N° 663

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juillet 2017

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , d' habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ,

Par M. Alain MILON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; M. Gérard Dériot, Mmes Colette Giudicelli, Caroline Cayeux, M. Yves Daudigny, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Gérard Roche, Mme Laurence Cohen, M. Gilbert Barbier, Mme Aline Archimbaud , vice-présidents ; Mme Agnès Canayer, M. René-Paul Savary, Mme Michelle Meunier, M. Jean-Louis Tourenne, Mme Élisabeth Doineau , secrétaires ; M. Michel Amiel, Mme Nicole Bricq, MM. Olivier Cadic, Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Noël Cardoux, Daniel Chasseing, Olivier Cigolotti, Mmes Karine Claireaux, Annie David, Isabelle Debré, Catherine Deroche, M. Jean Desessard, Mme Chantal Deseyne, M. Jérôme Durain, Mmes Anne Émery-Dumas, Corinne Féret, MM. Michel Forissier, Jean-Marc Gabouty, Mmes Françoise Gatel, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, MM. Éric Jeansannetas, Georges Labazée, Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Hermeline Malherbe, Brigitte Micouleau, Patricia Morhet-Richaud, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Catherine Procaccia, Stéphanie Riocreux, M. Didier Robert, Mme Patricia Schillinger, MM. Michel Vergoz, Dominique Watrin, Mme Évelyne Yonnet .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4 , 18 , 19 et T.A. 2

Sénat :

637 , 642 et 664 (2016-2017)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Lors de sa réunion du 19 juillet 2017, la commission des affaires sociales a adopté, en le modifiant, le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

Le président Alain Milon (Les Républicains - Vaucluse), rapporteur, a souligné la singularité des conditions d'examen du projet de loi : le Parlement doit se prononcer dans des délais resserrés sur des habilitations touchant à près d'une quarantaine d'aspects de la législation du travail, dont tous ne présentaient pas de caractère d'urgence, alors que les dispositions qu'entend arrêter le Gouvernement par ordonnances demeurent dans l'ensemble encore floues, du fait de la poursuite des concertations avec les partenaires sociaux.

Pour autant, il a approuvé l'orientation générale d'un texte qui vise à libérer les entreprises des contraintes juridiques entravant leur développement au détriment de l'emploi et qui reprend plusieurs propositions défendues par le Sénat ces deux dernières années, telles que la rationalisation des institutions représentatives du personnel, l'harmonisation juridique des accords de flexisécurité, la création du barème obligatoire prud'homal ou la simplification du compte personnel de prévention de la pénibilité.

Sur sa proposition, la commission a adopté 31 amendements destinés à renforcer l'ambition du projet de loi autour de trois objectifs : développer la compétitivité et l'attractivité de l'économie ; tenir compte des spécificités des petites entreprises ; rationaliser notre droit du travail au profit des salariés et des employeurs.

À l'article 1 er , relatif à l'articulation entre accords de branche et accords d'entreprise , la commission a précisé la portée des habilitations demandées par le Gouvernement afin d'ouvrir la possibilité pour les employeurs, dans les entreprises employant moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical, de conclure des accords collectifs directement avec les représentants du personnel et, en leur absence, directement avec le personnel. Elle a également souhaité permettre à l'employeur d'organiser une consultation des salariés pour valider un accord. Elle a prévu l' obligation, pour les accords de branche, de tenir compte des spécificités des petites entreprises dépourvues de représentants du personnel .

S'agissant du licenciement des salariés refusant l'application d'un accord collectif, dont le Gouvernement souhaite harmoniser le régime juridique, elle a retenu la notion de motif spécifique et elle a écarté l'application des règles du licenciement collectif à ces salariés, tout en souhaitant qu'ils bénéficient d'un dispositif d'accompagnement équivalent au contrat de sécurisation professionnelle. La commission est revenue sur la disposition adoptée par l'Assemblée nationale qui réduisait de 3 ans à 18 mois le délai prévu pour la restructuration des branches . Elle a supprimé l'habilitation demandée par le Gouvernement pour accélérer la généralisation des accords majoritaires .

A l'article 2, relatif à la simplification des institutions représentatives du personnel (IRP), elle a prévu que l'instance unique aurait compétence en matière de négociation des accords d'entreprise , sauf s'il en a été décidé autrement par accord majoritaire. Elle a apporté plusieurs précisions à l'habilitation demandée par le Gouvernement pour prévoir la formation des membres de l'instance unique, limiter à trois le nombre de leurs mandats successifs et soumettre cette instance à des obligations de contrôle des comptes et de mise en concurrence de ses fournisseurs ou des prestataires sollicités pour les expertises.

Elle a supprimé trois des habilitations demandées par le Gouvernement : celle visant à accroître les cas dans lesquels les décisions de l'employeur sont soumises à l'avis conforme des IRP , celle renforçant la représentation des salariés dans les conseils d'administration des grandes entreprises et celle lui permettant de redéfinir le rôle des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), qui n'ont été mises en place que le 1 er juillet dernier.

À l'article 3, relatif à la sécurisation juridique des procédures de licenciement , la commission a apporté plusieurs précisions aux habilitations demandées pour permettre à l'employeur de rectifier dans la lettre de licenciement les irrégularités de motivation sans incidence sur la cause réelle et sérieuse du licenciement, pour réduire au moins de moitié les délais de contestation d'un licenciement économique et pour distinguer les obligations de l'employeur en matière de reclassement selon l'origine, professionnelle ou non, de l'inaptitude du salarié. S'agissant des critères d'appréciation des difficultés économiques des entreprises appartenant à un groupe international, elle a retenu un périmètre national , à savoir les entreprises appartenant au même groupe, situées en France et relevant du même secteur d'activité, tout en autorisant le Gouvernement, le cas échéant, à apporter des aménagements à cette règle. Par ailleurs, elle a précisé que les accords de branche fixant les règles d'utilisation du CDI de chantier devraient respecter un cadre fixé par la loi .

Enfin, à l'article 9, relatif au report de la mise en oeuvre du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu , elle a adopté un amendement d'Albéric de Montgolfier (Les Républicains - Eure-et-Loir), rapporteur pour avis de la commission des finances, visant à tester la faisabilité d'un prélèvement mensualisé et contemporain reposant sur l'administration fiscale et consistant en un versement d'acomptes dont le montant pourrait être ajusté par les contribuables en cas de variation de leurs revenus ou de changement de leur situation personnelle.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le 28 juin 2017, le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social a été présenté en Conseil des ministres.

Ce texte traduit la volonté du Président de la République, exprimée au cours de la campagne électorale, de promouvoir une « société du travail » et d'engager une réforme du dialogue social accordant plus de place aux accords d'entreprise pour régler certains aspects des relations du travail, sans remettre en cause les principes fondamentaux prévus par la loi.

Les trois premiers articles du projet de loi traitent des trois thèmes identifiés par « le programme de travail pour rénover notre modèle social », véritable feuille de route que le Gouvernement a communiquée le 6 juin dernier aux partenaires sociaux.

L'article 1 er vise ainsi à revoir l'articulation entre la loi, les accords collectifs et le contrat de travail . La simplification et le renforcement du dialogue social dans les entreprises sont abordés à l'article 2, tandis que l'article 3 tend principalement à sécuriser les procédures de licenciement , notamment celles pour motif économique.

Le projet de loi a pour objet de parachever les évolutions législatives initiées par plusieurs lois emblématiques adoptées depuis 2013, comme la loi « Rebsamen » du 17 août 2015 1 ( * ) , qui avait autorisé la fusion, par accord majoritaire, des institutions représentatives du personnel dans les entreprises employant plus de 300 salariés, ou la loi « Travail » du 8 août 2016 2 ( * ) , qui a refondu les dispositions relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés en accordant une place centrale à l'accord d'entreprise.

Force est toutefois de constater que l'objet de ce texte dépasse les objectifs fixés par la feuille de route, car d'autres sujets ont été intégrés, qu'il s'agisse de la simplification du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), de l'aménagement des règles du détachement de travailleurs ou encore du report d'un an du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, dont le lien même avec l'intitulé du projet de loi est douteux.

Par ailleurs, les thèmes traités dans les trois premiers articles font l'objet d'une myriade de déclinaisons (une quarantaine environ), d'inégale importance, ce qui confère au texte un champ d'application bien plus étendu que celui dessiné par la feuille de route. En sus, plusieurs volets annexes sont venus se greffer à ce noyau.

Ainsi, des aménagements aux règles d'extension et d'élargissement des accords de branche sont prévus par l'article 4, qui traite également des règles de répartition des sommes versées aux organisations syndicales et patronales par le fonds pour le financement du dialogue social.

L'article 5, quant à lui, constitue le socle de la réforme à venir du compte personnel de prévention de la pénibilité, que le Sénat n'a eu de cesse d'appeler de ses voeux, et tend à aménager les règles du détachement pour les travailleurs frontaliers.

L'article 6 permettra au Gouvernement de procéder à la mise en cohérence du code du travail, compte tenu des nombreuses réformes intervenues depuis 2015.

L'article 7 vise pour sa part à proroger d'un an la période transitoire dont disposent certains commerces pour s'adapter à la réforme du zonage dérogatoire au repos dominical.

L'article 8 bis , inséré en séance publique à l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Francis Vercamer et de plusieurs de ses collègues du groupe Les Constructifs, demande au Gouvernement de réaliser, dans un délai de dix-huit mois, un rapport évaluant les effets des ordonnances prises sur le fondement du présent projet de loi, à l'exception de celle relevant de l'article 9.

Cet article 9 habilite le Gouvernement à reporter d'un an, par ordonnance, la mise en oeuvre du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. C'est pourquoi votre commission a délégué son examen à la commission des finances.

*

* *

Votre rapporteur approuve résolument la volonté du Gouvernement de libérer les entreprises des contraintes juridiques qui entravent leur développement au détriment de l'emploi. Les réformes structurelles dont a besoin notre pays, depuis trop longtemps différées, doivent être menées pour lutter contre le chômage, relancer l'économie et restaurer la place de notre pays en Europe.

Votre rapporteur constate avec satisfaction que le projet de loi retient un très grand nombre des propositions défendues par le Sénat depuis 2015 , et qui à l'époque n'avaient pas eu l'heur de rencontrer un accueil favorable du Gouvernement : rationalisation des institutions représentatives du personnel, harmonisation juridique des régimes des accords de « flexisécurité » 3 ( * ) , simplification du compte personnel de prévention de la pénibilité, création d'un référentiel obligatoire pour fixer les indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, obligation pour les accords de branche étendus de prévoir des mesures spécifiques pour les petites entreprises, etc. Par ailleurs, en abordant simultanément plusieurs thèmes structurants du code du travail, il donne le sentiment d'une approche globale et cohérente, qui a souvent manqué lors des précédentes réformes.

Votre rapporteur souhaite toutefois formuler quatre observations.

En premier lieu, la méthode retenue par le Gouvernement lors de l'élaboration et de l'examen du texte rend malaisé le travail des parlementaires, auxquels il est demandé d'accorder une habilitation au Gouvernement sans que celui-ci ait fait connaître précisément en amont toutes ses intentions. Le Gouvernement prendra en effet ses ordonnances à la lumière du résultat des concertations menées depuis le début du mois de juin avec les partenaires sociaux. Si les concertations bilatérales portant sur les thèmes traités par les deux premiers articles sont désormais achevées, celles portant sur la sécurisation des licenciements sont prévues du 10 au 21 juillet 2017. La ministre du travail a en outre indiqué que d'ultimes concertations auront lieu postérieurement à l'adoption de la loi d'habilitation, jusqu'à la publication des ordonnances. Par conséquent, jusqu'à cette date, certaines dispositions pourront évoluer à la suite des observations des partenaires sociaux.

Or, le Conseil constitutionnel exige que les lois d'habilitation soient précises, afin de respecter les prérogatives du Parlement, sous peine d'encourir une censure. Dans une décision du 26 janvier 2017 4 ( * ) , le Conseil constitutionnel a en effet rappelé qu'« aux termes du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution : "Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi". Cette disposition fait obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention ». Il a alors déclaré contraire à la Constitution, pour la première fois, une habilitation jugée trop floue. Le commentaire de cette décision par le Conseil constitutionnel indique que l'habilitation doit permettre de connaître les « lignes directrices » des mesures susceptibles d'être prises par ordonnance, le Parlement, tout comme le Conseil constitutionnel, devant être « éclairés » sur son contenu, surtout si une liberté constitutionnelle est en jeu 5 ( * ) . Pour autant, cette décision ne saurait obliger le Gouvernement à faire connaître au Parlement, lors de l'examen du projet de loi d'habilitation, la teneur des ordonnances qu'il prendra.

Votre rapporteur considère que le recours aux ordonnances, s'il est prévu par la Constitution, ne permet pas en l'espèce la tenue d'un débat satisfaisant au Parlement , compte tenu notamment de l'ampleur des thèmes traités et du nombre élevé d'options laissées en suspens par la formulation des habilitations. Les ordonnances entreront en vigueur dès leur publication, et ne seront caduques que si le Gouvernement ne dépose pas les projets de loi de ratification dans le délai fixé par la loi d'habilitation, tandis que la Constitution n'oblige pas le Gouvernement à inscrire ces projets de loi à l'ordre du jour des assemblées. Ainsi, en raison de l'encombrement de celui-ci, un grand nombre d'ordonnances ne sont jamais ratifiées mais demeurent applicables en raison du dépôt des projets de loi de ratification dans les délais prévus par les lois d'habilitation 6 ( * ) . Par ailleurs, pendant la durée d'une habilitation, le Gouvernement peut déclarer irrecevables les amendements parlementaires ou les propositions de loi portant sur des thèmes couverts par ladite habilitation, ce qui limite là encore les prérogatives du Parlement.

Au final, l'articulation entre démocratie parlementaire et démocratie sociale apparaît perfectible. Certes, votre rapporteur considère, à l'instar du Conseil d'Etat dans son avis sur le projet de loi 7 ( * ) , que la lettre de l'article L. 1 du code du travail 8 ( * ) n'a pas été méconnue par le Gouvernement. Mais le choix d'organiser uniquement six rencontres bilatérales par organisation représentative au niveau national et interprofessionnel d'ici la publication des ordonnances, l'absence de réunions multilatérales, et surtout le calendrier très serré retenu par le Gouvernement alors que les discussions portent sur de très nombreux sujets techniques, risquent de provoquer in fine des tensions chez les partenaires sociaux et l'adoption de dispositions inadaptées. La méthode retenue par le Gouvernement n'a pas de précédent depuis l'adoption en 2007 de l'article L. 1 du code du travail à l'initiative du Président Gérard Larcher 9 ( * ) , alors ministre du travail. Le Gouvernement semble donner la priorité aux partenaires sociaux au détriment du Parlement, d'autant que les délais extrêmement contraints d'examen du texte qui lui sont imposés ne lui permettent pas d'exercer sereinement ses missions.

En deuxième lieu, le Gouvernement semble placer sur le même plan toutes les ordonnances, sans hiérarchisation ni priorisation. Toutes doivent être prises dans un délai de six mois après la publication de la loi d'habilitation, tandis que les projets de loi de ratification devront être déposés au Parlement au plus tard trois mois après leur adoption. Le Conseil d'Etat a attiré avec raison l'attention du Gouvernement sur les conséquences d'un tel choix, en termes de « hiérarchie des priorités, de calendrier et de temps nécessaire à la préparation de ces différentes réformes ».

Votre rapporteur considère que les réformes mentionnées dans le projet de loi d'habilitation peuvent être regroupés en quatre blocs, selon leur caractère structurel et leur urgence.

Le premier bloc concerne les réformes structurelles et urgentes pour restaurer la compétitivité des entreprises et créer un « choc de confiance » auprès des entrepreneurs et des investisseurs. Relèvent de cette catégorie la création d'un référentiel obligatoire pour les indemnités prud'homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, la réforme des règles du licenciement économique, ou encore la simplification du C3P.

Le deuxième bloc regroupe les réformes structurelles qui ne nécessitent pas une adoption en urgence. Il en va ainsi de la nouvelle articulation entre les accords de branche et les accords d'entreprise, qui nécessiterait quatre années de préparation selon le rapport Combrexelle 10 ( * ) , voire de la fusion des IRP, compte tenu des nombreuses difficultés techniques qu'elle entraîne.

Le troisième bloc regroupe les mesures de portée limitée mais urgentes, comme celle prévue à l'article 7 du projet de loi, qui vise à proroger une période transitoire afin de sécuriser le recours au travail dominical.

Le dernier bloc rassemble les mesures plus techniques et non urgentes, comme le renforcement de la place des salariés dans les conseils d'administration ou de surveillance des grandes sociétés, la promotion du télétravail ou encore le renforcement de l'accès au droit du travail sur des portails internet dédiés.

Il découle de cette analyse que les mesures des premier et troisième blocs avaient plutôt vocation à être traitées dans un projet de loi ordinaire, examiné dans des délais rapides par le Parlement. Le recours à des ordonnances est pleinement justifié pour les réformes du deuxième bloc, à condition de prévoir un temps de réflexion suffisant pour les services du ministère et les partenaires sociaux. Quant aux mesures relevant du dernier bloc, elles avaient par définition plutôt leur place dans un projet de loi ordinaire examiné plus tardivement dans la législature. Afin de ne pas multiplier les véhicules législatifs, le Gouvernement a toutefois décidé de privilégier la voie des ordonnances, alors même que le Président de la République, devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet dernier, déclarait qu'il fallait « du temps pour penser la loi », « du temps pour la concevoir, la discuter et la voter » 11 ( * ) . Votre rapporteur prend acte de ce choix et de ce pari, dont la réussite ou l'échec seront appréciés à l'aune des ordonnances publiées d'ici la fin d'année.

En troisième lieu, le Gouvernement envisage de modifier certains dispositifs récents qui n'ont pas encore donné lieu à une quelconque évaluation. L'audition des organisations syndicales devant votre commission mercredi 12 juillet 2017 a montré les méfaits de l'inflation législative en matière de droit du travail. Le Conseil d'Etat, dans son avis précité, a souligné le risque de « cercle vicieux » qui existe entre l'inflation législative et la multiplication des jurisprudences des juges judiciaire et administratif. Il attire en effet l'attention du Gouvernement sur le fait que « cette succession rapide de jurisprudences, de normes législatives elles-mêmes potentiellement suivies de nouvelles décisions de justice, qui correspond à une pratique de plus en plus fréquente, est un facteur d'inflation législative et d'instabilité du droit du travail » 12 ( * ) .

Les auditions menées par votre rapporteur ont montré que les employeurs comme les salariés n'étaient pas en mesure de s'approprier les dernières évolutions du droit du travail, qui ont connu un net emballement depuis 2013. Plusieurs dispositifs, comme la restructuration du paysage conventionnel, ont déjà été modifiés deux ou trois fois depuis 2015. Or les entreprises ont besoin de normes stables, surtout en droit social.

En dernier lieu, le projet de loi n'aborde pas des sujets auxquels le Sénat est très attaché. A titre d'illustration, lors de l'examen du projet de loi « Travail » 13 ( * ) , notre assemblée avait substitué à la durée légale hebdomadaire du travail une durée de référence dont la fixation devait relever d'un accord d'entreprise, dans le respect de l'ordre public fixé au niveau européen. Elle avait en outre relevé de onze à vingt salariés le seuil au-delà duquel l'élection des délégués du personnel était obligatoire. Par ailleurs, lors de l'examen de cette loi, le Sénat avait souhaité supprimer le plafond hebdomadaire de 24 heures de travail pour les salariés à temps partiel. Inversement, le projet de loi vise parfois à renforcer des dispositifs auxquels le Sénat s'est opposé, comme les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), dont l'utilité n'est pas avérée.

*

* *

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales a adopté trente et un amendements pour mieux encadrer l'action du Gouvernement lors de la rédaction des ordonnances. Elle n'a pas souhaité revenir sur la plupart des modifications apportées par l'Assemblée nationale au projet de loi, dont la portée était limitée.

Sans remettre en cause la philosophie du texte, les amendements de votre rapporteur ont visé à préciser la portée de l'habilitation et à lui donner toute son ambition, dans la continuité des travaux du Sénat depuis 2015.

Réunie le mercredi 19 juillet 2017 sous la présidence de Gérard Dériot, vice-président, la commission a adopté le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social dans la rédaction issue de ses travaux.


* 1 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

* 2 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 3 Lors de l'examen du projet de loi « Travail », le Sénat avait supprimé les accords de maintien de l'emploi (AME) au profit des accords de préservation et de développement de l'emploi (APDE).

* 4 Conseil constitutionnel, décision n° 2016-745 DC, Loi relative à l'égalité et la citoyenneté, 26 janvier 2017.

* 5 http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2016745DC2016745dc_ccc.pdf

* 6 Rien n'interdit cependant l'inscription à l'ordre du jour d'une assemblée d'une proposition de loi visant à ratifier une ordonnance sans modification, à la modifier voire à l'abroger, ni le dépôt d'un amendement parlementaire poursuivant l'un de ces objectifs pendant l'examen d'un texte.

* 7 Avis du Conseil d'Etat sur le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour la rénovation sociale, 22 juin 2017, n° 393.357.

* 8 L'article L. 1 du code du travail dispose que tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle doit faire l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation. A cet effet, le Gouvernement doit leur communiquer un document d'orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options.

* 9 Loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social.

* 10 « La négociation collective, le travail et l'emploi », Jean-Denis Combrexelle, France Stratégie, septembre 2015, p. 79.

* 11 Source : compte-rendu de la réunion du Congrès du 3 juillet 2017, disponible sur : http://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/congres/20174001.asp#P980776.

* 12 Avis du Conseil d'Etat précité, point 3.

* 13 Devenu la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

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