B. L'ENCADREMENT NÉCESSAIRE D'UN PHÉNOMÈNE AUX DANGERS LARGEMENT SOUS-ESTIMÉS

1. Des dangers largement sous-estimés

Il est temps d'en finir avec la notion de « gaz hilarant » : le protoxyde d'azote est une substance dont l'usage détourné peut être hautement dangereux .

D'abord, c'est un gaz froid, qui doit être manipulé avec prudence . Le contact avec la peau dès la sortie de son contenant peut provoquer des brûlures des lèvres, du nez ou des mains - sans parler du risque d'oedème pulmonaire. C'est pourquoi son utilisation se fait généralement à l'aide de ballons de baudruche.

Ensuite, même inhalé avec précaution, il produit des effets qui ne sont pas sans danger pour les personnes qui s'y essaient et leur entourage, à l'instar de ceux de l'alcool : euphorie semblable à l'ivresse, distorsion visuelle et auditive, sensation de dissociation, désinhibition, état de flottement, vertiges. En phase de décours, peuvent apparaître une anxiété voire un état panique du fait d'une modification des perceptions sensorielles, une dépression respiratoire et cardiovasculaire, une hyperthermie maligne, une distension abdominale, un pneumothorax et une rupture tympanique par diffusion du gaz dans ces cavités.

En consommation chronique , le protoxyde d'azote interfère dans le métabolisme de la vitamine B12, indispensable au bon entretien de la gaine de myéline qui protège les nerfs. Le déficit de cette vitamine entraîné par l'excès de protoxyde d'azote provoque des affections neurologiques graves , potentiellement irréversibles.

Le CEIP de Lille a été saisi à cette date de huit cas graves dans les Hauts-de-France . Cinq de ces huit personnes ont entre 18 et 20 ans ; les autres ont 23, 33 et 34 ans. Leur diagnostic - sclérose combinée de la moelle et neuropathie sensitive, paraplégie flasque, polyradiculonévrite aiguë motrice - sont dans certains cas irréversibles. Tous présentaient les symptômes d'une forme d'addiction au protoxyde d'azote : leur consommation s'élevait à plusieurs centaines de cartouches par jour pendant un à trois mois. Cinq cas sont en outre en cours d'examen pour des symptômes analogues aux précédents : ceux dont l'âge nous a été communiqué ont, respectivement, 23, 19, 18 et 17 ans.

2. Un accès à limiter pour les plus jeunes

Sur la base des données disponibles et des entretiens menés par votre rapporteure, lui apparaît avec la force de la certitude que :

• Le nombre de cas graves augmente et l'âge des patients semble, pour autant que la petitesse de l'échantillon permette de le dire, baisser légèrement.

• Le nombre de cas graves liés au protoxyde d'azote est encore sous-évalué , car la méconnaissance générale des dangers de ce gaz conduit les spécialistes confrontés aux symptômes neurologiques décrits plus hauts à étudier d'abord la piste des maladies neurodégénératives connues.

• Le protoxyde d'azote a un effet addictif . Non qu'il soit systématique, mais la brièveté des effets peut conduire à chercher leur réitération. Tous les cas d'atteintes neurologiques qui ont été dernièrement portés à la connaissance des autorités sanitaires dans les Hauts-de-France sont associés à des consommations répétées ou quotidiennes, voire massives de protoxyde d'azote, sous formes de cartouches à usage culinaires et plus récemment sous forme de bonbonnes pouvant contenir 80 à 100 cartouches. Cette dimension addictive a d'ailleurs été analysée par les études scientifiques récentes 15 ( * ) .

• La rapidité de diffusion des modes générationnelles incite à agir vite avant que le phénomène ne prenne l'ampleur qu'il connaît au Royaume-Uni où, d'après la statistique officielle, il a provoqué la mort de 36 personnes depuis 2001 16 ( * ) .


Les arrêtés municipaux : une arme utile ponctuellement,
mais insuffisante à moyen terme

Sébastien Leprêtre, maire de La Madeleine (Nord, 21 250 habitants), a expliqué à votre rapporteure avoir pris un arrêté en juillet 2019 dans un triple objectif : donner aux forces de l'ordre une base légale pour faire cesser des comportements portant atteinte à la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques, alerter les pouvoirs publics nationaux, et sensibiliser les consommateurs à un danger sur lequel le Gouvernement communiquait insuffisamment.

L'arme des arrêtés municipaux atteint cependant rapidement ses limites :

• Ils sont, par hypothèse, territorialisés . Ce qui les rend contournables par les consommateurs, qui s'approvisionnent dans la commune voisine ou en font usage dans une zone qui n'est pas visée par l'arrêté, et contraint le cas échéant les services municipaux à en modifier le périmètre pour suivre les contrevenants.

• Leur objet varie selon les communes . Dans l'aire urbaine de Montpellier, les arrêtés pris à Castelnau-le-Lez et à Lattes interdisent la vente aux mineurs ainsi que la consommation dans un rayon de 500 mètres autour d'établissements publics (écoles, crèches, parc, complexes sportifs, etc.) ; celui de Palavas-les-Flots vise la détention, l'utilisation, et l'abandon sur la voie publique du protoxyde d'azote, mais n'interdit pas sa vente aux mineurs.

• Ils sont presque inopérants dans de grandes communes . Le maire de Montpellier a ainsi renoncé à faire usage de ses pouvoirs de police de cette façon : comment, en effet, contrôler l'application d'un tel texte dans une ville de 280 000 habitants ?

• Ils sont parfois fragiles juridiquement : tels ceux qui ne viseraient pas un périmètre défini avec assez de précision.

Ces constats plaident à l'évidence pour une réglementation uniforme.

La présente proposition de loi n'ambitionne pas de mettre un terme à tout détournement à des fins récréatives de produits de consommation courante potentiellement dangereux . Le succès macabre, au début des années 2010, du « jeu du foulard » n'a pas conduit à interdire les accessoires vestimentaires, non plus que celui du « jeu de l'aérosol » les déodorants. Brider la volonté humaine de rechercher des états modifiés de conscience excède à n'en pas douter les capacités des pouvoirs publics - pour ne rien dire de celles du législateur.

Il semble en revanche à votre rapporteure qu'en l'espèce, c'est du détournement d'usage d'un produit de consommation courante un peu particulier qu'il s'agit : son usage récréatif et la poursuite de ses effets addictifs sont anciens quoiqu'un peu oubliés ou méconnus hors de leur pays de naissance, ont précédé de longtemps son usage culinaire, et l'ignorance générale de ses dangers, masqués par son image folâtre, pourrait en faire un véritable danger public.

La protection des plus jeunes de sa manipulation est donc non seulement hautement souhaitable, mais encore parfaitement possible au moyen de quelques modifications apportées au droit en vigueur.


* 15 Voir Fidalgo, M. et al. 2019. Nitrous oxide: What do we know about its use disorder potential? Results of the French Monitoring Centre for Addiction network survey and literature review. Substance abuse, 40(1), pp. 33-42. D'après le CHRU de Lille, « les propriétés pharmacologiques du protoxyde d'azote sur les récepteurs NMDA (N-Méthyl-D-Aspartate) au glutamate, neuromédiateur impliqué dans les circuits neurobiologiques de l'addiction, soutiennent la plausibilité de ce risque », risque par ailleurs analysé par Nestler, E. J., & Lüscher, C. 2019 in The molecular basis of drug addiction: linking epigenetic to synaptic and circuit mechanisms, Neuron, 102(1), pp. 48-59.

* 16 Office for national statistics, Death related to volatile substances, mars 2018. https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/birthsdeathsandmarriages/deaths/articles/deathsrelatedtovolatilesubstancesandheliumingreatbritain/2001to2016registrations

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