II. UNE PREMIÈRE LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE IRRÉGULIÈRE À PLUS D'UN TITRE
1. Des prévisions de recettes élaborées sur la base d'hypothèses macroéconomiques dépassées
De façon inédite, l'exposé général des motifs de la première loi de finances rectificative pour 2017 42 ( * ) , prévoyant la création des deux contributions exceptionnelles précitées, indiquait que « compte tenu du calendrier anticipé et resserré de préparation et d'adoption du présent projet de loi de finances rectificative », le Gouvernement n'avait pas été en mesure de tenir compte « dans les évaluations de recettes, des dernières informations disponibles » .
Par conséquent, ce projet de loi était élaboré à partir d'hypothèses macroéconomiques en partie dépassées , ne prenant pas en compte la reprise plus forte qu'escomptée.
Ce décalage apparaît d'autant plus surprenant que le Gouvernement s'était déjà montré confiant quant au dynamisme de la croissance et des recettes, dès avant la présentation du premier projet de loi de finances rectificative. Le ministre de l'économie et des finances avait ainsi déclaré devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le 2 novembre dernier : « les derniers chiffres de croissance sont très bons. La croissance cumulée pour 2017 atteint déjà 1,7 % ».
De même, dans la réponse adressée à la Commission européenne aux demandes d'informations supplémentaires sur la réduction du déficit public, Bruno Le Maire avait indiqué qu'une « élasticité des recettes plus élevée, très probable, viendra accroître notre effort structurel ».
Le caractère incomplet de l'équilibre financier soumis au vote du Parlement dans la première loi de finances rectificative a été rendu tout à fait manifeste par les prévisions révisées associées au second projet de loi de finances rectificative , déposé à peine treize jours plus tard, faisant état d'une « bonne nouvelle » de 2 milliards d'euros sur les recettes fiscales de l'État.
La révision des recettes fiscales à la hausse dans le second projet de loi de finances rectificative reposait principalement sur deux impôts : la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), respectivement à hauteur de 0,9 milliard d'euros et de 0,8 milliard d'euros. Or dans ces deux cas, la plus-value intégrée aux nouvelles prévisions ne découlait pas d'éléments apparus entre le dépôt de la première et celui de la seconde loi de finances rectificative.
Ainsi, concernant la TVA, le Gouvernement faisait état de « plus-values observées dans les dernières remontées comptables, qui consolident le dynamisme des encaissements constaté depuis plusieurs mois, en particulier s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ».
S'agissant de la TICPE perçue par l'État, sa révision à la hausse provenait essentiellement de la reprise, sur le budget général, de l'excédent prévisionnel du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » en raison de la réévaluation des charges de service public par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), dans sa délibération de juillet 2017. Là encore, la décision de la CRE étant connue depuis juillet, aucun élément objectif ne permet d'expliquer pourquoi le Gouvernement n'aurait pas été en mesure d'intégrer la plus-value de TICPE attendue en 2017 dès le dépôt du premier projet de loi de finances rectificative, voire dès celui du projet de loi de finances pour 2018.
Au total, sur le plan juridique, la sincérité des prévisions de recettes présentées au vote du Parlement dans le cadre du premier projet de loi de finances rectificative apparaît incertaine , et l'argument tiré de l'urgence bien peu convaincant - dans la mesure où l'estimation du montant global des recettes fiscales de l'État constitue un exercice récurrent et fondamental face auquel les services du ministère des finances sont très certainement compétents, y compris dans des délais réduits.
Sur le plan pratique, l'absence d'actualisation du cadrage macroéconomique a conduit à maximiser le besoin apparent de recettes supplémentaires pour respecter le critère de 3 % de déficit public. En d'autres termes, le Gouvernement a fait preuve d'opportunisme budgétaire en poursuivant une démarche de rendement excédant l'objectif affiché .
2. La présentation au Parlement d'un tableau d'équilibre tronqué en dépenses
En outre, le premier projet de loi de finances rectificative n'intégrait pas les ajustements liés à l'exécution prévisionnelle des dépenses de l'État .
Un dépassement de 4,1 milliards d'euros des crédits votés en loi de finances initiale était d'ores et déjà anticipé par le Gouvernement, qui en faisait état dans l'exposé général des motifs, mais l'exécutif a fait le choix de ne procéder à aucun ajustement de crédits (hors remboursements et dégrèvements) dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, indiquant que les mouvements en dépenses seront « affiné[s] et décliné[s] plus finement dans le cadre du schéma de fin de gestion, en cours de préparation, et présenté[s] dans [leur] ensemble dans le projet de loi de finances rectificative de fin de gestion », lequel devrait être présenté quelques semaines plus tard.
Aussi fallait-il distinguer le solde budgétaire de l'État résultant stricto sensu des ajustements en recettes prévus par le premier projet de loi de finances rectificative, qui s'établissait à - 72,7 milliards d'euros, du solde budgétaire résultant de l'exécution prévisionnelle pour 2017 en recettes mais aussi en dépenses, qui atteignait alors - 76,9 milliards d'euros.
Au total, le Parlement a donc été amené à se prononcer sur un tableau d'équilibre tronqué en dépenses , le solde budgétaire ne reflétant pas la réalité des grands équilibres du budget de l'État tels que le Gouvernement les connaissait alors.
À première vue, ce mode opératoire peut paraître inévitable au regard de l'urgence de la situation : il s'agissait de créer un nouvel impôt et de commencer à le recouvrer avant la fin de l'exercice budgétaire, ce qui n'aurait peut-être pas été compatible avec le dépôt d'un unique projet de loi de finances rectificative. En effet, si seulement deux semaines séparaient le dépôt du premier projet de loi de finances rectificative du second, la promulgation des deux textes était en revanche décalée de près de quatre semaines (à savoir le 1 er décembre puis le 28 décembre).
En effet, tant que le Gouvernement continuera de présenter des projets de loi de finances rectificative de fin de gestion qui constituent en réalité des « séances de rattrapage » du projet de loi de finances, leur adoption ne pourra qu'être tardive - malgré le rythme extrêmement contraint auquel se soumettent les assemblées, le Sénat examinant le projet de loi de finances rectificative de fin de gestion le lendemain de sa transmission nocturne.
Mais ce raisonnement n'est valable qu'à pratique constante. Si les projets de loi de finances rectificatives retrouvaient leur vocation initiale , qui est de procéder à des ajustements en recettes et en dépenses qui ne pouvaient pas être anticipés en loi de finances initiale et qui portent sur l'exercice en cours, la fusion d'un PLFR d'urgence déposé en novembre et créant une nouvelle contribution avec le PLFR portant le schéma de fin de gestion serait tout à fait envisageable .
* 42 Loi n° 2017-1640 du 1 er décembre 2017 de finances rectificative pour 2017.