondre aux difficultés rencontrées par les agents des secrétariats généraux communs et des services bénéficiaires

Lors de la mise en place de la réforme, un grand nombre d'agents des DDI et certains agents des préfectures ont perdu le lien de proximité qu'ils entretenaient avec leur gestionnaire RH et avec les autres intervenants des fonctions « support ». La localisation fréquente des SGC dans les préfectures, le recours à des boîtes fonctionnelles, la difficulté à joindre par téléphone les gestionnaires sont autant de facteurs qui ont conduit à « déshumaniser » les SGC. D'après un sondage réalisé par Force ouvrière, 80 % des effectifs des DDI ont le sentiment d'avoir perdu la proximité avec leur service RH.

(1) Déployer des outils informatiques adaptés aux services des ressources humaines

Les agents des services RH sont, de loin, ceux qui rencontrent le plus de difficultés. Outre la complexité et les différences entre les régimes RH des agents des préfectures et DDI, les gestionnaires sont confrontés à une multiplicité des logiciels de gestion.

Lors des auditions au Sénat et des déplacements, les agents et les syndicats ont énuméré l'ensemble des logiciels auxquels ils doivent recourir : « Dialog2, Renoirh ministère de l'agriculture et de l'alimentation, Renoirh ministère de la transition écologique et solidaire, Renoirh ministères sociaux, BO Agri, Portail RH ministère de la transition écologique et solidaire, Renoirh poste, Renoirh mobilité, Hub RH, Odissée, EAO, GAO, Léo, Salsa, Casper ministère de l'intérieur, Casper DDT, Casper DDETSPP, Estève, Agrimob, MobMI, Agorha, Geci, Paco, gestion grève, etc. » Il est urgent que des solutions informatiques soient déployées pour venir en soutien des agents des SGC placés en grande difficulté sur ce plan.

La rapporteure spéciale regrette que le développement d'une application permettant d'interroger, à partir d'une interface, les quatre principaux logiciels de gestion (Dialog2 et les trois Renoirh) intervienne aussi tard dans la réforme . Il s'agissait d'une difficulté facilement identifiable dès 2018.

(2) La poursuite des chantiers de convergence et le renforcement de leur suivi est indispensable

La question de la convergence de l'action sociale et des régimes indemnitaires des corps présents dans le champ de l'administration territoriale de l'État n'est pas un sujet nouveau : il est discuté depuis la création même des DDI. Cependant, aucun chantier de convergence n'a véritablement abouti avant la création des SGC.

La convergence intéresse en premier lieu l'égalité républicaine, au titre de laquelle il est difficilement justifiable que deux agents ayant la même ancienneté, dans un même bureau et sur une même mission soient rémunérés différemment. De plus, la multiplicité des régimes RH est source d'une grande complexité en gestion, et ce d'autant plus en présence d'un service gestionnaire unique.

L'un des principaux enjeux de la convergence est la soutenabilité budgétaire d'une telle évolution. En effet, il semble difficile d'envisager une convergence qui se fasse au détriment des conditions indemnitaires ou des acquis en termes de prestations sociales des agents. Les syndicats des différents ministères considèrent souvent que la situation statutaire et indemnitaire est le fruit d'un dialogue social spécifique au ministère et qu'il ne faudrait pas remettre en cause.

D'après les informations transmises par la direction de la modernisation et de l'administration territoriale (DMAT), d'importants chantiers de convergence ont été engagés et ont abouti depuis la création des SGC . Ainsi, certains chantiers seraient déjà achevés comme la procédure de mise en paiement de l'indemnité de télétravail, la protection sociale complémentaire, les conditions de versement du forfait mobilité durable ou encore la déconcentration de la signature des contrats des agents non titulaires.

Lors des déplacements, ces différents sujets ont pourtant été identifiés comme posant des difficultés aux agents. La rapporteure spéciale estime en effet qu'il est indispensable d'assurer un suivi plus précis de la mise en oeuvre de ces chantiers et de garantir une itération entre le comité de pilotage sur la convergence dans l'administration territoriale de l'État et un groupe témoin de SGC .

Ce suivi constitue un sujet d'autant plus important que de nombreux chantiers de convergence restent à mener .

(3) Utiliser le temps ainsi dégagé pour mettre en place une vraie politique de ressources humaines et un accompagnement des carrières

Pour le programme 354, la mise en place d'un indicateur de performance purement quantitatif ne manque pas d'inquiéter la rapporteure spéciale. En effet, afin d'évaluer la performance au sein du rapport annuel de performance de la mission, la DMAT et la direction du budget mettent en valeur un ratio « ETP fonctions support porté[s] par le programme 354 / ETP totaux ». Cet objectif, purement quantitatif, n'est pas pertinent.

La rapporteure souhaite mettre en garde contre la tentation, à moyen terme, de réduire des effectifs dédiés aux ressources humaines. Les SGC, outre leur consolidation dans un premier temps et le déploiement d'outils adaptés, ne devront pas être perçus comme une source potentielle d'économies d'emplois par les Préfets.

La réforme doit, sur le volet RH, changer radicalement d'objectif : il ne doit plus s'agir de générer des gains en emplois pour les redéployer vers les effectifs « métier », mais, bien au contraire, de créer une vraie gestion RH au sein du périmètre ATE et de se donner les moyens de le faire.

Il apparaît nécessaire d'engager une réflexion, notamment indemnitaire, sur la filière ressources humaines au sein de l'administration territoriale de l'État. Celle-ci doit être plus attractive pour permettre d'attirer des profils qualifiés et garantir une réelle qualité de service aux agents de l'ATE. Il en va de même sur les métiers des systèmes d'information.

En effet, loin d'être un vivier d'économies d'emplois, il est indispensable de se rendre compte à quel point l'accompagnement RH des agents est indispensable au bon fonctionnement des services.

Une dimension qualitative doit être intégrée à la réforme sur le plan RH, en permettant que le temps dégagé par le déploiement de nouveaux outils et les chantiers de convergence soit utilisé pour accompagner au mieux les agents du périmètre ATE.

Enfin, il apparait également indispensable d'aller plus loin concernant la déconcentration des actes de gestion .

b) La construction d'une identité propre aux secrétariats généraux communs, un mirage ?

Les secrétariats généraux communs souffrent d'un problème d'identité, alors qu'ils sont rattachés aux instances de dialogue social de la préfecture et sont soumis au même schéma d'emploi. La plupart des personnes auditionnées par la rapporteure spéciale dans le cadre de ses travaux 20 ( * ) , y compris les agents du ministère de l'intérieur, considèrent que les SGC sont plus proches de la préfecture que d'une véritable direction interministérielle. De plus, les agents des DDI ont souvent le sentiment que la préfecture est servie en priorité par les SGC.

(1) Les référents de proximité, un acteur incontournable de la démarche de services auprès des DDI

Alors que les référents de proximité constituaient un élément indispensable au succès de la réforme, ceux-ci n'ont pas été mis en place dans l'ensemble des départements et pour toutes les DDI . La charte nationale des SGCD, publiée en avril dernier et reprenant une partie des éléments du décret du 7 février 2020, confirme le principe selon lequel « un référent de proximité du SGC-D est systématiquement placé auprès de chacun des chefs de services soutenus et assure une fonction d'appui au pilotage et au management de ces services, ainsi qu'une fonction de contact de proximité pour les agents . »

La rapporteure spéciale partage la recommandation du secrétariat général du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire qui considère que « pour remplir pleinement leur rôle, ces référents doivent être dédiés à cette mission, sans cumul avec d'autres responsabilités, à plein temps et positionnés physiquement dans la structure . » La rapporteure spéciale considère néanmoins que l'exercice à mi-temps de la fonction de référent pourrait se justifier dans certains départements.

Il est nécessaire, selon les termes du directeur de la modernisation et de l'administration territoriale, « que les préfets dégagent un ETP pour répondre à cet élément de doctrine . » De ce point de vue, il est à noter que la règle des 3 % 21 ( * ) a pu être mobilisée pour créer un poste de référent dans un département.

(2) La disparition programmée des personnels administratifs au sein des DDI laisse envisager un renforcement de la proximité entre préfecture et SGCD

La question de l'identité des SGC est d'autant plus centrale que cette identité devra impérativement être affirmée rapidement .

En effet, les personnels administratifs de l'administration territoriale de l'État ne seront plus présents que dans les préfectures dans la mesure où les DDI n'auront plus à exercer que des fonctions « métier ». Le vivier de recrutement des agents des SGC risque de se restreindre progressivement au ministère de l'intérieur. Une telle situation conforterait le sentiment qu'ont un certain nombre de DDI de proximité entre les SGC et la préfecture.

Cette distance pourrait également entraîner une méconnaissance des travaux des DDI de la part des agents des SGC. La rapporteure spéciale insiste donc, pour conclure, sur la nécessité de remettre de l'humain en permettant aux agents des SGC et des DDI de se rencontrer, à l'occasion de permanences sur site, voire d'actions d'immersion professionnelle au sein des services.


* 19 Supprimée par la circulaire du 22 décembre 2021.

* 20 Rapport d'information de Mme Isabelle BRIQUET, fait au nom de la commission des finances n° 740 (2021-2022) - 29 juin 2022.

* 21 Posée par la circulaire du 22 décembre 2021 qui permet au Préfet de région de redéployer 3 % des effectifs du périmètre de l'ATE.

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