C. UN OUTIL D'INTÉRESSEMENT DE L'ÉTAT PARTICULIÈREMENT RECHERCHÉ MAIS UNE ÉVALUATION DES RETOURS FINANCIERS DIFFICILE POUR LE PARLEMENT

1. Un intéressement conséquent pour l'État, qui justifie une prise de risque importante

L'avance remboursable constitue un outil de partage du risque avec le bénéficiaire et d'intéressement de l'État au succès du projet. Contrairement à un prêt, le remboursement des avances remboursables est conditionné au succès de l'opération .

D'un point de vue strictement financier, l'avance remboursable semble donc plus risquée et potentiellement moins avantageuse pour l'État qu'un simple prêt, remboursé par le porteur du projet quelle que soit l'issue du projet (échec ou réussite). En réalité, le retour financier sur succès commercial est plutôt recherché par l'État, pour deux raisons :

- l'avance remboursable offre l'occasion d'accompagner le risque du projet tout en couvrant également, de façon plus large, le risque technique et le risque commercial ;

- elle est susceptible de fournir une assise à des versements complémentaires permettant à l'État d'être rémunéré du risque couvert.

Concrètement, les critères et les seuils de déclenchement du remboursement sont établis par l'opérateur lors de l'instruction des projets . Le succès du projet est ainsi mesuré par le franchissement d' étapes clés et de jalons du projet ( cf. encadré infra ). L'évaluation du risque en termes commerciaux, technologiques, règlementaires et organisationnels est également appréciée par l'opérateur au moment de l'instruction des dossiers 19 ( * ) . L'analyse complète de la rentabilité du projet est mise à disposition des instances décisionnelles lors de la présentation du dossier pour financement.

Détermination des modalités de remboursement des avances

Le remboursement des avances repose sur des éléments « déclencheurs », liés soit à l'avancement technique du projet et/ou au franchissement d'un seuil à l'issue du projet. En pratique :

- si l'instruction du projet ne permet pas de déterminer une réalisation commerciale sur la base de critères objectifs, transparents et vérifiables (comme un nombre d'unités produites, un chiffre d'affaires), le remboursement est intégralement fondé sur l'avancement du projet , au taux de base fixé par la Commission européenne 20 ( * ) en vigueur à la date d'avis favorable du Comité de pilotage, majoré d'une faible marge (de l'ordre de 100 points de base). L'avance remboursable est dite « à échéances fixes sur succès ou avancement du projet ». Le montant remboursé ne peut être supérieur au montant avancé ( cf. infra ).

- si l'instruction permet de déterminer une réalisation commerciale , le remboursement se fera en deux tranches , la première étant représentative d'un succès technique du projet (avancement du projet ou début de commercialisation) au taux précédent, la seconde devant être représentative d'un succès commercial , à un taux supérieur et proportionnel au risque pris par l'État (de 400 à 600 points de base ). Ce succès « post projet » est mesuré par la réalisation d'unités d'oeuvre, c'est-à-dire tout revenu ou unité physique généré directement ou indirectement par le projet.

Source : commission des finances du Sénat, d'après plusieurs appels à projets de l'ADEME

Lorsque le remboursement de l'avance dépend de la performance commerciale du projet, l'avance consentie au porteur de projet entraîne un « effet boule de neige » pour l'État . En effet, si le projet rencontre un succès commercial, le remboursement comporte une « seconde » tranche (ou « versement complémentaire »), à un taux proportionnel au risque pris par l'État.

Le financement de l'Airbus A350 par l'État offre un exemple très parlant de cet « effet boule de neige ». Le remboursement de l'avance (1,24 milliard d'euros), qui s'inscrit sur une période longue (supérieure à quinze ans) prend la forme d'un remboursement unitaire par appareil livré , avec un taux de redevance (appliqué sur la part française de chiffre d'affaires réalisé) croissant en fonction du nombre d'appareils effectivement livrés . Une fois le remboursement de l'avance remboursable et des intérêts constaté, l'État reste intéressé aux performances commerciales d'Airbus grâce à une redevance adossée à la part française du chiffre d'affaires, plafonnée en durée et en taux de retour.

L'intéressement financier pour l'État d'une avance remboursable est nettement supérieur à celui offert par un « prêt » classique , même si l'ensemble des entreprises bénéficiaires deviennent défaillantes et se retrouvent en défaut de paiement. Par exemple, dans le cadre de l'action « Prêts verts » du PIA 2, 340 millions d'euros ont été prêtés à Bpifrance et seront retournés à terme à l'État.

Le fonds de garantie dans le cadre des prêts PIA

Pour les actions sous forme de prêt, juridiquement, un seul prêt est fait à l'opérateur, dont les conditions de remboursement ne dépendent pas des conditions de remboursement par les entreprises à l'opérateur.

Les prêts de l'État à l'opérateur seront retournés à terme à l'État, même si les entreprises bénéficiaires sont en défaut de paiement. Le risque de défaillance du bénéficiaire final est couvert par la mise en place d'un fonds de garantie. Ainsi, les pertes s'imputent à hauteur de 80 % sur le fonds de garantie mis en place, tant que ce fonds de garantie n'est pas épuisé. L'opérateur (BpiFrance, par exemple) porte donc une partie du risque sur son propre bilan, à hauteur de 20 % du risque jusqu'à épuisement du fonds de garantie (et des fonds liés), puis 100 % après épuisement de ce fonds.

Dans tous les cas, l'État se voit restituer l'intégralité des prêts : les retours au budget de l'État, le principal comme les intérêts, se fait annuellement au rythme des perceptions.

Source : réponses du SGPI au questionnaire du rapporteur spécial

L'avance remboursable constitue donc un outil d'intervention financière à mi-chemin entre le prêt (remboursement total) et la subvention (aucun intéressement pour l'État), mais paraît plus proche de la prise de participation, dès lors que l'intéressement de l'État est conséquent lorsque le projet réalise de belles performances commerciales .

2. Le suivi parlementaire des retours financiers pour l'État est particulièrement complexe

Les retours financiers, par action, des deux premiers programmes d'investissements d'avenir, réalisés et prévisionnels, sont présentés annuellement au Parlement au sein d'une annexe au projet de loi de finances relative à la mise en oeuvre et au suivi des investissements d'avenir.

La partie de ce rapport dédiée aux retours financiers présente un tableau de synthèse des retours par action difficilement exploitable par le Parlement , pour plusieurs raisons :

- ce tableau présente uniquement les retours « financiers » : seule la rémunération des actifs est retenue (intérêts de prêts par exemple), alors qu'une vision budgétaire nécessiterait de retenir l'ensemble des recettes du budget de l'État, soit les retours financiers et les recettes tirées du remboursement du capital d'un prêt ;

- par ailleurs, sont intégrés les « retours d'ordre socio-économique » pour les actions relatives à l'enseignement supérieur et à la recherche, ou encore des retours « en termes de valorisation de la propriété intellectuelle », sans que ne soit explicitée la méthode de chiffrage et d'évaluation de ces retours ;

- ce tableau agrège par action les retours financiers générés, de sorte qu'il est impossible de chiffrer précisément les retours par nature d'outil d'intervention . Autrement dit, seuls les opérateurs sont en mesure de chiffrer les retours du « principal » et des intérêts reversés chaque année au budget général au titre d'une modalité d'intervention particulière (par exemple les avances remboursables).

Votre rapporteur spécial souligne la très faible lisibilité pour le Parlement des retours financiers pour l'État du soutien aux investissements d'avenir.

Le rapport propose également une évaluation des retours financiers par action, sans qu'il soit possible d'isoler les retours par nature d'intervention financière.

Ainsi, il n'a pas été possible de chiffrer précisément les retours financiers générés par les crédits d'avances remboursables sur les deux premiers programmes d'investissement d'avenir .


* 19 L'instructeur modélise le plan de financement et de remboursement selon le scenario retenu comme « raisonnable et prudent » et détermine le taux de rentabilité interne (TRI) de l'intervention publique . Ce taux dépend à la fois de la durée du projet et de la période d'observation durant laquelle les unités d'oeuvres seront comptabilisées pour le déclenchement du seuil d'exigibilité (cf. encadré infra)

* 20 Communication de la Commission relative à la révision de la méthode de calcul des taux de référence et d'actualisation (2008/C du 14 février).

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