B. UN DÉSACCORD EN COMMISSION MIXTE PARITAIRE SUR LA MÉTHODE DE RESTITUTION
1. Un accord partiel des députés sur les modifications sémantiques apportées par le Sénat
Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, les députés n'avaient pas contesté les modifications sémantiques que le Sénat avait apportées, en première lecture, au texte qu'ils lui avaient transmis et qui répondaient au souci de rendre les dispositions du projet de loi plus conformes à la réalité .
Dans l'intitulé, le Sénat avait substitué le terme de « retour » à celui de « restitution », dans la mesure où le terme de restitution suppose l'illégitimité de l'actuel propriétaire. Cette modification visaient à ne pas véhiculer l'idée que ce texte s'inscrirait dans une démarche de repentance ni à commettre l'erreur de juger des événements passés à l'aune des valeurs d'aujourd'hui. L'Assemblée nationale est finalement revenue en nouvelle lecture sur cette modification sémantique.
Pour tenir compte du fait que le sabre a déjà été officiellement remis au Sénégal lors d'une cérémonie qui s'est tenue le 17 novembre 2019 à Dakar, le Sénat avait remplacé, aux articles 1 er et 2, le verbe « remettre » par le verbe « transférer ». Il avait estimé que ce verbe matérialisait mieux les effets induits par la sortie des biens des collections nationales, c'est-à-dire le transfert de la propriété de ces biens respectivement au Bénin et au Sénégal et, dans le cas des objets qui font partie du trésor d'Abomey, la nécessité de leur transfert physique sur le territoire béninois. Les députés ont conservé cette modification sémantique dans le texte qu'ils ont adopté en nouvelle lecture.
2. L'opposition de l'Assemblée nationale à la création de l'instance dédiée voulue par le Sénat
Les discussions entre les deux assemblées en commission mixte paritaire ont achoppé sur l'article 3, inséré par le Sénat en première lecture.
Les députés de la majorité ont refusé la création du Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens, à laquelle le Gouvernement avait déjà fait connaître son opposition lors de la discussion du projet de loi en séance publique au Sénat. Ils ont fait valoir que son instauration ne concourrait pas à l'objectif de simplification des procédures administratives défendu par le Gouvernement depuis 2017, estimant que sa mission serait redondante avec le travail conduit par l'administration et le personnel des musées au moment de l'examen des demandes de restitution présentées par des États étrangers et contribuerait à allonger les délais de réponse des autorités françaises.
Les échanges ont fait apparaître de profondes divergences de vues entre les deux chambres autour des modalités de traitement des demandes de restitution et de la place à accorder à la représentation nationale dans ce processus . Là où les sénateurs de tous bords ont fait valoir la nécessité d'une procédure pérenne transparente et démocratique, laissant la place à un débat contradictoire auquel la communauté scientifique pourrait publiquement prendre part et prémunissant le Parlement du risque d'être mis devant le fait accompli, les députés de la majorité ont mis en avant le caractère crucial de l'analyse diplomatique des demandes de restitution, légitimant la validation a posteriori des décisions de restitution par le Parlement.
Le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, Yannick Kerlogot, a annoncé qu'une cellule interministérielle réunissant le ministère de la culture, le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères serait prochainement mise en place afin de garantir un traitement coordonné des demandes de restitution entre les ministères concernés et de faciliter la conciliation des différents intérêts en présence. La création de cette cellule ne répond néanmoins pas aux demandes exprimées par le Sénat d'une démarche plus scientifique que politique sur ces questions et d'un meilleur respect des prérogatives du Parlement. Elle ne présente par ailleurs aucune garantie de pérennité au gré des fluctuations des majorités politiques.
Face à ces positions inconciliables, la commission mixte paritaire n'est pas parvenue à se mettre d'accord sur un texte commun. Sans surprise, l'Assemblée nationale a supprimé en nouvelle lecture l'article 3 du projet de loi.