B. SI LE CHOIX D'UNE INTERVENTION SOUS FORME D'AVANCE REMBOURSABLE NE DÉPEND PAS DES PARTIES PRENANTES, IL PRÉSENTE DES AVANTAGES TANT POUR L'OPÉRATEUR QUE POUR LE BÉNÉFICIAIRE

Le choix de la nature des outils financiers mobilisés pour une action dépend principalement du stade de la maturation de la filière ou du secteur dont relève l'action et du profil de risque du projet ( cf. supra ). Ainsi, comme le reconnaît le Secrétariat général pour l'investissement, « les critères déterminant les natures de financement sont indépendants des contraintes qu'elles entraînent sur les différentes parties prenantes » 16 ( * ) .

Or, le choix d'une intervention sous forme d'avance remboursable emporte des conséquences sur les modalités de gestion par les opérateurs. Surtout, l'avance remboursable présente des avantages pour son utilisateur final : le bénéficiaire.

1. Les prêts et les avances remboursables emportent des modalités de gestion différentes pour les opérateurs

De manière générale, la mise en oeuvre des programmes d'investissement d'avenir engendre une activité supplémentaire loin d'être anodine pour les opérateurs . Toutefois, cette activité varie dans sa nature selon les modalités d'intervention financière prévues pour l'action dont l'opérateur a la charge.

Seuls deux opérateurs des PIA interviennent sous forme de prêts : la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Bpifrance. L'ADEME n'intervient pas sous forme de prêt car elle n'a pas le statut de banque. Au surplus, une intervention par voie de prêts ne répondrait pas à la logique des soutiens apportés par l'ADEME : un tel soutien ne permettrait pas de partager le risque avec les industriels et, partant, serait peu adapté pour financer des projets de recherche et développement (R&D) parfois risqués.

D'abord, l'organisation des financements des porteurs de projets n'est pas la même pour les opérateurs , selon que les financements comprennent des avances remboursables ou des prêts.

Organisation de l'attribution des financements de projets comprenant des avances remboursables et des prêts

S'agissant des avances remboursables , l'organisation est la suivante :

- le cahier des charges des appels à projets est proposé par l'opérateur chargé de l'action, en lien avec le comité de pilotage interministériel (COPIL) constitué et in fine validé par le SGPI ;

- le lancement, la gestion de l'appel à projets et l'instruction des projets des candidats sont réalisés par l'opérateur . Une première présélection des projets est réalisée par le COPIL et permet notamment à l'opérateur de s'informer auprès des différents membres, afin de déterminer l'avis final de financement ;

- la décision de financement est prise par le Premier ministre (ou le Secrétaire Général pour l'investissement par délégation de signature), sur proposition du SGPI et avis du COPIL.

S'agissant des prêts , l'organisation est la suivante :

- le contrat type de prêt est validé par le SGPI, sur proposition de l'opérateur ;

- l'opérateur s'assure de la conformité des prêts aux objectifs et aux conditions de la convention signée au titre de l'action entre l'État et l'opérateur et décide du financement, sauf dans le cas où des difficultés d'appréciation de l'éligibilité sont rencontrées, auquel cas le SGPI est saisi ;

- les prêts, octroyés sur décision d'engagement de crédits de l'établissement bancaire, sont portés intégralement à son bilan. Ils sont ensuite garantis, généralement à hauteur de 80%, par le fonds de garantie financé par le PIA ;

- le COPIL se réunit au minimum une fois par an pour faire le suivi de l'activité et du déploiement des crédits et des indicateurs de performance.

Source : commission des finances, d'après les réponses du SGPI au questionnaire du rapporteur spécial

Ainsi, l'opérateur dispose d'une plus large autonomie lorsque les actions dont il a la charge sont financées par voie de prêts . Dans la mesure où il s'agit d'un financement dit « de guichet » , il décide seul du financement, s'appuyant pour ce faire sur des critères de sélection et montants définis dans la convention signée au titre de l'action entre l'Etat et l'opérateur et précisés dans la convention de mise en oeuvre signée entre l'opérateur et la direction générale du Trésor.

Les avances remboursables , aides d'État au même titre que les subventions, répondent quant à elles à une logique de « concours », car « seuls les meilleurs projets sont sélectionnés à l'issue d'une procédure ouverte, sans qu'il y ait une enveloppe de financement prédéfinie consacrée au dispositif » 17 ( * ) .

Il est à noter que le cahier des charges des appels à projets ou de l'appel à manifestation d'intérêts fixe généralement des tailles minimales de projet, afin de pouvoir garantir des « retombées socio-économiques notables ». En revanche, « il n'y a pas de taille maximale de projets (et a fortiori d'aide), les démonstrateurs les plus ambitieux pouvant aussi être les plus prometteurs » 18 ( * ) .

Au-delà de la préparation du cahier des charges et de l'instruction des dossiers de demandes des candidats , l'opérateur en charge d'une action comportant des crédits d'avances remboursables (qui constituent des crédits rémunérateurs, au même titre que les subventions avec intéressement et les fonds propres), doit assurer le suivi de la valorisation de la créance et organiser les retours financiers vers l'État ( cf. infra ).

Exemple du suivi de portefeuilles d'avance remboursables par l'ADEME

Les aides d'État, dont les avances remboursables, sont instruites par la direction des investissements d'avenir de l'ADEME, composée de chefs de projets, ainsi que par la direction technique (direction exécutive des programmes).

L'attribution d'avances remboursables nécessite un suivi du portefeuille des projets financés régulier, et dans la durée . L'activité d'opérateur dans le cadre des PIA n'emporte pas seulement des activités de financement, au cas par cas pour évaluer la proximité du projet au marché, mais aussi de suivi de projets et d'organisation des retours financiers. Pour cela, l'ADEME fait a minima un point annuel des projets en portefeuille afin de déterminer l'avancée de chaque projet, le respect des dispositions contractuelles ainsi que les perspectives de commercialisation déterminant le niveau des retours financiers attendus par l'État.

Source : informations transmises par l'ADEME au rapporteur spécial

La gestion des financements par voie d'avances remboursables et de leur suivi induit donc une organisation spécifique pour l'opérateur .

À titre d'exemple, tous les projets financés dans le cadre du PIA par l'ADEME font l'objet de financements par voie d'avances remboursables (soit exclusivement en avances remboursables, soit via un mix subvention et avances remboursables) - à l'exception des « Initiatives PME » (IPME) pour la transition énergétique et écologique pour lesquelles l'intervention se fait exclusivement par voie de subvention. En conséquence, la direction des investissements d'avenir de l'ADEME compte une trentaine de personnes et globalement, ce sont une soixantaine d'équivalents temps plein travaillés qui interviennent.

Ces activités de gestion supplémentaires emportent deux conséquences :

- dans la mesure où il serait coûteux de consentir des montants d'avances remboursables trop faibles, le montant d'avances remboursables attribué doit pouvoir être mis en cohérence avec les frais de gestion nécessaires pour en assurer le suivi ;

- les frais de gestion attribués aux opérateurs dans le cadre des investissements d'avenir doivent refléter cette période de travail et de suivi sur de nombreuses années.

D'une part, s'agissant du seuil minimal d'avance remboursable, le SGPI assure que « ce point de vigilance a bien été identifié, et a conduit à ne pas attribuer d'avances remboursables d'un montant faible ».

D'autre part, en ce qui concerne les frais de gestion, le SGPI précise que les opérateurs « bénéficient d'une enveloppe de financement spécifique , supportée par le PIA, pour couvrir les coûts additionnels, tant internes ( frais de gestion ) qu'externes (expertises ponctuelles), amenés par ces responsabilités et d'un intéressement aux retours financiers pour les inciter au recouvrement », intéressement confirmé par les opérateurs rencontrés par le rapporteur spécial.

L'intéressement de l'opérateur au recouvrement varie naturellement selon l'instrument financier et le type d'action. Par exemple, s'agissant des aides à l'innovation, Bpifrance perçoit une rémunération forfaitaire, fonction du nombre d'opérations soutenues. Alors que l'ADEME percevait 5 % de l'enveloppe reversée à l'Etat, la convention entre l'opérateur et l'ADEME dans le cadre du PIA devrait acter une légère diminution de cet intéressement .

La contrainte de gestion que présentent les avances remboursables pour les opérateurs apparaît contrebalancée par un intéressement de l'opérateur, qu'il s'agit de maintenir afin d'assurer la pérennité des retours financiers à l'État .

2. L'avance remboursable, une modalité d'intervention plutôt bien accueillie par les entreprises comme « première étape » d'accompagnement au développement

Comptablement, les avances remboursables sont inscrites au bilan comme une dette pour l'entreprise, ce qui peut rebuter certaines grandes entreprises, disposant par ailleurs souvent de trésorerie pour financer leur projet, ou pouvant s'endetter à moindre coût.

L'avance remboursable est toutefois généralement bien accueillie par les PME et les start-up , que le partage de la rémunération du succès est susceptible d'attirer et pour lesquelles le financement bancaire relève parfois d'une gageure.

Dans le cadre de son contrôle budgétaire, votre rapporteur spécial a rencontré les dirigeants de l'entreprise Wandercraft , qui développe le premier exosquelette robotique permettant à un utilisateur de fauteuil roulant de marcher de façon autonome, sans béquille.

Cette entreprise, fondée en 2012, offre un exemple particulièrement parlant de l'intérêt d'une diversité d'outils de soutien public, mobilisables à des stades différents de la maturation d'un projet.

Wandercraft a réalisé une première levée de fonds en 2013, sur la base du seul concept de l'exosquelette, avant d'être lauréat de l'ambition « Silver economy » de la première phase du Concours Mondial d'Innovation en 2014. Les dirigeants affirment que cette aide à l'amorçage a accéléré le développement de leur prototype.

Le « Concours mondial d'innovation »
des programmes d'investissements d'avenir

Le Concours mondial d'innovation, lancé fin 2013, a pour objectif de favoriser le développement et la croissance d'entreprises porteuses d'innovations majeures et de rupture.

La Commission « Innovation 2030 » a ainsi sélectionné des projets innovants portant sur 7 ambitions, en partenariat avec le SGPI (anciennement CGI) et Bpifrance.

Le Concours mondial d'innovation est articulé en 3 phases répondant aux besoins de financement d'entreprises innovantes selon leur stade de développement :

- la phase 1 (amorçage) a permis de sélectionner une centaine de projets au stade amont de leur développement. Dédiée à « l'amorçage » elle se traduit par l'octroi de subventions aux lauréats pouvant atteindre jusqu'à 200 000 euros . 182 projets à fort potentiel ont été sélectionnés.

- la phase 2 (accompagnement), ouverte en septembre 2014, vise à accompagner les projets les plus prometteurs dans la phase de « levée des risques », avec des travaux de recherche et développement nécessaires au développement de produits, procédés ou services non disponibles sur le marché et à fort contenu innovant . Elle permet aux lauréats de bénéficier d'aides sous formes de subventions et d'avances remboursables pouvant s'élever jusqu'à 2 millions d'euros . 35 projets d'innovation majeure ont été identifiés.

- la phase 3 (développement) consiste à soutenir au plus près une ultime sélection de projets et à accompagner les lauréats en capital-risque vers les stades de l'industrialisation et de l'internationalisation . Les interventions se feront principalement en fonds propres et éventuellement en quasi fonds propres, sous des formes adaptées aux besoins de financement des projets accompagnés. Les tickets d'investissement sont, en règle générale, compris entre 2 et 20 millions d'euros pour des prises de participations systématiquement minoritaires.

Source : commission des finances du Sénat d'après le site internet de Bpifrance

En 2016, avec la troisième version de son exosquelette, Wandercraft a remporté la quatrième édition du Concours d'innovation numérique (CIN) , récompensant des projets d'innovation portés par des start-up utilisant le numérique pour apporter des réponses disruptives dans des domaines émergents. Le PIA finance à hauteur de 45 % les dépenses de R&D des projets présentés par les entreprises, à moitié sous forme de subvention, l'autre par avance remboursable. Wandercraft a bénéficié d'une aide qui a permis de lancer le développement d'une nouvelle version de l'exosquelette plus adaptée à l'environnement réel.

D'après les personnes rencontrées, ce concours a permis à l'entreprise de gagner en crédibilité auprès des investisseurs et de faciliter ses levées de fonds.

Wandercraft a enfin remporté la troisième phase du Concours Mondial d'Innovation en 2017 avec la quatrième version de son exosquelette. L'entreprise a été accompagnée dans sa levée de fonds de 15 millions d'euros organisée à la fin de l'année 2017 par le « Fonds PSIM » (programme de soutien à l'innovation majeure) : crée en juin 2017 et doté de 150 millions d'euros dans le cadre des PIA, géré par Bpifrance, il intervient exclusivement auprès des entreprises lauréates du Concours Mondial d'Innovation et investit des tickets compris entre 2 et 20  millions d'euros.

Alors que la cinquième version est actuellement déployée dans deux centres de soins en France, Wandercraft travaille désormais sur la sixième version de l'exosquelette. L'objectif de l'entreprise est désormais de produire cet exosquelette « environnement réel » à un prix comparable à celui d'un fauteuil électrique très haut de gamme.

Le suivi sur la durée, opéré par Bpifrance au travers du PIA 2 , depuis la création de l'entreprise jusqu'au développement de la derrière version de l'exosquelette, offre à Wandercraft un gage de fiabilité sur le produit développé par l'entreprise.

Par ailleurs, les outils de soutien public dont a bénéficié l'entreprise ont contribué à sa structuration , en offrant une première étape de financement par le biais de subventions et d'avances remboursables, dans une optique de levier d'amorçage. Désormais au capital de l'entreprise, l'État intervient comme investisseur avisé en capital risque , alors que l'entreprise s'apprête à développer de premières unités commerciales de son produit.

Contrairement aux idées reçues, la multiplicité des outils de soutien disponibles via les PIA ne « désorientent » pas les porteurs de projets. Les start-up dans l'innovation ont compris l'intérêt des aides publiques dans leur projet de développement : les prix tels que le CMI ou le CIN facilitent la levée de fond, et le principe du cofinancement par l'État incite les entreprises à participer à des appels à projets dans le cadre des PIA afin de compléter les fonds levés a minima à hauteur de 50 %.


* 16 Réponses du SGPI au questionnaire du rapporteur spécial.

* 17 Réponses du SGPI au questionnaire du rapporteur spécial.

* 18 L'aide maximale prévisionnelle, exprimée en pourcentage des coûts éligibles, n'est décaissée que sur justification du niveau de coûts réellement supportés par le bénéficiaire.

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