II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
A. UNE INFORMATION BUDGÉTAIRE LARGEMENT PERFECTIBLE
L'information budgétaire fournie présente des lacunes tant sur les ressources et les charges que du point de vue de la performance.
Des données financières qui mériteraient d'être explicitées sont livrées sans explication, même succinctes.
Quant à la performance, la mission comporte trois programmes assortis chacun d'objectifs suivis par des indicateurs (6 objectifs et 13 indicateurs au total).
Outre que, pour nombre d'indicateurs de performances, les résultats faisant l'objet d'un suivi échappent à la prise du responsable de programme, de nombreux indicateurs ressortent comme peu significatifs tandis que des objectifs primordiaux ne sont pas couverts par le suivi de performance.
Votre rapporteur spécial expose ci-après quelques exemples parmi d'autres des difficultés rencontrées.
1. De nombreuses données financières font l'objet d'une information excessivement sommaire
Comme c'est la règle, la lecture du RAP pour 2018 recèle de nombreux exemples où l'explicitation attendue des opérations financières qu'il décrit, la « justification au premier euro », est absente.
En matière de recettes, on relèvera, par exemple, la mention de plus de 1,7 million d'euros (contre 5 millions d'euros en 2017) d'attribution de produits correspondant à la vente des informations publiques issues du fichier tenu dans le cadre du système d'immatriculation des véhicules (SIV). Celui-ci correspond aux données nécessaires à l'immatriculation des véhicules. Il s'agit donc d'un fichier destiné à délivrer des titres sécurisés, dont il est pour le moins surprenant d'apprendre sans plus d'autres informations qu'il fait l'objet d'opérations commerciales. L'exploitation commerciale des données fournies par les usagers et traitées par le ministère de l'intérieur, sans doute à destination des concessionnaires automobiles qui, à leur tour, font payer le service de délivrance des certificats d'immatriculation à leurs clients appelle un supplément d'informations, qui permettraient, par exemple, d'en présenter les conditions et d'expliquer les raisons pour lesquelles sa contrevaleur semble connaître des évolutions heurtées (- 66 % de produits en 2018 par rapport à 2017).
Quant aux dépenses, il aurait été pour le moins justifié d'expliciter l'impact sur les charges de la mission d'évolutions a priori remarquables soit par leur nature, soit par leur ampleur. Il en va ainsi de la mise à la charge de la mission des dépenses nécessaires au fonctionnement de la commission du contentieux du stationnement payant, qui élargit le périmètre de la mission sans que l'effet budgétaire de cette extension ne soit isolé.
Mais, l'on pourrait également mentionner l'absence de toute information sur les dépenses fiscales concourant au financement de la vie politique. La réduction d'impôt accordée aux personnes consentant des dons et acquittant des cotisations aux partis politiques (article 200 du code général des impôts) continue à être ignorée par la documentation budgétaire alors qu'elle représente des transferts publics d'un montant très significatif.
2. La mission AGTE, une entorse à la spécialisation budgétaire qui s'aggrave du fait de la disparition des informations permettant d'apprécier la destination effective des crédits
La loi organique relative aux lois de finances a entendu préserver le principe de spécialité budgétaire, son article 7 posant à ce titre plusieurs normes régulatrices. Ainsi du I de l'article qui énonce qu'une « mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie » et encore qu'un « programme regroupe les crédits destinés à mettre en oeuvre une action ou un ensemble cohérent d'actions relevant d'un même ministère et auquel sont associées des objectifs précis, définis en fonction de finalités d'intérêt général, ainsi que des résultats attendus et faisant l'objet d'une évaluation » .
Le moins qu'on puisse dire de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » est qu'elle est très éloignée de satisfaire la lettre et l'esprit de ces dispositions organiques, dont le sens est d'aboutir à une nomenclature budgétaire garantissant les conditions d'une décision éclairée des autorités budgétaires, au premier rang desquelles se situe le Parlement, mais aussi une gestion des politiques publiques rigoureuse.
Il y a lieu de considérer certains des prolongements pratiques de cette contravention aux règles les plus éminentes s'appliquant aux finances publiques.
De ce point de vue, la mission AGTE apparaît, à bien des égards, comme une mission « réservoir » .
Elle regroupe des crédits destinés à financer moins des politiques publiques bien identifiées que des structures administratives chargées de surcroît de missions souvent très générales (comme l'intitulé de la mission l'indique assez) dont l'identification présente certaines difficultés. Par ailleurs, nombre des moyens rattachés à la mission sont en réalité redéployés vers d'autres missions tandis qu'au sein du programme 307 une action rassemble des dotations dites « d'animation et de soutien du réseau » qui ont vocation à être réparties entre d'autres actions du programme.
Ces caractéristiques de la mission AGTE sont autant d'obstacles à l'analyse budgétaire des politiques proposées et exécutées par le Gouvernement. Elles rendent quelque peu obscurs les moyens consacrés aux priorités « stratégiques » de la mission et des missions qui bénéficient des déversements effectués à partir de la mission AGTE.
L'exercice 2018 en témoigne avec l'importance des « corrections techniques » apportées au décompte des emplois et avec des évolutions considérables mais laissés sans explicitation des transferts d'emplois vers d'autres missions ou de virements de crédits d'un programme à l'autre.
Ces facteurs d'obscurité étaient tempérés par l'indication des emplois effectifs des crédits à partir du suivi des crédits déversés à partir de la mission vers d'autres missions (ou, au sein de la mission, entre programmes), les principaux déversements s'effectuant au profit de la mission « Sécurités » (559 millions d'euros), « Immigration, asile et intégration » (37,7 millions d'euros), « Outre-mer » (38,8 millions d'euros) et « Relations avec les collectivités territoriales » (10,8 millions d'euros).
Cette information, pourtant minimale, n'est plus fournie.
Il s'agit d'une régression qu'il convient de corriger afin de disposer des moyens d'une appréciation plus juste des moyens consacrés aux différentes politiques publiques conduites par l'État.
On rappelle ici que l'écart entre les consommations de crédits de la mission AGTE et ses dépenses complètes, une fois les déversements de crédits pris en compte, s'était élevé en 2017 à 501,6 millions d'euros, 16,7 % des emplois de crédits de la mission se trouvant consacrés à des politiques publiques prises en charge en dehors du champ propre de la mission AGTE.
Si le niveau des crédits consommés s'était alors élevé à 3 019,6 millions d'euros, les dépenses « pour compte propre », n'avaient été que de 2 518 millions d'euros.
3. La maquette de performance du programme 307 s'étiole de plus en plus et rend de moins en moins compte des priorités assignées au réseau préfectoral
Le programme 307 « Administration territoriale », qui, jusqu'en 2015 affichait cinq objectifs, n'en affiche plus que trois.
En 2016, l'objectif d'amélioration de la coordination des actions interministérielles avait cessé de faire l'objet d'un suivi en loi de finances.
En 2017, c'est le suivi du développement des actions de modernisation et de qualité des préfectures qui, en lien avec l'affaiblissement des relations directes entre usagers et entités du réseau, avait été abandonné.
Alors même que la période a été marquée par des initiatives, présentées comme fortes, pour redéfinir les missions du réseau, l'information budgétaire se réduit à la portion congrue, semblant traduire une difficulté majeure à passer d'un discours général volontariste sur les principes à l'affirmation, plus substantielle, d'objectifs concrets.
Force est d'observer que les objectifs développés dans les directives nationales d'orientation des préfectures et sous-préfectures , en particulier dans la dernière en date qui couvrait les années 2016-2018, sont loin d'être repris avec exhaustivité dans les documents budgétaires , alors même que ces objectifs, prioritaires, ne sont pas si nombreux que leur traduction dans l'information budgétaire soit de nature à les alourdir plus que de raison.
On les rappelle pour mémoire : « quatre orientations principales se dégagent pour les services : conforter les préfectures au coeur de missions régaliennes de l'État ; moderniser les relations avec l'usager ; incarner la proximité sur le territoire ; déployer les outils d'accompagnement de ces évolutions ».
Votre rapporteur spécial avait recommandé qu'un effort soit conduit pour que les objectifs opérationnels définis dans le cadre des orientations fixées au réseau préfectoral trouvent une traduction permettant d'enrichir une information budgétaire qui doit pouvoir saisir de façon réaliste les réformes entreprises et les orientations données aux moyens financés par le programme d'administration générale territoriale de l'État.
Cette recommandation laissée sans aucune suite doit ici être renouvelée.
Quant aux indicateurs de suivi, au nombre de sept, certains d'entre eux laissent, pour le moins, à désirer.
Sur ce point, on ne peut que répéter qu'il serait utile que les indicateurs de gestion selon lesquels le responsable de programme apprécie les résultats obtenus, dont l'exhaustivité est nettement plus satisfaisante que celle qui caractérise l'information fournie au Parlement, soient indiqués dans les documents de restitution budgétaire.
Quant à des critères plus qualitatifs , on rappelle que certains indicateurs suivent des données dont la réalisation n'incombe qu'en partie au responsable du programme. Ainsi en va-t-il de l'élaboration des plans communaux de sauvegarde.
Surtout, d'autres fournissent des indications à la faible significativité et susceptibles d'induire des conclusions hâtives, voire erronées.
Dans ce sens, votre rapporteur spécial avait indiqué que, selon lui, le suivi de la détection des fraudes documentaires par les préfectures était certainement sensible à un « effet lampadaire », son interprétation comme témoin de l'efficacité administrative devant être considérée comme soumise à trop d'incertitudes pour qu'il puisse être jugé comme représentatif de celle-ci. Le rapport annuel de performances de l'exercice confirme à sa manière les ambiguïtés évoquées par votre rapporteur spécial. Les services chargés de suivre l'indicateur de performance ont pris l'habitude de décompter leur activité en ce domaine dès qu'une suspicion de fraude leur venait à l'esprit. Ce faisant, ils s'inscrivaient dans la logique de la définition de l'indicateur tel qu'elle figure dans le RAP. Or, ce même RAP indique qu'une méprise s'est produite, les services étant priés de n'informer l'indicateur qu'en cas de suspicion de fraude avérée. On se rapproche ainsi d'une notion de « détection », plus rigoureuse que celle de simple suspicion. Il faut souhaiter que ces instructions plus précises permettent de disposer d'une image plus exacte de la capacité du processus de délivrance des titres sécurisés à combattre la fraude documentaire. Quoi qu'il en soit, on relèvera qu'en accord avec la modification de la définition des cas à ranger sous l'étendard de la lutte contre la fraude le niveau de l'indicateur s'est trouvé considérablement diminué, passant d'une cible de 0,27 % à une cible de 0,08 %.
Cela étant précisé, il reste que, dans le dispositif de suivi de la performance tel qu'il est, rien n'est dit sur les suites données aux constats de fraude si bien que l'orientation, pourtant prioritaire, donnée aux services dans le cadre du plan Préfecture nouvelle génération (PPNG) d'améliorer la détection des fraudes ne fait l'objet que d'une évaluation sommaire dans les documents budgétaires.
De leur côté, les indications données sur la performance atteinte dans le domaine de la délivrance des titres sécurisés ont été améliorées. Les critiques qu'on leur avait ici adressées venaient de ce qu'elles portaient, non sur les délais de traitement des dossiers présentés par les demandeurs, mais sur le nombre des préfectures parvenant à traiter ces demandes en moins de 15 jours, méthode susceptible d'écraser les écarts de performances. Le suivi du délai moyen de délivrance des permis de conduire, de la carte nationale d'identité et du passeport biométrique permet d'atténuer cet effet d'écrasement. Toutefois, il ne l'évite pas tout à fait dans la mesure où présentant une performance moyenne, il ne restitue ni les très bons résultats parfois obtenus, ni les temps d'attente manifestement excessifs supportés en certains points du territoire et dans certaines circonstances de temps.
Dans ces conditions, il serait justifié pour disposer d'une vision plus juste des performances des services de disposer d'information sur la dispersion des délais subis par les usagers, dont votre rapporteur spécial avait pu relever la grande diversité, selon les situations locales et les périodes de l'année. De la même manière, il convient de compléter les indicateurs de suivi de la performance des services chargés de délivrer les titres sécurisés en élargissant le champ des titres considérés à chacun d'entre eux.
Enfin, et sans préoccupation d'exhaustivité, force est d'observer que le suivi du contrôle de légalité par la mesure d'un taux de contrôle des actes prioritaires reçus en préfecture peut être affecté par des ruptures de champ. On sait que la dimension des actes prioritaires a fortement varié dans le temps. Les rapports annuels de performances successifs en témoignent qui rendent compte de la variabilité quantitative des actes reçus d'une année sur l'autre, mais aussi de la modulation des contrôles en fonction de choix locaux au demeurant très contraints. Ajoutons qu'un indicateur purement quantitatif ne saurait saisir la qualité du contrôle, qui est évidemment essentielle.
Sur ce point, un indicateur portant sur les prolongements donnés aux contrôles effectués par les services devrait être publié.
4. La maquette de performance du programme 232 est réductrice
Le suivi de la performance du programme repose sur un seul et unique indicateur, le coût moyen des différentes élections par électeur inscrit sur les listes électorales. Il n'offre aucun moyen tangible d'apprécier les résultats de l'action du responsable du programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative ».
L'indicateur suivant les délais de publication des comptes des partis politiques, qui offrait une indication, trop partielle (le délai de traitement des comptes de campagne des candidats aux élections politiques n'était pas appréciable) mais utile, sur les conditions de mise en oeuvre de la mission attribuée à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ne figure plus dans la maquette de performance.
Les résultats tels qu'ils sont appréhendés ne dépendent pas exclusivement, loin de là, du responsable de programme. En effet, ni les coûts des élections ni le délai de traitement des comptes des partis politiques ne sont réellement pilotés par le secrétaire général du ministère de l'intérieur.
Par exemple, le coût des élections résulte soit de circonstances électorales singulières, qui conduisent à étendre plus ou moins les remboursements effectués au profit des candidats en fonction des résultats des scrutins, soit de décisions éminemment politiques sur lesquelles le responsable de programme est sans prise. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la dématérialisation des documents de propagande électorale, qui a fait l'objet d'une opposition systématique de la part du Parlement.
Néanmoins, des améliorations pourraient intervenir dans le sens d'une meilleure lisibilité de ce qui relève à proprement parler des services de l'État dans le coût des élections. Il serait justifié de distinguer les opérations sous leur maîtrise directe (mise sous pli et adressage de la propagande électorale notamment) des opérations qui ne font l'objet que d'un remboursement passif (impression et affichage de la propagande à la charge des candidats).
Au-delà, on peut regretter que le dispositif de suivi de la performance ne soit pas mobilisé pour être le support d'une information régulière et développée sur les conditions du financement de la vie politique et des cultes.
Il serait justifié de présenter dans ce cadre un bilan des activités de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et de leurs effets sur la consommation des crédits du programme.
5. La maquette de performance du programme 216 est incomplète
Quant aux indicateurs de performance du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », pour fournir quelques indications utiles pour le suivi des éléments de la « fonction de production » du ministère, ils sont marqués par leur insuffisance.
Des améliorations sont parfois intervenues ces dernières années. Ainsi en va-t-il pour l'issue des contentieux qui n'était informée que pour celui des étrangers mais peut désormais être appréciée pour une gamme plus étendue de litiges.
Néanmoins, certains indicateurs sélectionnent sans raison évidente des données qui ne sont que partiellement représentatives du problème administratif envisagé et délaissent des données importantes. C'est le cas dans le domaine de la gestion du personnel où manquent des données importantes sur les processus de restructuration des qualifications, de mobilité géographique ou fonctionnelle ou encore sur les éléments quantitatifs de productivité du travail. Ces lacunes sont particulièrement regrettables s'agissant d'une administration de réseau en phase de changement.
Dans sa note d'exécution budgétaire de 2018 consacrée à la mission, la Cour des comptes relève le contraste entre le dispositif de performances publié dans le cadre de l'information budgétaire et la diversité et la richesse des outils mobilisés par le responsable de programme dans le pilotage de ses missions. Cette observation avait pu être vérifiée par la commission des finances du Sénat à propos du programme 307. Le dispositif appliqué au programme 216 répondrait aux exigences de la direction du budget qui norme l'information à fournir sur les programmes supports des différentes missions du budget général. Ce processus n'est pas critiquable en soi, même s'il semble peu mobilisé dans les processus de détermination des choix budgétaires. Mais, il n'est pas nécessaire de réduire la documentation budgétaire aux seules exigences de la direction du budget.
Le Parlement n'est pas étranger aux préoccupations de cette direction, mais il lui serait utile de disposer en sus d'une image moins strictement quantitative des performances du programme 216.
Au total, un effort d'exhaustivité et de représentativité des objectifs et indicateurs de suivi des performances des actions publiques financées par la mission s'impose.