EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 13 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport de MM. Emmanuel Capus et Sophie Taillé-Polian, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Travail et emploi ».
M. Vincent Éblé , président . - Nous examinons maintenant le rapport spécial sur la mission « Travail et emploi ».
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi ». - Ma collègue Sophie Taillé-Polian et moi-même vous présenterons ce rapport à deux voix. Comme les années précédentes, nos avis divergent pour l'essentiel, ce qui ne nous empêche pas de porter certaines appréciations communes sur ce budget.
La première caractéristique de ce budget est sa stabilité par rapport à l'année précédente, faisant suite à plusieurs années de forte baisse des crédits de la mission. Les autorisations d'engagement se stabilisent à 13,5 milliards d'euros, tandis que les crédits de paiement, portés à 12,8 milliards d'euros, connaissent une légère augmentation.
La diminution des crédits de la mission constatée les années précédentes respecte strictement la programmation triennale 2018-2020 et traduit la nécessaire contribution du ministère du travail et de ses opérateurs au redressement des finances publiques. La stabilisation des crédits prévue pour 2020 et les années suivantes doit permettre de concentrer les efforts sur l'accès à l'emploi et sur la formation des publics qui en sont aujourd'hui le plus éloignés.
Cette trajectoire est également à replacer dans le cadre d'une amélioration de la situation de l'emploi. En effet, selon l'Insee, au deuxième trimestre 2019, le chômage s'établit à 8,5 % de la population active, soit 0,6 point sous son niveau de 2018 et 2 points sous son niveau de 2015. Le chômage de longue durée - au moins un an - continue de baisser, s'établissant à 3,1 % de la population active.
La baisse constatée des effectifs du ministère - moins 226 ETP - s'inscrit dans le cadre plus large de la réforme de l'État et de son organisation territoriale. Celle-ci devrait aller de pair avec une revue des missions et des redéploiements d'effectifs cohérents avec les priorités de la politique de l'emploi, avec un renforcement des moyens humains sur la formation et l'apprentissage. Cette baisse doit enfin être appréhendée dans le cadre global, évoqué lors de la présentation du tome I par le rapporteur général la semaine dernière, d'une hausse du schéma d'emploi de l'État de 196 ETP en 2020, concentrée sur les missions régaliennes.
À l'inverse, les effectifs de Pôle emploi augmentent de près de 1 000 ETP en 2020. Cette évolution permettra un renforcement de l'accompagnement des demandeurs d'emploi, mais aussi des entreprises. On sait les difficultés que certains chefs d'entreprise rencontrent pour recruter dans certains secteurs industriels en tension, comme la construction ou la métallurgie.
Une diminution importante des effectifs est en revanche à prévoir à l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), qui poursuit un plan de transformation, indispensable pour redresser sa situation financière.
Ce budget, comme je l'évoquais, s'adresse prioritairement aux publics les plus éloignés de l'emploi.
Les parcours emploi-compétences (PEC), lancés en 2018, constituent un progrès qualitatif par rapport aux anciennes formules de contrats aidés, qui visaient davantage à améliorer artificiellement les statistiques du chômage qu'à répondre aux besoins réels et individuels des personnes. Les faibles performances de ces dispositifs en termes de sortie dans l'emploi durable sont là pour en attester. Le niveau des PEC se stabilise en 2020 autour de 100 000 contrats.
Peut également être relevé l'effort important au profit du secteur de l'insertion par l'activité économique (IAE), qui dépasse le milliard d'euros en 2020. C'est un enjeu important de ce budget. Les structures de l'IAE accueillent les publics les plus éloignés de l'emploi, souvent peu qualifiés ou chômeurs de très longue durée. L'objectif visé est la création de 100 000 nouveaux postes dans ce secteur en 2022 par rapport à 2017, soit 230 000 personnes accompagnées. Il s'inscrit dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et va donc au-delà de la politique de l'emploi stricto sensu . Le principal enjeu désormais, pour les structures de l'IAE, est d'être en mesure d'absorber cette hausse de leurs moyens et de leurs effectifs.
Les moyens alloués en faveur de l'emploi des personnes handicapées augmentent également, portés en 2020 à 407 millions d'euros.
Le Plan d'investissements dans les compétences (PIC) constitue un autre volet important de ce budget. Il se fixe pour objectif de former un million de jeunes décrocheurs et un million de chômeurs de longue durée, en mobilisant près de 14 milliards d'euros sur cinq ans. Une grande partie de sa mise en oeuvre relève des régions. Près d'1,5 milliard d'euros d'AE et 1 milliard de CP devaient lui être consacré en 2020 sur les crédits de la mission, auxquels s'ajoutera un concours de France compétences à hauteur de 1,6 milliard d'euros.
Depuis son lancement, le PIC a permis la formation de 475 000 demandeurs d'emploi et l'accompagnement de 200 000 jeunes. L'ensemble des conventions avec les régions ont été signées en 2019, même s'il est à noter que deux régions ont décidé de ne pas s'associer à cette démarche. L'année 2020 constituera la première année de pleine mise en oeuvre du plan.
Comme vous l'avez vu, les crédits qui lui seront consacrés seront en réalité diminués de 120 millions d'euros. Il était en effet nécessaire, pour préserver l'équilibre de ce budget, de compenser financièrement la suppression de l'article 79 du présent projet de loi de finances qui entendait recentrer le bénéfice des exonérations applicables aux aides à domicile. L'impact de cette décision sur le bon déroulement du PIC devra être évalué à l'aune d'une probable sous-consommation des crédits.
Une difficulté qui ressort des auditions que nous avons conduites concerne le pilotage du Plan. On peut déplorer un déficit de coordination entre l'État et les régions. Il convient par ailleurs de s'interroger sur la pertinence d'un découplage des compétences d'accompagnement des jeunes, qui relèvent des missions locales, et des compétences de formation professionnelle, qui relèvent des régions.
Sophie Taillé-Polian et moi-même regrettons l'absence de ligne de crédit consacrée aux maisons de l'emploi. Ces structures, auxquelles nous avions consacré un rapport de contrôle l'année dernière, jouent un rôle très important de gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences. Comme l'année dernière, l'Assemblée nationale a adopté un amendement permettant le maintien d'une ligne de crédit à hauteur de 5 millions d'euros pour les maisons de l'emploi. Comme l'année dernière, notre analyse de leurs besoins nous porte à juger ce montant insuffisant et nous proposerons donc à la commission d'adopter un amendement portant ce financement de l'État à 10 millions d'euros.
Dans l'ensemble, ce budget me paraît toutefois sérieux, en phase avec la situation de nos finances publiques et avec les enjeux actuels de la politique de l'emploi. Je vous proposerai donc d'adopter les crédits de la mission.
J'ajoute que nous serons également amenés à examiner trois articles rattachés.
Comme je l'ai rappelé, l'article 79 recentrant les exonérations en faveur de l'emploi des aides à domicile a bien été supprimé en première lecture à l'Assemblée nationale. Son coût de 203 millions d'euros pour les finances publiques a été compensé à hauteur de 120 millions d'euros par les crédits de la mission « Travail et emploi ».
L'article 80, qui, lui, nous sera bel et bien transmis, concerne le recentrage de l'Aide aux créateurs et repreneurs d'entreprises (ACRE) sur son public-cible, c'est-à-dire les publics prioritaires de la politique de l'emploi. L'article soulève toutefois toute une série de problèmes ; c'est pourquoi nous vous proposerons de l'amender.
Enfin, deux articles additionnels ont été adoptés lors de la première lecture à l'Assemblée nationale. Le premier est purement technique et ne devrait pas soulever de difficulté. Le second prend la forme d'une demande de rapport sur l'impact de la réforme de l'apprentissage sur les finances du Centre national de la fonction publique territoriale.
Mme Sophie Taillé-Polian , rapporteure spéciale de la mission « Travail et emploi » . - Mon analyse de ce budget diffère de celle de mon collègue. Certes, les crédits se stabilisent en 2020, mais cette stabilisation fait suite aux deux années de très importante baisse. Depuis 2017, ils ont en effet connu une diminution de près de 25 %.
Les statistiques du chômage sont à prendre avec précaution. Certaines catégories d'actifs restent très éloignées de l'emploi. Je rappellerai quelques chiffres : le taux de chômage des jeunes s'établit à 19,2 % en 2019, soit 0,6 point de plus qu'un an plus tôt. Le taux de chômage des travailleurs handicapés s'élève également à 19 %. Les publics très spécifiques sont encore massivement touchés.
Ces évolutions s'inscrivent également dans un contexte d'augmentation constante des emplois précaires, qui est une tendance de fond du paysage social français liée aux politiques de flexibilisation du marché du travail. Entre 2001 et 2017, le nombre d'entrées annuelles en CDD a été multiplié par 2,5, de sorte que celles-ci représentent près de 84 % des créations d'emploi pour les entreprises de plus de 50 salariés. La part des CDD de moins d'un mois est passée de 57 % en 1998 à 83 % en 2017. L'on assiste également à une très forte hausse de l'emploi intérimaire. Cela crée des besoins nouveaux en matière d'accompagnement des personnes privées d'emploi.
La traduction la plus regrettable de ces orientations budgétaires est la baisse constante des effectifs du ministère du travail. Les emplois sous plafonds ont diminué de près de 10 % depuis 2017, alors même que la situation de l'emploi nécessite plus que jamais un renforcement de l'accompagnement et des moyens humains. L'inspection du travail a besoin d'agents, car le droit se complexifie et le nombre d'entreprises augmente. La hausse des effectifs de Pôle emploi cette année a été annoncée, en contrepartie de la transformation des règles d'accès à l'Unedic. Si elle est louable, elle ne compense pas les importantes réductions d'effectifs de ces deux dernières années.
L'on ne saurait de surcroît attribuer le mérite de cette hausse au Gouvernement, qui a décidé cette année une nouvelle diminution, à hauteur de près de 10 %, de la subvention pour charges de service public de Pôle emploi. Au contraire, celle-ci est bien financée par une hausse de 1 point de la contribution de l'Unédic, ainsi portée à 11 % de ses ressources. L'État, qui a par ailleurs imposé une réforme de l'assurance chômage restreignant considérablement les droits des demandeurs d'emploi dans le seul but de générer 4,5 milliards d'euros d'économie pour l'Unédic à l'horizon 2022, fait ainsi supporter aux chômeurs eux-mêmes le coût du service public de l'emploi. C'est bien là, et non dans une prétendue générosité excessive du système d'assurance chômage, qu'il faut chercher la cause de la dette de l'Unédic.
Les réelles difficultés financières de l'AFPA sont la conséquence aisément prévisible de l'intégration dans le champ concurrentiel des missions de service public qu'elle exerce. Le plan de transformation affaiblira encore l'opérateur et se traduira par une baisse de la qualité du service rendu, ainsi que par une diminution de sa présence sur le territoire : dans certains départements, on ne compte aujourd'hui plus aucun centre AFPA. Le plan de transformation emporte également de lourds risques sur la santé des personnels de l'AFPA. La forte dégradation des indicateurs socio-sanitaires traduit en effet une situation alarmante à laquelle il convient que les autorités apportent une réponse. L'AFPA a pourtant par le passé su combiner qualité de la formation et accès à la formation pour tous et ainsi démontrer une efficacité sociale élevée, avec un taux d'entrée en emploi supérieur à la moyenne des organismes de formation.
Je partage pour partie l'analyse de mon collègue concernant les PEC, qui constituent bien un outil intéressant en termes d'accompagnement qualitatif des demandeurs d'emploi. Cependant, la stabilisation des crédits ne compense pas la baisse très importante des moyens consacrés aux contrats aidés sur les dernières années : le nombre de contrats aidés, tous dispositifs confondus, s'élevait à 453 000 en 2016, contre 100 000 PEC seulement attendus en 2020.
L'argument selon lequel les anciens contrats aidés seraient inefficaces eu égard aux faibles taux d'insertion dans l'emploi constatés ne tient pas dans la mesure où les publics auxquels ils s'adressent sont précisément des publics éloignés du marché du travail. En outre, la baisse du taux de prise en charge de ces contrats n'a pas favorisé leur maintien, notamment dans le tissu associatif où ils accomplissaient des missions diverses et très utiles socialement.
Je considère également que le soutien au secteur de l'IAE va dans le bon sens. Ces structures accompagnent les personnes qui sont les plus éloignées de l'emploi. J'émettrai toutefois un point de vigilance quant au modèle de structures d'insertion par l'activité économique (SIAE) que le Gouvernement semble promouvoir. Ainsi, le modèle associatif représenté par les associations d'insertion (AI), qui cible les personnes les plus en difficulté, voit son enveloppe diminuer. L'expérimentation lancée cette année d'une « insertion par le travail indépendant » me laisse dubitative, mais elle révèle bien la philosophie de ce Gouvernement.
S'agissant du PIC, je remarque que le montant affiché de 14 milliards d'euros inclue plusieurs dispositifs préexistants et n'est atteint que grâce à des financements issus de fonds de concours.
Je partage le constat d'une certaine déficience de pilotage du PIC, avec des risques sérieux de concurrence entre les dispositifs mis en place par les régions et ceux mis en place par l'État. Les auditions nous ont confirmé que le PIC peine encore à attirer les personnes les plus éloignées de l'emploi. L'explication réside sans doute dans l'approche qui a été retenue, trop centrée sur les qualifications. Trop de personnes renoncent encore à se former, pour se tourner à la place vers des emplois précaires.
Enfin, la diminution de 120 millions d'euros constitue évidemment un mauvais signal. Alors que la formation des chômeurs était affichée comme l'une des priorités du Gouvernement, elle se révèle être sa variable d'ajustement.
Je conclurai d'un mot sur l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Elle est le fruit d'une proposition de loi votée à l'unanimité : dans dix territoires pilotes, des entreprises à but d'emploi (EBE) ont pour charge de recruter en CDI à temps choisi tous les demandeurs d'emploi volontaires du territoire au chômage depuis plus d'un an. Les entreprises doivent dans ce cadre développer des activités économiques non concurrentes de celles déjà présentes sur le territoire.
Je porte un jugement positif sur cette expérimentation, qui commence à porter ses fruits. Le fait d'inclure dans l'emploi des chômeurs de longue durée non par des contrats précaires ou aidés, mais bien par des CDI, génère une dynamique très positive pour leur parcours de vie comme pour leur territoire. On constate en effet que cela permet de redynamiser l'économie locale, qui bénéficie du pouvoir d'achat accru de ces personnes.
Le dispositif devait démontrer que le coût du dispositif ne dépassera pas la dépense directe et indirecte de la collectivité liée au chômage de longue durée.
Si l'évaluation de l'expérimentation est donc bien nécessaire, force est de constater que son extension et sa généralisation tardent. Pas moins de trois rapports doivent tirer le bilan de ce dispositif, ce qui contraste quelque peu avec la précipitation du Gouvernement à généraliser le dispositif des « emplois francs », annoncée avant même la remise au Parlement d'un rapport d'évaluation prévu par la loi et en dépit des forts risques d'effets d'aubaine liés à ce dispositif. L'heure est maintenant à l'accélération du calendrier législatif. Une centaine de territoires sont dans les starting-blocks pour créer leur EBE.
Ce budget ne me semble donc pas répondre aux attentes de nos concitoyens les plus en difficulté, ceux qui sont les plus éloignés du marché du travail ou ceux qui sont contraints d'enchaîner les emplois précaires et les périodes de chômage. La très importante baisse des moyens du ministère du travail et de ses opérateurs depuis 2017 est en net décalage avec les ambitions affichées en matière d'inclusion.
Aussi, je vous propose de rejeter les crédits de la mission. S'ils venaient à être adoptés, je vous inviterais à adopter l'amendement que j'ai cosigné avec Emmanuel Capus visant à augmenter les moyens des maisons de l'emploi.
M. Antoine Lefèvre . - Je remercie les rapporteurs spéciaux de ces précisions. Je partage certaines de leurs analyses, notamment la défense des maisons de l'emploi. En 2007, lorsque le mouvement des maisons de l'emploi et la formation a été constitué, 82 millions d'euros de crédits étaient prévus. La dotation actuelle est de 5 millions d'euros. Même si les collectivités étaient amenées à abonder, on serait loin du compte ! Je voterai l'amendement.
On attendait beaucoup de l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », mais il n'y a rien de tangible.
Y aura-t-il des dispositifs plus poussés pour les seniors ? En effet, 64 % des chômeurs de longue durée sont des seniors. Le Conseil économique, social et environnemental a formulé un certain nombre de pistes, mais des pistes nouvelles sont-elles prévues pour améliorer cette situation ?
M. Philippe Dallier . - Les rapporteurs spéciaux nous ont démontré que les mêmes chiffres pouvaient être appréciés de façon radicalement différente !
La situation financière de l'AFPA a été calamiteuse dans le passé. Où en est-on ? Va-t-elle retrouver un équilibre financier ? Je constate que les crédits de paiement ont augmenté de façon importante.
Les emplois francs n'ont pas atteint leur objectif premier. Pourtant, l'idée me semble tout à fait intéressante. On a l'impression que presque personne ne sait que ça existe : c'est ce qui ressort de mes rencontres avec les entrepreneurs de Seine-Saint-Denis. Il y a un défaut d'information considérable, alors que la mesure est bonne.
M. Jean-Claude Requier . - Je connais la mission « Travail et emploi », car j'en ai été corapporteur pendant trois ans. Quid des écoles de la deuxième chance ? Il n'en est pas question dans le rapport. Existent-elles toujours ? Font-elles toujours partie de la mission?
M. Éric Jeansannetas . - Ces regards croisés sont très intéressants.
Les missions locales suscitent quelques inquiétudes. D'ailleurs, le rapport d'information de François Patriat et Jean-Claude Requier indiquait qu'il fallait stabiliser leurs modes de financement. Nous en sommes à l'an 1 de ces nouvelles modalités de financement. Des inquiétudes demeurent-elles ou une stabilisation à moyen long et termes est-elle possible pour ces opérateurs importants pour les jeunes dépourvus de qualification et éloignés de l'emploi ?
Sur l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », il y a eu un appel à projets qui a suscité de l'espérance et de l'enthousiasme sur le terrain. Dans les territoires ruraux et très ruraux, les résultats sont intéressants. Y a-t-il des éléments permettant une accélération de la formalisation de l'élargissement de l'expérimentation ? Je le confirme : certains territoires sont dans les starting-blocks !
Mme Sylvie Vermeillet . - Quels sont les territoires retenus dans le cadre de l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » ? Quel est le statut des EBE ? Ces entreprises ont-elles absorbé des entreprises d'insertion par l'économique ? Comment cela s'est-il mis en place ? Quels types d'emploi sont concernés ?
M. Didier Rambaud . - Je salue le contraste entre les deux rapporteurs spéciaux. Cela pourrait faire jurisprudence !
Tous les quinze jours, je visite une entreprise dans mon département et suis sidéré par le nombre d'emplois non pourvus. Combien de temps cette situation va-t-elle durer ? Les réformes en cours en matière d'apprentissage, de formation professionnelle et l'assurance chômage sont bien nécessaires. Dans le supermarché de ma commune, cela fait deux samedis consécutifs que le gérant et son épouse remplissent les rayons. Ils ne reçoivent pas de CV.
Pourquoi faut-il une deuxième loi pour poursuivre le dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée » ?
M. Jean-Marc Gabouty . - C'est expérimental !
M. Marc Laménie . - Les crédits de paiement dévolus à cette mission sont importants. Le montant global pour tout ce qui est lié à l'emploi atteint 130 milliards d'euros, car d'autres financeurs interviennent. Comment se fait la répartition entre l'État, les autres partenaires et la dépense fiscale ?
Pourquoi une si forte augmentation des effectifs pour Pôle emploi ? Dans tous les départements, on note le décalage de ce premier opérateur par rapport aux propositions d'emploi : c'est malheureusement souvent disproportionné pour répondre aux attentes des entreprises. Actuellement, les artisans, commerçants, chefs d'entreprise ne trouvent pas de main-d'oeuvre, alors qu'il existe des structures, notamment Pôle emploi. Il y a aussi un décalage avec l'éducation nationale. On se retrouve dans un système paradoxal sur l'efficacité duquel on s'interroge.
Les missions locales pour les jeunes apparaissent-elles bien dans cette mission ?
M. Jean-Marc Gabouty . - Mon intervention vaudra aussi explication de vote sur les amendements.
Je voterai l'amendement sur les maisons de l'emploi. On sauve ce dispositif d'une année sur l'autre, mais on reste au milieu du gué. Si certaines maisons de l'emploi fonctionnent bien, pourquoi ne pas les renforcer et les généraliser un peu plus ? Cette situation intermédiaire n'est pas totalement satisfaisante.
Sur l'ACRE, j'adhère à toute l'argumentation de l'objet de l'amendement, sauf à la conclusion. Les personnes démissionnaires ayant un projet qui pourront bénéficier d'une couverture dans le cadre de la réforme de l'assurance chômage rejoindront-elles les publics visés à l'article L. 5141-1 du code du travail ? Cela paraîtrait logique.
En revanche, je suis plus que réservé sur l'exonération sur trois ans. Je rappelle que cela concerne des publics ayant des projets de petites ou de micro-entreprises. Sur un an, cela les aide à démarrer, mais, sur trois ans, cela risque de les installer dans un faux équilibre d'exploitation. C'est a pour conséquence des prix en dessous du prix de revient réel, donc des prix cassés, donc une concurrence déloyale pour les artisans et les TPE. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à cet amendement, tout en étant favorable au dispositif.
Mme Sophie Taillé-Polian , rapporteure spéciale . - En ce qui concerne les maisons de l'emploi, la problématique est similaire à celle de l'an dernier. Nous cherchons à sauver leur budget et à faire en sorte que celles qui fonctionnent bien et ont fait la preuve de leur efficacité puissent continuer à exister sans que les collectivités territoriales soient contraintes d'intervenir pour les sauver.
L'expérimentation « Territoires zéro chômeurs de longue durée » concernait initialement dix territoires. Le nombre de chômeurs de longue durée y a fortement baissé. Le modèle économique des entreprises à but d'emploi (EBE), statut très particulier, a été conforté. Il est complémentaire de celui des entreprises de l'insertion par l'activité économique. Les deux structures coexistent, sans fusion. Dans les futurs « Territoires zéro chômeurs », il est possible que des entreprises de l'insertion par l'activité économique créent une EBE à côté. L'association « Territoires zéro chômeurs » ne demande pas une généralisation immédiate du dispositif mais plutôt un élargissement et une prolongation de l'expérimentation pour continuer l'évaluation. Une seconde loi serait alors nécessaire.
L'expérimentation est un succès dans la plupart des cas. Des retours d'expérience ont eu lieu, avec des échanges entre les dix EBE qui existent et les territoires qui se sont portés candidats en vue d'un élargissement de l'expérimentation. Les contacts entre l'association et le ministère sont étroits. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), ainsi que le rapport d'un groupe d'experts devraient être réalisés. L'association « Territoires zéro chômeur de longue durée » rédigera aussi un rapport d'évaluation.
Pour éviter d'entrer en concurrence avec le secteur concurrentiel, on étudie la situation des territoires et les compétences des demandeurs d'emploi volontaires pour intégrer le dispositif. Un travail au cas par cas est mené. Dans la Nièvre, par exemple, une ressourcerie ainsi qu'un atelier de réparation des machines agricoles ont été créés, car il n'y en avait pas dans le département. L'expérience consiste donc, au fond, en une mobilisation de tous les acteurs, publics comme privés, élus comme entreprises, ce qui permet d'éviter de créer une concurrence financée par des fonds publics avec des entreprises existantes. Il s'agit de s'inscrire dans des niches d'activité tout en permettant à des chômeurs de retrouver un statut de salarié dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. L'idée est de privilégier les dépenses actives à l'indemnisation passive du chômage, même si cela coûte un peu plus cher, car les bénéfices sont plus importants.
Les contrats de génération ont été supprimés, car l'évaluation n'avait pas été concluante. Depuis, il n'y a pas eu de politique particulière à l'égard des séniors, ce qui est problématique dans la mesure où la moitié des personnes entre 55 et 65 ans ne sont pas en activité. L'AFPA a été mise en grande difficulté, car on lui a demandé de passer par la procédure des marchés publics. Contrainte par le statut de ses personnels et la nécessité d'entretenir des plateaux techniques toute l'année, elle s'est retrouvée pénalisée par rapport aux entreprises de formation classiques qui emploient des vacataires et louent des plateaux techniques ponctuellement en fonction de leurs besoins. L'AFPA a perdu des parts de marché et un plan de redressement a été élaboré. Celui-ci a été attaqué devant le tribunal de grande instance et la procédure a pris du retard. Beaucoup de suppressions d'emplois sont prévues même si le Gouvernement espère que les suppressions sèches seront rares, grâce aux départs volontaires ou aux départs à la retraite. En attendant, l'AFPA est entre deux eaux. Le budget comporte pourtant des éléments positifs, car certains crédits seront fléchés vers l'association dont la mission de service public sera reconnue et l'État ne passera plus par des appels d'offres pour certaines formations. L'AFPA deviendra donc un opérateur reconnu comme tel.
Le Gouvernement a décidé de généraliser les emplois francs même s'il n'a pas encore reçu le rapport d'évaluation prévu. Il est parvenu tant bien que mal, au prix d'une communication à outrance, car le dispositif patinait, à créer 17 000 emplois francs. Le dispositif aurait deux inconvénients potentiels : le risque d'effets d'aubaine et l'émergence d'un sentiment de discrimination chez les bénéficiaires. Le Gouvernement restera attentif au résultat des évaluations.
Avec le succès de la garantie jeunes, dont les crédits continuent d'augmenter, les missions locales ont vu leur place confortée. Les modalités de gestion des crédits de la garantie jeunes vont évoluer. Auparavant les missions locales étaient financées par un forfait au contrat, et une part variable conditionnée à l'entrée effective du jeune dans le parcours et à une sortie positive. Une correction a été apportée, avec une hausse de la rémunération forfaitaire et une diminution de la part indexée sur les résultats pour donner plus de visibilité aux missions locales. Le Gouvernement semble aussi avoir renoncé à sa volonté de procéder à des fusions à marche forcée, privilégiant le volontariat.
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - Un recours a été déposé en justice contre le plan de sauvegarde de l'emploi de l'AFPA, ce qui a retardé la réorganisation prévue de six mois. Les suppressions de postes prévues n'ont pas encore eu lieu. La subvention à l'AFPA pour charge de service public est maintenue à 110 millions d'euros en 2020.
Angers a été en pointe pour expérimenter les emplois francs. Il a fallu beaucoup de temps, tant aux candidats potentiels qu'aux entreprises, pour s'approprier le mécanisme. On a dû faire beaucoup de publicité. On est allé jusqu'à diffuser des brochures dans les cages d'escalier des immeubles pour trouver des candidats, ce qui n'est pas toujours simple, car beaucoup des candidats potentiels ne sont pas inscrits à Pôle emploi et ne sont donc pas éligibles ! Je doute que l'on atteigne l'objectif de 40 000 personnes qui est visé si l'on poursuit à ce rythme.
Jean-Claude Requier, nous n'avons pas évoqué les écoles de la deuxième chance, car leur situation ne change pas. Elles continuent de percevoir des crédits du programme 102, avec un budget de 24 millions d'euros permettant le financement de 15 000 parcours. Comme les établissements pour l'insertion dans l'emploi, dotés de 56 millions d'euros et qui relèvent également du ministère de la défense, elles visent à donner une deuxième chance à des jeunes sans diplôme.
Pourquoi certains chefs d'entreprises ne trouvent-ils pas de salariés ? On peut se réjouir qu'un millier de postes aient été créés à Pôle Emploi - alors que la subvention reste stable. Des missions spécifiques sont mises en place pour recruter les profils adéquats, en se fondant sur les compétences plus que les diplômes. Les situations sont très hétérogènes selon les territoires. Dans certains départements, on approche du plein-emploi. Il est donc également nécessaire de favoriser la mobilité.
Sur les maisons de l'emploi, l'amendement est le même que l'an dernier. Nous pensons qu'il faut 10 millions d'euros ; chaque année, le Gouvernement met zéro, l'Assemblée obtient 5 millions d'euros, et nous demandons 10...
L'article 80 parle de l'aide aux créateurs et repreneurs d'entreprises (ACRE), un ancien dispositif, datant de 1979, et qui était réservé à un public-cible. Depuis le 1 er janvier 2019, le Gouvernement l'a étendue à tous les créateurs d'entreprises - en vertu d'une disposition de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Le succès a été massif : 45 % des créations entreprises en 2018 sont le fait de micro-entrepreneurs. Le coût du dispositif, qui était de 446 millions d'euros en 2018, sera de 800 millions d'euros en 2020, et risquerait à droit constant d'atteindre 1,4 milliard d'euros en 2022. Avec l'article 80, le Gouvernement propose d'en revenir au public-cible initial. Pourquoi pas ? Il y a sans doute un effet d'aubaine, et nous n'avons pas les moyens d'aller à 1,4 milliard d'euros - sans compter qu'il y a du salariat déguisé derrière de nombreuses micro-entreprises. Pour les micro-entreprises, l'ACRE correspondait à une exonération de 75 % du taux global applicable en chiffre d'affaire la première année, 50 % la deuxième et 25 % la troisième. On nous propose de supprimer la possibilité de maintenir par décret l'exonération les deux années suivantes. Le Gouvernement nous demande de lui interdire, par la loi, d'exonérer par voie réglementaire. Qu'il prenne ses responsabilités ! Nous vous proposons donc de supprimer l'alinéa 7 de cet article. Il a également été annoncé qu'un décret viendrait diminuer les taux d'exonération dont auraient dû bénéficier en 2020 et 2021 les micro-entrepreneurs entrés dans le dispositif en 2019. Il nous parait difficile de revenir sur la parole donnée l'an dernier, en changeant la règle du jeu. Cela pose un problème de sécurité juridique.
M. Jean-Marc Gabouty . - Vous êtes un bon avocat, je vais rejoindre votre position.
Mme Sophie Taillé-Polian , rapporteure spéciale . - Une mauvaise décision a été prise : celle d'élargir à outrance.
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - Nous revenons au mécanisme antérieur, et attirons l'attention du Gouvernement sur le fait qu'il nous paraît dangereux de revenir par décret sur l'exonération octroyée l'an dernier pour les deux prochaines années.
M. Vincent Éblé , président . - Sur la mission, vous nous présentez un amendement de crédits n° 1 portant le financement des maisons de l'emploi à 10 millions d'euros.
L'amendement n° 1 a été adopté. La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Travail et Emploi », sous réserve de l'adoption de son amendement.
M. Vincent Éblé , président . - L'article 79 a été supprimé à l'Assemblée nationale. Vous nous proposez le maintien de sa suppression.
La commission a décidé de proposer au Sénat de confirmer la suppression de l'article 79.
M. Vincent Éblé , président . - Sur l'article 80, vous nous présentez un amendement n° 2.
L'amendement n° 2 a été adopté. La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption de l'article 80 ainsi modifié.
M. Vincent Éblé , président . - Vous nous proposez d'adopter conforme l'article 81.
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - Il prévoit la correction d'une anomalie juridique entraînant, pour les chefs d'entreprise artisanale affiliés au régime générale de la sécurité sociale, une double obligation de versement de la cotisation « formation professionnelle » aux URSSAF et aux OPCO.
La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption de l'article 81 sans modification.
M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - L'article 82 prévoit que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 1 er septembre 2020, un rapport évaluant le financement des contrats d'apprentissage dans le secteur public local et le coût de leur prise en charge par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les collectivités territoriales. Depuis la loi du 6 août 2019 de modernisation de la fonction publique, le CNFPT finance les contrats d'apprentissage dans les collectivités territoriales à hauteur de 50 %. Cela constitue un réel problème pour son équilibre financier et risque de l'empêcher de se concentrer sur sa mission première, qui est de former les agents publics territoriaux. Nos collègues de la commission des lois avaient conscience de ce problème. Alors que l'Assemblée nationale avait prévu un financement à hauteur de 75 %, ils l'avaient ramené à 20 %. Le texte issu de la CMP a abouti au compromis de 50 %. Le Gouvernement semble avoir pris conscience de ces risques, et a émis un avis favorable à l'adoption de cet article, qui propose un rapport sur l'impact de cette réforme sur les finances du CNFPT. Je m'en remets donc à la sagesse.de la commission sur cet article
M. Philippe Dallier . - Nous pouvons voter pour...
M. Vincent Capo-Canellas . - Certains rapports sont utiles !
La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption de l'article 82 sans modification.
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Réunie à nouveau le jeudi 21 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission, après avoir pris acte des modifications apportées par l'Assemblée nationale, a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission tels que modifiés par son amendement et de confirmer la suppression de l'article 79. Elle a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption de l'article 80 tel que modifié par son amendement, et d'adopter les articles 81 et 82 sans modification.