B. UN CADRE JURIDIQUE DONT LA FRAGILITÉ A ÉTÉ RÉVÉLÉ PAR LA CRISE SANITAIRE

a) Un problème d'organisation, révélant un cadre juridique trop imprécis

Au printemps 2020, le caractère décentralisé de la mise en oeuvre de ce droit s'est heurté à la gestion naturellement centralisée de la lutte contre l'épidémie. L'exercice par les directeurs d'établissements de leur pouvoir de police s'est trouvé accusé d'être disproportionné , puisque les règles de suspension des visites se sont appliquées sans tenir compte de la carte de propagation du virus, mais aussi inégalitaire en raison de la variabilité des initiatives locales, et surtout arbitraire, l'interdiction totale des visites ayant pu être regardée à bon droit par certaines directions d'établissements comme un moyen de se protéger d'éventuelles mises en cause ultérieures de leur responsabilité.

Il ne s'agit pas ici de pointer les responsabilités, les directeurs d'établissements ayant le plus souvent tout fait pour protéger leurs résidents en fonction du matériel disponible et des directives nationales, dont la clarté et la cohérence ont varié. Ils ont également déployé des efforts remarquables pour pallier les effets du confinement, notamment par le recours massif aux outils numériques.

Dans son rapport de mai 2021 sur les droits fondamentaux des personnes accueillies en Ehpad, la Défenseure des droits a relevé cependant de nombreux manquements aux droits fondamentaux des résidents, et préconisé la précision du cadre législatif. La Défenseure relève qu'en octobre 2021 encore, certaines restrictions de visites excessives ont été maintenues , sans justification recevable.

b) Un problème de société, pour ne pas dire de civilisation

Ce qu'il aurait fallu faire au printemps 2020, nul ne saurait humblement l'affirmer. Mais ce n'est pas même nécessairement remettre en cause les décisions prises alors que de dire que la restriction sans précédent de la vie sociale des personnes prises en charge en établissement de santé ou accueillies dans un établissement médico-social a été une véritable catastrophe sur le plan de la psychologie individuelle, mais aussi collective .

Les conséquences en ont certes été terribles d'abord pour les patients et les résidents eux-mêmes : sentiment d'emprisonnement, réticence à faire appel aux secours par crainte d'une hospitalisation dans la solitude, syndrome de glissement et abandon à la mort, rites funéraires impossibles, impossibilité d'avoir accès aux derniers sacrements. Les conséquences des restrictions de visites ont aussi été traumatisantes pour leurs proches : défiance à l'égard du corps médical, de l'institution hospitalière ou des établissements médico-sociaux, sentiments d'angoisse et de culpabilité, voire deuil traumatique, car entravé par l'impossibilité d'un accompagnement décent et digne.

L'interdiction des toilettes mortuaires par le décret du 1 er avril 2020, a été particulièrement mal vécue, et son application a perduré sur le terrain malgré son assouplissement par un second décret le 30 avril.

Un tel refus de considérer les défunts, voire la mort elle-même, nous pose collectivement de dérangeantes questions, voire constitue ce qu'il faut bien appeler un « recul de civilisation sans précédent », comme l'ont souligné Stéphanie Bataille et Laurent Frémont, fondateurs du collectif « Tenir ta main », auprès de la rapporteure.

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