EXAMEN EN COMMISSION
Réunie mercredi 14 novembre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2018.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous examinons le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2018 dans des délais extrêmement contraints. Cette année, le calendrier a été très largement modifié : au lieu d'examiner le PLFR après le projet de loi de finances (PLF), au mois de décembre, nous l'examinons au milieu de l'examen du PLF. Ce PLFR est donc réduit à des ajustements principalement budgétaires - je m'en réjouis - et remplace le traditionnel décret d'avance de fin de gestion. Chaque année, j'étais le premier à hurler lorsque le Gouvernement déposait ses amendements au milieu de la nuit...
M. Jérôme Bascher . - Cela pourrait continuer !
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Il n'y en a pas eu à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement s'est discipliné. Mais le prochain PLFR, en 2019, risque d'être plus dense.
Le PLFR de fin d'année retrouve ainsi son objectif d'origine en se concentrant sur les mesures ayant uniquement un impact sur l'année en cours.
Le scénario macroéconomique demeure inchangé par rapport au PLF pour 2019, en dépit des signaux conjoncturels défavorables apparus depuis. Le Gouvernement maintient l'hypothèse de croissance à 1,7 %. Malgré un rebond du PIB au troisième trimestre après un premier semestre décevant, la reprise est plus faible qu'escompté par l'Insee. L'économie française aura besoin d'une forte accélération pour atteindre un taux de croissance annuel de 1,7 % sur l'ensemble de l'année. Cela supposerait que l'économie française retrouve au dernier trimestre un rythme de croissance entre 0,6 % et 0,8 %. Un tel rebond apparaît difficilement compatible avec l'orientation actuelle des enquêtes de conjoncture.
S'agissant de la consommation, les ménages ne semblent pas avoir anticipé la hausse de leur pouvoir d'achat au dernier trimestre, ainsi que l'illustre l'évolution de leur indicateur de confiance. Nous sommes loin de « l'automne du pouvoir d'achat » prôné par le Gouvernement ! Et l'attentisme des ménages pourrait se prolonger avec l'augmentation du prix du carburant et la mise en place du prélèvement à la source.
Se sont ajoutées des inquiétudes sur l'investissement des entreprises. L'enquête menée en octobre auprès des chefs d'entreprise dans l'industrie manufacturière fait état d'une forte baisse des prévisions d'investissement pour 2018 - moins 5 points - par rapport à l'estimation de juillet dernier. Dès lors, l'hypothèse de croissance du Gouvernement reste très optimiste.
Dans son avis, le Haut Conseil des finances publiques qualifie la prévision de croissance gouvernementale d'« un peu élevée » et considère qu'une croissance de 1,6 % est « plus vraisemblable ». L'enjeu n'apparaît toutefois pas très significatif, car une croissance inférieure de 0,1 point à la prévision se traduit en moyenne par une hausse du déficit de seulement 0,06 point de PIB.
Sur la trajectoire budgétaire, l'objectif peu ambitieux de déficit devrait pouvoir être tenu. La prévision de déficit public du Gouvernement, de 2,6 % du PIB, demeure inchangée par rapport au PLF 2019. Le déficit ne se réduirait donc que de 0,1 point de PIB par rapport à 2017. Cette amélioration n'est même pas imputable à la politique budgétaire du Gouvernement, mais à la composante non discrétionnaire de l'évolution du solde structurel.
Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que le déficit public atteindra 2,6 % du PIB, tout comme la Commission européenne. Le Haut Conseil des finances publiques estime ces prévisions plausibles.
Venons-en au budget de l'État en 2018. Le déficit présenté est de 80 milliards d'euros, soit une légère amélioration par rapport à l'estimation de déficit de 81,3 milliards d'euros que nous avons examinée la semaine dernière dans le cadre du PLF pour 2019.
Ce niveau reste très élevé puisque l'aggravation est de 12,3 milliards d'euros par rapport à 2017. Le déficit continue ainsi d'être supérieur aux niveaux connus avant 2008, en attendant une nouvelle aggravation à 98 milliards d'euros en 2019. Les chiffres sont faciles à retenir : 100 milliards d'euros de déficit, une dette représentant 100 % du PIB, 1 000 milliards d'euros de prélèvements...
M. Philippe Dallier . - Ce n'est pas très bon...
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'amélioration de 1,3 milliard d'euros du solde budgétaire s'explique essentiellement par la vente de 2,35 % du capital de Safran, au début du mois d'octobre, pour 1,24 milliard d'euros. Cette cession d'actifs devrait bénéficier au désendettement, mais elle ne sera qu'une gouttelette d'eau dans un océan de dettes. Les dépenses sont en hausse de 500 millions d'euros. Malgré cela, le Gouvernement maintient son objectif d'économiser 600 millions d'euros sur les dépenses dites « pilotables » grâce au compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique ». La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a constaté, le 12 juillet dernier, que les compensations liées à l'obligation d'achat d'électricité d'origine renouvelable seraient moins importantes que prévu en 2018. Le Gouvernement ne le constate que maintenant. Il annule donc un montant correspondant de crédits qu'il transfère au budget général. Retirer 600 millions d'euros du CAS « Transition énergétique », et affecter davantage de TICPE au budget général, ce n'est, en tout état de cause, pas un bon signal....
En dehors de ce transfert de TICPE, les recettes fiscales nettes évoluent peu par rapport à l'estimation présentée dans le cadre du PLF pour 2019. La hausse est liée principalement au dynamisme de la TVA et à un rattrapage sur les produits des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) lié à une erreur de comptabilisation à la fin de 2017. On peut faire le même constat pour chaque grand impôt.
L'évolution principale porte donc sur la TICPE : son produit n'augmente pas, mais il est affecté pour 600 millions d'euros supplémentaires au budget général. La fiscalité écologique a bon dos ; l'État bénéficiera de 13,9 milliards d'euros issus de la TICPE, contre 11,1 milliards d'euros en 2017.
Une fois de plus, cette augmentation n'est pas assortie d'un renforcement des moyens consacrés à la transition énergétique, même si le Premier ministre a annoncé ce matin 500 millions d'euros de mesures - une somme inférieure à ce que le Gouvernement récupère de TICPE... Je m'étonne d'ailleurs que ces révisions n'aient pas été annoncées explicitement lors de la présentation du PLF pour 2019 puisque la délibération de la CRE date du 12 juillet dernier.
Le Gouvernement annonce la mise en oeuvre de la limitation à 1 % de la vacance sous plafond d'emplois à partir de 2018. Cela correspond à une disposition de la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022 que nous avions introduite. Le plafond s'ajuste à la réalité, réjouissons-nous en. Nous constations toujours une décorrélation importante, de l'ordre de 1,5 % à 1,7 %, entre les plafonds d'emplois et les postes effectivement pourvus, ce qui dépassait largement le niveau nécessaire. Ils diminuent donc de 10 805 équivalents temps plein travaillé (ETPT).
Les ouvertures de crédits atteignent 6,9 milliards d'euros en crédits de paiement et les annulations 2,7 milliards d'euros. Les deux tiers de ce montant concernent la mission « Remboursements et dégrèvements », notamment pour des remboursements de TVA.
La question la plus délicate concerne la mission « Défense » : l'ouverture de crédits nécessaire pour financer le surcoût des opérations extérieures (OPEX) est entièrement compensée par des annulations de crédits dans la même mission budgétaire. Le Gouvernement propose d'ouvrir 404 millions d'euros d'ouvertures de crédits pour les OPEX, en les finançant entièrement par des annulations de crédits de la mission « Défense ». Selon le Gouvernement, le ministère de la Défense aurait perdu bien plus s'il avait dû participer au financement des annulations sur d'autres ministères. Mais ce faisant, il n'applique pas l'article 4 de la loi de programmation militaire pour 2014-2019 qui pose le principe de solidarité interministérielle pour le financement de ces surcoûts.
La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » connaît des ouvertures de crédits en raison notamment d'une sous-évaluation en loi de finances initiale du nombre des bénéficiaires de la prime d'activité. La mission « Enseignement scolaire » ouvre des crédits pour assurer la couverture en crédits de la paie du mois de décembre des enseignants, tandis que la mission « Cohésion des territoires » doit en particulier couvrir des besoins en hébergement d'urgence et répondre à une dynamique plus élevée que prévue des aides personnelles au logement.
Enfin, l'annulation la plus importante concerne la mission « Travail et emploi » en raison de dépenses moins élevées qu'attendu pour plusieurs dispositifs d'aide à l'emploi.
Mon interprétation générale est donc positive sur le fait que le Gouvernement revient à l'objectif initial de la LFR plutôt qu'à la « voiture balai » des dispositifs fiscaux... Il fait preuve de discipline en exécution, notamment avec ses taux de mise en réserve, qui atteignaient parfois 8 % ! Désormais, le Gouvernement ne propose plus de décret d'avance, et respecte davantage les principes budgétaires. Il n'y a pas de raison d'être en désaccord avec ce PLFR pour ces raisons, mais je ne vous proposerai pas d'avis favorable car il est la conséquence d'un PLF que je n'ai pas voté.
La seule raison que j'aurais eue de voter contre ce PLFR était l'annulation des crédits sur la mission « Défense ». Mais hier, le Gouvernement a annoncé le dégel de 408 millions d'euros en autorisations d'engagement et 272 millions d'euros en crédits de paiement. Dès que ce dégel sera effectivement constaté, je m'abstiendrai.
M. Roger Karoutchi . - La Banque de France vient de publier son estimation de croissance pour le quatrième trimestre 2018, qui ne serait pas supérieure à 0,4 %. Il n'y a pas de rebond. La croissance annuelle atteindra 1,4 à 1,5 %, loin des 1,7 % prévus. Les remontées fiscales au quatrième trimestre seront beaucoup plus basses. Tout cela aura des conséquences. Le Gouvernement ne serait-il pas mieux avisé de regarder ces prévisions ?
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - A priori , l'acquis de croissance atteint déjà 1,5 % après trois trimestres. Je serais très prudent sur les chiffres. La vocation du PLFR est respectée, mais je ne l'approuverai pas.
M. Dominique de Legge . - Je compte comme un épicier breton : Le Gouvernement a annoncé 1,8 milliard de crédits supplémentaires pour la Défense en 2018 après 850 millions d'euros d'annulations en 2017 ; l'effort réel était de 950 millions d'euros ; mais désormais, la Défense doit financer les surcoûts des OPEX sur ses fonds propres ; l'effort réel n'est donc que de 350 millions d'euros pour 2018.
Le Gouvernement ne cesse de nous répéter que ses deux priorités sont la transition énergétique - alors que les crédits du compte d'affectation spéciale diminuent en 2018 - et les crédits de la Défense, soi-disant sanctuarisés. Même si les 272 millions d'euros de crédits devraient être dégelés - j'attends le décret - cela en dit long sur la méthode... Si le PLFR mentionnait explicitement tout cela, il serait plus clair.... Le Parlement dans son ensemble a servi à alerter pour respecter les engagements du Président de la République. Je m'abstiendrai.
M. Marc Laménie . - Les recettes fiscales devraient augmenter de 6,7 milliards d'euros - cela semble beaucoup. La principale recette est la TVA, avec un produit net de 157 milliards d'euros ; la multiplicité des taux est aussi complexe. Peut-on espérer une progression plus forte de la TVA ?
M. Claude Raynal . - Ce PLFR est plutôt simple par rapport aux précédents. Il ne comprend pas de grandes mesures fiscales nécessitant une analyse fine, ni ne joue sur de grandes masses budgétaires.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Il n'y a pas eu de décret d'avance.
M. Claude Raynal . - Reste le sujet lancinant de la Défense. L'effort de l'État se réduit. Dominique de Legge l'avait relevé dans son rapport. Les dépassements d'OPEX auraient dû être payés par la solidarité interministérielle ; or ils seront financés uniquement par le budget de la Défense. Je ne tirerai pas la même conclusion que le rapporteur général de tout cela : j'ai voté contre le PLF, je voterai contre ce PLFR.
Mme Sylvie Vermeillet . - Sur l'évolution du déficit budgétaire, vous mentionnez une part de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) et des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) négatives, avec moins 0,2 milliard d'euros. Il me semblait cependant que l'IFI avait rapporté plus que prévu ?
Mme Sophie Taillé-Polian . - L'énorme implication du Gouvernement sur la transition énergétique n'est que du « blabla ». Et dans la réalité de l'exercice budgétaire, les crédits diminuent. Les contrats aidés sont sous-utilisés, en raison du durcissement des conditions d'octroi et de la moindre prise en charge. Dans le cadre de l'examen de la mission « Travail et emploi », nous avons interrogé, avec Emmanuel Capus, les membres du cabinet de la ministre. Selon eux, la fongibilité permettra d'aider davantage les dispositifs d'insertion économique - ce qui est le cas, mais pas à la hauteur du besoin d'accompagnement des personnes éloignées de l'emploi. Ces crédits ne sont pas tous consommés, il y a donc moins de personnes accompagnées vers l'emploi. Or dans le même temps, le chômage des catégories B et C, les plus éloignées de l'emploi, augmente fortement. Cela a des conséquences importantes sur l'exécution budgétaire et dans le PLF 2019.
M. Jérôme Bascher . - Avec ce PLFR, c'est comme si nous votions des décrets d'avance !
La réduction non dite du plafond d'emplois me gêne ; au lieu d'être décidée par la représentation nationale, le Gouvernement ne budgète pas correctement. Le titre II n'est pas sincère. Les administrations ne pourront pas atteindre leur plafond d'emplois, faute de crédits. Ce n'est pas une façon de traiter la représentation nationale. Par ailleurs, que reste-t-il du gel après le décret d'annulation ?
M. Philippe Dallier . - Je vais finir par me trouver sur la même ligne que Claude Raynal... La grande affaire de ce projet de loi de finances rectificative est le budget de la Défense. Certes, cela aurait pu être pire puisque des crédits ont été dégelés. Des promesses avaient été faites en 2017 après le départ du chef d'État-major des armées ; mais tout le monde savait que les crédits inscrits pour les OPEX en 2018 étaient insuffisants, d'où ce tour de passe-passe en fin d'année. Je suis, pour ma part, tenté de rejeter de ce PLFR. Nous avons assez critiqué ce genre de pratiques, sur tous les bancs. Si nous laissons faire cette fois-ci, jusqu'où cela nous entraînera-t-il ?
M. Jean-Claude Requier . - L'article 4 de la loi de programmation militaire prévoit un partage entre les ministères du surcoût lié aux OPEX et aux missions intérieures. Ce PLFR est-il en contradiction avec cette exigence ?
M. Emmanuel Capus . - Je partage l'analyse du rapporteur général sur ce texte qui va dans le bon sens ; cependant, j'ai eu l'occasion d'exprimer jeudi dernier, dans une question au Gouvernement, mes réserves sur le budget de la Défense et le trou de 404 millions d'euros dans le financement des OPEX découvert mercredi dernier, à l'occasion de la présentation du PLFR. C'est fâcheux, non parce qu'il n'aurait pas été prévu, mais parce que la solidarité interministérielle ne jouera pas.
M. Philippe Dallier . - Si le budget avait été mieux ajusté, nous n'en serions pas là.
M. Emmanuel Capus . - Malgré le dégel de 272 millions d'euros de crédits de paiement, les investissements risquent d'en souffrir : le manque budgétaire représente plusieurs Rafale, ou des équipements dont nos troupes ont besoin.
L'augmentation des crédits promise est là. Rappelons que le budget de la Défense augmente, ce qui est une première depuis vingt ans et invite à relativiser les critiques. Néanmoins, le non-respect de l'article 4 de la loi de programmation militaire est un mauvais signal envoyé à nos armées, qui ont besoin de confiance. Savez-vous quels programmes d'investissement seront affectés ?
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Comme vous l'avez dit, l'article 4 de la loi de programmation militaire n'est pas respecté. La Défense va différer le paiement de ses factures d'armement ; en d'autres termes, ce sont les industriels qui font la trésorerie du ministère... En revanche, soyez assuré que les 272 millions d'euros issus du dégel de crédits de paiement seront consommés immédiatement.
Les réponses adressées par l'administration à notre questionnaire sur le PLFR, reçues hier soir, sont particulièrement peu éclairantes voire même incompréhensibles à dessein. Circulez, il n'y a rien à voir sur la baisse du produit de l'IFI, la loi de finances initiale pour 2018 prévoyait un produit de 850 millions d'euros ; 1,2 milliard d'euros sont inscrits au PLF 2019, mais le PLFR ne prévoit que 1,1 milliard d'euros. Nous n'avons toujours pas reçu d'explication satisfaisante. En somme, ce PLFR n'est pas loin d'un décret d'avance, à cette différence près qu'il est soumis à la représentation nationale.
Marc Laménie, il y a deux moyens d'augmenter le produit de la TVA : soit par la croissance, ce qui est un peu difficile pour les parlementaires, soit en luttant contre la fraude, et notre commission s'y emploie.
M. Jean-Claude Requier . - Il y a aussi la suppression de certains tarifs réduits !
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le CAS « Transition énergétique » sera réduit de 600 millions d'euros, comme l'avait prévu la Commission de régulation de l'énergie dès le mois de juillet. 600 millions d'euros du produit de la TICPE seront dès lors déplacés vers le budget général ; cela correspond à peu près au montant des mesures annoncées ce matin par le Premier ministre...
La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter en nouvelle lecture le projet de loi de finances rectificative pour 2018. En conséquence, elle a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter chacun des articles du projet de loi.