III. L'ACCORD DE 2017 : UN COMPROMIS DÉROGATOIRE MAIS PRAGMATIQUE, QUI PRÉSERVE L'INTÉRÊT DES ÉTATS ET LA COMPÉTITIVITÉ ÉCONOMIQUE DE L'AÉROPORT

Dans son rapport d'activité 2016, l'établissement public EuroAirport Bâle-Mulhouse consacre un développement à la signature du présent accord : « Sécurité juridique dans le dossier fiscal : enfin une réalité . Le paraphe, fin 2016, puis la signature, en mars 2017, par la France et la Suisse, d'un accord binational clarifiant définitivement la fiscalité applicable sur le site aéroportuaire et notamment le statut fiscal des entreprises suisses implantées dans le secteur suisse revêtent une importance stratégique majeure pour l'Aéroport . Nous adressons nos sincères remerciements aux représentants de nos deux Etats, nos Administrateurs, les élus alsaciens et bâlois pour leur mobilisation de tous les instants au cours des trois dernières années. La ratification prochaine de l'Accord demeure également indispensable pour garantir la sécurité juridique pour les entreprises suisses opérant sur le site , afin de permettre leur développement futur et préserver l'attractivité de l'ensemble de la région trinationale ».

Plus prosaïquement, le présent accord, qui vise à régler impôt par impôt les divergences d'interprétation accumulées au fil des décennies, demeure un compromis dérogatoire par rapport au droit commun français, à l'avantage des entreprises du secteur suisse .

Il n'en demeure pas moins un accord bienvenu et nécessaire, pour deux raisons :

- d'une part, si la France n'y gagne pas autant qu'avec une stricte application de son droit interne, elle y gagne néanmoins beaucoup par rapport à la situation antérieure . L'accord est par ailleurs relativement neutre pour la partie suisse, de sorte qu'il ne fait, in fine , pas de perdant parmi les États ;

- d'autre part, ce compromis permet d'assujettir les entreprises concernées à l'impôt, tout en tenant compte de la situation héritée, et en préservant la compétitivité du site de l'aéroport de Bâle-Mulhouse , dont l'importance économique est vitale pour toute la région.

Fondamentalement, même si l'aéroport est intégralement situé en territoire français pour des raisons physiques, il s'agit d'un aéroport en grande partie construit pour la Suisse et en particulier pour le canton de Bâle , centre économique et industriel de la Confédération, et financé à parité par la France et la Suisse. Il n'est donc pas anormal que cette réalité se traduise par un accord international, conforme à l'esprit de l'accord de 1949 et à la volonté politique constamment réaffirmée depuis lors.

Il est, en revanche, nettement préférable que cette volonté politique prenne la forme d'un accord en bonne et due forme, plutôt que d'une tolérance tacite des autorités, comme ce fut le cas pendant plus de soixante ans.

1. L'établissement public : un impôt sur les sociétés calculé selon les règles françaises, et dont le produit serait réparti entre la France et la Suisse

Aux termes du 1 de l'article 1 er du présent accord, « l'imposition des revenus de l'établissement public dénommé "aéroport de Bâle-Mulhouse", situé sur le territoire français, est déterminée conformément à la législation et à la règlementation françaises ».

Sur le strict plan juridique, cet article ne fait que rappeler le droit : situé sur le territoire français, l'aéroport de Bâle-Mulhouse doit en effet être soumis à l'impôt sur les sociétés français. Il en va de même pour l'ensemble de la fiscalité applicable aux revenus de l'établissement public.

De façon dérogatoire, en revanche, le 3 du même article prévoit que le produit de l'impôt sur les sociétés , pour la partie excédant le montant du prélèvement de 3,2 millions d'euros au profit des collectivités locales (cf. infra ), est partagé à parts égales entre la France et la Suisse .

Il s'agit bien là d'une solution de compromis : en principe, le droit commun voudrait que l'impôt sur les bénéfices de l'établissement public soit non seulement déterminé conformément aux règles d'assiette et de taux prévues par la législation française, mais encore que le produit de cet impôt revienne intégralement à la partie française. Le partage des recettes à parts égales, toutefois, permet de tenir compte de façon pragmatique de l'intérêt des parties et de préserver la compétitivité du site, tout en écartant tout risque d'optimisation fiscale pour l'aéroport , lequel demeure en tout état de cause soumis aux règles françaises.

Le présent article permettra de sécuriser durablement l'ensemble des acteurs concernés , à commencer par l'aéroport lui-même, et de permettre un développement serein de ses activités. Comme expliqué supra , l'établissement public « aéroport de Bâle-Mulhouse » acquitte l'impôt sur les sociétés français depuis deux ans . Le rapport annuel 2016 de l'aéroport mentionne expressément ce changement : « le résultat net s'établit à 24,8 millions d'euros et tient compte du calcul de l'impôt sur les sociétés, nouvellement appliqué à l'Aéroport et correspondant à un montant de 6,9 millions d'euros ». Le montant d'impôt sur les sociétés acquitté en 2015, pour la première fois, était de 6,3 millions d'euros.

Aujourd'hui, compte tenu du prélèvement de 3,2 millions d'euros au profit des collectivités locales, la France et la Suisse se partageront donc en pratique la moitié de l'impôt sur les sociétés acquitté par l'aéroport , soit un quart pour chaque État.

2. Les coûts des missions d'intérêt général rendues par la direction générale de l'aviation civile au profit du secteur douanier suisse seront désormais couverts par une contribution spécifique analogue à la taxe de l'aviation civile

L'article 2 de la convention fiscale stipule que les entreprises de transport aérien qui effectuent des services sur la base des autorisations de trafic délivrées par la Suisse sont exonérées de la taxe de l'aviation civile mais qu'en contrepartie, elles sont assujetties à une contribution assise sur les passagers embarqués sur un vol commercial .

Cette contribution est destinée à couvrir les coûts des missions d'intérêt général assurées par l'administration française de l'aviation civile à l'occasion de l'utilisation de l'aéroport de Bâle-Mulhouse par ces compagnies aériennes bénéficiant de droits de trafic suisse .

La direction générale de l'aviation civile (DGAC) réalise en effet de nombreuses missions d'intérêt général pour le secteur suisse de l'aéroport de Bâle-Mulhouse .

Elle est notamment chargée de :

- vérifier, par sa participation à la tutelle de l'établissement public, l'application des réglementations relatives à l'ouverture et à la gestion des aérodromes, aux transporteurs aériens, à la sûreté des passagers et du fret, à la circulation aérienne, à la sécurité et à la protection de l'environnement des installations aéroportuaires et des aéronefs et à la lutte contre les nuisances sonores aériennes ;

- d'exercer des missions de surveillance relatives au service de sauvetage et de lutte contre l'incendie ainsi qu'au péril animalier dans l'enceinte de l'aéroport ;

- d'assurer le contrôle du respect par les aéronefs étrangers des standards établis par la convention de Chicago en matière d'aviation civile internationale dans le cadre du programme établi par l'agence européenne de sécurité aérienne (AESA).

En outre, l'ensemble des activités réalisées par les services centraux et déconcentrés de la DGAC génèrent des coûts en termes de fonctions support (gestion des ressources humaines, maintenance informatique, fonctionnement) qui sont imputés selon une clé de répartition à l'aéroport de Bâle-Mulhouse et en particulier au secteur suisse .

Le fait que la taxe de l'aviation civile, qui s'applique dans l'ensemble des aéroports français, ne soit pas appliquée aux transporteurs aériens qui embarquent des passagers, du fret ou du courrier à partir du secteur suisse et que la DGAC ne perçoive aucune compensation de la Suisse pour les services qu'elle déploie en faveur du secteur helvétique de l'aéroport était particulièrement problématique .

L'article 2 la convention met un terme à cette situation anormale et vient ainsi entériner le dispositif introduit au VII de l'article 302 bis K du code général des impôts par l'article 49 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 que la France avait adopté pour tenir compte du refus de la Suisse de voir appliquer la taxe de l'aviation civile au secteur douanier suisse.

Cet article a en effet prévu une dérogation explicite au champ d'application de la taxe de l'aviation civile (TAC) , dès lors que l'embarquement des passagers, du fret ou du courrier, bien que localisé sur le territoire français, est effectué par des transporteurs aériens publics qui bénéficient de droits de trafic accordés par un État tiers limitrophe , conformément aux stipulations d'un accord international entre cet État et la France.

En contrepartie, il a soumis les transporteurs aériens concernés au paiement d'une contribution financière , destinée à couvrir les coûts des missions d'intérêt général assurées par la DGAC à l'occasion de l'utilisation de cet aéroport .

Cette contribution est assise sur le nombre de passagers embarqués sur chaque vol commercial . Son tarif sera égal au rapport entre le montant des coûts des missions d'intérêt général assurées par la DGAC et le nombre total de passagers embarqués par ces transporteurs aériens à partir de cet aéroport au cours d'une année civile. Aucune contribution assise sur le fret ou le courrier embarqué n'est en revanche prévue .

Un arrêté des ministres chargés du budget et de l'aviation civile, pris après concertation avec les autorités compétentes de l'autre État partie à l'accord international, fixe la liste des coûts pris en considération pour le calcul du tarif de la contribution ainsi que les règles de leur actualisation .

De fait, l'article 2 de la convention prévoit bien qu'un protocole d'accord conclu entre les administrations françaises et suisse chargées de l'aviation civile détermine la liste des coûts financés par cette contribution 22 ( * ) . Ce protocole fixe les modalités de détermination de ces coûts, les règles de leur actualisation ainsi que le tarif de la contribution.

Ce protocole d'accord a été conclu le 16 février 2017 entre la direction générale de l'aviation civile (DGAC) française et son homologue suisse, l'office fédéral de l'aviation civile (OFAC).

Les deux administrations ont décidé que la valorisation des coûts serait définie d'un commun accord pour des périodes de cinq ans 23 ( * ) .

Le coût initial a été fixé à 6 013 168 euros pour la première période quinquennale , qui couvre les années d'assiette 2016 à 2020. Il a été calculé sur la base de données ressortant de la comptabilité analytique du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » pour l'exercice budgétaire 2016.

Pour chacune des années de cette première période, une actualisation des coûts est appliquée sous forme d'une indexation égale à l'inflation , dans la limite de 1 %.

Enfin, il est prévu que pour la première année de versement de la rémunération, en 2017, un prorata temporis s'applique au montant nominal de 6 013 168 euros, ramené à neuf mois (à compter du 1 er avril 2017).

Le protocole prévoit également que c'est l'établissement public franco-suisse gestionnaire de l'aéroport qui sera chargé de percevoir les recettes de la contribution versée par les compagnies aériennes bénéficiant de droits de trafic suisse et qu'il devra reverser son produit à la DGAC tous les 15 du mois qui suit un trimestre civil .

Les stipulations de ce protocole ont été transcrites dans le droit français par l'arrêté du 6 juin 2017 fixant les modalités d'application des dispositions du 4 du VII de l'article 302 bis K du code général des impôts .

Dans le même temps, l'arrêté du 6 juin 2017 fixant le tarif de la contribution prévue au VII de l'article 302 bis K du code général des impôts 24 ( * ) a prévu que le tarif de cette contribution financière serait de 1,73 euro par passager embarqué , soit une somme très inférieure aux 4,48 euros de taxe de l'aviation civile auxquels sont assujettis les compagnies aériennes au départ des autres aéroports français pour les vols à destination de la France, d'un autre État membre de la Communauté européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse 25 ( * ) .

Enfin, le décret n° 2017-640 du 26 avril 2017 fixant la date d'entrée en vigueur de la contribution prévue au I de l'article 49 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a prévu que celle-ci se produirait au lendemain de la publication de ce décret , soit le 27 avril .

Selon la DGAC, le délai de publication de ce décret était dû à l'examen par la Commission européenne de la compatibilité de ce dispositif avec le droit de l'Union européenne en matière d'aides d'État .

Le premier versement a été effectué le 15 octobre 2017 par l'agent comptable de l'aéroport de Bâle-Mulhouse au titre des sommes encaissées au cours du troisième trimestre 2017.

3. L'impôt sur les sociétés : la confirmation définitive de l'imposition en France de toutes les entreprises

L'article 3 du présent accord rappelle que les entreprises exerçant une activité dans le secteur douanier suisse de l'aéroport sont assujetties à l'impôt français sur les sociétés , conformément au droit français et dans le respect de la convention fiscale du 9 septembre 1966 conclue entre la France et la Suisse. Il en va de même pour l'ensemble des impôts sur les revenus , y compris les impôts sur les gains provenant de l'aliénation de biens mobiliers ou immobiliers, ainsi que les impôts sur les plus-values.

Comme le précise l'exposé des motifs, « il s'agit d'une explicitation du droit applicable dans un objectif de lisibilité de l'articulation entre les deux accords ». Cet article est la conséquence directe de la décision du Conseil d'État du 31 juillet 2009.

D'après les éléments transmis à votre rapporteur, « la régularisation de la situation d'un grand nombre d'entreprises depuis l'exercice 2015 a été rendue possible par la signature du présent accord : ainsi, plus de 4 entreprises sur 5 se sont fait connaître de l'administration et 2 sur 3 sont à jour de leurs obligations déclaratives et de paiement ».

Compte tenu de la situation qui prévalait avant la reprise des négociations, ces chiffres doivent être regardés comme satisfaisants, et sont d'ailleurs en progression constante . La ratification de l'accord devrait en principe permettre d'arriver à une régularisation totale.

À l'avenir, toutefois, l'administration fiscale française devra veiller à effectuer tous les contrôles nécessaires pour contrôler la bonne application de la loi par ces entreprises - il ne serait pas acceptable qu'elle continue à s'abstenir, sans base juridique, d'effectuer les vérifications nécessaires pour assurer le juste paiement de l'impôt, comme ce fut le cas pendant plus de soixante ans.

Son attention pourrait en particulier se porter sur le risque - certes à ce stade difficile à évaluer - d'optimisation fiscale : l'imposition en France pourrait en effet conduire certaines entreprises, qui ne disposent à Bâle-Mulhouse que d'un établissement stable mais pas de leur siège social, à « minorer » leur bénéfice déclaré en France au profit de leur bénéfice déclaré ailleurs, notamment par le jeu des prix de transfert.

4. Une application de la TVA suisse, nettement inférieure à la TVA française

Alors que la situation actuelle est celle d'une TVA due en France mais en pratique peu ou pas acquittée (cf. supra ), l'article 4 du présent accord prévoit l'application dérogatoire du régime suisse de TVA aux opérations effectuées par les entreprises exerçant une activité dans le secteur douanier suisse de l'aéroport .

Par sa décision d'exécution n° 2017/320 du 21 février 2017, le Conseil de l'Union européenne a autorisé la France à déroger aux règles de territorialité régissant la TVA, conformément à la procédure prévue par l'article 396 de la directive n° 2006/112/CE (cf. encadré). Il apparaît, dans les considérants de la décision d'exécution, que cette dérogation est accordée par pragmatisme.

Concrètement, l'application de la TVA suisse plutôt que française correspond à un net avantage fiscal accordé aux entreprises concernées , compte tenu des différences de taux - encore accentuées par la baisse de la TVA suisse prévue au 1 er janvier 2018 26 ( * ) :

Comparatif simplifié des taux de TVA
en France et en Suisse

France

Suisse (2017)

Suisse (2018)

Taux normal

20 %

8 %

7,7 %

Taux réduit

5,5 % ou 10 %

2,5 %

2,5 %

Source pour la Suisse : administration fédérale des contributions.

Cet avantage devrait notamment jouer dans le cadre des travaux immobiliers à venir au sein de l'aéroport.

Décision d'exécution 2017/320/UE du Conseil du 21 février 2017
autorisant la France à conclure avec la Confédération suisse
un accord concernant l'aéroport de Bâle-Mulhouse
qui inclut des dispositions dérogatoires à l'article 5 de la directive 2006/112/CE

LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE,

vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

vu la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (1) , et notamment son article 396, paragraphe 1,

vu la proposition de la Commission européenne,

considérant ce qui suit :

(1) Conformément à l'article 5 de la directive 2006/112/CE, en ce qui concerne le champ d'application territorial de ladite directive, le système de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est, en règle générale, applicable sur le territoire d'un État membre .

(2) Par lettre enregistrée à la Commission le 24 septembre 2015, la France a demandé l'autorisation de conclure avec la Confédération suisse (ci-après dénommée « Suisse ») un accord concernant l'aéroport de Bâle-Mulhouse (ci-après dénommé « l'aéroport ») qui inclut des dispositions dérogatoires à la directive 2006/112/CE.

(3) Conformément à l'article 396, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2006/112/CE, la Commission a informé les autres États membres, par lettre datée du 24 octobre 2016, de la demande introduite par la France. Par lettre datée du 25 octobre 2016, la Commission a informé la France qu'elle disposait de toutes les informations nécessaires pour étudier la demande.

(4) L'aéroport est situé intégralement sur le territoire de l'Union . Toutefois, la convention franco-suisse du 4 juillet 1949 relative à la construction et à l'exploitation de l'aéroport de Bâle-Mulhouse, à Blotzheim (ci-après dénommée « convention ») prévoit un secteur douanier suisse spécifique dans une zone délimitée dans l'enceinte de l'aéroport à l'intérieur de laquelle les autorités suisses ont le droit de contrôler les marchandises et les voyageurs en provenance ou à destination de la Suisse. La convention prévoit également la conclusion d'un accord distinct entre les pays respectifs, qui porterait, entre autres, sur les règles fiscales régissant ce secteur .

(5) Des problèmes relatifs au secteur douanier suisse sont apparus, notamment pour ce qui est du contrôle de l'application des règles de l'Union en matière de TVA par les entreprises établies dans ce secteur .

(6) En 2015, la France et la Suisse ont accepté de conclure un accord international dans le cadre duquel le secteur douanier suisse serait assimilé à un territoire suisse aux fins de la TVA. Étant donné que cet accord contiendrait des dispositions qui dérogent à la directive 2006/112/CE, une autorisation en application de l'article 396 de ladite directive est requise .

(7) La France s'assurera que la dérogation n'a pas d'incidence sur les ressources propres de l'Union provenant de la TVA.

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

La France est autorisée à conclure avec la Suisse un accord concernant l'aéroport de Bâle-Mulhouse qui prévoit, par dérogation à la directive 2006/112/CE, que le secteur douanier suisse dans l'enceinte de l'aéroport, établi en vertu de l'article 8 de la convention franco-suisse du 4 juillet 1949 relative à la construction et à l'exploitation de l'aéroport de Bâle-Mulhouse, à Blotzheim, n'est pas considéré comme faisant partie du territoire d'un État membre au sens de l'article 5 de ladite directive .

5. Les taxes locales : une architecture complexe mais néanmoins pragmatique, qui pourrait le cas échéant évoluer
a) Une exonération en France et un assujettissement en Suisse

S'agissant enfin des taxes locales et taxes annexes sur les salaires , la solution retenue par le présent accord, à son article 5, consiste à exonérer les entreprises du secteur suisse d'impôts locaux en France, et à assujettir ces dernières à l'impôt local suisse .

Plus précisément, au titre de leurs activités au sein de l'aéroport de Bâle-Mulhouse, et dans l'objectif affirmé d'éviter une double-imposition, ces entreprises seraient :

- imposables à l'impôt sur le capital en Suisse , et plus précisément dans le canton de Bâle-Ville (2 de l'article 5). L'impôt sur le capital est, en Suisse, un impôt cantonal équivalent à la cotisation foncière des entreprises (cf. encadré) ;

- exonérées en France de la contribution économique territoriale et des taxes annexes sur les salaires , « ainsi que des impôts, droits et taxes de nature analogue qui les remplaceraient » (3 de l'article 5).

Cet article concerne exclusivement les entreprises répondant à trois conditions cumulatives, précisées au 1 de l'article 5 :

1° Elles sont « inscrites dans un registre cantonal du commerce en Suisse » et « exercent dans le secteur douanier suisse de l'aéroport 27 ( * ) » ;

2° Elles sont « résidentes fiscales en Suisse au sens de la convention fiscale de 1966 » ;

3° Leur activité « est en lien avec l'aéronautique ou nécessaire à l'exploitation normale de l'aéroport conformément à la convention de 1949 et à ses annexes ».

Il est toutefois précisé que « les entreprises qui exerçaient une activité dans le secteur suisse de l'aéroport le 23 janvier 2016 sont dispensées de justifier du respect de ces conditions ». La date du 23 janvier 2016 retenue pour cette présomption d'éligibilité correspond à la date de la dernière déclaration commune avant la signature de l'accord (cf. supra ), qui avait posé les bases du nouveau régime fiscal. Elle permet, ainsi, d'offrir une sécurité juridique aux entreprises concernées pendant la période de « transition ».

Des précautions sont prises pour que l'exonération de taxes locales françaises n'aboutisse pas à une double exonération . Le 3 de l'article 5 précise expressément que l'exonération de taxes locales françaises est prévue « afin d'éviter l'assujettissement à des impôts, droits et taxes de nature identique ou analogue existant tant en France qu'en Suisse ». Le 4 du même article 5 précise en outre que « nonobstant les paragraphes 2 et 3 du présent article, à défaut d'une imposition en Suisse de la part du capital des entreprises (...), les impôts, droits et taxes visés au paragraphe précédent peuvent être prélevés en France ».

Les 5, 6 et 7 de l'article 5 comprennent enfin diverses dispositions visant à prendre en compte l'éventuelle modification, par l'un des deux pays, des impôts locaux concernés, notamment par une procédure de notification obligatoire. Il est également prévu que « les autorités compétentes peuvent décider d'un commun accord, en cas de besoin, des modalités concrètes d'application du présent article ».

b) Une compensation de 3,2 millions d'euros au profit des collectivités locales, bien en deçà des recettes fiscales théoriques

La perte de recettes fiscales pour les collectivités locales françaises concernées - la région, le département et les communes de Saint Louis, Blotzheim et Hésingue - serait compensée par un prélèvement annuel de 3,2 millions d'euros sur le montant de l'impôt sur les sociétés acquitté par l'établissement public « aéroport de Bâle-Mulhouse », prévu au 2 de l'article 1 er du présent accord (relatif à la fiscalité de l'établissement public). Ce prélèvement serait effectué en amont du partage à égalité du produit de l'IS entre la France et la Suisse (cf. supra ), de sorte que les deux pays contribuent de la même manière à la compensation des pertes de recettes fiscales pour les collectivités.

Le montant de 3,2 millions d'euros correspond au montant moyen perçu par les collectivités ces deux dernières années (cf. supra ). Il pourra être actualisé pour tenir compte de l'inflation (4 de l'article 1 er ).

Il est précisé que « si le montant de l'impôt sur les sociétés acquitté par l'établissement public est inférieur à 3,2 millions d'euros, le prélèvement est égal au montant inférieur » : en d'autres termes, le montant de 3,2 millions d'euros reversé aux collectivités locales constitue un montant plafond , mais pas un montant minimum garanti .

Sous réserve de l'approbation du présent accord avant la fin de l'année, un amendement du Gouvernement pourrait être déposé dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2017 afin de prévoir le versement de ces 3,2 millions d'euros aux collectivités concernées.

c) Une compensation largement inférieure aux recettes fiscales potentielles, prix à payer pour encourager le développement de l'aéroport

La solution retenue, très particulière, appelle plusieurs remarques.

Premièrement, du point de vue des collectivités locales concernées, cette solution constitue une perte de recettes potentielles , et ceci pour deux raisons :

- d'une part, la compensation de 3,2 millions d'euros a été fixée à partir de bases notoirement sous-évaluées , puisqu'il s'agit du montant moyen constaté ces dernières années, pendant lesquelles la majorité des entreprises ne payait pas l'impôt dû ;

- d'autre part, il s'agit d'un montant plafond , qui n'a pas vocation à augmenter, alors même que la croissance de l'activité de l'aéroport attendue au cours des prochaines années aurait sans doute abouti à une hausse importante des recettes fiscales « réelles », et notamment de la CVAE.

Comme le remarque l'administration fiscale, « il ne s'agit pas de compenser l'intégralité de l'exonération d'une taxe qui n'était que très partiellement acquittée, mais de préserver le niveau de recettes que ces collectivités recevaient 28 ( * ) ».

Deuxièmement, du point de vue des entreprises concernées, l'assujettissement à l'impôt sur le capital du canton de Bâle-Ville est bien plus favorable que l'assujettissement aux impôts locaux français : bien que justifiée dans le préambule de l'accord par un objectif d'élimination des doubles impositions 29 ( * ) , la solution retenue consiste en pratique à maintenir un régime dérogatoire en faveur des entreprises du secteur suisse.

En effet, dans le système fédéral suisse, les cantons disposent de prérogatives fiscales étendues (cf. encadré ci-dessous). Si le taux nominal de l'impôt sur le capital du canton de Bâle-Ville figure parmi les plus élevés de la Confédération (soit 5,25 %o), il est en pratique assorti de très fréquentes exonérations partielles ou totales 30 ( * ) , selon des critères en grande partie discrétionnaires auquel il est impossible d'avoir accès. Au total, l'imposition des entreprises concernées semble être de toute façon moins élevée dans le canton de Bâle-Ville qu'en France, d'autant que l'impôt sur le capital est seulement l'équivalent de la CFE en France, mais pas de la CVAE ni des taxes annexes .

L'imposition des personnes morales en Suisse (extraits)

1. REMARQUES PRÉLIMINAIRES

1.1 Aperçu des conséquences de notre fédéralisme sur le plan fiscal

La Suisse est un Etat fédéral, et le moins que l'on puisse dire est que sa structure fédéraliste se reflète largement dans sa fiscalité. C'est ainsi que dans notre pays, les impôts directs sont perçus non seulement par l'Etat central (soit le pouvoir fédéral, appelé la Confédération) mais aussi par les 26 Etats membres (soit les cantons) qui la composent.

Or, chacun de ces « Etats » (Confédération et cantons) jouit de sa propre souveraineté fiscale (soit le droit de percevoir des impôts et de disposer librement des recettes en découlant). Cela veut dire qu'en Suisse, tant la Confédération que les cantons ont leur propre législation en matière d'impôts directs.

De ce fait, la Suisse possède pas moins de 27 législations fiscales différentes (une fédérale et 26 cantonales), concernant l'imposition du revenu et de la fortune des personnes physiques ainsi que du bénéfice et du capital des personnes morales.

Par conséquent, les taux et barèmes d'impôts sont également différents d'un canton à l'autre, de sorte que la charge fiscale peut présenter des divergences assez importantes suivant le canton de domicile ou de siège.

En sus de la Confédération et des cantons, les quelques 2'300 communes suisses disposent quant à elles d'une souveraineté fiscale dite « déléguée » et prélèvent, elles aussi, des impôts. La plupart du temps, elles le font selon les mêmes bases légales que le canton dont elles font partie (impôts communaux sur le revenu et la fortune des personnes physiques, sur le bénéfice et le capital des personnes morales, sur les successions et donations, etc.). Ceci avec des taux différents, parfois sur la base de tarifs qui leur sont propres, mais le plus souvent par le biais de suppléments par rapport aux barèmes cantonaux ou à l'impôt cantonal dû (système dit des « centimes additionnels »). Ces impôts communaux sont par ailleurs souvent aussi élevés - voire davantage - que l'impôt cantonal.

(...)

4. 5 Sociétés de capitaux

Les sociétés de capitaux (S.A., Sàrl., sociétés en commandite par actions) doivent s'acquitter d'un impôt sur le bénéfice ainsi que - uniquement dans les cantons - d'un impôt sur le capital , basé en général sur le capital versé et les réserves ouvertes ainsi que les réserves latentes qui ont été imposées comme bénéfice lors de leur création. (...)

[L'impôt sur le capital] est presque toujours proportionnel et s'exprime en pour mille du capital imposable.

Les allégements (...) concernent bien entendu avant tout les impôts ordinaires sur le bénéfice et le capital. Toujours limités dans le temps, ils peuvent varier d'un canton à l'autre : (...)

- exonération totale ou partielle pendant dix ans au plus (pour l'année de fondation et les neuf années suivantes), accordée non seulement aux nouvelles entreprises, mais également aux entreprises déjà existantes dont l'activité commerciale s'est profondément modifiée ou qui se lancent dans un nouveau domaine de production ;

- exonération partielle uniquement ou octroi d'allégements fiscaux pendant dix ans au plus.

Source : Conférence suisse des impôts (CSI), « L'imposition des personnes morales : état de la législation au 1 er janvier 2017 », septembre 2017

Troisièmement, d'un point de vue intellectuel , l'exonération d'impôts locaux assis sur des bases fiscales clairement localisables d'un point de vue géographique est surprenante. Il convient néanmoins de rappeler que la loi française n'y fait pas obstacle , dans la mesure où les stipulations d'un accord international l'emportent sur celle-ci.

En dépit de ces réserves, le compromis proposé par le présent accord paraît une solution acceptable, là encore pour plusieurs raisons :

- tout d'abord, les collectivités concernées ont été consultées et ont soutenu cette démarche , d'après les informations communiquées à votre rapporteur. En effet, même si le prélèvement de 3,2 millions d'euros proposé en compensation de l'exonération de taxes locales représente une perte de recettes potentielles, ces recettes n'étaient auparavant que très théoriques : elles seront désormais certaines, et prévisibles ;

- ensuite, le développement de l'activité au sein de l'aéroport de Bâle-Mulhouse profitera indirectement aux collectivités : en effet, d'après l'administration française, « il est permis d'espérer que, maintenant qu'un cadre juridique et fiscal pérenne est de nature à conforter le développement de l'aéroport, les collectivités territoriales bénéficieront des retombées économiques et fiscales plus générales de ce développement » ;

- enfin , si le dynamisme des recettes fiscales théoriques devait aboutir à un écart trop important avec la compensation de 3,2 millions d'euros, rien n'interdirait le cas échéant de prévoir, par un mécanisme de droit interne, une compensation de cet écart par l'État . Par exemple, l'impôt dû pourrait être calculé dans les conditions de droit commun, l'État se substituant in fine aux contribuables concernées par un mécanisme de crédit d'impôt ou de dégrèvement . Il semble toutefois prématuré d'envisager une telle solution à court terme.


* 22 Ces coûts se rattachent aux activités de régulation économique et technique, à la réglementation de la circulation aérienne, au respect des règles de sécurité et de protection de l'environnement des installations aéroportuaires et des aéronefs, à la surveillance du service de lutte contre l'incendie et contre le péril animalier de l'aéroport et incluent les coûts de structure associés à ces missions.

* 23 Un an avant l'échéance de chaque période quinquennale, la DGAC présente à l'OFAC un état récapitulant pour chaque catégorie de coûts, un chiffrage actualisé, tenant compte le cas échéant d'évolutions normatives ayant une incidence sur leur détermination.

* 24 Pris après consultation le 2 décembre 2016 du conseil d'administration de l'établissement public de l'aéroport de Bâle-Mulhouse.

* 25 Cette somme est de 8,06 euros par passager embarqué pour les autres destinations.

* 26 Cette baisse de taux résulte principalement du rejet par référendum, le 24 septembre 2017, du projet « Prévoyance vieillesse 2020 », ce qui a pour conséquence de mettre fin à un financement additionnel de l'assurance-invalidité. Source : administration fédérale suisse des contributions.

* 27 Une fois de plus, la situation des entreprises exerçant dans le secteur douanier français ne requiert aucune disposition particulière, celles-ci étant soumises au droit commun français en la matière.

* 28 Source : réponses au questionnaire de votre rapporteur.

* 29 On pourra remarquer qu'une simple application du droit commun, c'est-à-dire le paiement des impôts locaux là où les bases fiscales sont situées et non dans le pays voisin, aurait aussi permis d'éliminer la double imposition.

* 30 Sources : administration fédérale des contributions, brochure fiscale 2016, et canton de Bâle-Ville.

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