EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Montaigne, ancien maire de Bordeaux, écrivait que cette charge lui paraissait « d'autant plus belle qu'elle n'a ni loyer, ni gain autre que l'honneur de son exécution ». Cette conception se heurte toutefois, dans une société démocratique, à la nécessité de compenser les charges et sujétions de l'exercice des mandats locaux pour permettre à tout citoyen d'y accéder.
Ainsi l'exprimait Mirabeau, député du tiers état aux États généraux de 1789, qui s'exclamait, à la suite de l'adoption par l'Assemblée nationale constituante du principe d'une indemnité journalière de 18 livres, le 1 er septembre 1789 : « Si une modique rétribution permet au citoyen le moins opulent de remplir ce poste honorable, vous excitez une émulation universelle. Vous vous ouvrez pour vos élections un champ illimité. Votre [assemblée] sera composée de vrais défenseurs du peuple, de vrais représentants de la classe la plus nombreuse, des meilleurs citoyens dont le choix même atteste les vertus ».
Or les charges inhérentes à l'exercice des mandats locaux ont progressivement augmenté avec la décentralisation, qui a confié des responsabilités de plus en plus importantes aux élus. À ces responsabilités grandissantes se sont ajoutées la technicisation croissante du droit, ainsi que la limitation des possibilités de cumul. Résultat : les élus locaux passent chaque jour plus de temps à l'exercice de leur mandat, tandis que les compensations progressivement établies n'ont que peu évolué.
Les maires sont le visage de la République au quotidien, la première ligne de notre démocratie, « à portée d'engueulade », comme aime à le dire le président Gérard Larcher. Si nous souhaitons qu'ils continuent à s'engager au service de la vie de la cité, aux côtés des 503 305 conseillers municipaux, 4 031 conseillers départementaux et 1 922 conseillers régionaux, il importe aujourd'hui de se pencher sur les conditions d'exercice de leurs mandats. Il convient de le faire avec méthode, sur la base d'une analyse approfondie des besoins et dans la concertation avec le Gouvernement comme avec les associations d'élus.
Les initiatives ne manquent pas, il faut s'en féliciter.
Alors qu'un projet de loi est annoncé sur ce sujet pour l'automne prochain, faisant suite aux propositions émises par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat en juillet 2018, le Sénat est aujourd'hui appelé à examiner la proposition de loi n° 305 (2018-2019) créant un statut de l'élu communal , présentée par notre collègue Pierre-Yves Collombat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) et déposée sur le bureau du Sénat le 12 février 2019.
I. AMÉLIORER LE STATUT DES ÉLUS LOCAUX : UNE IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ
A. LE STATUT DE L'ÉLU LOCAL EN FRANCE : UNE CONSTRUCTION AU FIL DES MOUVEMENTS SUCCESSIFS DE DÉCENTRALISATION
Embryonnaires avant 1980, les compensations des charges et sujétions liées à l'exercice par les élus locaux de leurs mandats ont pris leur essor avec les grandes lois de décentralisation . Dès 1982, la loi Deferre indiquait, en son article 1 er , que « des lois détermineront [...] le mode d'élection et le statut des élus » 1 ( * ) .
Au fur et à mesure que des responsabilités étaient attribuées aux collectivités territoriales, plusieurs lois sont venues préciser les conditions d'exercice des mandats locaux et les droits dont disposent leurs titulaires. Aujourd'hui, de nombreuses dispositions législatives déterminent les droits et obligations des élus et constituent ce que l'on peut qualifier, bien que ces dispositions soient réparties en différents endroits du corpus législatif, de statut de l'élu. Les avancées les plus récentes dans ce domaine sont issues de la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat , due à l'initiative conjointe de notre ancienne collègue Jacqueline Gourault et de notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui a notamment renforcé les garanties offertes aux élus salariés et le droit à la formation de tous les élus locaux 2 ( * ) .
Les élus locaux disposent tout d'abord de droits . Afin de favoriser l'exercice effectif du mandat et de garantir la diversité sociologique des candidats , la loi autorise les assemblées locales à attribuer à tout ou partie de leurs membres des indemnités de fonctions ainsi qu'à leur rembourser certains frais, et prévoit qu'ils soient formés à leurs fonctions. Pour faciliter la conciliation des mandats locaux avec la vie professionnelle des élus , des autorisations d'absence et crédits d'heures ont été mis en place, les élus étant par ailleurs des salariés protégés pendant toute la durée de leur mandat. Enfin, pour que la trajectoire de vie d'une personne ne soit pas défavorisée par l'exercice d'un mandat local , les droits sociaux des élus ont été garantis, tandis qu'un droit individuel à la formation, qui peut servir à préparer une reconversion professionnelle, a récemment été mis en place.
Les élus locaux sont ensuite soumis à des obligations : certains doivent présenter des déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale, et tous doivent respecter la charte de l'élu local, désormais intégrée en tête du code général des collectivités territoriales.
Les conditions d'exercice des mandats locaux font donc déjà l'objet de multiples dispositions. De nombreuses insuffisances sont toutefois régulièrement mises en évidence, et les évolutions récentes plaident pour de nouvelles avancées sur le sujet.
* 1 Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions .
* 2 Pour plus de précisions, voir ci-après le commentaire des articles 2, 3 et 7.