EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 25 janvier 2017, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a procédé à l'examen du rapport de M. Yves Pozzo di Borgo sur le projet de loi n° 271 (2016-2017) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne signé le 24 février 2015 pour l'engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Après l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.
M. Jean-Pierre Raffarin, Président. - Le projet ferroviaire Lyon-Turin fait partie des grands projets adoptés par le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) en 2003. Il sera intéressant de comparer les délais de réalisation des différents projets entérinés à l'époque.
Mme Éliane Giraud. - J'adresse mes félicitations au rapporteur. Je sais qu'il a procédé à de nombreuses auditions. J'ai d'ailleurs participé à celle de M. Louis Besson, Président de la Commission intergouvernementale, avec beaucoup d'intérêt. C'est un dossier très important avec une décision du CIADT que vous venez de rappeler, Monsieur le Président. L'on peut s'interroger sur la façon, dont on mène les grands projets. En région Rhône-Alpes, j'ai eu pour mission d'accompagner l'ensemble des acteurs économiques et des personnes intéressées sur ce sujet. L'Italie, il faut le rappeler, est le deuxième partenaire de la France et de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Sur des projets de cette ampleur, il faut être capable de mettre en place une réflexion pour maintenir une dynamique et pour faire en sorte que des oppositions, qui sont des visions à court terme, ne prennent pas le pas sur des visions stratégiques. C'est un projet très stratégique pour la France et pour l'Europe, notamment sur les liaisons Est-Ouest jusqu'en Europe centrale. Il a été ciblé comme tel et la section transfrontalière que l'Europe finance en est une partie fondamentale. Aujourd'hui, certains disent qu'il aurait fallu commencer par les voies d'accès et que la création d'une voie supplémentaire aurait été suffisante. Rendre le fret compétitif, c'est un problème de pente et le doublement de la voie actuelle n'aurait donc pas permis de régler ce point. Le creusement de la section internationale est prévu au niveau de Saint-Jean-de-Maurienne qui est à peu près à la même hauteur que Saint-Etienne. Il faut donc faire en sorte que l'on ait le moins de pente possible et c'est la raison pour laquelle, ce projet est important au plan économique, écologique et pour le devenir des échanges et des traversées des Alpes. La question du financement a été examinée très précisément par Michel Destot et Michel Bouvard, un député et un sénateur, un Isérois et un Savoyard. Il faut rappeler aussi que la question des tunnels routiers en Savoie est une question majeure, avec l'accident du tunnel du Mont-Blanc notamment, ainsi que les routes de Maurienne encombrées par les camions. C'est un projet très important pour les populations qui vivent dans ces vallées polluées. Le coût de l'opération a finalement été tranché à la suite de discussions très longues avec l'Italie. Aujourd'hui, l'on sait qu'il faudra trouver environ 200 millions par an, pendant douze ans. Je rappelle que les investissements annuels de l'Etat dans les transports s'élèvent à 15 milliards d'euros depuis les années 2000. C'est donc tout à fait réalisable ! Il faut naturellement qu'il ait aussi une réflexion sur les voies d'accès et sur l'ensemble du réseau de fret régional, mais je sais que différents acteurs, y compris la région, ont déjà commencé, en lien avec l'Etat. Nous voterons ce rapport, car ce projet a beaucoup d'intérêt pour les régions mais aussi pour les populations. Je vous invite, Monsieur le Président, et vous aussi, mes chers collègues, à venir rendre visite au tunnelier Federica, car c'est un chantier extrêmement important et intéressant. Je veux juste finir, en rappelant qu'une procédure « Grand chantier » est en cours. La région et l'Etat mènent également des discussions avec les agriculteurs dont les exploitations sont concernées par ce projet.
M. Jean-Marie Bockel. - Je remercie le rapporteur pour son excellent rapport. Une belle cause défendue avec conviction ! Je voterai naturellement pour. Si au début des années 2000, Monsieur le Président, vous avez fait avancer les dossiers, on peut dire aujourd'hui que les majorités se succèdent mais que le sujet du ferroviaire demeure. La France n'a pas réglé la question du ferroviaire en général et des trains à grande vitesse en particulier, sans parler de la question de l'entretien. Elle ne s'est pas donné les moyens de se maintenir à niveau, y compris sur les lignes secondaires, et de moderniser le réseau. Cette question est devant nous et il faudra s'en saisir avec la SNCF et les régions.
M. Jean-Pierre Raffarin, Président. - On peut se demander si la réflexion doit rester au niveau de la SNCF ou, comme par le passé, être portée à un niveau plus stratégique comme autrefois autour de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR). En perdant la DATAR, on a perdu, à mon avis, la vision à long terme.
M. André Trillard. - J'approuve cette idée de DATAR. Je veux simplement demander au rapporteur de retirer de son rapport le terme « finistérisation », qui me semble injurieux pour les habitants du Finistère et qui indiquerait que l'Etat n'a pas fait son travail pour cette partie de la France.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Je m'interroge sur les différentes positions des hautes instances nationales sur les projets d'infrastructures d'intérêt majeur. Je ne veux pas parler de l'opportunité du projet mais des remarques. Sur le projet Lyon-Turin, les plus hautes instances ont émis des réserves sur sa viabilité et son intérêt économique. Cela me rappelle le projet de liaison à grande vitesse entre Limoges et Poitiers, une autre transversale, un enjeu économique majeur dans la perspective des grandes régions, dont les plus hautes instances, pour le dire familièrement, ont eu « la peau», mais nous allons le relancer. Je m'interroge sur le rôle de ces hautes instances et sur leurs remarques de non-viabilité économique.
M. Jean-Pierre Raffarin, Président. - Je partage votre réflexion mais la question porte sur notre capacité de programmation pluriannuelle. On ne fait plus de moyen terme actuellement et les sujets qui ne présentent pas une rentabilité immédiate mais relèvent d'une stratégie de développement sont effacés par rapport aux autres. On manque de vision de moyen terme. C'est une faiblesse. C'est un débat que j'ai eu publiquement avec Dominique de Villepin quand il a choisi de rattacher la DATAR au seul ministère de l'agriculture.
M. Jean-Paul Émorine. - Je suis tout à fait favorable à ce projet Lyon-Turin. Pour parler d'aménagement du territoire, j'aurais souhaité la prise en compte de la liaison fluviale Rhin-Rhône, ce qui reste d'actualité. Sur la question du fret ferroviaire, je présidais la commission des affaires économiques lorsqu'on a parlé du Grenelle de l'environnement. Il faut avoir en tête que 90 % des trains circulent sur 50 % du réseau et que toutes les petites lignes qui desservaient les régions céréalières étaient plus polluantes que la route, compte tenu des ruptures de charge. Le transfert modal de la route vers le rail ne se fait que sur des grandes distances, au moins 500 kms. Il se fera petit à petit mais le vrai problème, c'est que la SNCF a le monopole de la circulation. Ce sera un point à examiner.
M. Bernard Cazeau. - M'étant battu en faveur du TGV Atlantique, je veux indiquer que je me rallie à la position d'Eliane Giraud pour des raisons économiques et environnementales. Je partage également la position de Françoise Perol-Dumont sur la ligne Limoges-Poitiers.
M. Daniel Reiner. - Je veux évoquer la question du report modal. Je suis favorable à la ligne Lyon-Turin, qui est de bon sens, même si l'on peut regretter la longueur des délais. On a travaillé longtemps sur le fret ferroviaire, Jean-Paul Emorine vient de le dire, et j'avoue que j'ai baissé les bras. À l'époque de Jean-Claude Gayssot, on transportait 55 milliards tonnes-kilomètre en fret ferroviaire, aujourd'hui, c'est moins de 30 milliards de tonnes-kilomètre. On a diminué au lieu de progresser. Il faut une politique générale en matière de transport ferroviaire mais pas seulement des outils. Il faut une politique qui oblige au report modal. Les conditions économiques du moment sont favorables au transport routier. Sans pénalisation du transport routier, il n'y aura pas de report modal ! Dans les circonstances actuelles, le fret ferroviaire ne peut pas lutter contre le transport par camion. On a beaucoup reculé sur ce sujet, à preuve l'affaire des péages sur les camions et des portiques, alors que c'est ce qu'il aurait fallu faire.
M. Claude Malhuret. - Merci pour ce rapport. J'ai des questions de néophyte. Quand on lit les journaux, on entend parler de manifestations en Italie. Pourquoi ces manifestants italiens s'y opposent-ils ? On parle également de partenariat public-privé, qu'en est-il ? Que faut-il penser des critiques du Conseil d'Etat et de la Cour des comptes ?
M. Alain Joyandet. - Qu'en est-il du calendrier des travaux et des paiements ? Je me méfie des effets d'annonce sur les autorisations de programme. L'on a financé, un temps, la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône, dont la branche sud a été abandonnée.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. - Sur la « finistérisation », c'était un mot pédagogique mais il sera retiré du rapport. S'agissant des points négatifs évoqués, toutes les voies d'accès au tunnel de base ne sont pas financées, il y a un effort à faire de la part de l'Etat et de la région. Les financements européens sont assurés jusqu'en 2019, mais il reste beaucoup d'interrogations sur la pérennisation du financement français. S'agissant du report modal, comme l'ont dit les sénateurs Reiner et Emorine, il faut s'engager dans une véritable politique globale en faveur du fret ferroviaire, compte tenu du coût des chauffeurs routiers européens. Pour répondre à M. Claude Malhuret, l'opposition en Italie était d'abord écologiste mais elle est devenue « cinq étoiles » avec l'élection de la maire de Turin, issue de ce mouvement et qui est contre le projet, mais elle vient d'être désavouée par le Conseil métropolitain de Turin. Sur la question de la Cour des comptes, j'ai des informations qui établissent que ces critiques étaient plus le fait d'un conseiller que de la Cour des comptes elle-même et je peux vous les transmettre. Je vous remercie pour votre soutien.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité, le groupe écologiste, en la personne de Mme Leila Aïchi, votant contre.