B. LES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES DE LA CRISE SANITAIRE NÉCESSITENT UNE MOBILISATION ACCRUE DU BUDGET EUROPÉEN

1. L'Union européenne a adopté plusieurs mesures en urgence pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire

Outre le levier monétaire, plusieurs réponses budgétaires d'urgence ont également été apportées par la Commission européenne , telles qu'une flexibilité du régime des aides d'État 4 ( * ) , l'activation de la clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance 5 ( * ) , et plusieurs dispositifs relevant du budget de l'Union européenne.

Le 13 mars, la Commission européenne a présenté « l'initiative d'investissement en réponse au coronavirus » , dont l'objectif est de permettre de dégager rapidement des crédits européens pour financer les dépenses urgentes nécessaires pour faire face à la crise. Ce « paquet » constitue une enveloppe de 37 milliards d'euros , composée des trois volets suivants :

- l'annulation par la Commission européenne de l'obligation de rembourser les préfinancements non utilisés dans le cadre des fonds européens structurels et d'investissement (FESI) de la politique de cohésion. En effet, il incombe aux États membres de rembourser la part des préfinancements européens perçus lorsque la totalité n'a pas été dépensée, ce montant étant ensuite reversé au budget européen l'année suivante. Ainsi, sur la base des préfinancements reçus en 2019, la Commission estime que les États membres auraient dû rembourser 8 milliards d'euros environ d'ici à la fin du mois de juin 2020. Associé au cofinancement du budget de l'Union européenne, la Commission évalue à 37 milliards d'euros le montant total du soutien budgétaire issu du budget de l'Union européenne. Pour la France, il s'élève à 650 millions d'euros 6 ( * ) ;

- l 'élargissement des dépenses éligibles aux FESI. Par exemple, sont éligibles au fonds européen de développement régional (FEDER) et au fonds social européen (FSE) des dépenses de santé liées à la crise, telles que l'achat d'équipement sanitaire de protection, ou encore les dépenses de soutien aux fonds de roulement des petites et moyennes entreprises ;

- l'élargissement du champ d'action du fonds de solidarité de l'Union européenne (FSUE) pour financer des mesures liées à une crise de santé publique, à hauteur de 8 millions d'euros en 2020.

Toutefois, ce premier dispositif a fait l'objet de nombreuses critiques dans la mesure où il tend à soutenir les États membres ayant une faible absorption des crédits européens, sans lien avec le degré de gravité de l'épidémie. Si l'annulation de l'obligation de remboursement des préfinancements non utilisés permet de mobiliser rapidement des liquidités pour les États membres, elle n'apporte pas de « l'argent frais » à proprement parler.

Ce premier train de mesures a été complété le 2 avril par « l'initiative d'investissement en réponse au Coronavirus + 7 ( * ) », qui contient les principales mesures suivantes :

- la possibilité, sous certaines conditions et temporairement, de transferts entre les trois fonds de la politique de cohésion - fonds européen de développement régional (FEDER), fonds social européen (FSE) et le fonds de cohésion- et entre catégories de régions ;

- un taux de cofinancement de 100 % provenant du budget de l'Union européenne pour l'exercice 2020-2021 8 ( * ) , à la demande de l'État membre, et sous réserve des crédits disponibles ;

- l'allègement des obligations administratives liées à la gestion des fonds structurels. Par exemple, la date limite pour la présentation des rapports annuels de mise en oeuvre pour 2020 est reportée . Les exigences en matière d'audit seront également allégées, comme avec le recours élargi à la méthode d'échantillonnage non statistique qui permet de réduire le nombre d'opérations contrôlées ;

- des dispositions sectorielles, notamment avec le fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) et le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), afin d'en faciliter le recours.

Par ailleurs, la Commission a proposé l'activation de l'aide d'urgence emergency support instrument ») 9 ( * ) qui fait partie des instruments spéciaux permettant à l'Union de réagir à des circonstances imprévues.

Parallèlement à ces mesures budgétaires, l'Eurogroupe s'est accordé sur un plan de soutien de l'économie le 9 avril, entériné le 23 avril par les États membres lors du Conseil européen. Cet accord comporte les trois volets suivants :

- le recours à une ligne de crédit à conditions renforcées (« Enhanced Conditions Credit Line », ECCL ) du mécanisme européen de stabilité pour les États membres de la zone euro qui le souhaitent. L'assistance financière pourra s'élever jusqu'à 2 % du PIB de chaque État membre, soit un montant de 240 milliards d'euros si l'ensemble des États membres y recouraient. Les conditionnalités associées à l'octroi de cette ligne de crédit ont fait l'objet de nombreux débats , certains États membres craignant que son bénéfice soit conditionné à la mise en oeuvre de réformes structurelles, de nature à les « stigmatiser » sur les marchés financiers. L'Eurogroupe a finalement proposé que la seule condition requise soit d'affecter ces crédits au financement du système de santé et aux coûts résultant de la crise sanitaire ;

- la validation de la proposition de la Commission européenne d'instaurer un dispositif permettant de soutenir les aides nationales au chômage des États membres (mécanisme dit « SURE »). Ainsi, ce dispositif temporaire permettra à la Commission européenne d'emprunter jusqu'à 100 milliards d'euros grâce à la garantie des États membres, d'un montant de 25 milliards d'euros, et d'accorder des prêts aux États membres ;

- la mobilisation de la Banque européenne d'investissement (BEI) , dont les actionnaires sont les États membres de l'Union européenne, via un fonds de garantie de 25 milliards d'euros. Ce fonds permettra de garantir des prêts bancaires et d'investir dans des fonds d'investissement qui prêteront à leur tour à des entreprises européennes, pour un volume total estimé à 200 milliards d'euros .

L'enveloppe totale de ce plan de soutien s'élève ainsi à 540 milliards d'euros . Il s'agit toutefois d'un montant maximal potentiellement mobilisable , agrégeant des prêts du MES et l'effet de levier résultant de l'action de la BEI, et dans la mesure où tous les États membres ne solliciteront pas une ligne de crédit du MES, ou auront recours dans des proportions variables au mécanisme « SURE ».

2. La modification des propositions de la Commission européenne vise à tenir compte des effets économiques de la crise

Ces dispositifs visant à mobiliser de façon rapide le budget européen ont été initiés alors que les négociations relatives au CFP peinaient à trouver un accord entre les États membres. Dès le mois de mars, la Commission européenne a annoncé qu'elle présenterait de nouvelles orientations modifiant ses propositions de mai 2018 , afin d'intégrer dans le prochain budget pluriannuel de l'Union des soutiens budgétaires permettant de faire face à la crise économique.

Outre la question du CFP, celle de la mise en place d'un instrument commun d'émission de dette s'est posée dès le début de la crise sanitaire , avec pour objectif de réduire les divergences de coût de l'emprunt entre les États membres.

Ainsi, le 25 mars dernier, neuf États membres 10 ( * ) , dont la France, ont adressé un courrier à Charles Michel, président du Conseil européen, invitant à « activer tous les instruments budgétaires communs existants afin de soutenir les efforts nationaux et d'assurer une solidarité financière », notamment en travaillant à « un instrument de dette commun émis par une institution européenne pour lever des fonds sur le marché ».

Plusieurs États membres se sont fermement opposés à l'hypothèse d'une mutualisation des dettes nationales , tels que l'Allemagne, l'Autriche et les Pays-Bas, bien que les modalités pratiques d'une telle émission obligatoire commune n'aient pas encore été détaillées.

Une solution de compromis a d'abord été proposée par la France , par la voix du ministère de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, consistant à instaurer un fonds de sauvetage européen dédié au financement des réponses à la crise économique et sanitaire. Il était proposé que ce fonds puisse émettre des titres de dettes communs, pouvant être financé par les contributions des États membres ou l'affectation du produit d'une taxe européenne 11 ( * ) .

Le Conseil européen du 23 avril a acté le principe de la mise en oeuvre d'un fonds de relance , en précisant qu'il devra être intégrer au CFP 2021-2027 , et qu'il revient à la Commission européenne de présenter une proposition sur les principales caractéristiques de ce fonds et de son articulation avec le CFP 2021-2027.

L'intégration de cet instrument de relance au prochain CFP permet de mener de front les deux négociations dont les enjeux sont nécessairement interdépendants. Toutefois, le rapporteur constate qu'en liant leurs sorts, les négociations sur le budget pluriannuel intègrent une nouvelle exigence, alors même que les deux dernières années de discussion n'avaient pas permis de trouver un compromis satisfaisant .

Sans attendre les propositions de la Commission européenne, le Parlement européen a adopté une résolution le 15 mai dernier , précisant sa position relative à la définition de ce fonds de relance 12 ( * ) . Les députés européens se sont ainsi exprimés en faveur d'un fonds s'élevant à 2 000 milliards d'euros, intervenant principalement sous forme de subventions, sur le modèle du fonctionnement actuel des fonds européens, tout en acceptant qu'il puisse intervenir sous forme de prêts.

Le rapporteur note que la résolution adoptée par les députés européens est particulièrement critique vis-à-vis de la communication de la Commission européenne sur les montants annoncés . Ainsi, les députés européens mettent en garde la Commission européenne « contre le recours à la magie financière et à des multiplicateurs douteux pour donner une publicité à des chiffres ambitieux ». Le rapporteur partage pleinement l'analyse des députés européens qui appellent à la vigilance vis-à-vis des « effets d'annonce », et à distinguer les propositions budgétaires qui constituent de l'argent « frais », de celles qui permettent un effet de levier en matière d'investissement .

Enfin, la publication des nouvelles orientations de la Commission européenne ont été précédées par la présentation de l'initiative franco-allemande pour la relance le 18 mai dernier. En formalisant une position commune sur les contours du fonds relance européen, et en dépit des réticences initiales de l'Allemagne, le rapporteur constate que cette proposition a nécessairement permis de conforter la Commission européenne dans ses propositions ( cf. infra ).

S'agissant du fonds de relance, l'initiative propose qu'il soit « ambitieux, temporaire et ciblé, dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) » et qu'il s'accompagne d'une « augmentation du CFP concentrée sur ses premières années ». Afin de le financer, « la France et l'Allemagne proposent d'autoriser la Commission européenne à financer ce soutien à la relance en empruntant sur les marchés au nom de l'UE » 13 ( * ) . Les deux États membres ont proposé que ce fonds soit doté de 500 milliards d'euros de « dépenses budgétaires » , et non de prêts, pour soutenir les régions les plus touchées par la crise.

Au regard de ces différentes propositions , le rapporteur constate que la crise sanitaire, et a fortiori ses conséquences économiques, ont constitué un catalyseur pour mobiliser de façon accrue le budget européen en réponse aux besoins des États membres.

Le rapporteur rappelle qu'au début des négociations relatives au CFP, le « Brexit » avait initié une réflexion des États membres sur l'ampleur de l'action européenne souhaitée pour les sept prochaines années . En effet, la suppression de sa contribution nette au budget européen interrogeait l'étendue du champ d'action de l'Union européenne, encourageant certains États membres à hiérarchiser ses dépenses.

Toutefois, force est de constater que la crise sanitaire actuelle a renouvelé les termes de ce débat, à la faveur des appels répétés à une action plus massive du budget européen pour ne pas laisser uniquement les finances publiques des États membres en première ligne dans la gestion de cette crise.


* 4 Voir la déclaration de la vice-présidente exécutive Margrethe Vestager concernant un projet de proposition d'encadrement temporaire des aides d'État visant à soutenir l'économie dans le contexte de la flambée de COVID-19.

* 5 Discours de la Présidente Von der Leyen à la session plénière du Parlement européen, sur la réponse européenne coordonnée à la pandémie de COVID-19 prononcé le 26 mars 2020.

* 6 Cf. la présentation de l'initiative « CRII » sur le site de la Commission européenne.

* 7 Cf. la présentation de l'initiative « CRII+ » sur le site de la Commission européenne.

* 8 Article 25 bis du projet de règlement. Ce taux de cofinancement est accordé par dérogation à l'article 60, paragraphe 1, et à l'article 120, paragraphe 3 du règlement financier du cadre financier pluriannuel 2014-2020.

* 9 Proposition de règlement du Conseil activant l'instrument d'aide d'urgence prévu par le règlement du Conseil (UE) 2016/369 du 15 mars 2016 et modifiant ses dispositions en réaction à la pandémie de COVID-19.

* 10 France, Grèce, Portugal, Italie, Espagne, Irlande, Belgique, Luxembourg et Slovénie.

* 11 Cf. note de suivi et de conjoncture de la commission des finances en date du 3 avril 2020.

* 12 Résolution du Parlement européen du 15 mai 2020 sur le nouveau cadre financier pluriannuel, les ressources propres et le plan de relance.

* 13 Initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du coronavirus (publiée le 19 mai 2020).

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