EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 17 octobre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé , président, la commission a examiné le rapport de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial, sur la mission « Investissements d'avenir » et a entendu une communication sur son contrôle budgétaire sur les avances remboursables dans le cadre des programmes d'investissements d'avenir.
Mme Christine Lavarde , rapporteur spécial . - La mission « Investissements d'avenir » a été créée dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2017, afin d'y faire figurer l'enveloppe de 10 milliards d'euros au titre des autorisations d'engagement (AE) pour mettre en oeuvre le troisième programme d'investissements d'avenir (PIA 3). Toutefois, aucun crédit de paiement (CP) n'était inscrit. Après avoir attribué au PIA 3 1,08 milliard d'euros de CP en 2018, le projet de loi de finances pour 2019 continue sur la même lancée, avec 1,05 milliard d'euros de CP. L'effort budgétaire en faveur des investissements d'avenir est reporté à la fin du quinquennat : à peine 21 % des CP de l'ensemble de la mission sont inscrits pour la période 2018-2019.
Cette mission présente la spécificité d'avoir des crédits budgétaires ayant un impact sur le déficit maastrichtien et d'autres qui n'en ont pas. La majorité des crédits inscrits en 2018 ne pèsent pas sur ce déficit. La budgétisation 2019 est marquée au contraire par une prépondérance de crédits ayant un impact sur le déficit maastrichtien. 350 millions d'euros sur les 1,05 milliard d'euros de crédits de paiement sont inscrits au titre de fonds propres (prises de participation), laissant 700 millions d'euros pour les autres dépenses (subventions, dotations décennales, avances remboursables).
Par ailleurs, la réalisation de cette mission est confiée à quatre opérateurs de l'État : l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), l'Agence nationale de la recherche (ANR), Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
En 2018, les conventions ont été signées entre les opérateurs et l'État ; cinq conventions sont encore à signer, ce qui explique que l'ensemble des AE n'aient pas encore été consommées - 86 % des AE l'ont été.
La maquette budgétaire demeure identique à celle qui a été créée par la loi de finances initiale pour 2017. Un changement d'opérateur est intervenu, pour les actions « Fonds national post maturation - Frontier Venture » du programme 422 et « Adaptation et qualification de la main d'oeuvre - French Tech tickets et diversité » du programme 423, désormais opérées par Bpifrance et non plus par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Il est possible que la loi de finances rectificative pour 2018 prévoie un transfert de 250 millions d'euros de crédits. On note toutefois une évolution dans les actions financées : le PIA 3, créé sous le précédent gouvernement, a été inclus par le Gouvernement dans l'enveloppe consacrée au Grand Plan d'investissement. Certaines des priorités ont été réorientées, notamment dans le domaine de l'enseignement : le « plan numérique à l'école » a été abandonné au profit du développement des MOOC , outils numériques destinés à améliorer la transition « bac - 3 / bac + 3 ». On observe le recours au PIA pour financer de nouvelles politiques du Gouvernement ; je pense en particulier à l'intelligence artificielle, qui fera l'objet de programmes de recherche, à un programme de recherche dédié au sport dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques ou à un autre programme concernant les alternatives aux produits phytosanitaires. Néanmoins, on peut s'interroger sur la pertinence de mobiliser le PIA 3 pour financer certains enjeux. Par exemple, le recours au PIA 3 pour participer au financement de la reconversion industrielle du site de Fessenheim pose question. Qu'en sera-t-il demain avec les sites charbonniers appelés à fermer ?
Nous avons noté avec satisfaction le renforcement des indicateurs de performance. La refonte de la maquette pour le projet de budget pour 2019 devrait apporter une meilleure information du Parlement.
La seconde partie du rapport porte sur le contrôle budgétaire réalisé sur les avances remboursables. Cette modalité d'intervention financière existait déjà pour le PIA 1 et le PIA 2 ; elle se situe à mi-chemin entre la subvention et le prêt. Les porteurs de projets qui bénéficient de ce dispositif doivent rembourser la somme qui leur a été allouée en cas de réussite. Ce dispositif est utilisé dans le cadre du PIA 3, car de nombreuses actions visent à accompagner les entreprises, les PME, les start-up dans leur phase de développement. Je prendrai l'exemple d'une start-up que j'ai visitée, située à Paris, ayant bénéficié d'avances remboursables, qui fabrique des exosquelettes, un domaine totalement novateur, en vue de faire marcher seules dans la rue des personnes qui, aujourd'hui, ne peuvent se déplacer qu'en fauteuil roulant.
Dans ces conditions, je vous propose d'adopter, sans modification, les crédits de cette mission.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'année dernière, nous avions identifié un risque de débudgétisation dans la mesure où ces crédits ne sont pas soumis à la norme de dépenses. Il peut être très tentant pour les administrations de prévoir des investissements qui ne sont pas des investissements d'avenir ; je pense à l'exemple du Grand Palais, dont les travaux de rénovation pouvaient être financés par le PIA 3. Avez-vous identifié certaines dépenses dont l'objet serait très éloigné des investissements d'avenir ? Par ailleurs, comment combine-t-on ces aides avec les règles européennes relatives aux aides d'État ? Notifie-t-on chaque programme à la Commission européenne ?
M. Jean-François Rapin . - A-t-on une idée des modalités d'extinction du PIA 1 et du PIA 2 ? Des crédits sont-ils encore en cours ? Comment seront-ils répartis à l'avenir ? Seront-ils reventilés ou reportés sur le PIA 3 ?
Au regard des différentes missions, notamment de la mission « Recherche et enseignement supérieur » dont je suis rapporteur spécial, il est très difficile de définir les crédits dévolus à l'intelligence artificielle : certains sont inscrits dans des programmes de la mission précitée, d'autres le sont au titre du PIA. La commissaire européenne au numérique a évalué tous fonds confondus en Europe la levée de fonds nécessaire pour aboutir et espérer pouvoir rivaliser avec les États-Unis et la Chine à 20 milliards d'euros. Avec 1,5 milliard d'euros, peut-on considérer que les crédits prévus sont suffisants ?
M. Claude Raynal . - Je remercie Mme le rapporteur spécial de son exposé synthétique et complet. D'une enveloppe de 35 milliards d'euros pour le PIA 1, nous sommes passés à une enveloppe de 10 milliards d'euros pour le PIA 3. Comme vous l'avez souligné, il faut veiller à ce que les projets n'aient pas un lien très limité avec les investissements d'avenir.
Il ne faut pas penser, comme cela a été le cas pour le PIA 2, que certains projets ayant bénéficié de financements importants ne doivent plus être financés ; je pense à la recherche relative à l'avionique ou l'aéronautique. Ce serait une erreur totale. La France a une position essentielle dans certains domaines, et il faut poursuivre les efforts en matière de recherche. Lorsque les financements sont français, la recherche se fait en France, tandis qu'elle se fait en Allemagne avec des financements allemands. Sachons conserver notre place ! Les industries de pointe, qui vivent une situation de concurrence particulièrement redoutable, nécessitent des financements et des aides au long cours.
Ne serait-il pas souhaitable d'avoir une vision d'ensemble des résultats du PIA 1 ? Si cela n'a pas déjà été fait, est-on capable d'estimer les résultats ?
M. Jérôme Bascher . - Le PIA 3 est-il aussi complexe que les PIA précédents, qui étaient de véritables usines à gaz ? Quel est le taux de consommation attendu des CP inscrits à hauteur de 1 milliard dans le budget de 2018 ? Continue-t-on à faire des investissements d'avenir ou fait-on des investissements tout court ?
Concernant la question des avances remboursables, Bpifrance a été créée par ripolinage d'Oséo, qui est elle-même née de la fusion de la BDPME - la Banque de développement des PME -, de la Sofaris et, surtout, de l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), laquelle fonctionnait déjà avec un système d'avances remboursables. Je m'étonne du procédé consistant à réinventer un système qui existait déjà, avec des enveloppes financières beaucoup plus importantes.
M. Yvon Collin . - Les avances remboursables ont été beaucoup utilisées dans l'aéronautique, notamment pour développer l'Airbus A380. Les États-Unis y ont vu une forme de concurrence déloyale et avaient déposé un recours devant l'OMC. Faut-il craindre des saisines identiques ?
M. Jean-François Husson . - Les fonds du PIA seront utilisés pour financer les nouvelles politiques ou la relance industrielle territoriale, mais quand on regarde la répartition des crédits et les circuits de financement, on a un peu l'impression qu'il s'agit d'une usine à gaz. Le rapport pointe les retards dans la publication des appels à projets du volet « TIGA » de l'action « Démonstrateurs et territoires d'innovation de grande ambition (TIGA) », car le Gouvernement souhaite recentrer son périmètre sur les « territoires d'industrie », dont le zonage doit être articulé avec la carte des 222 villes du plan « Action coeur de ville ». C'est très complexe et cela crée un risque de détournement de l'ambition initiale des investissements d'avenir. En Lorraine, une centaine de partenaires sont mobilisés autour de l'appel à projets. Plus on attend, plus la mobilisation et l'enthousiasme des équipes risquent de se réduire. Avez-vous des informations à ce sujet ?
M. Vincent Capo-Canellas . - Météo France souhaitait inscrire le développement de son nouveau supercalculateur parmi les projets financés par le PIA. Ce projet n'a pas été retenu, en dépit de la recherche requise par ce projet et de la nécessité d'une remise à niveau de son équipement. Au final, il n'est pas financé : il manque 6 millions d'euros pour le réaliser. Plus largement, cela pose la question de la frontière entre les projets éligibles et ceux qui ne le sont pas. On a parfois l'impression que les administrations cherchent à inscrire au titre des PIA des projets de droit commun qui ont déjà été retoqués par leur autorité de tutelle.
Lorsque les crédits de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) ont fortement baissé, le financement a été remplacé par des appels à projets dans le cadre du PIA. Mais ces programmes sont ponctuels. Quand le PIA s'arrête, les industriels manquent de visibilité. Or les programmes aéronautiques s'inscrivent dans le temps long, par construction. Rapatrier les crédits d'investissement sur les crédits de droit commun de la DGAC est un gage de visibilité et de permanence pour les programmes longs. Ainsi, il me semble légitime que le PIA finance des projets ponctuels, comme le supercalculateur, et que l'on soit prudent pour des programmes de longue durée.
Mme Nathalie Goulet . - 60 % de ce PIA doivent contribuer au développement durable et à la croissance verte. Un des défis de demain est de trouver des alternatives au plastique. Or, nous avons en France des entreprises performantes en ce qui concerne la production de plastique. S'il faut soutenir les entreprises d'avenir, il faut aussi consolider les entreprises existantes qui ont besoin de recherche et développement pour modifier leur production. Beaucoup d'entreprises de la filière plastique sont menacées. Dans quelle mesure auront-elles accès aux financements des PIA ?
Mme Sylvie Vermeillet . - Pourriez-vous nous apporter un éclairage sur la répartition territoriale du PIA 3 ? Quel bilan dressez-vous, à cet égard, des PIA précédents ? Quels sont les territoires bénéficiaires ? Certains territoires ont-ils été oubliés ?
Mme Christine Lavarde , rapporteur spécial . - Je ne sais pas quand l'arbitrage gouvernemental sur le zonage des appels à projets TIGA sera rendu.
Jean-François Husson, quand on voit que le périmètre de l'appel à projets du volet « territoires d'innovation de grande ambition » de l'action « Démonstrateurs et territoires d'innovation de grande ambition » serait recentré sur les « territoires d'industrie », on peut, en effet, se poser légitimement la question de l'utilisation du PIA : la priorité est-elle le financement de nouveaux investissements ou s'agit-il de redéploiements des crédits vers les priorités du Gouvernement ?
Aucune convention n'a été signée en ce qui concerne l'action 9 « Grands défis » du programme 423. Aucune autorisation d'engagement n'a été débloquée et donc aucun crédit de paiement. J'ai entendu dire qu'il serait possible que cette action soit abondée par une subvention de 200 millions d'euros pour financer la rénovation du Grand Palais. Mais il ne s'agit que de supputations...
Les règles européennes en matière d'aides d'État sont respectées et les notifications sont réalisées quand cela est nécessaire.
Certaines actions des PIA 1 et 2 ont été reprises dans le PIA 3, mais parfois avec des modalités différentes. Certaines actions n'ont pas été reprises, mais peuvent continuer à se poursuivre pendant quelques années dans la mesure où il s'agit d'actions de long terme, avec des financements qui peuvent parfois s'étaler sur dix ans. Si les AE des PIA 1 et 2 ont été décaissées, il y a toujours des décaissements de CP qui se poursuivent chez les opérateurs. Le système de financement du PIA 3 est plus complexe que celui des PIA précédents : dans les PIA 1 et 2, les AE et les CP faisaient l'objet d'une budgétisation simultanée en loi de finances. L'opérateur connaissait ainsi exactement le montant de l'enveloppe dont il allait disposer lorsqu'une action était décidée. Aujourd'hui, cette règle n'est plus respectée. Les AE sont débloquées au moment de la signature de la convention et les CP sont versés ensuite au fur et à mesure de leur vote en loi de finances, ce qui impose aux opérateurs la tenue d'une gestion par engagement et par décaissement. C'est très contraignant. Ainsi, parfois, les premières aides seront constituées des petits tickets pour s'adapter à l'enveloppe des CP disponibles, même si l'on sait que des CP seront versés ultérieurement. Il y a donc un décalage entre le rythme des projets d'innovation et les crédits dont disposent les opérateurs. Le secrétariat général pour l'investissement accepte une mutualisation temporaire de trésorerie entre plusieurs actions du PIA sur le compte d'un opérateur pour faciliter la gestion infra-annuelle des crédits. Mais ce n'est qu'une rustine. C'est l'une des fragilités du PIA 3, et cela aboutit à augmenter les coûts des opérateurs, de l'ordre parfois de 5 à 10 %.
Bpifrance ne délivre presque plus d'avances remboursables dans le cadre du PIA 3, mais intervient principalement sous la forme de prises de participation.
Ma mission de contrôle portait uniquement sur le PIA 3. Les PIA 1 et 2 font l'objet d'un jaune budgétaire annexé au projet de loi de finances relatif à la mise en oeuvre et au suivi des investissements d'avenir. Pour autant, lorsque nous recevons les opérateurs, nous leur demandons si un retour d'expérience a été tiré des PIA 1 et 2. Les opérateurs sont en train de faire les évaluations des premiers PIA, et ils nous transmettent leurs rapports au fur et à mesure. Il pourrait être utile, en effet, de disposer de ces rapports pour améliorer les actions qui se poursuivent dans le PIA 3.
Le supercalculateur de Météo France n'a pas été retenu. À l'inverse, le réacteur Jules Horowitz sera réalisé grâce au PIA 3. Je ne sais pas pourquoi.
Nous n'avons pas aujourd'hui une vision agrégée de la répartition territoriale des actions du PIA. En revanche, les opérateurs savent, pour des actions ciblées, comme, par exemple, le concours d'innovation numérique géré par Bpifrance, où se situent les projets. La répartition géographique n'est pas prédéfinie, sauf pour les projets avec un zonage, comme les territoires d'innovation. Ainsi, les financements liés aux actions sur les pôles universitaires seront conditionnés à la présence de pôles universitaires sur les territoires.
S'agissant du plastique, je n'ai pas vu de mention particulière relative à ces programmes de recherche dans la maquette budgétaire ou dans les réponses des opérateurs. En revanche, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) met en oeuvre, dans le cadre du PIA 3, un appel à projets autour de l'économie circulaire. On pourrait imaginer que des actions visant le recyclage du plastique puissent s'y insérer.
À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Investissements d'avenir ».
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Réunie à nouveau le jeudi 22 novembre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé , président, la commission des finances a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Investissements d'avenir ».