II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une poursuite de l'augmentation des dépenses de personnel, malgré l'insuffisance des crédits disponibles, permise par une pratique budgétaire fortement contestable

Les dépenses de rémunération représentent 86,65 % des crédits des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » exécutés en 2018, augmentent de 1,48 % en montant par rapport à 2017.

Évolution des dépenses de personnel de la « Police nationale » et de la « Gendarmerie nationale » en 2018

(en crédits de paiement)

2016

2017

PLF 2018

Exécution 2018

Évolution 2017-2018

Gendarmerie nationale

Titre 2

8 837,90

9 174,20

9 369,52

9 400,80

2,47%

Total

9 957,80

10 311,20

10 582,40

10 595,74

2,76%

Titre 2 / Total

88,80%

88,97%

88,54%

88,72%

Police nationale

Titre 2

6 998,10

7 331,60

7 380,34

7 348,70

0,23%

Total

8 308,30

8 653,60

8 756,01

8 734,99

0,94%

Titre 2 / Total

84,20%

84,72%

84,29%

84,13%

Total

Titre 2

15 836

16 505,80

16 749,86

16 749,50

1,48%

Total

18 266,10

18 964,80

19 338,41

19 330,73

1,93%

Titre 2 / Total

86,70%

87,03%

86,61%

86,65%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

En outre, le niveau élevé des taux d'exécution des crédits des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » ne doit pas masquer la différence existant entre les dépenses de personnel et les dépenses hors titre 2. Si l'ensemble des dépenses affichent des taux d'exécution proches de 100 %, les dépenses de crédits de personnel de la police nationale présentent une surconsommation, atteignant 100,3 % .

Taux d'exécution des crédits des programmes « Police nationale »
et « Gendarmerie nationale » en 2018

(en crédits de paiement)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Ce niveau particulièrement élevé des taux d'exécution témoigne d'une aggravation des tensions dans l'exécution des dépenses de personnel, déjà récurrentes pour les deux principaux programmes de la mission.

Pour le programme « Gendarmerie nationale », la Cour des comptes relève 257 ( * ) que le responsable de programme a dû faire face à une impasse budgétaire de 43 millions d'euros (hors CAS « Pensions ») sur les dépenses de rémunération, après dégel de la réserve de précaution . À cet égard, votre rapporteur spécial regrette que ces dépenses aient été couvertes grâce à des mesures contestables tant sur le plan de la sincérité budgétaire que de la pertinence opérationnelle . Le ministre de l'intérieur a en effet décidé de décaler le calendrier des incorporations et de réduire la durée de formation initiale (- 15 millions d'euros), ainsi que par une diminution des crédits alloués à la réserve opérationnelle (- 28 millions d'euros), dont votre rapporteur spécial regrette qu'elle serve, une année de plus, de variable d'ajustement, alors même qu'elle constitue un soutien indispensable en période de forte mobilisation. Le ministre de l'intérieur ayant souhaité le maintien d'une mobilisation des réservistes, il a été décidé, dès l'été 2018, que leur rémunération serait différée à l'exercice 2019 à hauteur de 19 millions d'euros, et, comme le relève la Cour des comptes, « en contradiction avec le principe d'annualité de l'autorisation budgétaire ».

La police nationale a rencontré des difficultés de même nature, l'insuffisance des crédits disponibles s'étant élevée à 61 millions d'euros (hors CAS « Pensions »), et a fait appel aux mêmes remèdes. Pour financer les recrutements de gardiens de la paix, la responsable de programme a notamment procédé au décalage des recrutements en fin d'année 2018
(-13,6 millions d'euros) et à la diminution de la mobilisation des crédits affectés à la réserve civile (-9,2 millions d'euros). Malgré ces mesures et l'ouverture de crédits supplémentaires en loi de finances rectificative (cf. supra ), une sur-exécution des dépenses de personnel de plus de 25 millions d'euros (hors CAS- Pensions) n'a pas pu être évitée.

Au total, la gravité de ces pratiques serait atténuée si elle était exceptionnelle et ne constituait pas le symptôme de problèmes structurels, mettant en cause la soutenabilité même des moyens et du fonctionnement de la police et de la gendarmerie nationales .

2. Des dépenses de personnel dopées par les recrutements et les mesures indemnitaires, mettant en cause la soutenabilité des dépenses de la police et de la gendarmerie nationales

L'augmentation des dépenses de personnel provient du schéma d'emploi et des mesures indemnitaires prises par le Gouvernement. Pour la police nationale, l'impact des schémas d'emploi 2017 et 2018 explique ainsi 60 % de l'augmentation des dépenses de personnel.

Structure de la variation des dépenses de personnel des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » en 2018

(en millions d'euros, en crédits de paiement)

Gendarmerie nationale

Police nationale

Exécution 2017 hors CAS- Pensions

3 986,40

6 144,90

+/- Impact des mesures de transfert et de périmètre

- 1,5

- 5,7

- Débasage de dépenses atypiques

- 33,2

- 41

+/- Impact du schéma d'emplois 2017

- 3,8

25,8

+/- Impact 2018 du schéma d'emplois

0,9

17,1

+ Mesures générales

1,8

3,2

+ Mesures catégorielles

27,9

30,1

+ GVT positif

56,4

67,4

- GVT négatif

- 68,4

- 46,3

Rebasage de dépenses atypiques

0,2

45,9

+/- Mesures diverses

57,3

75,1

Total : Montant exécuté 2018

4 024,10

6 316,60

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Le schéma d'emplois réalisé en 2018 par la mission « Sécurités » (1 902 ETP) excède celui prévu en loi de finances initiale (1 870 ETP). Il se situe à un niveau intermédiaire en comparaison des schémas de plus faible envergure réalisés en 2014 et 2015, et du schéma en nette rupture de 2016 (4 730 ETP).

La réalisation du schéma d'emplois de 2017 est principalement imputable au programme « Police nationale » (1 404 ETP), le programme « Gendarmerie nationale » ayant réalisé un schéma d'emplois de moindre importance (463 ETP).

Créations nettes d'emplois prévues et réalisées en 2018

(en ETP)

Gendarmerie nationale

Police nationale

LFI

Exécution

LFI

Exécution

Sorties

11 695

10 880

7 414

9 248

Entrées

12 154

11 343

9 790

10 652

Schéma d'emplois

459

463

1 376

1 404

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les plans de recrutement importants décidés par le gouvernement sont sources de risques importants. Comme pour l'exercice 2017, un risque de sous-exécution du schéma d'emplois est apparu en cours d'année 2018 du fait d'un nombre de sorties et de mobilités supérieur aux prévisions, notamment dans la catégorie des adjoints de sécurité. En outre, des difficultés à pourvoir des postes de commissaires subsistent, qui témoignent de la fragilité de ces plans de recrutement massifs en l'absence de vivier suffisant. Le schéma d'emplois n'a pu être rempli qu'en ouvrant des recrutements supplémentaires de gardiens de la paix et d'adjoints de sécurité, qui constituent, selon la Cour des comptes « la variable permettant la réalisation des schémas d'emploi ».

Si l'exercice est, globalement, marqué par le respect des annonces gouvernementales et des mesures votées en loi de finances initiale, ces importants recrutement ont, comme en 2017, « nécessité un effort particulier des filières de formation » 258 ( * ) . Votre rapporteur rappelle que cette mise sous tension des filières de formation n'est à terme, pas soutenable. Il est à cet égard symptomatique que les durées de scolarité aient été réduites de 12 à 8 mois pour les gendarmes et de 12 à 9,5 mois pour les policiers, dans un contexte où les difficultés opérationnelles sont accrues et le matériel utilisé de plus en plus exigeant (utilisation de fusils d'assaut HK, par exemple).

Outre les plans massifs de recrutement (cf. supra ), l'augmentation des dépenses de personnel s'explique par les mesures de revalorisation générales (point d'indice) et catégorielles, dont l'évolution n'apparaît ni maîtrisée ni soutenable .

Les policiers et les gendarmes ont obtenu, en avril 2016, la signature de deux protocoles leur accordant d' importantes mesures de revalorisation des carrières et des rémunérations 259 ( * ) . Les coûts supplémentaires liés à ces protocoles sont estimés par le ministère de l'intérieur à 470 millions d'euros en 2022, hors contribution au CAS « Pensions ». En outre, ainsi que le relevait la Cour des comptes 260 ( * ) , l'ensemble de ces mesures catégorielles a un coût annuel élevé et mal maîtrisé, puisqu'ils prévoient également des avancements massifs par repyramidage des corps, augmentant mécaniquement la part des gradés les plus élevés, et les dépenses de personnel associées.

Votre rapporteur spécial tient, au surplus, à manifester son inquiétude quant aux conséquences financières du protocole conclu le 19 décembre 2018 261 ( * ) dans le contexte de la forte activité générée par le mouvement des « gilets jaunes ». Ce protocole été négocié à la suite de l'adoption d'un amendement du gouvernement par l'Assemblée nationale majorant de 33,3 millions d'euros les crédits de personnel de la mission « Sécurités », qui visait, aux termes de son objet, à « financer une prime exceptionnelle de 300 € qui sera versée aux 111 000 policiers et militaires qui ont participé aux récentes opérations [de maintien de l'ordre] » 262 ( * ) . En réalité, le protocole en question qui prévoit de nouvelles mesures de revalorisation indemnitaire pérennes 263 ( * ) , dont le coût certain s'élève, pour 2019, à 109,7 millions d'euros 264 ( * ) , dont plus de 76,1 millions d'euros ne sont d'ailleurs pas financés.

Des axes d'économie ont été proposés en contrepartie par le ministère de l'intérieur sur le chantier de l'organisation du temps de travail dans la police nationale, sur la problématique des heures supplémentaires et sur la fidélisation fonctionnelle ou territoriale des policiers. Leur issue, fût-elle positive, ne saurait toutefois être suffisante pour inverser cette tendance, de dérapage des dépenses de personnel des deux forces, qui devrait s'aggraver fortement dans les prochaines années et constituent, à ce titre, une préoccupation majeure de votre rapporteur spécial. Le directeur général de la police nationale a confirmé, lors de son audition devant votre rapporteur spécial, que l'exercice en cours devrait également être marqué par une importante sur-exécution des dépenses de personnel.

La soutenabilité des dépenses de rémunération des deux forces est également obérée par deux principales évolutions sur lesquelles votre rapporteur spécial a d'ores et déjà émis d'importantes réserves 265 ( * ) : l'accumulation d'un stock d'heures supplémentaires dans la police nationale, qui atteignait 21,2 millions d'heures au 31 décembre 2017 (l'équivalent de 13 000 ETPT) et la diminution du nombre d'heures travaillées par les agents des deux forces.

Au total, la perte opérationnelle liée à la mise en place de la « vacation forte » au sein de la police nationale n'a pas dépassé 500 ETP en 2018. À cet égard, votre rapporteur spécial souhaite que ce cycle horaire, coûteux en effectifs et déstabilisant le fonctionnement des services, soit définitivement abandonné. Dans la police, la mise en place dans l'ensemble des services de sécurité publique de ce nouveau cycle horaires nécessiterait la mobilisation de 3 000 à 4 000 emplois supplémentaires de policiers.

De même, depuis le 1 er septembre 2016, la directive européenne de 2003 relative au temps de travail 266 ( * ) est applicable à la gendarmerie nationale. Son application dans les groupements départementaux a d'ores et déjà entraîné une diminution de la durée moyenne du travail représentant l'équivalent de 4 000 ETPT.

3. Une éviction des dépenses de fonctionnement et d'investissement par les dépenses de personnel entrainant une baisse des moyens accordés à l'équipement des forces

Alors que les dépenses de personnel ont augmenté de plus de 30 % en 12 ans, les dépenses de fonctionnement et d'investissement ont connu une baisse de 2,26 % sur la période.

Évolution comparée des dépenses de personnel
et des autres dépenses depuis 2006

(en millions d'euros)

2006

2018

Évolution 2006 / 2018

Titre 2

12 685

16 749,50

32,04%

Hors titre 2

2 641

2 581

-2,26%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Au sein de ces dernières, les dépenses d'équipement 267 ( * ) revêtent une importance particulière puisqu'elles conditionnent très directement la capacité opérationnelle de la police et de la gendarmerie nationales.

À cet égard, l'exécution 2018 constitue un revirement regrettable par rapport aux évolutions constatées depuis 2012. Ainsi, les dépenses d'équipement, qui avaient augmenté de 181 % entre 2012 et 2017 (+ 181 %) 268 ( * ) , dans le cadre de plans successifs de renforcement , connaissent une baisse de 10,2 % en 2018 par rapport à 2017, passant de 194 à 186 millions d'euros.

Évolution comparée des dépenses d'équipement
depuis 2012

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après la Cour des comptes)

Votre rapporteur spécial estime que cette baisse illustre le risque lié à l'augmentation tendancielle des dépenses de personnel dans un contexte d'assainissement des dépenses publiques, créant inévitablement un effet d'éviction des dépenses de fonctionnement et d'investissement.


* 257 Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission « Sécurités ».

* 258 Rapport IGA-IGF « Évolution des effectifs de la police et de la gendarmerie nationales », février 2017.

* 259 Il s'agit, notamment, de la transposition pour la police et la gendarmerie nationale du protocole de modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations.

* 260 Cour des comptes, référé au Premier ministre du 13 mars 2018 sur les rémunérations et le temps de travail dans la police et la gendarmerie nationales.

* 261 Ce protocole fait suite à un amendement du gouvernement adopté par l'Assemblée nationale, qui prévoyait de « de financer une prime exceptionnelle de 300 € qui sera versée aux 111 000 policiers et militaires qui ont participé aux récentes opérations [de maintien de l'ordre] »

* 262 Amendement à l'Assemblée nationale n° 1341 du 18 décembre 2018 sur le projet de loi de finances pour 2019 .

* 263 Revalorisation de l'allocation de maîtrise (AM) pour la police nationale, de l'allocation de mission judiciaire (AMJ) pour la gendarmerie nationale, et de l'indemnité de sujétion spéciale police (ISSP).

* 264 Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission « Sécurités ».

* 265 Voir par exemple : Rapport général n° 147 (2018-2019) de M. Philippe Dominati, fait au nom de la commission des finances, déposé le 22 novembre 2018.

* 266 Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

* 267 Parc automobile, armements, munitions, équipements de sécurité et habillement des personnels en tenue.

* 268 Rapport d'information n°717 (2017-2018) de M. Philippe Dominati, fait au nom de la commission des finances, Les équipements de la police et de la gendarmerie (acquisition et utilisation).

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