EXAMEN EN COMMISSION
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M. Philippe Bas , président . - Je vous demande la permission, aux termes de l'article 18 du Règlement du Sénat, d'accueillir, bien qu'il ne soit pas membre de notre commission, notre collègue Gérard Poadja, qui défendra ses amendements sur le projet de loi organique, sans participer au vote.
La commission en décide ainsi.
- Présidence de M. Jean-Pierre Sueur, vice-président -
M. Philippe Bas , rapporteur . - En 1988, les accords de Matignon-Oudinot ont prévu la tenue d'un référendum au plus tard en 1998 pour déterminer les conditions de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. L'Accord de Nouméa, conclu en 1998 et approuvé par une consultation référendaire en Nouvelle-Calédonie, a renvoyé au plus tard à 2018 la détermination par les électeurs de la Nouvelle-Calédonie de leur avenir et mis en place les institutions actuelles à titre transitoire, pour ne pas préjuger de l'avenir institutionnel du territoire. L'année de la consultation est venue. Comme il ne faut pas que des Français de passage en Nouvelle-Calédonie puissent prendre part à ce scrutin d'autodétermination, une liste électorale spéciale est établie, distincte de la liste générale, ce qui soulève la question des critères d'inscription.
Nous avons déjà approuvé en 2015 la possibilité d'une inscription d'office sur la liste électorale spéciale. Avec ce projet de loi organique, il s'agit d'élargir les conditions de l'inscription d'office. C'est une innovation juridique importante, puisqu'il n'existe en France d'inscription d'office que pour les jeunes majeurs de 18 ans. En l'espèce, le but est de s'assurer que les électeurs qui relèvent du corps électoral référendaire puissent effectivement voter, même s'ils négligent de demander leur inscription sur les listes électorales.
Pour être inscrit sur la liste électorale spéciale à la consultation, il faut d'abord être inscrit sur la liste électorale générale. L'article 1 er du projet de loi organique prévoit donc l'inscription d'office sur cette dernière des électeurs qui remplissent les conditions de domicile ou de résidence de droit commun.
L'article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 dispose en outre que les électeurs nés en Nouvelle-Calédonie qui y ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux sont admis à participer à la consultation d'autodétermination. Toutefois, les critères d'appréciation du centre des intérêts matériels et moraux n'étaient pas précisés. Dès lors, il était très difficile d'obtenir son inscription à ce titre, et cela nécessitait de produire un important dossier. Je précise que la notion de centre des intérêts matériels et moraux est inspirée du droit de la fonction publique.
Après les progrès déjà accomplis en 2015, les parties signataires de l'Accord de Nouméa de 1998 ont décidé, le 2 novembre 2017, qu'un électeur né en Nouvelle-Calédonie ayant résidé au moins trois ans en Nouvelle-Calédonie serait présumé y avoir le centre de ses intérêts matériels et moraux. On substitue à l'appréciation qualitative, reposant sur un faisceau d'indices, un critère de durée. Je n'ai pas estimé nécessaire de soulever de contradiction entre le critère du centre des intérêts matériels et moraux et celui de la durée de résidence.
Je vous proposerai donc d'approuver cette innovation. L'article 2 est toutefois un peu particulier, car si la loi organique de 2015 prévoyait une inscription d'office dès lors qu'un certain nombre de conditions étaient remplies, l'inscription n'est ici pas automatique. Par ailleurs, il s'agit d'une présomption simple. Il est aussi précisé que la commission chargée de l'établissement de la liste électorale spéciale à la consultation ne devra prendre en compte que les éléments fournis par l'État, c'est-à-dire ceux qui résultent du croisement de fichiers administratifs, le principal étant celui de la sécurité sociale. Les parties signataires ont convenu que ce dernier fichier était celui qui permettait de déterminer le plus sûrement la durée de présence sur le territoire. En cas de litige, il reviendra au juge de trancher.
Je ne vous proposerai pas de modifier l'équilibre de cet accord.
Le projet de loi organique prévoit également d'ouvrir des bureaux de vote délocalisés à Nouméa, à l'intention des électeurs inscrits sur les listes électorales de cinq communes insulaires qui résident habituellement sur la Grande Terre. Ils n'auront donc pas à retourner dans leur commune pour participer au référendum. La contrepartie de cette disposition est le resserrement des conditions d'exercice du vote par procuration. Par le passé, le recours massif à cette modalité de vote a induit le doute sur la sincérité de certains scrutins dans les îles Loyauté. Après un avis du Conseil d'État et un vote du Congrès de Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement a déposé un amendement sur cette question que nous examinerons tout à l'heure.
Je me suis rendu en Nouvelle-Calédonie avec Jacques Bigot pour 48 heures au début du mois de janvier, afin de m'assurer que le projet de loi organique correspondait à la volonté des parties calédoniennes. Il était moins coûteux pour la République que nous allions sur place plutôt que de faire venir toutes les personnes que nous souhaitions entendre...
Il est essentiel que le processus de la consultation, qui n'est pas dénué de risques y compris pour la concorde civile en Nouvelle-Calédonie, respecte scrupuleusement l'accord des parties quoi qu'on pense de la rigueur de sa traduction juridique. En droit français, la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes, mais l'Accord de Nouméa est, en quelque sorte, au-dessus de la Constitution... Le Conseil constitutionnel se réfère à l'Accord pour s'assurer de la conformité de la loi organique à la Constitution, qui y renvoie. La question est à ce point sensible qu'il m'a paru nécessaire, en tant que rapporteur, de ne pas m'écarter de la volonté des Calédoniens.
L'enjeu pratique n'est pas considérable - nous sommes à la recherche de quelques milliers d'électeurs supplémentaires qui ne se sont pas manifestés pour voter -, mais l'enjeu politique pour la Nouvelle-Calédonie l'est assurément.
M. Pierre Frogier . - Je remercie le président Bas pour la qualité de son rapport.
Je veux apporter un éclairage historique. En Nouvelle-Calédonie, il y a deux statuts des personnes : le statut civil de droit coutumier, qui relève de traditions orales, et celui de droit commun, qui découle du code civil. Or le statut civil des personnes a des conséquences en matière électorale. L'article 218-2 de la loi organique statutaire, créé par la loi organique du 5 août 2015, prévoit que les personnes de statut coutumier sont inscrites d'office sur la liste référendaire. Encore faut-il qu'elles figurent sur la liste électorale générale... Après 2015, les indépendantistes ont revendiqué d'inscrire automatiquement les citoyens de statut coutumier sur la liste générale. Au départ, nous préférions nous en tenir à une inscription volontaire ; au fil des discussions, nous avons convenu de la pertinence de cette revendication. Mais il fallait trouver un équilibre pour éviter une discrimination entre les natifs de droit commun et les natifs de droit coutumier. C'est ainsi que lors du dernier comité des signataires de novembre 2017, nous avons décidé de faire en sorte que toutes les personnes relevant du corps électoral référendaire puissent être inscrites automatiquement sur la liste spéciale, sous réserve, lorsqu'elles relèvent du statut civil de droit commun, qu'elles aient résidé en Nouvelle-Calédonie pendant trois ans.
La différenciation entre les citoyens de Nouvelle-Calédonie a des conséquences dans la vie quotidienne. Pour beaucoup, les deux statuts n'ont pas vocation à se rejoindre. Je rappelle que 40 % de la population de Nouvelle-Calédonie relève du statut de droit coutumier, 60 % du statut de droit commun.
Le président Bas rappelait que le projet de loi organique était le fruit d'une longue négociation sous l'autorité du Premier ministre en novembre 2017. Je regrette que le texte soit bavard, puisqu'il reprend pratiquement in extenso les conclusions du comité des signataires. On aurait pu être juridiquement plus précis, comme nous y invitait le Conseil d'État. Mais je comprends les raisons du président Bas...
Il n'en demeure pas moins que l'article 2 accentue la discrimination entre les citoyens de droit commun et ceux de droit coutumier, ce que je regrette.
M. Alain Richard . - Je veux à mon tour rappeler quelques éléments de contexte qui expliquent le droit spécial élaboré depuis de nombreuses années. Il s'agit d'organiser un acte potentiel de décolonisation, c'est-à-dire le choix de son destin par une population. Les personnes consultées pourront opter pour une sortie de la communauté nationale.
Or, depuis des décennies, la société calédonienne est fragmentée, composée d'éléments juxtaposés sur le territoire et dans la vie sociale. La balance démographique de la liste électorale est donc un élément clé pour la validité morale du scrutin et pour la concorde sur le territoire après la consultation.
Vu la composition actuelle de la population, il est vraisemblable que la consultation aboutira au refus de l'indépendance. Il faut prendre beaucoup de précautions pour éviter que d'éventuelles frustrations conduisent à des tensions, voire à des troubles.
Depuis les accords de 1988, nous avons décidé que certains citoyens seraient appelés à voter, d'autres non. Comme il s'agissait d'un choix de destin, seuls les habitants permanents, associés à la vie du territoire dans la durée, devaient y être associés. Les gouvernements successifs ont travaillé dans une continuité républicaine pour préparer dans les meilleures conditions possibles cette consultation exceptionnelle. Le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel ont veillé à ce que les principes de base de notre droit public relatifs à la citoyenneté et la spécificité de la Nouvelle-Calédonie soient heureusement combinés.
J'ai une légère divergence de vues avec le président Bas sur la place de l'Accord de Nouméa dans la hiérarchie des normes. Selon moi, l'Accord n'est pas supérieur à la Constitution, il y est incorporé, comme d'autres textes d'ailleurs.
Le travail du Gouvernement, perfectionné par celui du rapporteur, répond à ces différents impératifs. Il faudra que l'ensemble des partenaires associés continuent de faire en sorte que jusqu'au jour de la consultation et, a fortiori , dans les mois qui suivront, tout soit fait pour maintenir la concorde et la compréhension entre les différentes communautés.
M. Jacques Bigot . - Le projet de loi organique est d'importance relative, car les inscriptions d'office ne concernent que 10 000 personnes, soit une faible part du corps électoral. Il s'agit de respecter l'Accord de Nouméa et d'éviter que l'on ne puisse critiquer le scrutin au motif qu'il aurait été mal organisé. Les autorités de l'État en Nouvelle-Calédonie ont un travail extrêmement difficile à réaliser pour recenser les personnes concernées à partir d'actes de l'état civil et constituer les dossiers d'inscription.
Je remercie Pierre Frogier d'avoir apporté son éclairage, d'autant qu'il est membre du comité des signataires et qu'il lui appartient de contrôler que la loi organique respecte la volonté des partenaires. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a, dans un avis du 23 novembre 2017, rappelé que l'article 2 du projet de loi organique ne devait pas avoir pour vocation de créer une nouvelle catégorie d'électeurs.
Les commissions administratives spéciales, chargées d'établir les listes électorales spéciales, sont présidées par un magistrat désigné par le Premier président de la Cour de cassation, assisté du maire, d'un représentant de l'administration et d'une personnalité qualifiée. Y siègent aussi des électeurs, représentant les deux camps. On sait que les indépendantistes veillent à ce que ne soient pas inscrites des personnes qui ne relèvent pas du corps électoral référendaire.
On ne peut que souscrire à ce projet de loi organique. Je suis favorable aux amendements proposés par le Gouvernement.
M. Gérard Poadja . - Je vous remercie d'accepter ma présence parmi vous.
La consultation référendaire sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie trouve son origine dans l'article 77 de la Constitution, aux termes duquel la loi organique détermine les conditions dans lesquelles les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté.
Cette consultation constitue pour le peuple calédonien, peuple souverain sur son avenir, un rendez-vous déterminant, trente ans après que les accords de Matignon, symbolisés par la poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, ont ramené la paix en Nouvelle-Calédonie.
Fixée au mois de novembre 2018 au plus tard, la consultation référendaire est naturellement aujourd'hui au coeur des préoccupations des Calédoniens. Elle a, le 2 novembre 2017, été au centre des discussions du XVI e comité des signataires de l'Accord de Nouméa réuni à Matignon, sous la présidence du Premier ministre.
Après plus de dix heures de discussions, un consensus politique majeur a été trouvé entre les partenaires politiques et l'État. Il avait un objectif essentiel : garantir la légitimité et la sincérité du résultat du scrutin, ce qui nous imposait avant tout de procéder à l'inscription d'office sur les listes électorales générales et référendaires de tous les natifs, qu'ils soient kanaks ou non.
Rappelons que, pour qu'une personne puisse être inscrite sur la liste référendaire, où figurent déjà l169 000 électeurs, son inscription sur la liste électorale générale constitue un préalable obligatoire. Or, à ce jour, 7 000 Kanaks de statut coutumier et 3 900 non-Kanaks nés en Nouvelle-Calédonie ne sont pas inscrits sur cette liste générale.
C'est pourquoi Pierre Frogier et moi-même défendons, depuis plus d'un an, avec les députés Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, auprès des partenaires politiques locaux et de l'État, la nécessité de procéder à l'inscription d'office de ces quelque 11 000 natifs du pays sur les listes électorales. Nous soutenons cette proposition face à certaines revendications indépendantistes radicales selon lesquelles seuls les Kanaks non-inscrits sur la liste générale devaient être inscrits d'office.
Or cette revendication ne répondait ni juridiquement ni politiquement au cadre constitutionnel au sein duquel la Nouvelle-Calédonie s'épanouit : ni juridiquement, parce qu'une inscription liée à des caractéristiques ethniques ne peut avoir sa place au sein de notre République ; ni politiquement, parce que le préambule de l'Accord de Nouméa nous rappelle que « les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis par leur participation à l'édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement ». Ainsi, le consensus politique qui a été trouvé, dont bénéficient tous les Calédoniens, quelle que soit leur origine ethnique, se traduit dans le projet de loi organique au travers de deux propositions : l'une visant la mise en place d'une procédure exceptionnelle d'inscription d'office sur la liste générale, l'autre la création d'un cas supplémentaire d'inscription d'office sur la liste électorale référendaire.
Garantir la légitimité et la sincérité des résultats de la consultation imposait, en outre, de favoriser le vote personnel des électeurs.
Or, en Nouvelle-Calédonie, plus de 2 500 Loyaltiens originaires des îles résident sur la Grande Terre, tout en étant inscrits sur les listes électorales de leur commune d'origine. Cette situation implique à chaque élection un recours massif aux votes par procuration dans les îles, qui peut atteindre plus de 30 % des suffrages. C'est pourquoi les partenaires de l'Accord ont convenu de la nécessité de mettre en place des bureaux de vote délocalisés à Nouméa pour les électeurs des communes de Lifou, Maré, Ouvéa, de l'île des Pins et de Bélep.
Garantir la légitimité et la sincérité des résultats du scrutin implique aussi un encadrement du recours au vote par procuration, comme le Congrès de la Nouvelle-Calédonie en a émis le souhait dans son avis du 23 novembre 2017.
Lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie, le Premier ministre, à l'occasion de son discours devant les élus du Congrès le 5 décembre dernier, avait relevé que la modification concernant le régime général des procurations n'avait pu être intégrée à ce stade, mais que ce n'était pas irrémédiable et qu'il appartiendrait au Parlement de prendre en compte cette demande. C'est pourquoi je vous propose un amendement conforme à l'avis du Conseil d'État et à la volonté unanimement exprimée par les responsables politiques de la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, considérant l'enjeu de la consultation et la représentativité du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, il est proposé de modifier la loi organique statutaire afin de prévoir que le décret de convocation des électeurs sera pris après consultation du Congrès et non du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie, dans son avis du 23 novembre 2017, a estimé nécessaire que son avis soit recueilli sur tout décret relatif à la consultation.
La Nouvelle-Calédonie va, pour la seconde fois en trente et un ans, devoir se prononcer par consultation référendaire quant à son avenir au sein ou en dehors de la République française. Si elle n'était pas bien préparée, cette consultation cruciale pourrait provoquer des tensions ethniques et politiques. En contribuant à rendre le résultat incontestable, les dispositions de ce projet de loi organique sont de nature à favoriser une consultation référendaire apaisée.
M. Pierre-Yves Collombat . - Je m'associe à ce qui a été dit. Nous sommes heureux qu'un accord ait pu intervenir. On peut clarifier des points de détail ou apporter des précisions qui ont fait l'objet d'un consensus. Autrement, c'est peu dire qu'il ne faut toucher à ce texte que d'une main tremblante. Le mieux est parfois l'ennemi du bien !
M. Jean Louis Masson . - Il semble y avoir un consensus sur le fait qu'il y ait deux catégories de Français en Nouvelle-Calédonie. À titre personnel, j'estime que ce n'est pas sain pour la nation. Pourquoi alors ne pas transposer ce raisonnement à la France métropolitaine, et exclure du droit de vote les Français qui ne sont pas nés en France métropolitaine ?
Je comprends qu'on ait fait des efforts à l'origine, en raison des troubles. Mais on ne peut perpétuer une telle différence. La preuve en est que les Corses aimeraient un régime spécifique pour les « vrais » Corses par rapport aux Français qui habitent en Corse. On ouvre la boîte de Pandore !
Je suis choqué que tout le monde trouve cela normal. On est Français ou on ne l'est pas ; tous les Français doivent voter.
M. Dany Wattebled . - Je ne peux pas laisser ces propos sans réponse. Il faut respecter les traditions, comme en Alsace. Un accord s'est dégagé afin que le maximum de personnes concernées par l'avenir de la Nouvelle-Calédonie puissent participer à la consultation. Il ne faudrait pas que certains puissent venir se plaindre après-coup de ne pas avoir pu voter. Le projet de loi organique prévoit l'inscription des natifs de Nouvelle-Calédonie qui y ont résidé plus de trois ans : c'est une disposition équilibrée.
M. Pierre Frogier . - Le double statut, c'est l'histoire de la Nouvelle-Calédonie. À l'avenir, il faudra écrire un code civil commun, mais cela ne se fera pas avant quelques générations. En attendant, il faut rapprocher les deux statuts.
Pour répondre à M. Masson, au moment de la Révolution, il y avait en France un droit coutumier au nord et un droit écrit au sud. Il a fallu articuler les deux droits, et le code civil a fait la fierté de la France.
Pendant trente ans, nous avons vécu harmonieusement, mais notre objectif est un destin commun. De nombreux progrès ont été faits. Mais la dualité des statuts civils reste fondamentale dans la société calédonienne. Je suis persuadé que le rapprochement des deux statuts est indispensable.
Le projet de loi organique doit nous permettre de préparer techniquement la consultation, pour qu'elle soit légitime et incontestable. Mais cette consultation ne résoudra rien. Depuis trente ans, le rapport de forces électoral en Nouvelle-Calédonie est connu, et il ne fait pas de doute que les électeurs se prononceront contre l'indépendance.
Depuis des années, je défends l'idée qu'il faut faire prévaloir l'esprit de l'Accord de Nouméa sur sa lettre, c'est-à-dire construire cette communauté de destin. Trente années n'ont pas été suffisantes. Je regrette que mes démarches pour donner un nouveau souffle à cet accord en évitant un scrutin binaire n'aient pas abouti. Ces derniers mois, aucune avancée significative n'a permis « d'enjamber » ce scrutin pour préparer l'avenir. Compte tenu de l'état d'impréparation politique de la consultation, je suis très réservé sur la suite des événements. J'espère que tout ce qui a été fait depuis trente ans - je pense au partage des responsabilités avec les indépendantistes - ne disparaîtra pas sous l'effet de cette consultation.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Mon cher collègue, je souligne la constance de vos déclarations.
M. Simon Sutour . - La commission des lois a toujours été attentive à la situation de la Nouvelle-Calédonie. J'ai fait partie d'une délégation sénatoriale qui s'y était rendue en 2003, lorsque Pierre Frogier était président du gouvernement. Nous avions alors rencontré Jacques Lafleur qui présidait la province sud, et Simon Loueckhote le Congrès.
Les accords sont intervenus après de terribles drames, notamment celui d'Ouvéa où notre délégation était allée.
Le projet de loi organique n'est pas parfait, mais il est le fruit d'un accord entre les deux parties : il faut donc le sacraliser.
M. Philippe Bas , rapporteur . - Je remercie chacun des intervenants.
Je veux dire à Pierre Frogier, signataire de l'Accord de Nouméa, que nous attachons un grand prix à ses analyses. La marche vers la consultation, il l'a bien compris, ne peut être arrêtée. Il faut donc tout mettre en oeuvre pour qu'elle se passe le mieux possible, en faisant notamment en sorte que le résultat du scrutin ne puisse être contesté au motif que les Calédoniens ayant vocation à se prononcer sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie n'auraient pas pu être tous inscrits sur la liste spéciale.
Je ne parlerais pas, comme Alain Richard, d'un « acte potentiel de décolonisation », mais plutôt d'un acte d'autodétermination. Parmi toutes les collectivités françaises d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie a ceci de particulier que sa population est majoritairement composée de Français d'origine européenne. Il ne saurait donc être question de décolonisation au sens propre du terme.
La place de l'Accord de Nouméa dans la hiérarchie des normes est une question de doctrine tout à fait intéressante. Il est singulier que cet accord puisse être la référence du Conseil constitutionnel pour apprécier la conformité à la Constitution de la loi organique, alors même qu'il déroge au principe de l'universalité du suffrage que la Constitution garantit expressément. Quel meilleur indice de sa supériorité ?
Je remercie Jacques Bigot d'avoir rappelé l'enjeu de ce texte. Je le remercie également d'avoir participé à un déplacement éclair en Nouvelle-Calédonie, de sorte que l'opposition sénatoriale a pu être représentée au cours des auditions, ce qui est aussi un élément de consolidation de la position que prendra le Sénat sur ce texte.
Je remercie Gérard Poadja de nous avoir fait part de son analyse de l'enchaînement des faits qui nous conduisent à examiner ce projet de loi organique.
À Jean Louis Masson, je veux dire qu'il ne s'agit nullement ici de s'engager à perpétuer des dérogations au principe de l'universalité du suffrage. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qu'il vénère, a d'ailleurs jugé que de telles dérogations ne pouvaient être admises qu'à titre transitoire.
Enfin, je remercie Simon Sutour de nous avoir rappelé l'intérêt que la commission des lois porte depuis longtemps à la Nouvelle-Calédonie. Cet héritage des différentes missions a été très précieux pour la préparation de mon rapport.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1 er
L'amendement rédactionnel COM-3 rectifié est adopté.
Article 2
Les amendements rédactionnels COM-4 et COM-5 rectifié sont adoptés.
Article additionnel après l'article 3
M. Philippe Bas , rapporteur . - L'amendement COM-10 , présenté par le Gouvernement, est important. En contrepartie de l'ouverture de bureaux de vote « délocalisés » à Nouméa pour les électeurs des communes insulaires, et par dérogation au droit commun, les électeurs souhaitant voter par procuration lors de la consultation devraient apporter la preuve qu'ils ne peuvent faire autrement. La liste des justificatifs admis serait fixée par décret en Conseil d'État.
J'y suis favorable, sous réserve de l'adoption du sous-amendement COM-12 , d'ordre rédactionnel.
M. Poadja nous présentera l'amendement COM-1 rectifié, qui a le même objet. L'amendement du Gouvernement me paraît cependant préférable, car sa rédaction est plus simple.
M. Gérard Poadja . - Si l'amendement du Gouvernement est juridiquement plus sûr, je m'incline et retire mon amendement COM-1 rectifié.
Le sous-amendement COM-12 est adopté.
L'amendement COM-10 , ainsi sous-amendé, est adopté.
Article 5
L'amendement COM-1 rectifié est retiré.
L'amendement de coordination COM-7 est adopté.
Articles additionnels après l'article 5
M. Gérard Poadja . - Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est, d'ordinaire, consulté sur les projets de décret relatifs à ce territoire. Mais la consultation référendaire n'est pas une élection ordinaire. Il convient que le Congrès, plutôt que le gouvernement, soit appelé à donner son avis sur le décret de convocation des électeurs, qui fixera le texte de la question posée et les modalités d'organisation du scrutin. Nous reprenons, avec cet amendement COM-2 rectifié, une demande unanime du Congrès.
M. Philippe Bas , rapporteur . - En règle générale, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie est consulté sur les projets de loi comportant des dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie, le gouvernement sur les projets de décret. Je suis prêt à accepter la proposition de M. Poadja, à condition que les deux institutions, Congrès et gouvernement, soient appelées à donner leur avis : c'est l'objet de mon sous-amendement COM-9 . On comprend l'intérêt de donner au Congrès le pouvoir de se prononcer en l'espèce, mais on ne voit pas pourquoi le gouvernement en serait privé.
M. Pierre-Yves Collombat . - Avons-nous l'assurance que le gouvernement et le Congrès de Nouvelle-Calédonie sont d'accord avec ces propositions ? Il ne faut pas introduire de risques de contestation, même minimes.
M. Philippe Bas , rapporteur . - Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est constitué à la proportionnelle des groupes du Congrès, ce qui offre les meilleures chances qu'il n'y ait pas de contradiction entre eux. Je me fie à l'avis du ministère des outre-mer : il s'agit d'un élément de nature à favoriser le consensus plutôt qu'à nous faire courir un risque de division.
M. Jacques Bigot . - Le décret va fixer le texte de la question posée aux électeurs. Le sujet est épineux, car il est difficile que la question ne soit pas binaire. Mais il ne faut pas qu'elle conduise à de nouvelles tensions au lendemain du référendum. La consultation du Congrès est intéressante, mais on ne peut pas priver l'exécutif de la Nouvelle-Calédonie de son droit d'être consulté. Le sous-amendement du rapporteur offre un bon équilibre, nous verrons quelle sera la position du Gouvernement.
Le sous-amendement COM-9 est adopté.
L'amendement COM-2 rectifié, ainsi sous-amendé, est adopté.
M. Philippe Bas , rapporteur . - L'amendement COM-11 du Gouvernement, déposé tardivement, aborde un sujet complexe. Il prévoit un régime de répartition des temps d'antenne pendant la campagne référendaire nettement dérogatoire, qui passerait par un accord entre les présidents de groupe politique au Congrès.
Cette disposition me semble soulever des difficultés d'ordre constitutionnel. Elle subordonne les droits des forces politiques calédoniennes à accéder à l'antenne à un accord entre présidents de groupe au Congrès. L'amendement est inabouti. Il doit être amélioré avant l'examen du projet de loi organique en séance publique la semaine prochaine. C'est pourquoi je vous propose de ne pas l'intégrer au texte de la commission.
M. Pierre Frogier . - Je suis très réservé sur cet amendement. Au comité des signataires, il n'y a jamais eu de consensus sur cette proposition du Gouvernement, derrière laquelle on risque de trouver un autre amendement pour plafonner les dépenses de campagne.
Il s'agit en l'espèce d'un scrutin d'autodétermination, qui touche chacun des électeurs, au-delà des mouvements politiques.
M. Pierre-Yves Collombat . - Tout dépendra de la nature de la question posée. Pourquoi les partis estampillés « officiels » seraient-ils les seuls à pouvoir s'exprimer dans cette consultation populaire ?
L'amendement COM-11 n'est pas adopté.
Le projet de loi organique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1
er
|
|||
M. BAS, rapporteur |
3 rect. |
Clarification et harmonisation rédactionnelles |
Adopté |
Article 2
|
|||
M. BAS, rapporteur |
4 |
Précision rédactionnelle |
Adopté |
M. BAS, rapporteur |
5 rect. |
Précision rédactionnelle |
Adopté |
Articles additionnels après l'article 3 |
|||
Le Gouvernement |
10 |
Encadrement du vote par procuration |
Adopté |
M. BAS, rapporteur |
12 |
Sous-amendement rédactionnel |
Adopté |
Article 5
|
|||
M. POADJA |
1 rect. |
Encadrement du vote par procuration |
Retiré |
M. BAS, rapporteur |
7 |
Correction d'une erreur de référence |
Adopté |
Articles additionnels après l'article 5 |
|||
M. POADJA |
2 |
Consultation du Congrès de la Nouvelle-Calédonie sur le décret fixant le texte de la question posée aux électeurs |
Adopté |
M. BAS, rapporteur |
9 |
Sous-amendement visant à ce que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie soit également consulté |
Adopté |
Le Gouvernement |
11 |
Règles relatives à la campagne audiovisuelle |
Rejeté |