B. LA DÉFINITION D'UN CADRE JURIDIQUE SPÉCIFIQUE ET HARMONISÉ
Eu égard à ses enjeux en matière de respect du droit à la vie privée, le législateur a estimé nécessaire d'encadrer strictement l'usage des caméras mobiles.
Il a défini, à cet effet, un cadre juridique ad hoc , distinct de celui applicable à la vidéoprotection , estimant que celui-ci ne permettait pas de couvrir de manière adéquate l'emploi des caméras mobiles. Ces dernières ont en effet des finalités plus larges que la vidéoprotection « traditionnelle », dans la mesure où elles visent non seulement à prévenir les atteintes à la sécurité publique, mais également à garantir une sécurisation des interventions des forces de l'ordre. Par ailleurs, elles ont vocation à être utilisées en tout lieu, y compris dans des habitations privées. Enfin, contrairement aux caméras de vidéoprotection, qui enregistrent des images en continu, l'enregistrement par les caméras mobiles n'est permis que ponctuellement.
La nécessité d'un encadrement législatif avait d'ailleurs été soulevée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, dans son rapport d'activité de 2015, eu égard aux risques élevés de surveillance des personnes et d'atteinte à la vie privée qui pourraient résulter de l'usage des caméras individuelles.
Bien que ne faisant pas l'objet de dispositions législatives communes 2 ( * ) , les régimes applicables aux différentes catégories d'agents autorisés à employer des caméras mobiles ont été harmonisés par le législateur et répondent ainsi à des principes communs.
1. Des finalités et un périmètre d'emploi strictement définis par la loi
Le législateur a tout d'abord défini, pour chacun des trois régimes d'usage des caméras mobiles, qu'ils soient pérennes ou expérimentaux, les finalités ainsi que le périmètre d'emploi des caméras mobiles.
L'enregistrement audiovisuel ne peut, en aucun cas, être permanent, les agents concernés n'étant autorisés à déclencher les caméras individuelles dont ils sont équipés, au cours d'une intervention, que « lorsque se produit un incident ou lorsqu'est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées ».
Les enregistrements réalisés par les agents poursuivent, dans chaque cas, trois finalités identiques :
- la prévention des incidents au cours des interventions ;
- le constat des infractions qui auraient été commises au cours d'une intervention et la poursuite de leurs auteurs ;
- la formation et la pédagogie des agents : les enregistrements audiovisuels sont en effet destinés à être utilisés comme des supports pédagogiques pour des sessions de formation ou à l'occasion de séances de débriefing opérationnel.
2. Un encadrement des modalités de recours à l'enregistrement vidéo et des conditions de conservation des images
Eu égard aux atteintes potentielles à la vie privée, le législateur a entouré le dispositif de plusieurs garanties destinées à en assurer la proportionnalité.
Ces dernières tiennent tout d'abord à l'information des personnes susceptibles de faire l'objet d'un enregistrement . L'enregistrement ne saurait ainsi être réalisé à l'insu de la personne filmée : les caméras doivent, quels que soient les agents concernés, être portées de façon visible ; en outre, les agents sont tenus d'informer les personnes concernées en cas de déclenchement de l'enregistrement, sauf s'ils en sont empêchés eu égard aux circonstances. Enfin, il est prévu qu'une information générale du public sur l'usage de ces caméras individuelles soit réalisée par les autorités gestionnaires compétentes.
Par ailleurs, les conditions d'accès et de conservation des images enregistrées sont également fixées dans la loi. D'une part, il est prévu que les agents ne disposent pas d'un accès direct aux enregistrements. Les décrets en Conseil d'État pris pour l'application des dispositions législatives précitées précisent que les enregistrements font l'objet, à l'issue de chaque intervention, d'un déversement dans un système informatique, auquel n'a accès qu'un nombre limité de personnes. D'autre part, la durée maximale de conservation des images est fixée à six mois, sauf pour les besoins d'une procédure disciplinaire, administrative ou judiciaire.
Saisie pour avis des décrets en Conseil d'État pris pour l'application de ces régimes législatifs, la Commission nationale de l'informatique et des libertés a « reconnu la pertinence de recourir à de tels dispositifs en l'espèce, compte tenu des finalités poursuivies » et considéré « que les données collectées sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ». Elle a par ailleurs constaté que le législateur avait apporté des garanties essentielles, nécessaires à assurer la proportionnalité du dispositif. Elle a ainsi précisé que la durée de conservation des enregistrements de six mois n'excédait pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles les enregistrements sont réalisés. Elle a par ailleurs reconnu que l'interdiction pour les agents procédant à l'enregistrement d'accéder directement aux enregistrements constituait une garantie essentielle. Enfin, elle a pris acte que les dispositions législatives prévoyaient une information des personnes dont les données personnelles sont susceptibles d'être collectées et conservées.
* 2 Le régime pérenne prévu pour les agents de la police nationale et pour les militaires de la gendarmerie nationale est défini par l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure. Celui, expérimental, applicable aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP relève de l'article L. 2251-4-1 du code des transports. Enfin, l'usage des caméras individuelles par les agents de police municipale, lui aussi à titre expérimental, est prévu par l'article 114 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, qui renvoie, pour les conditions de mise en oeuvre du dispositif, à l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure.