C. UN NIVEAU DE SUBVENTIONS RIGIDE DANS UN CONTEXTE MARQUÉ PAR DES CONTRAINTES ÉCONOMIQUES FORTES

La statistique agricole, remarquablement développée sous certains angles, accuse un retard d'autant plus regrettable que le ministère de l'agriculture et de l'alimentation dispose d'un service statistique efficace et secondé par des emplois issus de l'INSEE.

L'année 2020 devait être une année de recensement agricole, mais il est à redouter que ce dernier subisse des retards.

L'agriculture française connaît une situation très tendue qui s'accompagne de mutations très profondes, dont certaines présentent des risques élevés. La population des exploitations agricoles mérite à ce titre un suivi très vigilant auquel la statistique agricole devrait prêter un concours plus continu.

De nombreuses exploitations dégagent très peu de revenus et l'âge des exploitants est souvent élevé, faisant craindre un effondrement de la base productive agricole.

Si ce dernier ne s'est pas concrétisé jusqu'à présent, la France ayant perdu beaucoup d'exploitations mais dans un contexte d'augmentation de la superficie moyenne des exploitations, les perspectives démographiques annoncent une accentuation des risques.

La capacité des aides agricoles à conjurer ces derniers semble plutôt médiocre. Les aides agricoles demeurent assez peu contra-cycliques.

Le glissement vers des concours publics à l'agriculture présentant des caractéristiques de plus en plus asymétriques (les « niches fiscales et sociales ») dans un contexte de raréfaction des aides est susceptible de créer des chocs particulièrement difficiles à surmonter pour des exploitations tirant du marché des ressources médiocres.

L'année 2019 caractérisée par une baisse de la production agricole hors subventions de 2 % a également été marquée par une baisse des subventions d'exploitation.

1. La contribution des subventions aux résultats économiques des exploitations est vitale pour de nombreuses exploitations et pleinement justifiée par les caractéristiques particulières de l'agriculture française...

Les exploitations agricoles bénéficient de soutiens publics importants.

Selon les derniers chiffres disponibles, la subvention moyenne atteignait 32 000 euros en 2016 avec une dispersion toutefois marquée.

Dans ce total, les aides liées à la politique de développement rural à laquelle la mission contribue représentent un tiers.

Orientation technique

Subvention totale moyenne par bénéficiaire en 2016 (en euros)

Subvention totale moyenne par bénéficiaire

Évolution 2015/2016*
(en %)

Part des subventions dans le total produit de l'exercice + subventions

Aides découplées : montant moyen par bénéficiaire (en euros)

Aides couplées : montant moyen par bénéficiaire (en euros)

Développement rural : montant moyen par bénéficiaire (en euros)

Céréales et oléoprotéagineux

35 519

- 9 %

23 %

28 798

2 356

5 571

Autres grandes cultures

34 872

- 11 %

15 %

31 751

2 979

10 657

Maraîchage

9 559

- 19 %

4 %

3 757

774

1 964

Horticulture

6 389

- 31 %

2 %

5 409

1 441

14 334

Viticulture

6 519

- 17 %

3 %

6 154

1 364

4 451

Fruits et autres cultures permanentes

17 870

- 7 %

9 %

9 166

7 665

5 949

Bovins lait

33 885

- 1 %

19 %

22 561

2 978

13 458

Bovins viande

46 105

1 %

39 %

21 329

11 688

12 060

Bovins mixte

47 435

- 2 %

26 %

27 854

8 409

14 464

Ovins et caprins

42 314

2 %

40 %

17 509

9 832

14 285

Porcins

20 500

- 11 %

5 %

16 698

4 283

9 395

Volailles

19 235

10 %

8 %

14 016

5 390

6 447

Granivores mixtes

35 392

- 3 %

12 %

23 953

6 209

13 436

Polyculture, polyélevage, autres

38 019

- 4 %

23 %

27 645

6 471

8 873

Total

32 068

- 4 %

21 %

23 114

5 937

11 845

* Évolutions exprimées à échantillon d'exploitations 15-16 constant - en valeurs réelles.

Note de lecture : dans les deux premières colonnes, les bénéficiaires considérés sont les exploitations agricoles bénéficiant d'au moins une subvention, quelle que soit la nature de celle-ci. En 2016, un viticulteur bénéficiaire d'au moins une subvention touche 6 50 euros d'aides en moyenne. Dans les trois dernières colonnes, les bénéficiaires sont précisément les bénéficiaires de la subvention dont le montant moyen est calculé. En 2016, un éleveur de bovins viande bénéficiaire d'une aide au développement rural touche en moyenne 12 100 euros.

Source : commission des comptes de l'agriculture

La France se singularise par une polarisation des soutiens autour des exploitations de taille moyenne 36 ( * ) du fait des caractéristiques des exploitations agricoles.

Sans ces aides, 30 % des exploitations connaîtraient un excédent brut d'exploitation négatif.

Cette proportion demeure importante après versement des subventions, mais elle n'est plus que de 6 %.

Évolution des effectifs 15-16 calculée sur échantillons complets d'exploitations par année - € courants.

Source : SSP, RICA

L'agriculture française est exposée à des contraintes économiques d'autant plus prégnantes que le modèle d'agriculture promu par la politique agricole française est diversifié et tend vers une transition agro-écologique renforcée.

2. ... mais les interventions stagnent

À cet égard, l'exécution du budget agricole en 2019, moins tributaire des chaos observés les années précédentes, conduit à retrouver, une fois dissipée l'illusion budgétaire concomitante, une déplaisante réalité, celle d'une forme de stagnation des interventions destinées à soutenir les capacités de l'agriculture française à se renforcer.

Les subventions d'exploitation de la branche agriculture

(2013-2019)

(en millions d'euros)

* Les montants sont enregistrés selon la règle des droits et obligations (montants dus), ce qui peut occasionner des différences avec les concours publics (montants versés).
** À partir de 2015, les paiements uniques de la PAC ont été remplacés par un paiement de base (2 899 millions d'euros en 2019), un paiement vert adossé au paiement de base conditionné au respect de pratiques environnementales (2 000 millions d'euros), un paiement redistributif (675 millions d'euros) qui sur prime forfaitairement les 52 premiers hectares de chaque exploitation et un paiement en faveur des jeunes agriculteurs (80 millions d'euros).

Source : service de la statistique et de la Prospective, ministère de l'agriculture, offices agricoles

Le niveau des subventions d'exploitation versées à l'agriculture s'est inscrit en baisse de 61,8 millions d'euros entre 2018 et 2019. Plus significativement encore il est inférieur à celui de 2015 (- 596 millions d'euros).

Il est bien vrai que les subventions agricoles et particulièrement les dépenses d'intervention du programme 149 sont susceptibles de plusieurs niveaux de lecture selon qu'on lisse ou non les variations accidentelles intervenues d'une année sur l'autre, selon le champ des interventions qu'on embrasse et selon le rythme des engagements.

À cet égard, force est de constater que la moyenne mobile sur trois ans est à la baisse depuis 2013.

Les facteurs baissiers ne proviennent a priori pas de la programmation initiale du Feader pour la période 2014-2020, l'enveloppe de la France ayant été portée de 7,6 milliards d'euros à 11,4 milliards d'euros, d'autant que le second pilier de la PAC auquel correspond ce fonds a été abondé en cours de gestion par des transferts provenant du premier pilier pour 7,5 % des disponibilités de la France au titre du Feaga 37 ( * ) .

Il faut ainsi plutôt les attribuer à des facteurs internes, tenant à la gestion des dotations.

On doit ici évoquer à nouveau les considérables retraits d'engagement constatés en 2018 et 2019.

Par ailleurs, même corrigée des facteurs exceptionnels tenant au rattrapage des paiements agricoles, la courbe des dépenses d'intervention du programme 149 est descendante.

Les dépenses d'intervention du programme 149 (2012-2019) 38 ( * )

(en milliards d'euros)

Source : Cour des comptes ; note d'exécution budgétaire 2019

Cette tendance entretient sans doute une relation étroite avec l'attrition de la base productive agricole. Si cette dernière est moins marquée sous l'angle des surfaces cultivées, elle a été très forte sous celui du nombre des exploitants.

De 2000 à 2010, il s'est replié de 3 % par an, puis, de 2010 à 2016, de 2 % l'an. Ce recul a principalement touché les petites exploitations (moins de 25 000 euros de production par an) qui ne représentent plus que 31 % du total (contre 36 % en 2010). En revanche, le nombre des exploitations agricoles dégageant plus de 100 000 euros de revenus était sur une pente ascendante entre 2010 et 2013 (de 110 000 à 115 000).

Dans ces conditions, la sous-exécution des crédits destinés à la dotation aux jeunes agriculteurs (- 4,6 millions d'euros en autorisations d'engagement, - 21 millions d'euros en crédits de paiement, soit pas loin de la moitié de la dotation prévue) dont une partie avait été redéployée l'an dernier vers la lutte contre la prédation du loup, dont les coûts fortement croissants n'assurent pas l'efficacité, peut être tout particulièrement déplorée.

Le RAP explique qu'il s'est agi de doter les moyens de bonifications d'intérêt dont les besoins n'avaient pas été estimés dans le projet de loi de finances initiale. Les dépenses réalisées à ce titre se sont élevées à 49,9 millions d'euros. Elles sont à peu près stables par rapport à l'an dernier, exercice pendant lequel elles avaient pu être financées par redéploiements mais également par des reports de crédits de 2017. Cette année, le poids des dépenses correspondantes a dû être supporté par les dotations de la loi de finances initiale, dont celle prévue pour la dotation aux jeunes agriculteurs.

On rappelle que les bonifications d'intérêt ne sont attribuées qu'à des installations passées, le dispositif ne présentant plus d'intérêt du fait des taux ayant été fermés. Par ailleurs, la consommation de la sous-action « dotation aux jeunes agriculteurs », en baisse par rapport à 2018, n'est pas rattachable aux différentes générations d'installation.

Dans ces conditions, la documentation budgétaire permet d'autant moins de suivre les soutiens accordés aux nouveaux exploitants que le dispositif de performance de la mission présente un indicateur reposant sur des données insuffisamment actualisées.

En toute hypothèse, la réduction du nombre des exploitants agricoles conduit à la recommandation d'un examen complet de l'aide au renouvellement de la population engagée dans la production agricole.

Évolution de la population des exploitants agricoles (2000-2016)

Source : Tableaux de l'économie française ; INSEE; 2019

Cette recommandation s'impose d'autant plus que la dotation aux jeunes agricultures semble affectée par une certaine complexité de gestion.

La dotation d'installation est une aide en trésorerie structurée autour d'un montant de base variable selon la zone d'installation (entre 8 000 euros et 36 000 euros) et d'une composante modulée en fonction de certains engagements particuliers (notamment au regard du développement de l'agro-écologie).

Les délais d'instruction peuvent être assez élevés et le niveau de la dotation (le niveau moyen de la DJA est de 28 000 euros), pour n'être pas négligeable, demeure assez modeste .

Elle n'est qu'une des composantes des aides publiques à l'installation.

Parmi celles-ci figure une dépense fiscale dont la loi de finances pour 2019 a réorganisé l'économie. Elle a recentré l'abattement fiscal dont bénéficient les jeunes agriculteurs, tout en en réduisant (du moins dans le projet initial) la contrevaleur (- 6 millions d'euros).

L'exercice 2019 ne traduit pas encore les effets de cette réorganisation (qui a débouché sur un barème aux forts effets de seuil). La dépense fiscale correspondante est estimée à 42 millions d'euros (contre 38 millions d'euros en 2018).

Les exercices à venir permettront d'estimer l'impact de la réforme.

Une dernière observation s'impose pour évoquer le glissement des interventions agricoles opéré dans le cadre de la financiarisation du budget de l'État produite par le grand plan d'investissement.

Les crédits de modernisation des exploitations agricoles correspondent de plus en plus à des dotations venant en confort de productions financières gérées par des tiers (BPI, Fonds européen d'investissement). Le suivi de l'emploi de ces dotations n'est pas restitué par la documentation budgétaire, qui se contente de relever que la consommation des crédits augmente.

Les rapporteurs spéciaux souhaitent pouvoir mesurer l'effectivité de l'emploi de ces dotations en forte hausse (103,2 millions d'euros en 2019 contre 85,4 millions d'euros en 2018).

En toute hypothèse, il est assez paradoxal de justifier la clôture du mécanisme des prêts bonifiés par son déficit de pertinence dans un contexte de faibles taux d'intérêt et d'orienter les interventions du budget agricole vers des soutiens qui, sans être totalement équivalents, reposent malgré tout sur une logique de facilitation d'accès au crédit, dont une trop faible partie de la population agricole est à même de bénéficier.

Les rapporteurs spéciaux rappellent que la justification principale du budget agricole est de fournir les bases d'une agriculture nationale diversifiée (l'agriculture française est la plus diversifiée d'Europe) et non d'être le support d'un darwinisme agricole qui affaiblirait sa vocation.

À cet égard, il faut déplorer que le sort des exploitations agricoles désormais privées du bénéfice de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels n'ait pas été réglé en 2019.


* 36 Le référé consacré par la Cour des comptes à la répartition des aides du premier pilier de la PAC n'infirme pas ce constat mais il fait ressortir d'une part le lien entre les aides versées et les surfaces (ce qui matérialise les effets d'un système largement fondé sur des aides à l'hectare) et, d'autre part, un problème d'inégalité du montant des aides à l'hectare en lien avec la cristallisation de valeurs historiques d'aides remontant à 2006. La portée redistributive de la distribution des aides se trouve naturellement modérée par le fait que les exploitations de surface importante, qui, globalement, ont des revenus supérieurs, perçoivent également plus d'aides. Mais, d'autres considérations doivent intervenir parmi lesquelles la compétitivité des exploitations, préoccupation d'autant plus forte que l'agriculture française se trouve doublement concurrencée par les agriculteurs hyper-concentrées et fortement subventionnées à ce titre de nos voisins les plus proches et à plus bas niveaux de vie de pays plus récemment entrés dans l'Union européenne.

* 37 Ce taux a fait l'objet d'une négociation et a été arrêté lors d'un comité État-Régions tenu le 29 octobre 2019.

* 38 Dans le graphique lire « ICHN 2016 » au lieu de « ICHN 2026 ».

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