III. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI
La proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations a été déposée le 21 mars 2018 par les membres du groupe La République en Marche de l'Assemblée nationale. Le gouvernement a engagé la procédure accélérée le 26 mars 2018.
Composée initialement de 10 articles et complétée par une proposition de loi organique éponyme, la proposition traduit les engagements pris par le Président de la République lors des voeux à la presse le 3 janvier 2018 . Il avait en particulier déclaré à cette occasion : « toutes les paroles ne se valent pas et des plateformes, des fils Twitter, des sites entiers inventent des rumeurs et des fausses nouvelles qui prennent rang aux côtés des vraies . [...] C'est pourquoi j'ai décidé que nous allions faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique de ces fausses nouvelles. Un texte de loi sera prochainement déposé à ce sujet ».
La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a délégué au fond l'examen du titre I er (Dispositions modifiant le code électoral, articles 1 à 3) et du titre IV (dispositions relatives à l'outre-mer, article 10) à la commission des lois. Cette dernière a également été saisie de la proposition de loi organique relative à la lutte contre les fausses informations, qui complète le dispositif avec la prise en compte de l'élection présidentielle. Pour ces articles délégués au fond, votre commission s'en est remise, par principe, à l'appréciation de la commission des lois.
Votre commission de la culture a donc examiné les titres II (dispositions modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, articles 4 à 8) et le titre III (dispositions modifiant la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, article 9).
La proposition de loi ordinaire a été profondément remaniée jusque dans ses dispositions les plus essentielles lors de son examen en commission, puis en séance publique à l'Assemblée nationale. Sans remettre en cause, en quoi que ce soit, la qualité du travail accompli par les députés , ces évolutions traduisent non seulement la complexité du sujet, qui apporte certaines limitations à la liberté d'expression, mais également un manque de consensus, voire un malaise de nos collègues députés sur un texte que l'on peut sans risque taxer de « circonstance ».
Le texte transmis au Sénat est sensiblement différent de la proposition initiale. En premier lieu, l'intitulé de la proposition de loi est devenu « Proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information ». En second lieu, sa structure a évolué. Le titre III ne traite plus de la loi du 21 juin 2004, mais du « devoir de coopération des opérateurs de plateforme en ligne en matière de lutte contre la diffusion de fausses informations » (actuel nom du titre II bis, article 8 bis , 9 bis A, 9 bis B, 9 bis ). Un nouveau titre III bis portant des « dispositions relatives à l'éducation aux médias et à l'information » a été inséré, et comporte quatre articles : 9 ter , 9 quater , 9 quinquies , 9 septies 19 ( * ) .
C'est donc à une refonte très importante qu'à procédé l'Assemblée nationale. À titre liminaire, votre rapporteure tient à relever que le choix de retenir comme vecteur législative une proposition de loi pour traduire une annonce du Président de la République a privé la représentation nationale d'une étude d'impact , qui aurait pu permettre d'améliorer sensiblement le débat et la rédaction.
1. Un renforcement des pouvoirs du CSA pour contraindre les médias sous influence étrangère (titre II)
La proposition de loi prévoit au titre II plusieurs modifications de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ayant toutes pour objectif de permettre au CSA de contraindre davantage un média étranger ou sous influence étrangère qui chercherait à influencer le débat politique à travers la diffusion de fausses informations. Les modifications proposées visent ainsi soit à clarifier le droit applicable soit à le compléter afin de combler une lacune qui rendait l'action du régulateur très incertaine compte tenu des délais propres aux médias.
L'article 4 prévoit ainsi de sécuriser la possibilité pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel de refuser de conclure une convention avec un service n'utilisant pas de fréquences hertziennes, en explicitant la jurisprudence du Conseil d'État relative aux refus de conventionnement.
L'article 5 insère un article 33-1-1 nouveau dans la loi du 30 septembre afin de permettre au CSA, en période électorale, de suspendre la diffusion d'un service de radio ou de télévision étranger avec lequel il a signé une convention dès lors que la diffusion dudit service porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participe à une entreprise de déstabilisation notamment au travers de la diffusion de « fausses nouvelles » afin de porter atteinte à la sincérité du scrutin.
Si l'article 5 bis ne comprend qu'une correction rédactionnelle, l'article 6 modifie la loi du 30 septembre 1986 afin de permettre au CSA de résilier unilatéralement la convention conclue avec un service contrôlé par un État étranger ou sous son influence, si sa diffusion porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participe à une entreprise de déstabilisation de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles.
L'article 7 prévoit, pour sa part, d'étendre les garanties juridiques qui s'imposent aux décisions du CSA au nouveau pouvoir de sanction qui lui est reconnu par l'article 42-7.
Enfin, l'article 8 a pour objet d'étendre le champ du référé prévu par l'article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986 en matière de communication audiovisuelle aux distributeurs afin de tenir compte du cas d'une chaîne placée sous la dépendance d'un État étranger.
Ces dispositions concernant le CSA aurait sans doute mieux trouvé leur place dans le projet de loi de réforme de l'audiovisuel annoncé depuis plusieurs mois et plusieurs fois reporté depuis lors. Au lieu de cela, le CSA qui n'était pas demandeur de ces nouvelles compétences selon son président auditionné par votre commission va être amené à intervenir dans un champ d'action où cohabitent des aspects à la fois politiques et juridiques avec le risque de devoir faire face à des représailles de la part des pays visés par ses décisions à l'encontre des médias français.
Par ailleurs, les débats à l'Assemblée nationale ont montré l'existence de doutes sur la constitutionnalité de certaines dispositions au regard des principes fondamentaux du droit pénal. C'est le cas notamment d'une disposition de l'article 6 qui, même amendée par le Gouvernement, ne semble pas respecter le principe de personnalité des peines.
Ces incertitudes juridiques confortent l'idée qu'une telle précipitation pour examiner un texte de circonstance n'était pas souhaitable et qu'en cette matière une réflexion de fond associant tous les acteurs - telle qu'elle a été conduite au Sénat - aurait sans doute permis aux auteurs de la proposition de loi de prendre conscience des effets indésirables de leur initiative.
2. Un début d'encadrement de l'activité des plateformes (titre III, devenu titre II bis)
L'article 9 de la proposition de loi, dans sa version initiale, avait pour objectif d'élargir les obligations des intermédiaires techniques des services en ligne dans le cadre de la lutte contre la diffusion de fausses informations . Face à l'impossibilité d'imposer des obligations de contrôle systématique a priori aux plateformes, le choix avait été fait de dupliquer le dispositif déjà en vigueur pour les contenus « odieux » : appel à la haine, pédopornographie, etc., tel que défini par l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, en mettant en place un mécanisme de signalement des « fausses informations ».
Si les plateformes n'ont en la matière pas d'obligation générale de surveillance, elles doivent réagir « promptement » en retirant les contenus manifestement illégaux et les signaler à l'autorité publique. Pour autant, les fausses informations étant par leur nature même très complexes à caractériser de manière « manifeste », et n'étant pas en elle-même illégales , la seule contrainte pesant sur les plateformes aurait été, une fois ces contenus identifiés par les internautes et transmis à la plateforme, de le signaler à l'autorité publique, sans que l'on sache très bien quelles conséquences en seraient tirées.
Face aux doutes exprimées en particulier par le Conseil d'État, nos collègues députés ont procédé, tout d'abord en commission, puis en séance publique, à une réécriture complète du titre III, devenu titre II bis . Ils ont conservé de la version initiale, au nouvel article 8 bis , l'obligation pour les plateformes de mettre en place un mécanisme de signalement facilement accessible permettant aux utilisateurs de signaler les « fausses informations », mais sans plus les contraindre à transmettre ces signalements à une autorité publique . Ils ont par ailleurs confié au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel un rôle de « méta régulation », en lui permettant d'émettre des recommandations pour les plateformes dans la lutte qu'elles mènent contre les fausses informations.
Les autres dispositions contenues aux articles 8 bis , 9, 9 bis A, 9 bis B visent à contraindre les plateformes à rendre publiques les mesures prises pour lutter contre les fausses informations et à plus de transparence en matière de traitement algorithmique.
Nos collègues députés ont cherché à cerner la problématique des fausses informations . Ils n'ont cependant pas été en mesure de s'écarter du cadre européen, ce qui les conduit à aborder les problèmes de biais : au lieu d'une vraie régulation, des « recommandations » du CSA sans aucune sanction, au lieu de la transparence des algorithmes, des données qui, pour être certainement utiles à des fins de recherche, ne modifieront en rien le modèle économique des plateformes. Les solutions apportées à l'Assemblée nationale illustrent a contrario le chemin qui reste à parcourir pour un Internet plus régulé et respectueux du débat démocratique .
La proposition de loi ne traite que de manière très détournée, à travers un article 9 bis dépourvu de portée normative, de la question de la place des journalistes et des médias d'information . Ce point est cependant central. Les auditions du 13 juin devant la commission ont souligné la nécessité de mener une réflexion approfondie sur la reconnaissance et la valorisation des contenus produits par des professionnels soumis à un code de déontologie et responsables de leurs écrits.
3. Les dispositions introduites à l'assemblée nationale relatives à l'éducation aux médias et à l'information (titre III bis)
Les députés ont inséré un nouveau titre dans la proposition de loi, consacrée à l'éducation aux médias, eu numérique, et de manière générale à une approche critique des informations obtenues sur Internet. Votre rapporteure, qui a consacré très récemment un rapport complet à l'éducation au numérique 20 ( * ) se félicite bien entendu de cette prise en compte encore partielle de la seule réponse valable à long terme - le développement d'un esprit critique et d'une bonne appréhension des facilités mais également des dangers de l'ère digitale . Pour autant, les ajouts proposés au code de l'éducation ne pourraient par définition produire leurs effets qu'à long terme, et ils resteront lettre morte si ils ne font pas l'objet de moyens budgétaires spécifiques et portés sur le long terme. Les annonces de la ministre d'un doublement des moyens du Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI) vont dans le bon sens, mais seront insuffisants tant qu'une réflexion beaucoup plus globale et stratégique sur l'impact du numérique pour les élèves et les formateurs n'aura pas été lancée . Des réformes profondes et structurelles sont en effet indispensables en la matière.
* 19 Inséré en commission, l'article 9 sexies a été supprimé en séance.
* 20 Rapport d'information n° 607 (2017-2018) « Prendre en main notre destin numérique : l'urgence de la formation » de Mme Catherine Morin-Desailly , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 27 juin 2018.