C. LE PROGRAMME 135 : LA POLITIQUE DU LOGEMENT SOCIAL DEMEURE EN DEÇA DE SES OBJECTIFS

Le programme 135 porte notamment les crédits consacrés aux aides à la pierre .

Il relève d'une gestion budgétaire atypique , de sorte que le montant des crédits indiqué dans les documents budgétaires donne une vision peu exacte de l'effort réel des politiques de l'État en faveur de la construction et de la rénovation de l'habitat.

1. Les crédits consommés sont très supérieurs à l'effort réel de l'État

Les crédits consommés en 2019 sur le programme 135 ont été de 688,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 644,7 millions d'euros en crédits de paiement.

Ces montants donnent toutefois une vision exagérée de l'effort budgétaire de l'État en 2019 en faveur des politiques portées par le programme 135. Les crédits consommés sont en effet supérieurs aux crédits ouverts en loi de finances initiale de près de 300 % en autorisations d'engagement et de plus de 200 % en crédits de paiement.

Exécution des crédits du programme 135 en 2019

(en millions d'euros)

En autorisations d'engagement

En crédits de paiement

FDC et ADP : fonds de concours et attributions de produits.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

L es crédits consommés sont en effet dus pour une large part aux fonds de concours : ceux-ci représentent 69,7 % des crédits ouverts en crédits de paiement, en ajoutant 155,0 millions d'euros de fonds de concours reportés depuis l'exercice précédent sur 2019 (sur un total de 163,4 millions d'euros reportés) aux 471,9 millions d'euros de fonds de concours nouveaux versés en 2019 sur le programme.

En outre 250,8 millions d'euros, soit 27,9 %, des crédits de paiement ouverts, sont reportés à l'exercice suivant, dont la plus grande part, soit 242,4 millions d'euros, au titre des fonds de concours.

Ces particularités de l'exécution budgétaire sont liées en premier lieu au désengagement de l'État dans le financement des aides à la pierre portées par l'action 01 « Construction locative et amélioration du parc » du programme 135, dont les crédits budgétaires votés en loi de finances initiale n'étaient que de 20 millions d'euros.

L'État ne contribue en effet plus au financement des aides à la pierre , centralisées au niveau du fonds national des aides à la pierre (FNAP). Ce fonds est donc financé pour l'essentiel par des cotisations des bailleurs sociaux, mais les sommes qu'il centralise transitent par le budget général de l'État sous forme de fonds de concours, à hauteur de 467,7 millions d'euros en 2019, afin de permettre leur répartition ultérieure au niveau des services déconcentrés de l'État.

Quant au niveau très élevé des reports, il est lié à la mise en oeuvre de la « règle d'or » du FNAP 67 ( * ) selon laquelle de nouvelles opérations ne peuvent être engagées qu'à hauteur du montant total des versements effectués par le fonds au programme 135.

Cette règle de bonne gestion permet de stabiliser le montant des restes à payer, qui est d'un niveau d'environ 2 milliards d'euros depuis 2015. Toutefois, elle a pour effet de décorréler le montant des crédits de paiement versés par le FNAP des besoins réels de paiement des dossiers en stock, d'où la nécessité de reporter en fin d'année un montant élevé de crédits de paiement.

Le rapporteur spécial souligne que cette situation nuit à la transparence du suivi budgétaire du programme 135 . Sans nécessairement supprimer la règle d'or qui garantit la soutenabilité du programme, une adaptation des procédures devrait être envisagée, par exemple, comme le propose la Cour des comptes, en maintenant les crédits de paiement dans le FNAP qui les verserait au programme 135 en fonction des besoins.

L'État ne contribuant plus au financement des aides à la pierre, les crédits proprement budgétaires du programme 135 portent sur les autres actions et notamment sur la participation au financement de la rénovation thermique des logements privés, mise en oeuvre par l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

2. L'activité de l'Anah s'est considérablement développée en 2019

L'Agence nationale pour l'habitat (ANAH) est un opérateur doté en 2019 de 110 millions d'euros de crédits budgétaires en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, mais majoritairement financé par le produit de la mise aux enchères des quotas carbone qui lui a rapporté 420 millions d'euros, plafond au-delà duquel le produit de cette taxe revient au budget général de l'État. Ce plafond a été atteint dès la mi-juillet 2019 en raison d'un prix moyen du carbone élevé.

L'ANAH a disposé en 2019 de ressources égales à 665 millions d'euros, dont 481 millions d'euros de taxes affectées 68 ( * ) , 110 millions d'euros de crédits budgétaires, 13,7 millions d'euros de subventions et produits divers et 160,2 millions d'euros de contributions des fournisseurs d'énergie et de GRDF. Ses dépenses ont été de 634 millions d'euros, dont 611 millions d'euros de dépenses d'intervention.

S'agissant de la rénovation thermique des logements , les objectifs fixés par l'Anah étaient de financer la rénovation énergétique de 75 000 logements, répartis entre les dispositifs « Habiter mieux Sérénité » (bouquet de travaux) et « Habiter mieux Agilité ».

Le dispositif « Habiter mieux Agilité » a connu un développement massif et imprévu , en raison de l'intérêt qu'a représenté la conjonction entre cette aide et l'aide « CEE coup de pouce », diminuant fortement le reste à charge pour les particuliers lors d'un changement de chaudière : le nombre de logements financés à ce titre a été de 68 464 en 2019, pour un coût de 265,6 millions d'euros, contre une prévision de 15 000 logements et un coût de 54 millions d'euros. Les besoins supplémentaires ont été couverts en partie par des redéploiements mais ont dû faire l'objet d'un budget rectificatif de l'Agence, qui a augmenté les autorisations d'engagement de 50 millions d'euros et les crédits de paiement de 50 millions d'euros.

L'année 2020 marque un nouveau développement de l'activité de l'ANAH avec la transformation du crédit d'impôt transition énergétique (CITE) en une prime gérée par l'Agence.

3. La politique du logement social ne parvient pas à assurer une fluidité suffisante du parc de logements

En 2019, 105 491 logements sociaux ont été agréés hors périmètre couvert par l'Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), soit 85 % seulement de l'objectif fixé, en diminution de plus de 3 000 logements par rapport au nombre de 108 612 agréments atteint en 2018.

La diminution se concentre sur les logements les plus sociaux , à savoir ceux financés par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) ou un prêt locatif à usage social (PLUS), tandis que le nombre de logements financés par un prêt locatif social (PLS) progresse légèrement.

Agréments de logements sociaux en 2018 et 2019

(en nombre de logements)

Source : commission des finances, à partir de la note d'exécution budgétaire 2019 « Cohésion des territoires de la Cour des comptes

Les indicateurs associés au programme 135 permettent de constater une performance insuffisante de la politique de logement social .

La pression de la demande sur le logement social , mesurée par l'indicateur 1.1 « Fluidité du parc de logements sociaux », se traduit par une augmentation de la demande non satisfaite de logements sociaux au cours des années passées. Cette augmentation est particulièrement nette en zone A, c'est-à-dire dans les grandes métropoles.

Il en ressort une efficacité insuffisante de la politique de recentrage de l'offre sur les zones tendues qui a pourtant été menée depuis 2018, en notant toutefois que le temps de réalisation des programmes entraîne un décalage entre la prise de décision et ses effets.

Évolution de la pression sur le logement social (indicateur 1.1)

(ratio)

L'indicateur correspond au rapport, dans chacune des zones A, B1, B2 et C définies pour le zonage du dispositif fiscal en faveur de l'investissement locatif, entre le nombre de demandeurs de logement social en fin d'année et le nombre de relogements de demandeurs au cours de l'année (hors mutations internes).

Source : commission des finances, à partir du rapport annuel de performances

Les cibles fixées pour 2020 , qui correspondraient à une forte diminution de cette pression dans toutes les zones, paraissent irréalistes compte tenu de l'évolution à la hausse passée. En outre, la crise sanitaire - qui ne pouvait bien entendu pas être prévue au moment de l'élaboration du budget - devrait entraîner une nouvelle hausse de la pression sur le logement social, par le ralentissement de la livraison de logements neufs ou rénovés mais surtout, à court et moyen terme, par l'accroissement de la demande qui résultera probablement des difficultés rencontrées par certains locataires du parc privé.

Le même indicateur mesure également le taux de mobilité dans le parc social , qui est particulièrement faible dans les grandes métropoles (zone A). Cette situation n'est pas satisfaisante car elle réduit les possibilités pour les nouveaux arrivants ou les nouveaux demandeurs d'obtenir un logement social.

Taux de mobilité dans le parc social (indicateur 1.2)

(ratio)

L'indicateur correspond au rapport, dans chacune des zones A, B1, B2 et C, entre le nombre d'emménagements et le nombre total de logements locatifs.

Source : commission des finances, à partir du rapport annuel de performances

Les zones moins tendues connaissent elles-mêmes une diminution du taux de mobilité, dont la chute marquée en zone C (- 2,56 % en 2019) n'est pas expliquée.

Les autres indicateurs de performance renforcent le constat d'une performance insuffisante de la politique du logement social , tout particulièrement dans les zones les plus denses :

- les zones A et B1 représentent 71 % des logements sociaux financés, alors que la cible est de 77 % (indicateur 1.2) ;

- 70 % seulement des personnes ayant reçu une décision de logement favorable accordée par les commissions DALO 69 ( * ) ont été effectivement logées en 2019, contre 88,2 % en 2017 et 77,8 % en 2018 (la cible étant de 100 %). Ce nombre n'inclut pas les personnes réorientées vers un hébergement (indicateur 1.3) et résulte de l'augmentation du nombre des décisions favorables ;

- 14,5 % seulement des logements sociaux hors QPV 70 ( * ) ont été dédiés en 2019 à des demandes du premier quartile de ressources ou à des personnes relogées dans le cadre d'une opération de renouvellement urbain, alors que la cible est fixée à un niveau manifestement très élevé de 22 % (indicateur 1.4).

L'examen de ces indicateurs montre la nécessité de poursuivre la politique de production de logement social, tout particulièrement dans les zones tendues où le niveau de tension du logement social atteint un niveau préoccupant .

Par ailleurs, sur le plan méthodologique, il est permis de s'interroger , comme le font les acteurs de l'habitat, sur le recours au zonage A, B, C pour mesurer les indicateurs de pression sur le logement social . La hausse de la demande de logement pour les personnes âgées, par exemple, est liée au facteur démographique plus qu'à la tension du marché locatif.

Enfin, la mise en oeuvre de l'article 55 de la loi SRU 71 ( * ) montre la difficulté pour les communes à réaliser les objectifs de construction de logement sociaux qui leur sont assignés, tout particulièrement celles soumises au taux de 25 %.

Nombre de communes soumises aux taux
de 20 % et de 25 % (indicateur 2.1)

(en nombre de communes)

L'indicateur correspond au nombre de communes soumises à l'article 55 de la loi SRU, selon que leur taux légal est de 20 % ou de 25 %.

Source : commission des finances, à partir du rapport annuel de performances

Si la stabilité de l'indicateur 2.1 en 2019 est temporaire dans la mesure où le périmètre des communes soumises aux obligations sera révisé au début de la nouvelle période triennale 2020-2022, le Gouvernement reconnaît lui-même dans le rapport annuel de performance que des communes déficitaires rencontrent des difficultés pour atteindre leurs objectifs triennaux , tendance qui va s'accentuer à mesure que l'échéance 2025 approche.


* 67 Article R. 435-3 du code de la construction et de l'habitation.

* 68 Outre une fraction du produit des mises aux enchères des quotas carbone, plafonnée à 420 millions d'euros, l'ANAH a reçu le produit de la taxe sur les logements vacants à hauteur de 61 millions d'euros.

* 69 Droit au logement opposable.

* 70 Quartier prioritaire de la politique de la ville.

* 71 Loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

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