N° 9
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 octobre 2020
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi , adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l' état d' urgence sanitaire ,
Par M. Philippe BAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
3340 , 3355 et T.A. 482 |
|
Sénat : |
5 et 10 (2020-2021) |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Réunie le mercredi 7 octobre 2020, la commission des lois du Sénat a adopté, sur le rapport de Philippe Bas (Les Républicains - Manche), le projet de loi n° 5 (2020-2021) prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire .
Alors que la France connaît un rebond épidémique depuis la fin de la période estivale, ce texte a pour premier objet de prolonger, pour une période de cinq mois, soit jusqu'au 1 er avril 2021, le régime institué par la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire , qui confère aux pouvoirs publics des prérogatives exorbitantes de droit commun pour faire face à la crise sanitaire.
Il vise également à maintenir, au-delà du 30 octobre 2020, les systèmes d'information déployés en appui à la lutte contre l'épidémie de covid-19.
Enfin, il prolonge l'application de plusieurs dispositions dérogatoires facilitant la réunion des organes délibérants des collectivités territoriales.
La commission des lois a souscrit, dans leur principe, à ces dispositions. Elle a toutefois apporté plusieurs modifications au projet de loi, afin d'assurer un meilleur équilibre entre efficacité de la lutte contre la covid-19 et protection des droits et libertés.
Elle a adopté, en ce sens, 13 amendements sur le projet de loi .
I. UN REBOND DE L'ÉPIDÉMIE, EN DÉPIT DU MAINTIEN D'UNE VIGILANCE RENFORCÉE
A. UNE SORTIE PROGRESSIVE ET CONTRÔLÉE DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE
1. Le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire
Initialement déclaré par la loi du 23 mars 2020 et prorogé par la loi du 4 mai 2020, l'état d'urgence sanitaire a pris fin le 11 juillet dernier sur l'ensemble du territoire national, à l'exception des territoires de Mayotte et de la Guyane, le Gouvernement ayant estimé que l'amélioration de la situation sanitaire ne justifiait plus le maintien d'un régime fortement attentatoire aux libertés.
Au regard des risques de recrudescence de l'épidémie et afin d'assurer une sortie maîtrisée de la crise, ce dernier a toutefois jugé souhaitable, conformément aux recommandations du Conseil scientifique Covid-19, de continuer à mobiliser, après cette date, certains des outils mis en place pendant l'état d'urgence sanitaire . Il s'agissait, selon lui, de conserver « la faculté de prescrire des mesures visant à prévenir et, le cas échéant, à maîtriser au mieux une dégradation de la situation sanitaire » 1 ( * ) .
À cette fin, la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire a créé un régime transitoire qui, du 11 juillet au 30 octobre 2020, maintient dans les mains du Premier ministre des prérogatives exorbitantes de droit commun « aux seules fins de lutter contre l'épidémie de covid-19 ».
Ces prérogatives reprennent, en grande partie, celles du régime de l'état d'urgence sanitaire prévues à l'article L. 3131-15 du code de la santé publique. Elles excluent toutefois toute possibilité pour le Gouvernement de procéder à un confinement généralisé de la population .
Les prérogatives du Premier ministre dans le
cadre du régime transitoire
créé par la loi du 9
juillet 2020
L'article 1 er de la loi du 9 juillet 2020 autorise le Premier ministre à :
- réglementer la circulation des personnes et des véhicules, ainsi que l'accès et l'usage des moyens de transport collectif ;
- interdire ou restreindre les déplacements par voie aérienne ou maritime, à l'exception des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé ;
- réglementer l'ouverture au public des établissements recevant du public et des lieux de réunion, à l'exception des lieux d'habitation ;
- réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public ;
- imposer aux personnes souhaitant se déplacer par transport aérien de présenter le résultat d'un test de dépistage avant leur départ 2 ( * ) .
Des prérogatives renforcées ont également été prévues par le législateur de manière à permettre la gestion des « clusters » . L'article 1 er de la loi du 9 juillet 2020 autorise ainsi le Premier ministre, dans les « parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus », à prendre des mesures plus restrictives de libertés, à savoir :
- interdire la circulation des personnes et des véhicules, prérogative qui ne saurait toutefois aller jusqu'au confinement de la population ;
- fermer provisoirement certaines catégories d'établissements recevant du public.
De même que dans le régime de l'état d'urgence sanitaire, il est prévu que le Premier ministre puisse habiliter les préfets à décider eux-mêmes des mesures sur le territoire de leur département, ainsi qu'à prendre toutes les décisions générales et individuelles d'application des mesures qu'ils édictent.
Saisi a priori de la loi du 9 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions de ce régime transitoire qu'il a été amené à examiner 3 ( * ) .
2. Des mesures progressivement renforcées et, pour l'essentiel, territorialisées
Ce nouveau cadre juridique a permis à l'exécutif d'accompagner un retour au droit commun, tout en continuant à prescrire des mesures préventives destinées à éviter une perte de contrôle de la propagation de l'épidémie, dans une période estivale par nature sujette à des mouvements importants de population.
Cette stratégie s'est appuyée à la fois sur des mesures de portée générale, d'application nationale, et sur des mesures d'application locales, prescrites par les préfets.
• Les mesures générales ont été déclinées dans le cadre du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 4 ( * ) .
Celui-ci a été modifié et complété à 11 reprises 5 ( * ) depuis son entrée en vigueur, notamment en vue de répondre à l'évolution de la situation sanitaire et de faire face à l'apparition de clusters et à l'accélération de la circulation du virus dans certains territoires.
C'est ainsi qu'aux mesures initialement prescrites par le Gouvernement ont par exemple été ajoutées l'obligation du port du masque dans tous les lieux clos accueillant du public 6 ( * ) , l'obligation de présentation d'un test de dépistage pour toute personne arrivant ou quittant le territoire national par voie aérienne 7 ( * ) ou encore la réglementation de l'accès aux établissements d'enseignement scolaire 8 ( * ) .
Mesures générales prescrites par le
Premier ministre
au titre du régime de sortie de l'état
d'urgence sanitaire
(décret du 10 juillet 2020)
Au 7 octobre 2020, le décret du 10 juillet 2020 prévoyait notamment les mesures générales suivantes :
- l'interdiction, pour une durée non définie dans le temps, des rassemblements de 5 000 personnes et plus, sauf dérogation accordée par le préfet ;
- l'obligation de déclaration au préfet des rassemblements, réunions ou activités se déroulant sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, qui rassemble de manière simultanée plus de 10 personnes ;
- l'obligation du port du masque dans certains lieux (établissements publics clos, transports en commun, écoles, lieux de culte, etc. ) ;
- la fermeture des salles de danse (discothèques en particulier) ;
- la réglementation de l'ouverture et de l'accès du public dans les établissements recevant du public (enseignement, les restaurants et débits de boissons, salles de sport et stade, salles de spectacles et cinémas, etc .) ;
- l'obligation pour les personnes se déplaçant par voie aérienne à présenter le résultat d'un test de dépistage au départ ou à l'arrivée sur le territoire national ;
- la réglementation de l'usage des transports publics ;
- l'interdiction des déplacements aériens vers et depuis certains territoires ultramarins (Guyane, Mayotte, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna) ;
- des restrictions à la circulation des navires de croisière et des bateaux de passagers dans les eaux territoriales françaises ;
- les conditions de mise en quarantaine et de placement à l'isolement.
En outre, la liste des zones de circulation active du virus a été progressivement complétée, rendant possibles, dans les 74 départements aujourd'hui concernés , des restrictions plus importantes à la circulation des personnes et des véhicules ainsi qu'en matière d'ouverture des établissements recevant du public.
• La logique de différenciation territoriale qui avait guidé la stratégie de déconfinement à compter du 11 mai a continué à prévaloir pendant cette période transitoire .
En complément des dispositions de portée générale, de nombreuses mesures ont ainsi été prises directement par les préfets, y compris dans la période la plus récente qui s'est caractérisée par la généralisation et le durcissement des restrictions imposées à la population.
Ceux-ci se sont en effet vus déléguer des prérogatives étendues, plus particulièrement dans les zones de circulation active du virus, dans le but d'adapter le cadre réglementaire à la situation sanitaire de chaque territoire. Parmi celles-ci figurent notamment la possibilité :
- de rendre le port du masque obligatoire dans les lieux publics extérieurs ;
- d'interdire les rassemblements sur la voie publique ;
- de réserver à certaines heures l'accès aux transports collectifs à certaines catégories de voyageurs ;
- de fermer certaines catégories d'établissement recevant du public dans les zones actives de circulation du virus, d'interdire les déplacements au-delà d'un rayon de 100 km, de restreindre les conditions de déplacement, d'interdire la tenue des marchés ou de suspendre certaines activités ;
- d'interdire la tenue des marchés et l'accès aux parcs, jardins, plages et lacs ;
- d'interdire l'accès aux lieux de culte en cas de mesures sanitaires insuffisantes.
Au total, entre le 11 juillet et le 28 septembre 2020, 3 770 arrêtés préfectoraux ont été pris en application du décret du 10 juillet 2020, dont une très grande majorité avait pour objet de rendre le port du masque obligatoire dans l'espace public (2 649 arrêtés, soit environ 80 % du total des arrêtés prescrits au niveau national).
Les autres décisions ont consisté, pour la majeure partie d'entre elles, à prononcer des fermetures administratives d'établissements recevant du public (en particulier, réglementation des horaires d'ouverture, voire fermeture, des bars et restaurants dans les zones placées en alerte maximale) ou à interdire des rassemblements de plus de dix personnes .
Répartition des arrêtés préfectoraux, par objet
• Enfin, parallèlement aux mesures prises sur le fondement du régime transitoire de la loi du 9 juillet 2020, certaines des mesures en vigueur pendant l'état d'urgence sanitaire ont été maintenues après le 10 juillet, sur le fondement de dispositions législatives de droit commun .
Il en a notamment été ainsi des mesures de quarantaine et de placement à l'isolement, des mesures de réquisition, des mesures visant à permettre la mise à disposition de médicaments ainsi que de diverses mesures tendant à adapter l'organisation et le fonctionnement du système de santé, qui ont été prises sur le fondement des articles L. 3131-1 et suivants du code de la santé publique, qui attribuent au ministre de la santé des prérogatives spécifiques en cas de menace sanitaire grave .
3. La situation spécifique de la Guyane et de Mayotte
L'article 2 de la loi du 9 juillet 2020 a prorogé, jusqu'au 30 octobre inclus, l'application du régime de l'état d'urgence sanitaire à Mayotte et en Guyane, tenant compte d'une situation sanitaire encore dégradée dans ces territoires.
Ces deux collectivités se sont donc vues imposer des restrictions beaucoup plus fortes que sur le reste du territoire national, en particulier s'agissant des fermetures d'établissements recevant du public, de l'interdiction de certaines activités et de l'usage des moyens de transport.
Par un décret en Conseil des ministres du 16 septembre 2020, le Gouvernement a toutefois mis un terme, de manière anticipée, à l'état d'urgence sanitaire dans ces deux territoires , tenant compte de l'amélioration de la situation épidémiologique.
À compter de cette même date, le régime transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire a pris le relais. Les deux collectivités ont toutefois été placées en zone de circulation active du virus de manière à maintenir, aux mains du préfet, des prérogatives étendues.
* 1 Étude d'impact du projet de loi.
* 2 Sont exemptées de cette obligation les personnes se déplaçant depuis une collectivité d'outre-mer vers le territoire métropolitain.
* 3 Dans sa décision n° 2020-803 DC du 9 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions de l'article 1 er de la loi portant sur la restriction de la circulation des personnes et des véhicules, la fermeture des établissements recevant du public et la réglementation des rassemblements et activités sur la voie publique. Les autres dispositions n'ont pas fait l'objet d'un examen.
* 4 Décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé.
* 5 Nombres de modifications au 7 octobre 2020.
* 6 Décret n° 2020-884 du 17 juillet 2020 modifiant le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé.
* 7 Décret n° 2020 du 27 juillet 2020 modifiant le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé.
* 8 Décret n° 2020-1096 du 28 août 2020.