C. DES MARGES DE MANoeUVRE BUDGÉTAIRES À DÉGAGER : UNE GRANDE DIVERSITÉ DE L'OFFRE SCOLAIRE ENCORE ACCRUE PAR LA RÉFORME DU LYCÉE
La session 2021 marque l'aboutissement de la réforme du lycée, débutée en 2019 et désormais opérationnelle.
Si la réforme a été perturbée par la crise sanitaire, elle conduit à une dispersion de l'offre scolaire , à la fois en terme de disciplines et d'accès géographique.
1. La composition des nouvelles épreuves veut mettre l'accent sur les compétences orales et sur un choix de spécialités plus ouvert
2021 a été la première année suivant la réforme des baccalauréats général et technologique, désormais composés de cinq épreuves nationales représentant 60 % de la note finale et de 40 % de « contrôle continu » pour la prise en compte des acquis de la formation de première et de terminale.
Le « contrôle continu » est lui-même composé par les notes figurant sur les bulletins scolaires pour une part de 10 % de la note totale. Le reste devait prendre la forme d'épreuves communes de contrôle continu (E3C) portant sur les disciplines étudiées par l'élève pour 30 %.
En 2022, les modalités du baccalauréat évolueront de nouveau, du fait de la suppression des épreuves communes. Dès la session prochaine, les matières du tronc commun seront uniquement évaluées au contrôle continu, mis à part le français et la philosophie, pour 10 % des points.
Au-delà des épreuves, la réforme du lycée a également entraîné une nouvelle organisation des enseignements . Pour la voie générale, celle-ci passe par une spécialisation progressive entre la classe de première et de terminale au travers d'enseignements de spécialité, les séries (S-L-ES) étant supprimées.
Ainsi, les enseignements en classe de première et terminale sont constitués d'enseignements communs pour tous les élèves et d'enseignements de spécialité. Trois enseignements de spécialité sont suivis par les élèves en classe de première et deux en terminale, choisis parmi les trois précédents.
L'organisation en séries est en revanche maintenue pour la voie technologique , même si la structuration des enseignements est la même qu'en voie générale, soit des enseignements communs et des enseignements de spécialité.
Le rapporteur spécial ne peut que souligner que la réforme du lycée ne prend tout son sens qu'à condition de préserver, d'équilibrer et d'élargir l'offre de ces enseignements en les répartissant de manière équitable entre les territoires.
Force est de constater que ce n'est pas encore le cas à l'heure actuelle. La complexité de la combinaison des choix de spécialités , au-delà de son coût budgétaire, ne semble pas renforcer l'égalité des chances sur l'intégralité du territoire national. Les établissements sont pris entre deux injonctions contradictoires, celle de contribuer à la couverture des enseignements sur le territoire et celle de maîtrise des effectifs , qui impose de ne pas conserver d'option ouverte pour un trop faible nombre d'élèves.
2. Une réforme inutilement complexe et que les élèves doivent encore s'approprier, bien que contribuant à la diversité de l'offre scolaire
a) Une grande variété théorique des combinaisons possibles qui se heurte à des inégalités géographiques
Là où l'on comptait auparavant trois séries, la réforme a démultiplié les combinaisons possibles d'enseignement de spécialité . À l'échelle nationale, en classe de première, 458 combinaisons de trois enseignements de spécialité ont été recensées 24 ( * ) . En dépit de ce nombre impressionnant, 316 combinaisons ont été choisies par moins de 100 élèves sur l'ensemble du territoire, dont 276 par moins de 50 élèves . 71 combinaisons n'ont quant à elles été choisies que par un seul élève en France. Les 15 premières triplettes regroupent 80 % des effectifs.
Comparaison des dix combinaisons d'enseignements de spécialité les plus choisies en 2019 et 2020
(en % d'élèves)
Source : commission des finances d'après la DEPP
Les élèves ont toujours tendance à reconstruire les anciennes séries au travers des triplettes, mais on note pour la deuxième année une meilleure appropriation des combinaisons par les élèves et les familles, amenant à davantage de diversité.
À la rentrée 2020, l'enseignement de spécialité le plus largement choisi en première générale est toujours les mathématiques, 63,8 % des élèves ayant opté pour cette spécialité. Cependant, la proportion d'élèves ayant choisi cet enseignement diminue de 4,9 points par rapport à 2019. Le deuxième enseignement le plus choisi en 2020 est les « sciences économiques et sociales », qui n'est toutefois suivi que par moins d'un élève sur deux (44 %). La part d'élèves suivant cet enseignement progresse sensiblement en un an (+ 4,8 points, il n'était que le quatrième enseignement le plus souvent choisi en 2019).
En terminale, les combinaisons se réduisent mais restent nombreuses. À la rentrée 2020, les élèves de terminale générale suivent 143 doublettes d'enseignements de spécialité différentes. Les 15 doublettes les plus courantes concernent neuf élèves sur dix, ce qui entraîne mécaniquement des effectifs très faibles pour les doublettes les plus rares.
Les cinq doublettes d'enseignements de
spécialité les plus suivies
en terminale à la
rentrée 2020
(en % d'élèves)
Source : commission des finances d'après la DEPP
Tous les lycées ne sont pas censés proposer l'intégralité des spécialités. Un des enjeux principaux de la réforme est de permettre aux élèves un égal accès aux spécialités ou aux combinaisons originales , y compris au travers d'enseignement à distance.
Conformément à la note de service adressée aux recteurs à la rentrée 2018 25 ( * ) , le recteur arrête la carte académique des enseignements de spécialité « en veillant à leur bonne répartition dans le cadre géographique adapté au territoire (bassin de formation, réseau d'établissements...) ». Le texte précise que le recteur « veille à ce que cette répartition garantisse, dans le périmètre retenu, l'offre d'enseignements de spécialité la plus riche et de soutenir les établissements les moins attractifs ou les plus isolés, avec une offre originale et diversifiée ».
L'échelle retenue pour la réforme est donc celle du « bassin de vie », supposée aller de pair avec des changements d'établissement facilités pour les élèves voulant suivre des disciplines n'étant pas proposées dans leur lycée d'origine.
Toutefois, toutes les académies ne proposent pas le même nombre de combinaisons de spécialités. Ainsi, l'académie de Versailles en propose 243, quand celle de Corse n'en propose que 91 . Toutes les académies ne peuvent en effet maintenir une offre élargie en proposant des spécialités qui ne seront finalement choisies que par un seul élève. Cette offre limitée sur certains territoires aboutit à une concentration des élèves dans les spécialités les plus demandées, la faiblesse de l'offre engendrant celle de la demande .
Nombre de combinaisons de spécialités par académie à la rentrée 2019
Source : Ministère de l'éducation nationale, Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance
Les académies de Versailles, Créteil, Montpellier, Lille et Rennes ont le plus grand nombre de combinaisons choisies par au moins un élève (plus de 230 pour chaque académie). Mais alors qu'à Montpellier, 80 % des élèves se retrouvent dans les 18 premières, à Versailles 80 % des élèves se concentrent sur 13 combinaisons. Les effectifs sont donc plus concentrés à Versailles qu'à Montpellier pour 80 % des élèves, mais plus étalés (sur un plus grand nombre de triplettes) pour les 20 % restants 26 ( * ) .
Les cinq départements d'outre-mer ont un nombre de combinaisons relativement peu important, de 118 à Mayotte à 170 à La Réunion. En revanche, les élèves sont relativement peu concentrés puisque que 80 % d'entre eux ont choisi entre 23 combinaisons (Guadeloupe) et 28 (Guyane). La concentration dans les DOM est ainsi inférieure à celle de Nancy, Paris ou Lyon, académies où 80 % des élèves se concentrent sur 12 triplettes.
Le rapporteur spécial déplore l'instauration d'inégalités territoriales accrues dans le choix des combinaisons , introduites par une réforme qui avait pourtant pour but de garantir un égal accès aux enseignements.
On observe par ailleurs un maintien des inégalités d'accès aux disciplines qui existaient antérieurement à la réforme. Les enseignements scientifiques sont toujours plus choisis par les élèves d'origine sociale favorisée , tandis que l'histoire-géographie, les langues et les humanités ainsi que les disciplines artistiques sont plus choisies par les élèves d'origine sociale défavorisées qu'en moyenne.
Selon la DEPP, le choix des combinaisons est très fortement variable selon l'origine sociale et le sexe 27 ( * ) . 46 % des élèves qui font des mathématiques en enseignement de spécialité en première et en terminale sont d'origine sociale très favorisée. À titre d'exemple, la deuxième triplette la plus fréquente, choisie par 8 % des élèves de première en 2019, est « histoire-géographie, mathématiques, SES ». Les élèves de cette triplette sont 69 % à ne pas conserver les mathématiques en enseignement de spécialité en terminale. Cette proportion est de 72 % pour les filles d'origine sociale défavorisée contre seulement 66 % pour les filles et les garçons d'origine sociale très favorisée.
b) Des combinaisons dont la gestion est complexe et coûteuse
Le coût de la réforme, s'il est difficile à évaluer, implique pour les établissements de faire face à des injonctions contradictoires, la fermeture d'une spécialité limitant l'accès des élèves des territoires ruraux à certaines disciplines.
Les documents budgétaires indiquent qu'il est ce stade impossible d'indiquer le coût par élève des différentes options et spécialités En effet, les systèmes d'information fournissent le nombre d'élèves suivant les enseignements, mais ils ne permettent pas de savoir dans quelle mesure une heure d'un enseignement est dispensée au titre d'un enseignement général, d'un enseignement optionnel, ou d'un enseignement de spécialité.
Le rapporteur spécial partage les constats de la mission de ses collègues députés dont les conclusions ont été récemment rendues 28 ( * ) , selon lesquelles « la diversité des parcours offerts en quasi « sur-mesure » engendre des difficultés d'organisation pour les chefs d'établissements : la construction des emplois du temps des élèves et des services des enseignants est complexifiée ».
En outre, afin de réduire les coûts découlant de la mise en place de spécialités rares, il convient de développer le partenariat entre lycées dans des zones géographiques proches, mais également de mieux faire connaître l'offre du CNED.
* 24 Note de la DEPP n° 19.48 - Novembre 2019.
* 25 Note de service n° 2018-109 du 5 septembre 2018, ministère de l'éducation nationale.
* 26 DEPP, note d'information n° 19.48.
* 27 DEPP, note d'information n° 21.22, mai 2021.
* 28 Mission flash sur les spécialités en terminale dans le cadre de la réforme du baccalauréat, Assemblée nationale, juillet 2021.