LES MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En seconde délibération, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement 17 ( * ) procédant à différents mouvements de crédits, sur les programmes de la mission « Sécurités », dont le programme 161« Sécurité civile », sans toutefois préciser la ventilation de ces mouvements par titre.

Cet amendement procède d'une part à une minoration de 1, 442 074 million d'euros en AE et en CP du programme 161« Sécurité civile » , justifiée, d'après le Gouvernement, par les votes intervenus au cours de la première délibération sur le projet de loi de finances pour 2020. D'autre part, il procède à une majoration de 3, 684 372 millions d'euros en AE et en CP . Ces crédits supplémentaires sont issus du programme 552 de la mission « Crédits non répartis », sur lequel était imputé le montant prévisionnel correspondant à la revalorisation du barème de remboursement des frais de repas pour les agents publics en formation ou en mission, avec un rehaussement de la prise en charge de 15,25 euros par repas à 17,5 euros.

Cependant, il apparaît que cette majoration est disproportionnée par rapport au nombre d'ETP du programme 161 . Le même amendement prévoit ainsi une majoration du même type pour les autres programmes de la mission « Sécurités », notamment les programmes 152 « Police nationale » et 176 « Gendarmerie nationale ». Alors que leur nombre d'ETP dépasse largement celui du programme 161, ces mêmes programmes bénéficient d'une ouverture de crédits supplémentaires bien inférieure - respectivement - de 20 255 euros et 1 073 125 euros - pour couvrir cette mesure de revalorisation.

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

ARTICLE 78 septdecies (nouveau)
(Article L. 725-5 du code de la sécurité intérieure)

. Commentaire : le présent article propose d'expérimenter la généralisation de la possibilité de réaliser des évacuations d'urgence de victimes par les associations agréées de sécurité civile, possibilité actuellement circonscrite dans le ressort de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et du bataillon de marins-pompiers de Marseille.

I. LE DROIT EXISTANT

Le modèle français de sécurité civile repose sur la participation de plusieurs associations , aux côtés des services d'incendie et de secours (SIS) et des services d'aide médicale d'urgence (SAMU), pour la réalisation de missions de sécurité civile.

Le concours de ces associations aux opérations de secours est encadré par les articles L. 725-1 à L. 725-9 du code de la sécurité intérieure . Treize associations sont aujourd'hui couvertes par un agrément de sécurité civile, octroyé par l'État, telles que la Fédération nationale de la protection civile ou la Croix-Rouge française.

Les associations agréées de sécurité civile (AASC) peuvent réaliser des évacuations d'urgence de victimes dans deux cas de figure :

- si elles ont reçu l'agrément « D », permettant leur participation aux dispositifs prévisionnels de secours mis en place lors de rassemblements de personnes , leurs équipes secouristes peuvent réaliser de telles évacuations dans le cadre d'une convention avec le centre hospitalier siège du SAMU et le service d'incendie et de secours (SIS), définie à l'article L. 725-4 du code de la sécurité intérieure ;

- si elles ont conclu une convention définie à l'article L. 725-5 du même code , avec l'État, un SIS ou une commune, et qu'elles se situent dans ressort la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et du bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM) . Le dernier alinéa de ce même article a été inséré en 2016 par un amendement de notre collègue Catherine Troendlé. Un sous-amendement de la commission des affaires sociales du Sénat avait notamment restreint cette mesure aux périmètres d'intervention de la BSPP et du BMPM, ces deux unités ne comprenant que des sapeurs-pompiers militaires. Il s'agissait d'éviter un risque de concurrence entre les associations agréées de sécurité civile et les SIS faisant appel à des sapeurs-pompiers volontaires (SPV).

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article est issu de l'adoption, avec avis de sagesse du rapporteur spécial et avis favorable du Gouvernement, d'un amendement de notre collègue député Arnaud Viala, rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits du programme 161 « Sécurité civile » de la mission « Sécurité ».

Contrairement à ce qu'indique l'exposé sommaire de l'amendement ayant introduit cet article, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale tend à créer une nouvelle catégorie de convention autorisant la réalisation des évacuations d'urgences par les AASC , à titre expérimental. En effet, si l'intention semble être de généraliser le dispositif visé par le dernier alinéa de l'article L. 725-5 du code de la sécurité intérieure, qui est donc actuellement réservé au périmètre de la BSPP et du BPMP, la convention prévue par le deuxième alinéa de l'article adoptée s'apparente davantage à celle visée par l'article L. 725-4 du même code , en ce qu'elle est conclue entre les AASC, le SIS et le SAMU. La convention prévue à l'article L. 725-5, que modifie le présent article, est en revanche conclue avec l'État, le service d'incendie et de secours ou la commune.

Le troisième alinéa de l'article adopté renvoie à un arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la santé afin de fixer les modalités de l'expérimentation et la liste des départements y prenant part. L'expérimentation doit être mise en oeuvre à compter de la publication de l'arrêté précité, pour une durée de trois ans. Il prévoit en outre la publication d'un rapport d'évaluation de cette expérimentation, qui serait remis au Parlement par le Gouvernement au plus tard 6 mois avant la fin de l'expérimentation.

Le dernier alinéa prévoit la suppression des deux alinéas précédents à l'issue de l'expérimentation.

Cet article s'avère par ailleurs très proche de l'article 10 de la proposition de loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent 18 ( * ) , actuellement en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. La principale différence prévue par le présent article 78 septdecies est qu'il prévoit la mise en oeuvre de cet élargissement dans le cadre d'une expérimentation.

Considérant « qu'une telle mesure pourrait trouver sa place dans un texte toilettant la partie législative du code de la sécurité intérieure qui définit les agréments et les missions de ces associations » 19 ( * ) et qu'elle pourrait aussi fragiliser le volontariat chez les sapeurs-pompiers, la commission des lois de l'Assemblée nationale a supprimé cet article . Le Sénat ayant confirmé sa suppression au cours de sa séance du 24 octobre 2019, cet article 10 n'est plus dans la discussion et ne pourra donc être retenu dans le texte définitif.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES

A. UNE MESURE VALORISANT LE RÔLE DES ASSOCIATIONS DE SÉCURITÉ CIVILE ET TENDANT À RENFORCER LES MOYENS DE SECOURS

1. Une mesure pertinente, favorisant une continuité dans la prise en charge des personnes secourues par les associations de sécurité civile

Comme l'expose l'auteur de l'amendement, la mesure répond à une demande des AASC, afin de les faire « participer pleinement aux opérations de SUAP en dehors de Paris et Marseille » , et ainsi mettre fin à « une situation entraînant des délais supplémentaires et une rupture dans la prise en charge des victimes » . 20 ( * )

Par ailleurs, l'auteur considère que le potentiel effet d'éviction sur le recrutement de SPV n'aurait pas lieu d'être, à l'appui du retour d'expérience réalisé sur le dispositif en vigueur à Paris et Marseille. Aucun effet d'éviction n'a ainsi été constaté sur l'engagement de réservistes dans ces deux formations militaires.

2. Un dispositif qui doit être précisé pour garantir la pleine maîtrise des SDIS dans le recours aux moyens complémentaires de SUAP

Votre rapporteur spécial souscrit à la mesure proposée , sous réserve qu'elle s'inscrive en complémentarité de l'action des services d'incendies et de secours (SIS). La participation des associations agréées aux missions d'évacuation d'urgence devrait dès lors être précisée dans le règlement opérationnel prévu à l'article L. 1424-4 du code général des collectivités territoriales , afin de garantir au commandant des opérations et de secours la pleine maîtrise des moyens disponibles pour les interventions de SUAP.

Par ailleurs, comme évoqué supra , si l'intention de l'auteur est bien d'élargir le dispositif en vigueur à Paris et à Marseille, il convient de s'en référer à la convention prévue par le premier alinéa de l'article L. 725-5 du code de la sécurité intérieure, et non celle visée à l'article L. 725-4 du même code.

En effet, s'agissant de missions et de compétences que la loi confie déjà aux seuls SIS, et de moyens complémentaires auxquels ils pourraient avoir recours s'ils le décident , il n'est pas nécessaire d'associer à la convention le centre hospitalier siège du SAMU . Les SIS interviennent déjà à la demande du médecin régulateur du SAMU dans le cadre du SUAP.

B. UN DIPOSITIF QUI DOIT ÊTRE AMÉLIORÉ DANS LE CADRE D'UN TEXTE SPÉCIFIQUE

Tel que rédigé, et ainsi rattaché à la seconde partie du projet de loi de finances, cet article ne peut pas être adopté en l'état.

1. Des incertitudes quant à l'opportunité d'une expérimentation

Le dispositif prévu par l'article 725-5 du code de la sécurité intérieure est facultatif , tant s'agissant de la convention même que du fait que cette convention puisse prévoir la réalisation d'évacuations d'urgence par les associations de sécurité civile du ressort de la BSPP et du BMPM.

L'élargissement d'un tel dispositif sur le reste du territoire peut donc se passer d'une expérimentation , et s'effectuer progressivement dans les départements volontaires. Dès lors, il semble que le cadre expérimental proposé par l'amendement ayant introduit cet article lui a surtout permis de ne pas être déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution .

En effet, bien qu'elles soient des personnes privées, les associations agrées de sécurité civile sont concernées par le champ de l'irrecevabilité financière, leurs ressources étant pour l'essentiel publiques 21 ( * ) - la Croix Rouge est ainsi principalement financée par les organismes d'assurance maladie.

Un élargissement de leurs missions suppose une hausse de leurs dépenses de fonctionnement , si ce ne sont leurs dépenses d'investissement, et emporte par conséquent une aggravation de leurs charges.

Si la commission des finances de l'Assemblée nationale admet les aggravations de charges lorsqu'elles sont expérimentales, ce n'est pas le cas de la commission des finances du Sénat 22 ( * ) . Cet article ne peut donc qu'être difficilement amendé au Sénat.

2. Une mesure qui n'appartient pas au domaine de la loi de finances et gagnerait à être présentée dans un texte spécifique

Surtout, cet article ne semble pas appartenir au domaine des lois de finances prévu par l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 23 ( * ) , et risque donc d'être censuré par le Conseil constitutionnel, s'il venait à être adopté dans le texte définitif.

Sans préjuger de sa décision sur ce projet de loi, qui a par ailleurs de fortes chances de lui être déféré, le Conseil constitutionnel censure régulièrement d'office plusieurs articles étrangers au domaine des lois des finances, appelés « cavaliers budgétaires » , quand bien même la conformité de ces articles ne serait pas mise en cause par les auteurs de la saisine du Conseil. 24 ( * )

Afin d'apprécier son appartenance au domaine des lois de finances, le juge constitutionnel retient notamment le critère de l' « incidence directe sur les charges de l'État » pour l'année en cours. Le présent article ne concernant « ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties ou la comptabilité de l'État » 25 ( * ) , il n'a pas vocation à figurer dans la seconde partie du présent projet de loi de finances pour 2020.

Aussi, sans remettre en cause le bien-fondé d'une telle mesure, qui mériterait d'être développée dans un texte spécifique, votre rapporteur spécial propose un amendement de suppression de cet article.

Décision de la commission : votre commission vous propose de supprimer cet article.


* 17 Amendement n° II-8 http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2272D/AN/8

* 18 Proposition de loi de MM. Jean-Charles Colas-Roy, Laurent Pietraszewski, Gilles Le Gendre, Mme Amélie de Montchalin et M. Hugues Renson, déposé à l'Assemblée Nationale le 17 décembre 2018 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl18-331.html

* 19 Rapport n° 1633 de M. Jean-Charles COLAS-ROY, fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 février 2019

* 20 Assemblée nationale, amendement n°II-1303 (Rect) de M. Arnaud Viala, sur le projet de loi de finances pour 2020

* 21 D'après le rapport d'information n° 263 (2013-2014) de M. Philippe Marini sur recevabilité financière des amendements et des propositions de loi au Sénat, « les associations et fondations, personnes privées, sont hors du champ de l'article 40 même lorsqu'elles effectuent des missions d'intérêt général éventuellement reconnues par la loi, à moins que leurs ressources ne soient essentiellement publiques ».

* 22 Ainsi que l'a rappelé son président Vincent Éblé au cours de sa réunion le mercredi 3 avril 2019, l'Assemblée nationale retient « la tolérance à ``égard des expérimentations qui créent des charges publiques, sous réserve qu'elles soient optionnelles, limitées dans le temps et réversibles. À l'inverse, de tels amendements sont déclarés irrecevables au Sénat, dès lors que rien ne laisse entendre que le caractère temporaire, facultatif ou réversible de la charge constitue un motif suffisant pour que le Conseil constitutionnel écarte l'application de l'article 40. Au contraire, celui-ci a par exemple expressément validé la censure d'un amendement constituant une simple charge de trésorerie, par nature temporaire ».

* 23 Le b du 7° de cet article dispose notamment que les « dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année » relèvent de la seconde partie de la loi de finances.

* 24 Voir par exemple le considérant n°83 de la décision n° 2018-777 DC du 28 décembre 2018 https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018777DC.htm

* 25 Considérant de principe du Conseil constitutionnel, utilisé notamment dans sa décision n°2011-638 sur de la loi de finances rectificative pour 2011, ayant censuré l'article 53 portant sur le recours expérimental des conseils généraux aux contrats de partenariat pour les opérations liées aux besoins des services départementaux d'incendie et de secours https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2011/2011638DC.htm

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