LES MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En première délibération, l'Assemblée nationale a adopté sans modification les crédits de la mission et du compte de concours financiers.

En seconde délibération, à l'initiative du Gouvernement, nos collègues députés ont minoré les crédits de la mission de 16,4 millions d'euros , « afin de tenir compte des votes intervenus dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2020 ».

Plus précisément, sur la présente mission, il a minoré les autorisations d'engagement et les crédits de paiement du programme 110 « Aide économique et financière au développement » à hauteur de 7,9 millions d'euros, et les autorisations d'engagement et les crédits de paiement du programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » à hauteur de 8,5 millions d'euros.

L'AMENDEMENT PROPOSÉ PAR VOTRE COMMISSION

PROJET DE LOI DE FINANCES

ARTICLES SECONDE PARTIE

MISSION AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

2

A M E N D E M E N T

présenté par

MM. COLLIN et REQUIER

Rapporteurs spéciaux

_________________

ARTICLE 73 D

Supprimer cet article.

OBJET

Le présent article prévoit la remise au Parlement d'un rapport annuel sur l'activité du FMI et de la Banque mondiale, notamment sur les actions entreprises pour améliorer la situation économique des États qui font appel à leurs concours, ainsi que sur la position de la France au sein de ces organisations, et sur l'ensemble des opérations financières réalisées entre la France et ces organisations.

La commission des finances estime que la plupart de ces informations sont en partie déjà accessibles dans les rapports d'activité annuels du FMI et de la Banque mondiale. En outre, plutôt qu'une nouvelle demande de rapport annuel, la commission des finances considère qu'il revient au Gouvernement de remettre au Parlement, chaque année et en temps utile, le rapport de synthèse de la politique de développement et de solidarité, tel que le prévoit déjà la loi d'orientation et de programmation de 2014.

Enfin, un doute subsiste quant à l'appartenance de cet article au domaine des lois de finances tel que défini par l'article 34 de la LOLF.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 13 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport de MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Aide publique au développement » et le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Nous examinons désormais les crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » pour 2020.

L'année dernière, nous avions souhaité insister sur le fait que l'exercice 2019 était déterminant pour notre politique d'aide publique au développement (APD) : les engagements pris détermineront si notre pays respectera l'objectif, maintes fois réaffirmé par le Président de la République, d'une aide représentant 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) en 2022. Nous analysons le budget pour 2020 avec la même boussole : ce budget est-il à la hauteur de l'ambition fixée depuis 2017 ?

Ce budget nous est présenté au terme d'une année marquée par le volontarisme du Gouvernement en matière d'aide publique au développement. Ainsi, la France a accordé une place centrale à la politique de développement lors du G7 que nous avons présidé en août dernier, ou encore lors du G20 qui s'est tenu au Japon en juin dernier. Ces deux rendez-vous internationaux ont permis de réaffirmer notre attachement aux objectifs du développement durable (ODD) et à la place centrale que doit occuper l'Afrique dans notre aide.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - En premier lieu, le budget pour 2020 poursuit la montée en charge des moyens budgétaires pour l'aide publique au développement, même si l'essentiel de la hausse intervient après 2020.

Les autorisations d'engagement de la mission s'élèvent à 7,3 milliards d'euros, soit une hausse très importante de près de 63 %. Les crédits de paiement s'établissent à 3,3 milliards d'euros, soit une hausse de près de 7 % par rapport à 2019.

La forte progression des autorisations d'engagement résulte en réalité du cycle de reconstitution des ressources de plusieurs fonds et organisations multilatéraux en 2020, en particulier l'Association internationale de développement, le Fonds vert pour le climat, et le Fonds africain de développement. Ces reconstitutions suivent un rythme triennal, dont une hausse similaire avait été observée en 2014 et 2017.

Les contributions qui relèvent du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) augmentent également, de près de 100 millions d'euros en autorisations d'engagement, recouvrant à la fois les contributions volontaires aux Nations unies et les contributions volontaires à d'autres fonds.

Le produit des taxes affectées au développement est stable, à hauteur de 738 millions d'euros. La taxe sur les billets d'avion et une part de la taxe sur les transactions financières sont affectées au Fonds de solidarité pour le développement (FSD). Le budget 2020 est marqué par une évolution notable, mentionnée ce matin par le rapporteur général : la taxe sur les billets d'avion est augmentée, et le surplus de recettes est affecté à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Il faudra veiller à l'avenir que cette nouvelle utilisation de cette taxe ne détourne pas les ressources dédiées au développement.

Concernant le compte de concours financiers, deux des quatre programmes sont mis en sommeil. Le programme 851 porte les prêts concessionnels et non concessionnels qui associent nos services et entreprises françaises. Comme pour 2019, les autorisations d'engagement s'élèvent à 1 milliard d'euros en 2020, et les crédits de paiement diminuent légèrement, et s'établissent à 367 millions d'euros.

Nous souhaitons exprimer un point d'inquiétude concernant le programme 852, qui recouvre les crédits liés aux restructurations de la dette accordées par la France. L'indicateur de soutenabilité de la dette des pays concernés se dégrade, traduisant une aggravation de leurs perspectives macroéconomiques. L'accentuation de la vulnérabilité de ces pays interroge la pertinence de notre politique de prêts à long terme.

Après avoir mené plusieurs auditions, il nous a semblé que ce budget était encourageant pour atteindre l'objectif fixé par le Gouvernement.

D'après les statistiques provisoires de l'OCDE, l'aide publique au développement de la France a progressé en 2018, de l'ordre de 2 % pour s'établir à plus de 10 milliards d'euros. L'année 2018 a coïncidé avec la mise en oeuvre d'une nouvelle méthodologie de comptabilisation de notre APD. En conservant l'ancienne méthodologie, notre APD aurait progressé de 9 % environ. Toutefois, en rapportant notre APD à notre revenu national brut (RNB), la France n'est toujours classée que dixième au monde, derrière la Belgique, la Suisse, ou encore les Pays-Bas.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Néanmoins, les efforts budgétaires portent leurs fruits. Alors que la part de notre APD dans notre RNB était de 0,38 % en 2016, elle devrait être de 0,43 % en 2019, soit seulement 0,01 point de pourcentage en dessous de la trajectoire fixée par le Gouvernement en février 2018. C'est pourquoi, il nous semble légitime d'accorder une nouvelle fois une confiance prudente au Gouvernement.

Notre vigilance doit toutefois être maintenue sur les points suivants.

D'une part, alors que l'année 2019 se termine, nous regrettons de ne pas examiner le prochain budget après le projet de loi de programmation de l'aide publique au développement, dont le dépôt a été plusieurs fois repoussé. L'insertion du budget 2020 dans un cadre stratégique rénové, que la commission a appelé de ses voeux à plusieurs reprises, nous aurait semblé plus pertinente.

D'autre part, il nous semble que le budget pour 2020 aurait dû marquer la poursuite d'un effort particulier en matière de dons, par rapport à l'octroi de prêts. En effet, la France se caractérise par une certaine préférence pour les prêts, qui représente un peu moins du tiers de notre aide publique au développement. Les plus grands donneurs, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis accordent presque la totalité de leur aide publique au développement sous forme de dons.

Cette spécificité française entraîne un décalage entre la liste des pays que nous définissons comme « prioritaires », et les principaux bénéficiaires de notre aide, qui sont surtout des pays à revenu intermédiaire, ou même des pays émergents.

Pour y remédier, le Gouvernement s'est engagé à augmenter la part des dons. En 2019, l'AFD s'est vue attribuer 1 milliard d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement pour concrétiser cette promesse. Toutefois, le budget 2020 prévoit une réduction des ressources permettant à l'AFD d'accorder des dons, à hauteur de 594 millions d'euros en autorisations d'engagement, et de 35 millions d'euros en crédits de paiement. À l'inverse, la capacité de l'Agence à octroyer des prêts progresse légèrement.

Les auditions ont fait état d'un arbitrage du ministère de l'Europe et des affaires étrangères visant à revaloriser le rôle des ambassades dans le versement de subventions. Dans cette perspective, les crédits des fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) ont progressé de 36 millions d'euros.

Même si la hausse des moyens des ambassades n'égalise pas la réduction de ceux de l'AFD, la volonté de les impliquer davantage dans le versement de subventions est claire. Ce choix nous interroge, car la masse salariale des réseaux consulaires et diplomatiques est appelée à se contracter dans le cadre de la réforme de l'État à l'étranger.

Comment les ambassadeurs vont-ils absorber cette charge supplémentaire ? Pourquoi avoir choisi de réduire la voilure pour les dons accordés par l'AFD après lui avoir fait confiance en 2019 ? La déconcentration de cette enveloppe ne risque-t-elle pas d'entraîner un effet de saupoudrage ?

Cette perspective questionne les relations futures entre l'AFD et le ministère des affaires étrangères. Le projet de loi de programmation devrait comporter des dispositions à ce sujet.

Cela étant dit, nous vous invitons à proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission et du compte de concours financiers.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Par ailleurs, l'article 73 D, rattaché à la mission, prévoit la remise d'un rapport annuel par le Gouvernement au Parlement sur l'activité du FMI et de la Banque mondiale, notamment sur les actions entreprises pour améliorer la situation économique des États qui font appel à leurs concours, ainsi que sur la position de la France au sein de ces instances, et des opérations financières entre la France et ces deux organisations internationales.

Cet article reprend des dispositions introduites par la loi de finances rectificative pour 1998, puis supprimées en 2014 par la loi de programmation de l'aide publique au développement.

En effet, le Gouvernement avait alors considéré que le rapport annuel de synthèse de l'aide publique au développement, prévu par la loi de 2014, permettait de fournir des informations sur l'APD de la France dans un cadre bilatéral et multilatéral.

En tant que rapporteurs spéciaux, nous ne sommes habituellement pas favorables au foisonnement de rapports au Parlement, d'autant que certaines des informations demandées sont facilement accessibles dans les rapports d'activité de ces deux institutions. Les rapporteurs spéciaux peuvent toujours exercer leurs pouvoirs de contrôle sur place et sur pièces pour obtenir des informations supplémentaires.

Néanmoins, il s'avère que le rapport prévu par la loi de 2014 n'est pas toujours transmis de façon régulière et que les documents budgétaires n'éclairent pas en profondeur sur le rôle du FMI et de la Banque mondiale en matière d'aide publique au développement. Cette demande de rapport pourrait nous renseigner sur les effets de notre politique multilatérale.

C'est pourquoi nous nous en remettons à la sagesse de la commission quant à l'adoption de cet article.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Merci à Yvon Collin et Jean-Claude Requier de leur intervention. Je suis favorable à la taxe de solidarité instaurée par Jacques Chirac au profit du développement que partagent certains pays. En revanche, je suis défavorable à la dérive consistant à affecter les taxes à autre chose que ce pour quoi elles ont été créées.

S'il y a trop de produits par rapport aux besoins, on doit diminuer le taux de la taxe. La dérive française qui consiste à en faire une taxe générale est très malsaine et pourrait même, à terme, se retourner contre son objectif, qui est l'aide aux pays en développement.

M. Jean-François Husson . - Le Gouvernement a annoncé vouloir porter la contribution de la France au Fonds vert pour le climat à 1,5 milliard d'euros. C'est un Fonds qui doit être abondé à hauteur de 9 milliards d'euros en comptabilisant l'ensemble des contributions. Or un peu plus de 700 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement (AE), et seulement 23 millions d'euros en crédits de paiement (CP).

Comment se traduit la trajectoire des crédits dédiés au Fonds par rapport aux engagements du Gouvernement ?

Mme Nathalie Goulet . - Le fait que le budget soit en hausse est une bonne chose. Il faut mettre ceci en parallèle avec le besoin exprimé partout dans le monde d'une aide de la France, qui est toujours très attendue. Cependant, qu'en est-il de l'évaluation de cette politique ?

Les acteurs du développement sont nombreux. Les budgets de certains d'entre eux, comme les fondations américaines, sont parfois eux-mêmes plus importants que les États qu'ils aident. Comment fonctionne aujourd'hui notre coopération dans ce domaine et comment coordonnons-nous notre aide avec eux ?

Enfin, au Burkina Faso, où je me suis rendue il y a quelques mois, notre ambassade réalise un travail formidable en matière de sécurité, sujet plus que nécessaire autour duquel elle réunit tous les acteurs du secteur.

M. Roger Karoutchi . - Je ne voterai pas les crédits de la mission. Je considère que, depuis plusieurs années, l'AFD dérape, dérive, investissant parfois à l'intérieur du territoire national, ce qui n'est pas son rôle. L'AFD est en effet bien plus politisée qu'auparavant.

En outre, on établit une comparaison avec les États étrangers, qui réalisent plus de dons que de prêts, mais c'est totalement illusoire : l'État français efface bien des prêts tous les deux ou trois ans au nom de la coopération, et ils deviennent ainsi des dons.

Enfin, ce ne sont pas les États les plus pauvres qui reçoivent une aide au développement, mais souvent des États intermédiaires qui, en réalité, n'ont pas besoin de l'AFD. On a le sentiment que l'AFD mène de manière autonome une politique différente de celle du Quai d'Orsay.

Qui plus est, quand on demande à l'AFD, qui obtient des moyens supplémentaires considérables, d'investir dans l'audiovisuel extérieur de la France en Afrique, où cela peut avoir du sens, on reçoit une fin de non-recevoir catégorique. Je ne comprends pas pourquoi l'État français continue d'augmenter les moyens de l'AFD sans lui imposer des règles bien plus strictes et des missions bien plus claires.

M. Philippe Dominati . - Comment se traduisent les programmes sur le terrain pour les principaux bénéficiaires de notre APD ? La Turquie est en deuxième position, l'Indonésie est bien placée, la Chine également...

M. Philippe Dallier . - J'ai la même position que Roger Karoutchi. Il est difficile de comprendre pourquoi certains pays figurent dans la liste des pays bénéficiaires.

Je voudrais en outre revenir sur les subventions accordées à des organismes qui, en France, peuvent soulever des questions.

Certaines régions du monde sont plus compliquées que d'autres - Moyen-Orient, Israël, territoires palestiniens. Or les positions de quelques organisations non gouvernementales (ONG) subventionnées sont parfois plus qu'ambiguës, puisqu'elles favorisent le boycott d'Israël, qui est interdit par la loi française.

J'aimerais avoir plus de transparence sur l'utilisation de ces fonds. Certes, la France doit augmenter son niveau d'aide au développement, mais il y a beaucoup à dire concernant l'utilisation des moyens. C'est pourquoi je ne voterai pas ces crédits.

M. Victorin Lurel . - Je pense qu'une mission d'évaluation et de contrôle de l'AFD est nécessaire afin de mieux cerner ses actions et ses critères d'intervention.

À une certaine époque, on intervenait de moins en moins dans les pays dits corrompus. J'en ai fait l'expérience en tant que ministre. On avait ainsi écarté Haïti, en pleine crise politique, pour donner la priorité à la Syrie. On établissait alors un distinguo entre les pays dits corrompus et les autres. Aujourd'hui, je ne comprends plus les critères d'intervention de l'AFD.

Enfin, l'Afrique représente environ 30 % des engagements de l'AFD. Or le Parlement n'est pas informé sur ce point, ou avec beaucoup de réticences. J'ai demandé à la commission des finances et à son président un rapport d'information sur la zone franc, suivant des formes à trouver. Je crois qu'il existe un tabou à ce sujet et qu'on ne veut pas en parler. Or il existe de véritables turbulences en Afrique. C'est une atteinte à l'image de la France à travers le monde, et on ne dispose d'aucune réponse parlementaire.

Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, reçoit quinze ministres de l'économie et des finances d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale : on n'a aucune réaction. On nous dit de circuler, qu'il n'y a rien à voir, que cela relève des affaires étrangères ou de la diplomatie.

C'est un sujet que nous refusons de considérer, chacun ayant sa propre vision de nos rapports avec l'Afrique. Le présent rapport, au-delà de sa qualité, se cantonne à son strict périmètre. Il n'y a rien sur la politique de développement, sur ses critères d'intervention, sur les choix qui sont faits, sur nos rapports avec la zone franc.

Cela fait plus d'une année que je demande une mission à ce sujet. Je ne tiens pas à être absolument le président ou le rapporteur de cette structure, mais on dirait qu'on redoute que le Parlement s'exprime sur la politique étrangère et monétaire du Gouvernement. Je demande qu'on clarifie tout cela !

Mme Nathalie Goulet . - Très bien !

M. Jérôme Bascher . - Je m'étais déjà posé les mêmes questions l'année dernière au sujet des pays qui bénéficient de notre APD.

Depuis, j'ai fait mon enquête : un rapport a été commandé par l'ancien Gouvernement à Rémy Rioux pour définir les missions de l'AFD. Il a ensuite été nommé directeur général de l'Agence et s'est concocté son propre menu, sans aucune réforme. On est aujourd'hui proche du scandale d'État !

M. Roger Karoutchi . - C'est une honte !

M. Jérôme Bascher . - L'AFD fait des choses extrêmement utiles. Il y a partout beaucoup de petits projets très profitables mais, à côté de cela, l'AFD apporte des financements parfois plus élevés que le MEAE partout à travers le monde. Cela suffit !

C'est un véritable scandale. Des réformes doivent être menées au sein de l'AFD. À l'exemple de Roger Karoutchi, je ne voterai pas ces crédits.

M. Emmanuel Capus . - Mon interrogation porte sur le pilotage de cette politique. J'entends dire que ce n'est pas nécessairement en lien avec les affaires étrangères. On est là dans un domaine extrêmement sensible. Il y va de l'image de la France et de notre politique.

L'AFD évolue-t-elle en électron libre ou est-ce le Gouvernement qui pilote, sous le contrôle du Parlement ? On peut se poser des questions lorsqu'on voit que le deuxième pays en 2017 à percevoir le plus d'aides de notre part est la Turquie, et que la Chine perçoit des aides extrêmement importantes. Ce ne sont pas des choix que je soutiens en tant que parlementaire.

M. Jean Bizet . - Mon propos sera de la même tonalité que les intervenants précédents, précisément au sujet de la Turquie. La Turquie occupe un des États membres de l'Union européenne, Chypre, dont elle n'a nullement l'intention de quitter la partie nord. Elle s'éloigne de plus en plus des valeurs européennes et va à l'encontre de toutes les règles internationales en ce qui concerne les forages dans la zone exclusive économique de la région. C'est un véritable scandale d'imaginer que l'AFD concourt au développement de la Turquie. Ce n'est pas convenable !

Tout comme Roger Karoutchi, Philippe Dominati et d'autres, je ne voterai pas ces crédits.

M. Alain Houpert . - L'AFD finance, accompagne et accélère les transitions vers un monde plus juste et durable. Je suis d'accord avec Victorin Lurel pour réclamer une évaluation des financements de l'AFD. Nous voyageons tous en tant que parlementaires et nous nous apercevons qu'on marche parfois sur la tête. Auparavant, nous disposions d'un ministère de la coopération et d'un ministère de la francophonie. Quel est le rapport de la francophonie avec l'AFD ?

M. Jean-François Rapin . - Je voudrais attirer votre attention sur un point à ne pas oublier : il fera l'objet d'une discussion prochainement au sein de la délégation à l'outre-mer et concerne les crédits complémentaires que l'AFD peut y apporter, notamment en matière de reconstruction, à la suite des cataclysmes climatiques que nous avons subis.

Au-delà du courroux et de l'exaspération ressentie par bon nombre de mes collègues, que je partage, je vous demande d'être attentifs à ce point.

M. Michel Canévet . - Je salue l'excellent travail de nos deux rapporteurs spéciaux, qui provoque de nombreuses réactions. Leurs observations ont permis d'engager le débat, et il est particulièrement passionnant s'agissant d'un sujet extrêmement important.

J'observe, en complément de ce qui a été dit, que les dépenses de personnel du programme augmentent significativement de 5,4 %. S'agit-il uniquement des dépenses de personnels dédiés à l'AFD ou d'agents qui occupent d'autres fonctions ? Je pense en particulier au renforcement du réseau sur le terrain. Une telle augmentation est-elle logique d'une année sur l'autre ?

M. Marc Laménie . - L'AFD est mal connue dans nos départements et territoires respectifs, mais on est frappé par les montants financiers que cela représente.

Face aux diminutions de certaines missions, comme la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE), on peut par ailleurs se poser des questions au sujet de l'augmentation des effectifs entre 2014 et 2018, qui sont passés de 1 683 personnes à 2 209 personnes. Quelle est l'utilité de tels opérateurs ?

M. Didier Rambaud . - J'ai pour habitude de défendre les crédits budgétaires présentés par le Gouvernement.

Toutefois, j'aimerais comprendre pourquoi des pays comme la Turquie, la Chine, voire le Brésil, bénéficient de l'aide publique au développement de la part de la France. J'attends donc des explications des rapporteurs. Mon vote variera en fonction de leurs réponses.

M. Philippe Adnot . - Je souhaiterais savoir si les rapporteurs disposent d'éléments pour apprécier le retour sur investissement de l'aide publique au développement. Est-on attentif à ce que des entreprises françaises participent aux opérations lors des différentes actions de développement ? Êtes-vous à même de le quantifier ? Dans le cas contraire, pourquoi ?

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Je vois que ce rapport vous a passionnés et interpellés.

Monsieur le rapporteur général, la taxe sur les billets d'avion instituée en faveur du développement, qui dérive, est affectée à l'AFITF dans le projet de loi de finances pour 2020. Nous signalons, dans notre rapport, qu'il ne faut pas que cette taxe soit dévoyée. Il nous faut être vigilant.

Je rejoins par ailleurs ce qui a été dit concernant les taxes sur les avions : ce n'est pas le moment de les alourdir, alors que deux compagnies sont déjà en difficulté.

Jean-François Husson, s'agissant du Fonds vert pour le climat, les décaissements vont s'étaler sur quatre ans.

Pour ce qui est de la Turquie, j'ai été également surpris de constater que ce pays constitue le deuxième bénéficiaire des aides de la France. Il faut toutefois faire la distinction entre les dons et les prêts. Or, il nous a été indiqué que la Turquie bénéficie essentiellement de prêts en vertu de l'accord sur les migrations de 2016. Tous les États membres de l'Union européenne y participent, même si on peut le regretter.

Par ailleurs, la loi de programmation comportera des dispositions sur le pilotage et la transparence de l'aide publique au développement ce qui permettra de renforcer l'évaluation de cette politique. Six millions d'euros de crédits au titre des bonifications de prêts sont destinés à l'outre-mer en 2020.

En outre, n'oublions pas que l'AFD ne pilote pas la totalité des crédits.

Enfin, le ministère des affaires étrangères aurait l'intention de « reprendre la main » sur le pilotage de cette politique et d'associer davantage les ambassadeurs sur le terrain. Ils disposeront d'une enveloppe de 60 millions d'euros destinée aux fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) par lequel ils pourront intervenir. En outre, la loi de programmation à venir comportera une nouvelle définition des rapports entre l'État et l'AFD. Nous espérons que le dialogue pourra se poursuivre. Il faudra toutefois veiller à préserver l'expertise de l'AFD en la matière.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Jean-Claude Requier a répondu à un certain nombre de questions qui font polémique, notamment concernant la Turquie. Je n'y reviendrai pas, mais ce sont des raisons éminemment politiques. On a cotisé au pot commun, et cela entre dans l'aide au développement, à tort ou à raison.

Pour ce qui est de la Chine, au-delà de la diplomatie d'influence à laquelle participe l'AFD, qui est indiscutable, il faut reconnaître que l'Agence gagne de l'argent sur les prêts qui sont accordés...

M. Roger Karoutchi . - Elle n'a qu'à en accorder aux États-Unis aussi !

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - L'AFD, compte tenu de la notation qui lui est attribuée, obtient de l'argent à un faible coût et prête à un autre taux, intéressant pour le pays concerné, qui ne peut avoir accès à des prêts concessionnels.

Je pense qu'il serait bon que notre commission reçoive le directeur général de l'AFD, Rémy Rioux, pour répondre aux interrogations qui sont nombreuses.

M. Vincent Éblé , président . - La commission des finances l'a entendu en février dernier, mais une audition peut être programmée à nouveau, après l'examen du projet de loi de finances, en début d'année prochaine.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - On a beaucoup parlé d'évaluation. J'aimerais qu'on évalue également d'autres politiques, comme celle de l'éducation. C'est un sujet complexe, mais il faudrait, à l'image du Royaume-Uni, que l'AFD mette en place un dispositif d'évaluation permanent. Au Royaume-Uni, les politiques d'aide au développement sont évaluées en permanence par un organisme indépendant. Ceci manque certainement en France.

Je rappelle que l'AFD intervient également dans les territoires d'outre-mer. Il semble que cette aide devrait s'accentuer dans les années qui viennent.

En ce qui concerne les interventions dans l'hexagone, Roger Karoutchi faisait peut-être allusion au fameux congrès de Grenoble. Nous avons interrogé Rémy Rioux sur ce point. Il nous a indiqué qu'aucune intervention de ce type n'avait eu lieu cette année. Il faut toutefois être vigilant.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Pour l'évaluation, le Comité de développement de l'OCDE a évalué notre politique de développement en 2018 et a souligné « le succès de l'aide française tant sur le plan de la mise en oeuvre de mécanismes innovants de financement du développement que dans l'usage d'une large palette d'instruments ». L'OCDE a donc donné un avis assez positif sur l'utilisation des fonds par l'AFD.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Quant aux relations entre aide au développement et francophonie, cette question ressort de notre politique en matière d'affaires étrangères. Il n'y a pas que l'AFD qui mette en place les financements.

Mme Nathalie Goulet . - J'étais à la commission des affaires étrangères à l'époque où on a voté la loi dite « Canfin » sur la loi de programmation de l'aide au développement en 2014. On avait obtenu des évaluations sur le respect de critères liés au travail des enfants, aux droits de l'homme, etc. Tout cela a disparu.

Restait la question de la coopération avec les autres acteurs. Ceci doit également faire l'objet d'une audition ou d'un rapport. On ne peut continuer à travailler sans les évaluations qui figurent dans la loi de programmation.

Enfin, comment fait-on avec les autres acteurs ? La politique de développement n'est pas un sujet neutre. Elle est très attendue et constitue un marqueur de la France.

M. Victorin Lurel . - L'aide publique au développement intégrait autrefois des interventions outre-mer. Avec Henri Emmanuelli, nous avions fait extraire cette partie de l'aide publique au développement.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - En effet, elle n'entre plus en ligne de compte.

M. Vincent Capo-Canellas . - Je me demande si l'on ne devrait pas réserver le vote sur ces crédits. Des questions fortes ont été posées. Peut-être pourrait-on se donner le temps d'avoir des réponses plus construites. Il me semble que cette mission revêt un caractère symbolique. Rejeter ces crédits pourrait être mal interprété.

M. Vincent Éblé , président . - Nous ne manquons d'aucune information pour apprécier cette mission sur le fond. Je ne suis donc pas favorable à la réserve. La commission peut parfaitement décider maintenant : rien ne changera d'ici la semaine prochaine !

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Enfin, l'augmentation du personnel de 5 % présentée dans les documents budgétaires est celle des agents participant au programme 209 qui relève du MEAE. La hausse du budget a participé à la hausse des dépenses de personnel. Nous pourrons vous fournir la ventilation entre le personnel en centrale ou au plan local.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Les problèmes migratoires sont insurmontables. Par ailleurs, nous n'en sommes qu'au début compte tenu des projections démographiques en Afrique. La protection des frontières ne suffit pas. La seule réponse réside dans l'aide au développement. Or ce budget n'est pas à la hauteur des enjeux. C'est pourquoi je m'associe au vote défavorable - ce qui n'enlève rien à la qualité du travail des rapporteurs.

M. Vincent Éblé , président . - Je vous propose de passer au vote.

Quel est l'avis des rapporteurs spéciaux ?

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Nous émettons un avis favorable sur les crédits de la mission « Aide publique au développement » et nous en remettons à la sagesse de la commission pour ce qui est de l'article 73 D.

Enfin, nous émettons un avis favorable sur les crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

À l'issue du débat, la commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement », de ne pas adopter l ' article 73 D rattaché à la mission et d'adopter les crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

*

* *

Réunie à nouveau le 21 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission des finances, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission. L'amendement n° 2 ayant été adopté, elle lui propose par conséquent de supprimer l'article 73 D. Elle lui propose enfin d'adopter les crédits du compte de concours financiers.

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