B. AMÉLIORER LES INFORMATIONS SUR LES PERFORMANCES ATTEINTES ET RECOURIR DAVANTAGE AUX APPELS À PROJETS POUR CONTRER LA LOGIQUE D'ABONNEMENT AUX AIDES
L'évaluation à mi-parcours du programme national de développement agricole et rural réalisée par le CGAAER publié en 2017 avait formulé 7 recommandations déclinées en une quarantaine de suggestions d'actions concrètes.
Les rapporteurs spéciaux saluent cette initiative qui permet de disposer d'une visibilité renforcée sur les difficultés à surmonter pour améliorer la portée du PNDAR et la contribution des interventions du CAS à son succès.
Ils appellent à ce que l'évaluation ne reste pas sans suite.
Ils étendent cette recommandation aux conclusions d'un audit plus récemment publié du PNDAR, même si certains aspects de cet audit méritent sans doute quelques compléments d'analyse.
L'audit du CGAAER sur le PNDAR
Un audit du programme national de développement agricole et rural publié par le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, auquel notre collègue Françoise Lavarde a prêté son concours, a été publié en décembre 2019.
Il fait ressortir, après avoir observé que le développement agricole et rural ne fait l'objet d'aucune définition précise, un défaut majeur de cohérence entre les différents instruments pouvant être vus comme concourant à ce dernier de sorte qu'in fine le PNDAR apparaît plutôt comme une superposition de dispositifs peu coordonnés entre eux que comme une politique publique dotée d'objectifs identifiables et de moyens intégrés les uns avec les autres. Cette situation est aggravée par la multiplicité des niveaux d'intervention (Europe, échelon central avec une pluralité de ministères et d'opérateurs plus ou moins pilotés par les services ministériels, régions, intervenants de terrain...).
L'audit en conclut que les processus d'innovation, notamment dans le vaste domaine de la transition agro-écologique, qui réclament une mobilisation des parties prenantes et des diffusions de méthodes et de bonnes pratiques sont affectés d'une certaine inefficacité.
En conséquence, la mission d'audit a pu recommander :
- que les financements soient orientées vers des actions tendant à la re-conception des systèmes de production, la promotion de démarches partenariales ou appuyées sur des agriculteurs innovants, une capitalisation des résultats aux fins d'en assurer la diffusion ;
- une réorganisation profonde de la gouvernance du PNDAR passant par l'implication du conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire et par une réunification de sa gestion au sein d'une seule direction ministérielle moyennant une déconcentration réalisée à l'échelle des directions régionales de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt susceptible de simplifier la mise en oeuvre des appels d'offre axés sur les deux objectifs traditionnels de l'innovation-partenariat et de la recherche-technologie .
La mission considère au surplus que la certification haute valeur environnementale devrait devenir l'indicateur central de la réussite du PNDAR mais également qu'il convient de maintenir des structures nationales et régionales qualifiées, bénéficiant de financements pluriannuels sur la base de programmes s'appuyant sur les orientations stratégiques, de structurer le volet des appels à projets autour de quatre axes (trois appels à projets thématiques), et un appel à projets blanc ou permettant des projets commissionnés, et, enfin, de conforter la cellule Recherche - Innovation - Technologie en lui accordant des financements et des moyens humains pour la réalisation de synthèses nationales ou le repérage de solutions innovantes.
Globalement, une complexification est intervenue au fil du temps. Fin 2018, les financements associés au PNDAR se répartissaient entre 18 dispositifs, certains ne mobilisant que 2 millions d'euros. La direction générale de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'agriculture et de l'alimentation justifie ce foisonnement des dispositifs et procédures par la nécessité, en réponse aux recommandations de la Cour des Comptes, de consacrer une part toujours plus large des financements à des appels à projets (AAP). On ne peut se déprendre également que le PNDAR en sa gestion reflète une logique de saucissonnage destinée à soutenir le plus possible d'intervenants.
Par ailleurs on a assisté à l'élargissement substantiel des acteurs du PNDAR avec désormais 17 organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR) lauréats de l'AAP réseaux mixtes thématiques (RMT) de 2014 et le financement direct de structures locales de développement au travers des dispositifs « assistance technique régionalisée » (ATR) et «génétique animale ».
En ce qui concerne l'apport du CASDAR au PNDAR, la mission a relevé que la concertation nationale sur la priorisation des objectifs et des soutiens du PNDAR qui est appelée à mobiliser la contribution de l'État, des organisations professionnelles agricoles et des autres personnes concernées, en particulier les collectivités territoriales (article L 820-1 du code rural et de la pêche maritime) continue à être localisée dans la commission technique spécialisée du développement agricole et rural du conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire (CT-CSO DAR) qui n'accueille pas d'autres intervenants que l'État et les principales organisations professionnelles agricoles.
Cette structuration centrale quelque peu « exclusive » se double d'une structure régionale au sein de la commission régionale de l'économie agricole et du monde rural qui abrite une instance d'orientations et de suivi du projet agro-écologique pour la France, instance importante puisqu'elle traite le projet agro-écologique et les différents programmes associés (dont Ecophyto) et instruit en pratique les dossiers de constitution des groupements d'intérêt économie et environnemental (GIEE), mais qui se trouve quelque peu concurrencée, selon la mission, par d'autres circuits (celui centré autour de la chambre régional d'agriculture qui accueille le préfet de région et le président de région mais avec voix consultative seulement et élabore le programme régional de développement agricole et rural dans le cadre du comité d'orientation recherche développement formation de la chambre régionale d'agriculture). Quant au CASDAR, il est seulement précisé qu'un comité État-région est chargé de développer les synergies entre les fonds européens et les subventions du CAS « en particulier en faveur du soutien à des dynamiques territoriales innovantes conduites en multi partenariat ».
Compte tenu de la multiplicité des intervenants et malgré le développement des interventions conduites en multi-partenariats, l'impression subsiste d'une assez faible coordination active entre les différents acteurs de la recherche développement et entre les projets soutenus par la CASDAR et les subventions aux exploitations en provenance des différents financeurs.
En l'état, la justification au premier euro des deux programmes du CASDAR présente, une fois de plus, un caractère lacunaire .
Pour le programme 775 , le rapport annuel de performances ne fournit pas d'information suffisamment détaillée sur l'utilisation des crédits destinés au réseau des chambres d'agriculture , à la fédération des coopératives agricoles et aux organismes nationaux de vocation agricole et rurale (ONVAR) .
L'indicateur utilisé consiste à suivre les effectifs desdits organismes consacrés par eux à atteindre les grands objectifs du programme national de développement agricole et rural. On se doute bien que là est leur pente naturelle et qu'il n'est pas très difficile de fournir au logiciel censé accueillir les déclarations des organismes les données permettant d'extérioriser des résultats probants.
On relèvera pour mémoire que les organismes dont s'agit (qui agrègent une série d'entités sans vraie commensurabilité) indiquent consacrer près de 70 % de leurs effectifs aux thématiques du PNDAR, ce qui, compte tenu du caractère très « inclusif » des thématiques en question ne livre strictement aucun enseignement sur l'efficacité des soutiens attribués par le programme 775.
Il résulte de ce manque d'information une impossibilité de savoir si les crédits du programme servent aux projets de développement plus qu'aux structures qui sont censées les porter.
Le ministère de l'agriculture indique procéder à des évaluations des actions financées par le truchement du compte mais, outre que cette évaluation paraît orientée plutôt vers un contrôle de conformité que vers une évaluation des impacts seule à même de fonder une appréciation de la valeur ajoutée des financements publics, le programme ne comporte aucun indicateur permettant d'en rendre compte .
Cette lacune doit être corrigée , objectif fixé par les rapporteurs spéciaux d'autant plus aisément atteignable que le ministère de l'agriculture publie un compte rendu d'activité du CASDAR riche en informations sur les programmes soutenus mais qu'il conviendrait de compléter par l'adoption d'une démarche évaluative.
Les rapporteurs spéciaux relèvent avec satisfaction l'orientation consistant à développer des « projets pilotes régionaux » destinés à l'animation des groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) faisant intervenir les partenaires de terrain et pouvant favoriser, de ce fait, un effet de levier susceptible de démultiplier les moyens consacrés à chaque projet. Cette évolution correspond par ailleurs à l'esprit même des interventions financées par le programme qui porte notamment sur la diffusion de bonnes pratiques à partir de pilotes.
Il restera à vérifier que l'émergence d'une matrice régionale débouchera effectivement sur un renforcement des ressources et qu'elle aboutira à la préservation des équilibres locaux d'intervention du CASDAR .
En tout cas, il convient de veiller à ce que l'affirmation de l'échelon régional n'éloigne par trop les interventions opérationnelles du terrain, qui est par nature, très local et qu'il ne débouche pas sur une multiplication des « guichets » et l'éclatement des conditionnalités d'accès, travers qui pourraient alourdir considérablement la gestion de projets qui doivent être efficaces.
Quant au développement des conventions avec les ONVAR 47 ( * ) , présenté par le ministère de l'agriculture comme correspondant à l'émergence d'un « CASDAR-ONVAR », si l'on peut y voir une diversification bienvenue des partenariats mobilisés par le dispositif, il est regrettable que la communication du ministère aille jusqu'à suggérer qu'une sorte de droit de tirage automatique puisse lui être associé .
L'élaboration d'un véritable projet national d'optimisation agro-économique des exploitations agricoles doté des moyens et d'une gouvernance adaptée s'impose. Il faut aujourd'hui dissiper l'éclatement des actions entreprises en ce domaine dont témoigne l'agencement des ressources du ministère de l'agriculture qui couvrait une dispersion budgétaire trop forte des moyens et de leur gestion (voir, à ce propos, la superposition des crédits dans les différents programmes de la mission AAFAR et dans le CASDAR).
S'agissant du programme 776 , l'information est, là aussi, insuffisante.
Le RAP décrit insuffisamment les projets sélectionnés dans le cadre des procédures d'appel à projets et les actions d'accompagnement thématiques innovantes .
Pour le programme 776 , l'indicateur unique 48 ( * ) se décline en deux sous-indicateurs de moyens : le premier repose sur la « part des financements portant principalement sur des problématiques de développement durable pour la compétitivité de l'agriculture » et le second sur la « part de financements impliquant une unité mixte technologique (UMT) ou un réseau mixte thématique (RMT) » rapportés à l'ensemble des financements du programme.
Au regard des cibles, les résultats visés sont mieux qu'atteints en 2019.
Néanmoins, la significativité du premier sous-indicateur n'est guère satisfaisante. Il n'est pas difficile de « verdir » des projets de recherche appliquée quand les objectifs du PNDAR sont énoncés en des termes tellement généraux que leur référentiel comporte une élasticité si forte qu'il est sans lisibilité autre que conjecturale.
Les rapporteurs spéciaux attendent davantage de précisions dans l'énoncé et le suivi des objectifs poursuivis.
Ce n'est pas trop demander que le ministère de l'agriculture s'attache à restituer les résultats des recherches appliquées financées par les exploitations agricoles, qui, de leur côté, ont droit à cette information.
Parmi les constats réalisés dans le cadre de l'évaluation du PNDAR évoquée plus haut il était mentionné que l'articulation entre le FEADER et le CAS restait à réaliser .
Cette observation semble pouvoir être étendue aux contreparties nationales du FEADER financées par la mission AAFAR.
À l'heure où la thématique de l'agro-écologie oriente fortement les choix publics dans le domaine de l'agriculture, il est nécessaire de renforcer la programmation de la recherche, ce qui passe par une information plus satisfaisante du Parlement.
Toujours, en ce sens , les rapporteurs spéciaux, prenant acte de la priorité accordée au développement de l'agriculture sous mode de production biologique, souhaitent appeler l'attention sur la nécessité de renforcer les capacités d'action de l'Institut technique de l'agriculture biologique, organisme transversal dont la spécificité mérite d'être défendue dans un oekoumène de la recherche appliquée par ailleurs riche de ses instituts techniques de filières, d'autant que les contributions des agriculteurs passés au bio aux recettes du CAS sont en expansion.
À cet égard, il convient d'être particulièrement attentif aux conditions d'exécution des engagements pris dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire de l'ITAB, qui a été l'un des événements majeurs de l'année 2019.
Cet événement constitue l'un des symptômes d'un dysfonctionnement du programme Ambition bio 2022 par ailleurs évoqué dans la présente contribution.
Interrogé sur ce point par le rapporteur spécial Yannick Botrel, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation dans la séance publique tenue au Sénat le 20 février 2020 s'est borné à mentionner le soutien de 1 million d'euros attribué à l'ITAB (soutien à mettre en perspective avec les 71 millions d'euros budgétés sur le programme 776).
Or, il semble que l'accord de sortie de redressement judiciaire prévoyait encore l'attribution d'une majoration de 25 % de cette dotation destinée à prévenir de nouveaux licenciements dans cette structure.
Les rapporteurs spéciaux demandent solennellement les clarifications qu'impose cette situation, dont il n'y a pas lieu de rappeler que les événements en cours constituent un lourd facteur d'aggravation.
Enfin, il faut constater la portée seulement relative de la montée en charge des appels à projets.
La Cour des comptes dans la note d'exécution budgétaire mentionnée en fait ressortir le poids encore très relatif dans les dépenses du programme 775 (19 %) et la très grande dispersion avec pour incidence la modestie des mises de fonds.
Appels à projets du programme 775
Source : Cour des comptes
Elle met en regard de ces allocations de fonds, les abondements reconduits d'une année sur l'autre de quelques grands bénéficiaires du CASDAR.
Principaux bénéficiaires des interventions du programme 775
Source : Cour des comptes
Ces derniers soutiens ne paraissent nullement condamnables en soi. Mais, dans le cadre d'un renforcement nécessaire de la recherche, il serait sans doute utile, tout en préservant les moyens des structures d'animation, de procéder à une amplification des moyens consacrés aux appels à projet, la question de l'inégale attribution des subventions pérennes pouvant utilement faire l'objet d'une analyse.
En ce qui concerne le programme 776, la proportion des engagements sur appels à projets est sensiblement supérieure (plus du tiers des dépenses).
Les projets sont pour 65,4 % d'entre eux annuels, 33,2 % durant 3 ans ou plus.
Répartition des dépenses du programme 776 en 2019
Source : Cour des comptes
La Cour des comptes relève la concentration des attributions, observation régulièrement faite par les rapporteurs spéciaux qui, pour traduire un état de l'offre d'assistance technique, justifie une évaluation de la contribution de chacun et de ce que pourrait apporter une diversification des intervenants..
Principaux bénéficiaires des interventions du programme 776
Source : Cour des comptes
* 47 Il existe actuellement 20 ONVAR financés par le CASDAR, deux ONVAR étant présentés comme « non financés ».
* 48 L'indicateur « Part des financements correspondant aux priorités retenues pour l'évolution quantitative » correspond à la poursuite de l'objectif intitulé « Renforcer l'évolution qualitative des appels à projets et des programmes pluriannuels ».