EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
En première lecture, votre commission des lois, à l'initiative de son rapporteur, a examiné le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations 1 ( * ) dans un esprit de responsabilité , à l'issue d'un dialogue approfondi avec le Gouvernement, et sans procéder à la « réforme de la réforme » .
Le Sénat a approuvé la position qui lui était proposée par votre commission, alors qu'il s'était opposé, comme elle, à ce qu'une réforme aussi fondamentale de notre droit civil fût réalisée par ordonnance, nonobstant son caractère prétendument technique, en raison de l'office limité du Parlement au stade de la ratification d'une ordonnance : les innovations que cette ordonnance a introduites dans le code civil montrent bien que la réforme n'était pas exclusivement technique , car elles traduisent de vrais choix de nature politique.
Lors des débats devant l'Assemblée nationale, la garde des sceaux a d'ailleurs indiqué que « le Sénat a fait preuve de responsabilité en n'apportant au texte de l'ordonnance que de rares modifications au regard de son ampleur et en permettant, par les débats qui s'y sont déroulés, de résoudre d'éventuelles difficultés d'interprétation ».
Votre rapporteur veut toutefois réaffirmer qu'il n'est pas satisfaisant de devoir ratifier l'ordonnance plus d'un an après son entrée en vigueur, alors même que presque huit mois s'étaient déjà écoulés entre sa publication et son entrée en vigueur. Cette situation contraint davantage encore la marge du Parlement dans le cadre de la ratification.
Aujourd'hui, c'est dans le même esprit de responsabilité, au vu du texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, sur le rapport de notre collègue député Sacha Houlié 2 ( * ) , que votre commission aborde l'examen en deuxième lecture de ce projet de loi de ratification. En effet, en dépit de certaines divergences, déjà exprimées au Sénat lors des échanges entre votre commission et le Gouvernement, le travail approfondi réalisé au sein de notre assemblée a été largement respecté par nos collègues députés , tenus au demeurant d'examiner ce texte dans des délais très contraints. Dans ce contexte, pour préparer cette deuxième lecture, votre rapporteur a tenu à poursuivre son dialogue avec les représentants du ministère de la justice , tout en étant attentif aux commentaires publiés par la doctrine ces dernières semaines sur les travaux et les options retenues par les deux assemblées.
Devant l'Assemblée nationale, la garde des sceaux a ainsi salué le « dialogue fructueux qui s'est noué depuis le début du processus de ratification, d'abord avec le Sénat (...), pour corriger quelques malfaçons et améliorer certaines dispositions ». Elle a considéré que, « sur certaines des modifications adoptées et approuvées par votre commission des lois, le Sénat a contribué à clarifier le texte de l'ordonnance, sans en modifier ni le sens ni l'esprit », mais que, « sur d'autres points néanmoins, auxquels le Gouvernement s'est opposé, le Sénat a effectué des choix de fond qui remettaient en cause certains équilibres de la réforme ». Votre rapporteur ne partage pas cette dernière appréciation, considérant que le Sénat, sur ces points de désaccord, a corrigé ce qui apparaissait pour nombre d'observateurs et de praticiens comme des malfaçons de fond de la réforme , sans abroger toutefois le moindre article du code civil ni remettre en cause jusque dans leur principe les innovations introduites par la réforme.
En première lecture, le Sénat a ajouté 14 articles additionnels à l'article unique du projet de loi initial consistant à ratifier l'ordonnance sans modification. Outre l'article de ratification, l'Assemblée nationale a adopté conformes, en première lecture, 4 de ces 14 articles, en a supprimé un et a ajouté deux articles additionnels, de sorte que 12 articles restent en navette en deuxième lecture devant notre assemblée , sur un total de 17, notamment ceux qui présentent les enjeux les plus importants : la définition du contrat d'adhésion, lequel constitue le champ du dispositif de sanction des clauses abusives dans le droit commun des contrats, lui-même encore en navette, le champ de la sanction de l'abus de l'état de dépendance dans le domaine contractuel, la nullité pour réticence dolosive, l'introduction de la révision judiciaire du contrat en cas de changement de circonstances imprévisible, les sanctions de l'exécution imparfaite du contrat, la faculté de se libérer d'une obligation contractuelle dans une monnaie étrangère, ainsi que les règles applicables aux contrats conclus avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance.
Sur le fond du texte, compte tenu des délais d'examen auxquels ils étaient soumis comme du caractère relativement exhaustif du travail réalisé au sein de votre commission, nos collègues députés se sont limités, pour l'essentiel, à examiner les modifications issues des travaux du Sénat , en n'abordant qu'un seul sujet nouveau, technique et circonscrit, mais utile, par rapport au Sénat 3 ( * ) . Ils sont ainsi revenus au texte issu de l'ordonnance, se ralliant à l'appréciation du Gouvernement, sur, notamment, l'abus de l'état de dépendance et l'imprévision, mais également sur le contrat d'adhésion, en reprenant la notion de conditions générales, alors que le Gouvernement avait suivi le raisonnement de votre commission sur cette question. Quant au paiement en devises, la poursuite de la navette traduit la difficulté à établir une position claire et définitive sur ce que l'on souhaite autoriser ou non sur le territoire français, la réflexion du Gouvernement étant évolutive.
Si votre commission, à l'initiative de son rapporteur, a accepté de voter sans modification certaines dispositions modifiées par l'Assemblée nationale, par exemple en matière de nullité pour réticence dolosive et pour les délais des nouvelles actions interrogatoires, ou a adopté des rédactions de compromis par rapport à celles qu'elle avait retenues en première lecture, notamment sur l'abus de l'état de dépendance, elle a souhaité réaffirmer sa position de première lecture , en particulier, sur la définition du contrat d'adhésion , dans une rédaction améliorée présentée par le Gouvernement, en concertation avec votre rapporteur, sur la révision judiciaire pour imprévision , qui porte une atteinte disproportionnée au principe de la force obligatoire du contrat et altère gravement l'image du droit français, et sur la question complexe et récurrente de l' application de la réforme aux contrats antérieurs , afin que l'intention du législateur soit sur ce point parfaitement claire.
Au total, votre commission a adopté 10 amendements , dont 8 à l'initiative de son rapporteur et 2 à l'initiative du Gouvernement.
Attachée à rechercher la voie d'un compromis en deuxième lecture, sur une réforme déjà en vigueur qui paraît largement approuvée et acceptée, elle a adopté le projet de loi ainsi modifié .
Avec le double objectif de renforcement de la sécurité juridique et de l'attractivité du droit des contrats , l'intention du Gouvernement, dans l'élaboration de cette réforme, a été de le moderniser et de le rendre plus lisible, sans le bouleverser, tout en l'adaptant aux enjeux contemporains, en prenant mieux en compte l'exigence d'efficacité économique et également en consolidant la jurisprudence.
Par ailleurs, votre rapporteur constate avec satisfaction que le travail d'interprétation de nombreuses dispositions issues de la réforme, sans pour autant y apporter de modification, opéré dans le rapport de première lecture, a été apprécié, le Gouvernement, en sa qualité d'auteur de l'ordonnance, approuvant ces interprétations, lesquelles bénéficient de la valeur probante des travaux préparatoires de la ratification de l'ordonnance. Lors des débats devant l'Assemblée nationale, la garde des sceaux a d'ailleurs indiqué que, grâce au Sénat, « des lignes d'interprétation claires ont pu être dégagées s'agissant de questionnements récurrents tels que le caractère impératif ou supplétif des textes de l'ordonnance ou l'articulation entre le droit commun et les droits spéciaux ».
* 1 Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 6 juillet 2016, ce projet de loi en a été retiré par le Gouvernement le 9 juin 2017 pour être déposé le même jour sur le Bureau du Sénat.
* 2 Rapport n° 429 (2017-2018) de M. Sacha Houlié, fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, sur le projet de loi n° 315 adopté par le Sénat, ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Ce document est consultable à l'adresse suivante :
http://www.assemblee-nationale.fr/15/rapports/r0429.asp
* 3 Articles 1216-3 et 1328-1 du code civil, concernant le sort des sûretés en cas de cession de contrat et de cession de dette.