D. UNE POLITIQUE FORESTIÈRE CONFRONTÉE À DES DIFFICULTÉS CONSIDÉRABLES
La forêt est au coeur de préoccupations répondant à des objectifs divers, économiques, environnementaux, de sécurité publique, de loisirs... à caractère naturellement interministériel. Il faut donc en premier lieu rappeler que les crédits de la mission sont loin d'être les seuls moyens publics consacrés à la forêt 20 ( * ) .
La politique forestière s'inscrit dans plusieurs perspectives stratégiques. Parmi celles-ci figure de plus en plus la contribution de la ressource forestière à la lutte contre le changement climatique. Elle s'additionne à des objectifs plus économiques de meilleure valorisation des bois et forêts.
La filière est confrontée à des difficultés économiques majeures tandis que l'opérateur principal de la gestion forestière traverse de grandes difficultés auxquelles le nouveau contrat d'objectif et de performances vise à répondre.
En 2022, le budget alloué à l'action n° 26 « Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois » s'élève à 276,2 millions d'euros de CP (+ 27,2 millions d'euros, + 11 %) et de 276,8 millions d'euros d'AE (+ 30,2 millions d'euros, soit + 12,2 %). Sur ces crédits, 225,8 millions d'euros sont répartis entre les opérateurs de l'État (Office National des Forêts, Centre National de la Propriété Forestière et l'Institut Technologique Forêt, Cellulose, Bois-Construction). Si l'on ajoute les crédits destinés au fonds stratégique de la forêt et du bois, on totalise 251,2 millions d'euros soit 91 % des crédits programmés.
1. L'Office national des forêts, un opérateur sous tension
Le programme est dominé par les transferts en direction de l'Office national des forêts (ONF). Ils seraient accrus et atteindraient 204 millions d'euros en 2022 contre 181,6 millions d'euros l'an dernier 21 ( * ) .
L'ONF, principal opérateur public de la politique forestière, exerce un rôle majeur dans la gestion de la forêt, à travers des missions diversifiées.
Les missions de l'Office national des forêts
La gestion durable des forêts domaniales
L'État est le propriétaire de ces forêts et gère les ventes et les achats de terrains domaniaux. L'ONF, pour sa part, assure la programmation et la mise en oeuvre des récoltes et du renouvellement des peuplements (notamment eu égard à leur adaptation au changement climatique), l'organisation des ventes de bois, les travaux, la surveillance générale et la gestion de la chasse. La gestion des forêts domaniales recouvre également les missions d'intérêt général qui lui sont rattachées telles que l'information et l'accueil du public et les actions de protection de la nature non spécifiques.
La gestion durable des forêts des collectivités
L'ONF est chargé par la loi de l'application du « régime forestier » aux forêts des collectivités. À ce titre, il exerce la surveillance de ces forêts, la programmation et le suivi des récoltes et des travaux ainsi que la commercialisation du bois. L'ONF peut également assurer, sur convention, la mise en oeuvre de travaux patrimoniaux.
Les missions d'intérêt général confiées par l'État
Les missions d'intérêt général sont réalisées pour le compte de l'État dans le cadre de conventions et donnent lieu à un financement spécifique à coûts complets. Elles concernent les domaines de la biodiversité, de la prévention des risques naturels, notamment pour la restauration des terrains en montagne, la défense des forêts contre les incendies et la fixation des dunes domaniales.
Les activités contractuelles
L'ONF intervient également dans ses domaines de compétence pour différents clients, publics ou privés.
Source : projet annuel de performances
La situation de l'ONF avait inspiré de très fortes inquiétudes au point que la pérennité de l'établissement avait pu être mise en doute. La situation économique et financière de l'établissement avait été jugée fragile 22 ( * ) par les rapporteurs spéciaux. Les données de l'année en cours et de l'année passée confirment cette appréciation. Le résultat de l'ONF s'est dégradé et son endettement a été considérablement accru .
Résultats et endettement de l'ONF entre 2016 et 2021
(en millions d'euros)
CF 2016 |
CF 2017 |
CF 2018 |
CF 2019 |
CF 2020 |
BR 2021 |
|
Subvention d'équilibre |
0,0 |
0,0 |
12,5 |
6,5 |
6,5 |
6,4* |
Résultat net de l'exercice |
12,3 |
-8,2 |
-4,8 |
-0,4 |
-67,8 |
-64,2 |
Besoin de financement au 31/12 |
262,5 |
320,0 |
347,1 |
351,7 |
397,4 |
508,8 |
* Le montant versé en 2021 à l'ONF est en réalité de 6,5 M€ comme en 2019 et 2020. À ce montant doit par ailleurs s'ajouter une subvention exceptionnelle de 30 M€.
Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux
La situation financière de l'ONF s'est dégradée en 2020 sous l'effet conjugué de ventes de bois moins dynamiques qu'anticipées (en raison de la crise des « scolytes », cf. infra ), et de charges d'exploitation qui ne diminuent pas à due concurrence . Le résultat en 2020 est ainsi fortement déficitaire.
En 2021, la situation d'endettement de l'office devrait encore se dégrader . En effet, la programmation budgétaire fait apparaître un accroissement du besoin de financement de 111 millions d'euros. Celui-ci résulte notamment de la construction du nouveau siège de l'office (24,8 millions d'euros), et d'un décalage des paiements de 2020 sur 2021 - le besoin de financement en 2020 était resté relativement contenu de ce fait. Pour le reste, la situation financière de l'office continue de se dégrader du fait de la baisse constatée au cours des dernières années du chiffre d'affaires, principalement en raison de la vente de bois , fortement impactée par la crise économique en cours (faillites d'entreprises clientes, fermeture du marché nord-américain, baisse des prix du chêne et forte augmentation des taux d'invendus...), mais aussi par l'ampleur inédite et durable de la crise des dépérissements liée au réchauffement du climat et au déficit hydrique. Il faut toutefois souligner que le chiffre d'affaires résultant de la vente de bois se rétablirait en 2021 par rapport à 2020.
La forêt, un état sanitaire très dégradé
Le diagnostic à la mi-2021 relève des mortalités importantes des épicéas et sapins, en particulier dans le Nord Est de la France, suite aux épisodes de sécheresses de 2018, 2019 et 2020 et aux pullulations de scolytes. Le stress hydrique affecte également le pin sylvestre (mortalité en augmentation brutale depuis 2019) et le hêtre (dépérissements de forte intensité en Franche-Comté et Grand-Est). La surveillance des chênes est renforcée, cette essence étant souvent impactée quelques années après le stress initial.
D'une part, face à la crise liée aux dégâts des scolytes, le fonds stratégique de la forêt et du bois (FSFB) a également financé à partir de 2020 la 1ère mesure du plan de lutte contre les scolytes , annoncé par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation lors du Conseil supérieur de la forêt et du bois du 8 octobre 2019. Une aide à l'exploitation et à la commercialisation des bois scolytés a été mise en place et bénéficie aux régions Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté ainsi qu'à quatre départements de la région Auvergne-Rhône-Alpes (l'Ain, le Cantal et les deux Savoie). Ce dispositif d'aide est mobilisable jusqu'au 31 août 2021. Depuis sa création, cette aide a permis d'aider la commercialisation et le transport de plus de 633 000 m de bois soit un montant total de 8,6 millions d'euros d'aides pour les propriétaires forestiers. Compte tenu de l'effet persistant de cette crise, avec une estimation d'un volume complémentaire 300 000 m de bois scolyté à exploiter jusqu'à la fin de l'année 2021, l'arrêté du 20 décembre 2019 devrait être modifié afin de prolonger ce volet jusqu'au 31 décembre 2021.
D'autre part, le plan de relance prévoit également dès 2021, un financement de 30 millions d'euros à destination de l'ONF pour le renouvellement des forêts domaniales sinistrées par la crise des scolytes ou évaluées comme vulnérables dans le contexte du changement climatique . Ce financement est assuré à 100% par l'État propriétaire des forêts domaniales. France Relance permet également un co-financement du renouvellement des forêts des collectivités, à hauteur de 80% pour les forêts sinistrées et 60% pour les forêts vulnérables.
Le Gouvernement va organiser à l'automne 2021 des Assises de la forêt et du bois, qui permettront de projeter ce défi du renouvellement des forêts, y compris publiques, et de leur résilience face au changement climatique, au-delà de la période couverte par « France Relance. »
Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Toutefois, une subvention exceptionnelle de 30 millions d'euros est prévue par le projet de loi de finances rectificative de fin de gestion, qui devrait permettre de réduire de moitié le résultat net déficitaire de 64,2 millions d'euros prévu au dernier budget rectificatif.
Depuis quelques années, la forte réduction de la part des charges de l'ONF couverte par ses ventes de bois se modère un peu. Mais, ces dernières représentaient entre 70 % et 80 % de ses recettes dans les années 1980 contre moins d'un tiers désormais alors même que le cours du bois a été ces dernières années plutôt résistant. Le chiffre d'affaires des ventes de bois reste étal depuis quelques années 23 ( * ) . L'augmentation des récoltes, qui suscite des charges ne permet pas de dégager les produits correspondants.
Évolution du chiffre d'affaires résultant des ventes de bois
(en millions d'euros)
Source : rapport des quatre inspections, juillet 2019
Le Gouvernement a commandité une mission interministérielle, qui a rendu en juillet 2019 son rapport d'évaluation du contrat d'objectif et de performances, assorti de propositions de pistes d'évolution.
L'endettement de l'ONF n'est pas jugé anormal par la mission qui le rapproche d'une valeur d'actif estimée à 9,6 milliards d'euros pour les seules forêts domaniales. En outre, le coût de la dette de l'ONF demeure limité. Cependant, outre que la valeur d'actif des forêts domaniales peut être discutée, il importe d'observer que l'activité courante de l'ONF paraît en l'état de son modèle économique vouée à dégager des déficits.
C'est du moins le diagnostic de la mission qui l'appuie sur le constat d'une fluctuation d'un chiffre d'affaires sensible aux évolutions des prix du bois et d'une progression des charges particulièrement due à la masse salariale . Celle-ci, qui représente 55 % des charges de l'ONF, a progressé malgré la diminution des effectifs.
Ces derniers ont diminué de 10 % en dix ans (de 9 987 ETPT à 9 038 ETPT en 2018). De son côté, la masse salariale a augmenté de 7 % pour s'élever à 106 % de la valeur ajoutée de l'ONF.
Dans la foulée de la remise du rapport de la mission, le Gouvernement a acté une série de travaux, associant les parties prenantes jusqu'à l'été 2021. C'est dans ce contexte qu'est intervenue la signature d'un nouveau contrat entre l'État et l'ONF pour les années 2021 à 2025.
2. Dans ce contexte, un nouveau contrat entre l'État et l'ONF formalise de nouveaux engagements visant à opérer le redressement financier de l'établissement
Afin d'assurer la pérennité de l'établissement, un contrat État-ONF 2021-2025, appuyé sur une trajectoire financière spécifique, a été adopté par le conseil d'administration du 2 juillet 2021 . Il formalise les engagements, principalement financiers, des différentes parties au contrat visant à engager le redressement financier de l'établissement. Il prévoit des évolutions structurantes pour l'établissement, y compris en matière de maitrise des dépenses, ainsi qu'une augmentation du soutien financier de l'État, qui visent à assurer un retour à l'équilibre financier au terme des évolutions prévues.
Dans la continuité de ce nouveau contrat, l'ONF a élaboré son plan stratégique pluriannuel qui sera engagé sur 5 ans , précisant les modalités de mise en oeuvre des différents objectifs fixés dans le contrat État-ONF.
Dans le cadre de ce nouveau contrat, l'État renforce son engagement financier en faveur de l'ONF, en mobilisant 60 millions d'euros supplémentaires sur trois années : 30 millions d'euros en 2021, 20 millions d'euros en 2022 et 10 millions d'euros en 2023, qui sont versés en complément de la subvention d'équilibre de 12,4 millions d'euros et des 140 millions d'euros de versement compensateur annuel, dont le montant est maintenu.
Le nouveau contrat conforte également les missions d'intérêt général (MIG) portées par l'ONF , et consacre la notion de prise en charge à coûts complets de ces missions, quel qu'en soit le commanditaire. Ainsi, l'État s'engage sur un financement complet des missions d'intérêt général qu'il confie à l'ONF. La revalorisation des financements accordés au titre des missions d'intérêt général (MIG), à périmètre constant, sur la biodiversité et en outre-mer, représente ainsi 12 millions d'euros en 2021 et 22 millions d'euros d'ici 2024. Les MIG confiées par l'État à l'ONF représenteront ainsi 54,3 millions d'euros par an d'ici 2024.
Les transferts en direction de l'Office national des forêts (ONF) qui dominent l'action n° 06 sont donc accrus en 2022 et atteindraient 204 millions d'euros en 2022 contre 181,6 millions d'euros l'an dernier 24 ( * ) :
- un versement compensateur de 140,4 millions d'euros comme l'an dernier ;
- une dotation exceptionnelle d'équilibre de 12,4 millions d'euros augmentée de 20 millions d'euros en 2022 ;
- un financement des missions d'intérêt général porté à 29,9 millions d'euros .
Le besoin de financement de l'ONF devrait se limiter à un montant estimé à 529 millions d'euros en 2022, mais ces estimations reposent sur diverses hypothèses concernant par exemple les cours du bois.
En contrepartie de ces financements complémentaires, il est demandé à l'établissement un effort de réduction de ses charges à hauteur de 5 % à l'horizon de 5 ans, afin d'atteindre l'équilibre financier en 2025. Une modération des dépenses de fonctionnement à hauteur de 4 millions d'euros est attendue dès 2022.
Des réformes d'ampleur sont attendues de la part de l'ONF, notamment sur le schéma d'emploi, avec une réduction du plafond d'emplois de 95 ETP . Le plafond d'emplois de l'ONF est ainsi fixé par le projet de loi de finances pour 2022 à 9 235 ETPT sous plafond, soit un schéma d'emplois de 95 ETP et à 500 ETPT hors plafond, en augmentation pour répondre aux nouveaux objectifs gouvernementaux de renforcement de l'apprentissage dans la fonction publique d'État.
Sur la période 2021-2025, la masse salariale de l'ONF devrait baisser de 22 millions d'euros à périmètre constant et hors mesures nouvelles . Cette économie globale découle d'une part du schéma d'emplois et d'autre part de l'effet de substitution entre les départs de personnels fonctionnaires et les recrutements de personnels salariés (principalement du fait des différences de coût des cotisations retraite). Ces économies compensent par ailleurs les hausses tendancielles de la masse salariale liées à l'évolution du coût du travail (glissement vieillesse technicité, négociation annuelle obligatoire, ...). La valorisation du seul schéma d'emploi de - 475 ETP sur la période devrait générer une économie brute de 8 à 10 millions d'euros sur l'ensemble de la période.
Une restructuration des effectifs est donc en cours, qui apparaît d'autant plus sensible socialement qu'elle fait suite à une période de suppression d'emplois par l'ONF sur la période 2018-2020 .
Le rapporteur spécial Patrice Joly réitère son scepticisme face à une gestion des ressources humaines qui compterait sur le remplacement des départs de fonctionnaires et de salariés en retraite par des emplois aidés et des apprentis.
L'activité concurrentielle de l'Office devrait être filialisée. La mission interministérielle a identifié la nécessité d'assurer une meilleure séparation entre les activités d'intérêt général, notamment l'application du régime forestier et les activités concurrentielles de l'ONF.
Sur la base de cette recommandation, l'ONF a mandaté un cabinet d'étude pour identifier les périmètres envisageables et les questions qui se posent pour chacun d'entre eux. Après analyse et arbitrage, cette filialisation concernera les activités concurrentielles considérées comme éloignées du coeur de métier de l'ONF en forêts publiques. Le Gouvernement a rappelé son opposition à toute filialisation des missions d'intérêt général.
Comme validé lors du CA de l'ONF du 2 juillet 2021, cette filialisation se mettra en place à partir de 2023, afin de permettre aux travaux préparatoires de se conduire dans la transparence et la sérénité.
Source : réponse au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux
On peut noter par ailleurs la stabilité de la subvention pour charges de service public du Centre national de la propriété forestière , maintenue à 14,96 millions d'euros. Cette stabilité est regrettable s'agissant d'un organisme qui a la charge de 75 % de la forêt française et mobilise à cet effet 437 ETPT (pour un plafond d'emplois de 337 ETPT réduit de 1 unité).
L'année 2022 sera notamment marquée par le démarrage du nouveau COP de l'établissement (2022-2026) en cours de préparation 25 ( * ) . Il prendra notamment en compte les évolutions demandées par le programme national de la forêt et du bois (PNFB) en termes de simplification et de facilité d'accès des usagers aux documents de gestion en forêt privée, car seuls 30 % de la surface de la forêt privée est sous documents de gestion durable. Il s'appuiera ensuite sur un important volet numérique, qui consistera notamment à déployer la télé-déclaration et à améliorer la fluidité et l'interopérabilité dans les échanges avec les services de l'État de manière à améliorer le service rendu aux usagers du service public de l'agrément des documents de gestion en forêt privée.
* 20 S'y ajoutent notamment les dépenses fiscales, et les crédits de l'État en provenance d'autres programmes budgétaires.
* 21 Le total des subventions de l'État est de 228,6 millions d'euros en AE et 228,3 millions d'euros en CP, dont 204 millions d'euros apportés par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation.
* 22 Deux récents rapports « Une nouvelle stratégie pour l'Office national des forêts et les forêts françaises » de notre collègue Anne-Catherine Loisier (12 juin 2019) et un rapport de quatre corps d'inspection et d'évaluation (IGA, IGF, CGEDD et CGAAER) d'évaluation du contrat d'objectifs et de performance 2016-2020 de l'ONF (juillet 2019) sont venus conforter un impératif de renouvellement du cadre des missions de l'ONF.
* 23 Entre 2019 et 2020, le chiffre d'affaires bois est passé de 256 millions d'euros à 218 millions d'euros.
* 24 Le total des subventions de l'État est de 228,6 millions d'euros en AE et 228,3 millions d'euros en CP, dont 204 millions d'euros apportés par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation.
* 25 Une mission portant sur le bilan du COP 2017-2021 et sur les évolutions à inscrire pour l'avenir a été confiée au CGAAER. Son rapport devrait être transmis au ministre avant la fin de l'année 2021.